mercredi 31 janvier 2018

L'Empire des Chimères - Philippe Aurèle Leroux



L’empire des chimères, Philippe Aurèle Leroux

Editeur : Le Grimoire
Collection : Mille Saisons
Nombre de pages : 292
Résumé : Le culte de Mithra se propage dans les légions romaines des Alpes. Briana, fille de proconsul, observe d'étranges étoiles qui filent vers le Mons Caeli. À force de ténacité, elle parvient à obtenir l'autorisation de s'y rendre sous l'escorte de Decimus Valerius. Les ordres donnés à ce dernier sont clairs : la jeune femme ne doit jamais atteindre son objectif. Gurnt est rejeté par les siens qui n'acceptent pas son étrange apparence féline. Alors que le Mons Caeli paraît être le point d'orgue de toutes les ambitions, et de tous les secrets, se pourrait-il qu'il en soit aussi l'origine ?

Un grand merci aux éditions Le Grimoire et à Philippe Aurèle Leroux pour l’envoi de ce volume (et la petite dédicace) et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

« Pendant que la troupe se prépare, Decimus réfléchit intensément à la manière de capturer l’homme-lion : de tout ce qu’il a vu jusqu’ici de la créature, elle n’abandonne pas facilement et ne recule pas devant l’obstacle. Il semble également au decanus que l’homme-lion tient beaucoup à Briana. Il ne l’a pas abandonnée quand elle est tombée dans la rivière et la scène durant laquelle il a bousculé la jeune femme ressemblait beaucoup à une crise de jalousie. Selon toute vraisemblance, il va venir ici pour essayer de la délivrer, ainsi que potentiellement tous les autres prisonniers. Son intuition lui souffle néanmoins que Briana sera sa cible privilégiée.  »

- Mon avis sur le livre -

Quelle joie que d’être surprise par un livre ! Quel bonheur que de se retrouver face à un réel rebondissement, à un vrai coup de théâtre ! Dans un monde littéraire où les mêmes schémas narratifs se retrouvent assez régulièrement, c’est toujours une vraie bouffée d’air frais que de tomber sur un retournement de situation véritablement et totalement inattendu, qui sort des sentiers battus pour mieux abasourdir le lecteur ! Et l’ébahissement est d’autant plus grand lorsque l’auteur décide de mélanger allégrement des genres rarement associés, comme c’est le cas dans L’Empire des Chimères, magnifique ouvrage sur le plan « matériel » (quelles belles illustrations ! quels magnifiques ornements en début et en fin de chapitres ! quelle incroyable mise en page, en somme !) mais également sur le plan littéraire !

Briana, fille de proconsul, est passionnée d’astronomie. Et ces derniers mois, un étrange phénomène attise sa curiosité : pourquoi diable autant d’étoiles filantes semblent-elles se diriger vers le Mons Caeli ? Bien décidée à élucider ce mystère, la jeune femme remue ciel et terre pour s’y rendre. C’est le vétéran Decimus Valerius qui se voit confier la lourde responsabilité d’escorter l’expédition de la jeune femme. Tâche d’autant plus difficile qu’il doit en réalité empêcher Briana d’atteindre cet objectif … Et lorsque leur petit groupe se fait prendre en embuscade par de jeunes villageois rendus fous de colère contre l’Empire Romain à cause d’enlèvements perpétrés par la légion en faction sur le Mons Caeli, la situation échappe à tout contrôle … et à toute compréhension.

Trois personnages principaux, trois histoires parallèles qui finissent par se rejoindre et s’entremêler dans une intrigue aussi surprenante que complexe, voilà comment est construit ce roman. Trois points de vue, trois niveaux de connaissances qui doivent s’imbriquer les uns les autres pour reconstituer le puzzle … Et quel puzzle ! Dès les premiers chapitres, le ton est donné : complots et secrets prolifèrent et finiront par éclater au grand jour … pour le plus grand malheur des personnages et le plus grand bonheur du lecteur ! Ce qui se passe dans ce livre est terrible, il y aura des trahisons et des morts, il y aura du sang et des larmes, il y aura de la violence et de la souffrance, mais surtout, il y aura de la tension dramatique digne des plus grandes tragédies grecques, il y aura de l’émotion et de l’action, il y aura tout ce qu’il faut pour que le lecteur soit sans cesse sur le qui-vive, dans l’attente d’un dénouement impossible à prédire … Pour ceux qui, comme moi, aiment voir les personnages souffrir pour parvenir à leur fin et détestent les intrigues à la résolution trop facile où tout tombe tout cuit dans le bec des protagonistes, ce livre est idéal ! Rien n’est épargné à Briana, Gurnt, Decimus et les autres … 

La première grande originalité de ce roman, c’est de s’ancrer dans une époque historique assez rarement exploitée dans le monde la fantasy : la Rome Antique. Rien que ce premier élément suffit à faire sortir L’Empire des Chimères du lot, d’autant plus que l’immersion est totale, l’auteur ayant décidé d’utiliser autant que possible locutions et expressions latines pour la narration et les dialogues. Au début, c’est un petit peu déconcertant, et on jongle continuellement entre le récit et le lexique finalement, mais progressivement, on s’y fait et on adore cela ! On sent que l’auteur s’est longuement documenté sur les mœurs et le mode de vie de l’Antiquité romaine, au point qu’on ne sait plus vraiment où s’arrête la réalité historique et où commence la fiction … Il faut dire que dans ce roman, les frontières sont floues, et c’est le deuxième point que je souhaite souligner : ce livre n’est ni un roman historique, ni même un récit de fantasy … Il tient bien plus du roman de science-fiction, même si je ne peux vous expliquer ce qui me fait dire cela sans prendre le risque de vous gâcher la surprise. Car la Grande Surprise de ce livre, c’est bel et bien l’irruption de ce genre littéraire, que j’aime tant mais que je ne m’attendais absolument pas à trouver ici, et encore moins sur cette forme. J’ai été aussi abasourdie que les personnages lorsque le Grand Basculement (de genre) a eu lieu ! Je m’étais attendu à tout, sauf à cela, et j’étais infiniment ravie !

Si ce roman est avant tout un récit d’aventure, un ouvrage centré sur les péripéties de nos personnages, un livre où l’action est prédominante, je ne peux m’empêcher d’y voir quelques pistes de réflexion. Je pense que la grande thématique, ici, c’est le pouvoir. Force est de constater que les personnages ayant gouté à ce dernier ambitionnent d’en posséder toujours plus, et l’ambition est ici la porte ouverte à toutes les atrocités. Mais la Grande Révélation - que je vais tâcher ici de ne pas dévoiler ! - m’a également conduit à me poser cette question : pourquoi l’homme est-il sans cesse en quête de pouvoir ? que cherchent ces personnages en désirant ardemment se hisser en haut de l’échelle sociale ? que souhaitent-ils faire de ce pouvoir ? En résumé : que doit-on voir derrière cette course effrénée et sanglante vers la souveraineté toute puissante ? Un moyen de s’affirmer comme maitre de sa propre existence (je suis capable de diriger ma propre destinée) … ou bien comme Maitre du Jeu ? 

Autre grand questionnement à mes yeux, la question de l’humanité et de l’animalité. Gurnt, l’homme-lion, est considéré par les siens comme un monstre du fait de son physique atypique. Et pourtant, en dépit de ses instincts animaux - ou peut-être plutôt grâce à eux, justement, là est la question -, ce personnage est indéniablement le plus humain de tous, celui qui fait le plus preuve de bienveillance, de compassion, de générosité et d’abnégation. Alors qu’autour de lui éclatent traitrises et conspirations, Gurnt est dépassé par cette brutalité et cette barbarie dont font preuve les hommes, qui ne cessent de le rejeter à cause de sa bestialité … Gurnt n’est peut-être pas le personnage le plus complexe de ce récit - la palme revient à Decimus et sa dualité qui frôle le dédoublement de personnalité - mais c’est indéniablement celui qui porte à son insu le plus d’enjeux sur le plan réflectif ! On s’attache à lui, et cela nous conduit automatiquement à nous demander pourquoi il se voit ainsi exclure par les hommes alors qu’il est tellement bon et innocent. La peur de la différence, sans aucun doute … mais cela n’excuse rien, bien au contraire. Je réitère donc ma question, un peu différemment : qui, de l’homme ou de l’animal, est le plus humain ? Que de questionnements nés d’un livre finalement tellement court !

Car c’est bien là le seul reproche que je peux faire à ce récit : l’intrigue est bien menée et surtout pleine de bonnes idées, la plume est vraiment magnifique - la narration est vivante, l’équilibre est bon entre descriptions, actions et dialogues … -, mais le roman aurait mérité à être un peu plus long. Je suis restée sur ma faim en ce qui concerne la seconde moitié du roman, la plus riche en actions, rebondissements et révélations : tout ceci s’enchainent très rapidement, trop rapidement, au point que personnages et lecteurs ne peuvent véritablement intégrer et saisir véritablement les implications profondes de ces découvertes majeures. Le bouleversement qui a lieu dans cette seconde partie est très important … mais il semblerait pourtant que nos personnages comprennent et acceptent cela en un claquement de doigts, sans se poser plus de questions que cela. Et puisque les personnages ne cherchent pas à en savoir plus, et bien le lecteur non plus n’en sait pas plus, alors que c’est vraiment LE truc le plus époustouflant de l’intrigue, qui aurait donc amplement mérité à être un peu plus approfondi. C’est mon seul petit regret en ce qui concerne ce récit : une petit centaine de pages supplémentaires auraient permis de véritablement exploiter cette merveilleuse idée qu’a eu l’auteur !

En bref, vous l’aurez compris, en dépit de ce petit bémol - qui montre d’ailleurs que j’ai vraiment apprécié à la fois l’univers, l’histoire et la plume puisque j’en aurai volontiers repris ! -, j’ai vraiment apprécié ce roman, riche en surprises et en originalités. Un roman multi-genre qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour prendre au dépourvu le lecteur, c’est tellement rare ! Je vous invite donc, à votre tour, à ne pas hésiter à vous procurer L’Empire des Chimères (je trouve d’ailleurs ce titre exceptionnel : on n’en comprend la signification que très tardivement dans le roman !) qui, j’en suis certaine, vous fera passer un très agréable moment de lecture. Véritable page-turner, ce roman nécessite cependant d’avoir le cœur bien accroché (c’est sanguinolent, parfois, l’auteur n’épargnant ni ses personnages ni ses lecteurs) pour pouvoir être apprécié à sa juste valeur ! Je ne sais pas si une suite est prévue, mais si cela est le cas, je serai la première ravie !

Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus d’explications sur cet article)

samedi 27 janvier 2018

Le Tourment des rois, tome 1 : A la lumière de l'ombre - Gaëtan Noël



Le tourment des rois1, Gaëtan Noël
A la lumière de l’ombre

Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 513
Résumé : Aujourd'hui, alors que tout ce que j'ai construit s'apprête à être détruit ... j'écris mes derniers mots en tant que roi, en tant que monstre damné. Il est temps de tout révéler. En ce premier livre de mes mémoires, voici rassemblés mes plus ténébreux souvenirs de prince héritier. Mon histoire vous apprendra à quel point se battre pour une idée peut tout vous enlever : votre trône, votre avenir... jusqu'à votre propre vie. Alors, vous qui osez lire ... saurez-vous marcher à mes côtés, une ultime fois ? Saurez-vous embrasser ... le tourment des rois ?

Un grand merci à Gaëtan Noël pour l’envoi de ce volume (et la petite dédicace) et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

https://hydolia.com/
 

- Un petit extrait -

« Mon royaume. Définitivement. Vidé de toutes mes énergies, incapable de réaliser pleinement l'ampleur de la catastrophe qui s'abattait sur ma vie, je ne vis rien des premiers instants de notre chevauchée. Rien... Sauf la nuit, qui tombait. Et derrière moi, loin dans le ciel de l'ouest, l'éclat mourant... de ma destinée. »

- Mon avis sur le livre -

Tout comme Hydan, Prince Héritier du royaume d’Hydolia, peine à choisir le commencement de ses mémoires, je peine quant à moi à choisir quelle forme donner à cette chronique. Car cette lecture ne fut semblable à aucune autre : plus qu’une lecture coup de cœur, coup de foudre, coup de poing, cette lecture fut tout simplement une révolution littéraire. Que vous dire, que vous taire ? Comment vous faire saisir tout l’intérêt et toute l’originalité de ce roman si novateur sans risquer de vous en dévoiler trop et vous gâcher ainsi le plaisir de la découverte ? Comment, tout simplement, rendre hommage à ce récit qui m’a happée du début à la fin sans me laisser souffler une seule seconde, qui m’a fait passer par toutes les émotions possibles et inimaginables et qui m’a obligée à ne pas rester passive face à ma lecture mais à y prendre activement part ?

Hydan ne s’en cache pas : le désaccord qui existe entre son père et lui est profond et absolu. Là où Horden le Roi ne cherche qu’à affirmer la puissance guerrière de sa terrible armée et à attiser la crainte que fait naitre le Royaume d’Hydolia en tous les cœurs du continent, Hydan souhaite ardemment améliorer les conditions de vie de son peuple, faire naitre le respect non par la violence mais par l’honneur et la vertu. Il ne suffisait que d’une étincelle pour faire s’embraser le feu de la guerre entre le père et le fils, entre la Tradition et l’Evolution … Et une fois le combat engagé, plus moyen de faire marche arrière. Jusqu’où Hydan sera-t-il prêt à aller pour faire vivre l’idée qui anime son âme et son corps ? Saura-t-il tout sacrifier pour faire entrer son nom dans l’Histoire … ou bien ne parviendra-t-il pas à faire face au Tourment des rois ?

J’en ai bien conscience : ce résumé ne semble pas bien original. Un conflit de pouvoir, voilà tout ce qu’il annonce. Et pourtant … Vous n’imaginez pas tout ce qui se cache derrière cette histoire apparemment banale. Je ne l’imaginais pas non plus. Je ne m’attendais pas une seule seconde à ce qui allait me tomber dessus lorsque j’ai ouvert cet énorme et magnifique pavé de cinq-cents pages. Je m’attendais à des batailles épiques et sanguinolentes, à des complots meurtriers et diaboliques, à des morts cruelles et dramatiques, à une touche de magie mystique et sinistre … Comment pouvais-je deviner ce qui se cachait derrière cette intrigue déjà bien prometteuse en actions et rebondissements ? Comment pouvais-je savoir qu’il ne s’agissait ici que de la partie émergée de l’iceberg ? Car ce livre est tout … sauf un simple livre de fantasy comme on en trouve tant de nos jours. Il est bien plus que cela, tellement plus que cela !

Au bout de quelques pages à peine, le ton est donné : Hydan n’est pas un héros de fantasy comme les autres. Son esprit est en proie à d’incessants questionnements sur le sens de la vie, sur la distinction entre le bien et le mal et les nuances qui existent au cœur de cette opposition purement manichéenne, sur le pouvoir et les injustices … Bien plus distrayant qu’un traité de philosophie, ce roman est toutefois aussi riche que ces derniers en terme de réflexions métaphysiques ! Que l’on soit d’accord avec notre fougueux prince ou non, force est de constater que ce livre ouvre la porte à une foule de questionnements … Hydan s’interroge ainsi sur sa destinée, sur sa liberté, sur sa lâcheté, peut-être, aussi. Jusqu’où doit-on se battre pour une idée, une idéologie, un idéal ? Comment savoir ce qui est juste, bon, moral ? Où se situe la frontière entre l’honneur et l’orgueil, entre l’obéissance et la lâcheté ? Se pose également la question de l’identité : qui suis-je ? qu’est-ce qui fait de moi ce que je suis : mes actes ou mes possessions, mes pensées ou ce que je montre au monde ? Quel régal que de suivre les méditations de ce héros atypique, qui n’hésite pas à avouer ses doutes, ses échecs, ses erreurs, ses faiblesses à son lecteur ! On s’attache si rapidement à lui, si humain en dépit du « sang maudit » qui coule dans ses veines …

Car le Tourment des rois reste malgré tout un roman de fantasy, avec sa mythologie, ses mystères … L’auteur distille ci et là des indices, des signes, des détails que le lecteur se doit de remarquer s’il veut comprendre avant d’apprendre. Les seuls secrets sont ceux qui sont gardés. Voilà une réplique qui rythme le récit, une rengaine qui confirme au lecteur se dont il se doute surement déjà : les révélations ne font que commencer. Si j’ai parfois eu la satisfaction de voir se confirmer certaines de mes suppositions, j’ai également eu souvent la frustration de me rendre compte que mes hypothèses étaient complétement à côté de la plaque. L’auteur nous fait tourner en bourrique, nous fait douter sans cesse, fait monter progressivement la tension jusqu’à une apothéose inattendue qui donne envie de voyager dans le futur pour savoir comment les choses vont se finir, quel est le fin mot de cette histoire pleine d’énigmes et de rebondissements. On est complétement happé par cette intrigue si bien menée, si bien racontée …

En effet, Gaëtan Noël a une plume extraordinaire, magnifique, magique ! Il y a dans cette narration une dose certaine de poésie, d’onirique … et de profondément sombre, dur. Cette ambivalence, qui correspond bien évidemment à l’ambiguïté du personnage sans cesse tiraillé entre l’ombre et la lumière, le bien et le mal, la paix et la guerre, cette ambivalence donc fait toute la richesse et la beauté de ce style parfaitement maitrisé et unique. Tantôt les descriptions sont lyriques et imagées, tantôt les actions sont brutales et brèves. L’auteur joue énormément sur les sonorités, usant et abusant d’allitérations et d’assonances pour narrer cette histoire : aux scènes les plus calmes la douceur, aux scènes les plus violentes la rugosité … Rares sont les auteurs à prendre autant en compte cette résonnance entre la sonorité des mots et leur impact. Cette narration est vivante, elle se fraye un chemin pour venir résonner au plus profond de notre cœur et de notre âme, pour que cette histoire ne soit pas uniquement de papier et d’encre mais de chair et de sang. On vibre littéralement à l’unisson de cette histoire, c’est tellement impressionnant de vivre un récit avec autant de force ! Epoustouflant, et parfois un peu effrayant. Les péripéties d’Hydan … ne seraient-elles pas finalement le reflet de notre propre existence ?

En bref, vous l’aurez bien compris : un livre comme celui-ci, on n’en trouve pas souvent. Ce livre peut, et va, marquer, voire changer, votre vie. Aujourd’hui encore, deux jours après avoir tourné la dernière page, j’ai toutes les difficultés du monde à passer à autre chose, à me concentrer sur un autre récit. Cette fin me hante, elle me promet un second tome encore plus captivant et foudroyant, et je ne sais pas comment je vais pouvoir faire pour attendre la suite. Ce livre m’a fait vibrer, trembler, pleurer, sourire, il m’a bouleversée et étonnée. Il m’a fait retenir ma respiration, il m’a fait éclater de rire. Il fait partis de ces livres qui ne s’oublient pas : qu’on le veuille ou non, il est impossible de faire comme si on ne l’avait pas lu. Lisez ce livre, n’hésitez pas : il est très sûrement un des plus beaux romans qu’il m’ait été donné de lire, même si je peine à décrire ce qu’il a fait naitre en moi. On vit ce livre plus qu’on ne le lit …

Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus d’explications sur cet article)

mercredi 24 janvier 2018

Vivre avec le syndrome d'Asperger - Liane Holliday Willey



Vivre avec le syndrome d’Asperger, Liane Holliday Willey

Editeur : de Boeck
Nombre de pages : 143

Résumé : Une lutte opiniâtre de tous les instants contre un handicap méconnu constitue la trame de la vie de Liane Holliday. Dans son autobiographie d'une authenticité bouleversante, elle retrace ou fil des pages les mille difficultés de son parcours, depuis l'école primaire jusqu'à son insertion réussie dans la société. Son livre contribue à faire tomber les préjugés sur ces questions, qui comptent désormais parmi les principales questions de santé publique dans de nombreux pays.


- Un petit extrait -

« Mais je peine à me souvenir d’un moment où, avec ou sans meilleurs amis en arrière-plan, je n’aie préféré être seule. A la différence de la plupart des gens que je connaissais, je n’ai pas grandi en éprouvant le besoin de nouer des liens profonds et forts avec d’autres. […] J’étais gentille avec les gens que je connaissais, et amicale avec les personnes que j’entrevoyais dans les couloirs. En général je pense que j’étais plutôt superficielle dans les relations avec mes pairs. […] Non pas que je n’aie pas aimé les gens de mon groupe, ce n’était pas le cas. Simplement que je n’aurais pas été terriblement déboussolé si j’avais été toute seule, sans pouvoir m’identifier à un groupe. Mes propres conversations et pensées ont toujours été mes meilleurs amis.  »

- Mon avis sur le livre -

L’habit ne fait pas le moine, et la couverture ne fait pas le livre. Lorsque l’on m’a proposé cet ouvrage, j’avoue avoir eu bien du mal à me retenir de grimacer : cette couverture sombre me faisait plus penser à un ouvrage scientifique absolument imbuvable qu’à une autobiographie ! J’ai toutefois laissé sa chance à ce livre, et j’ai bien fait : il n’avait rien du bouquin totalement rébarbatif empli de terminologies médicales barbares que je m’imaginais, mais tout du livre extrêmement complet et instructif qui se lit très facilement tout en restant particulièrement intéressant. Ce livre m’a donné une bonne leçon : il faut absolument que j’arrête de juger un livre à sa couverture si je ne veux pas passer à côté de vraies perles ! Une bonne résolution pour 2018 ? 

Depuis sa plus jeune enfance, il était évident que Liane n’était pas comme les autres petites filles de son âge : trop intelligente, trop solitaire, trop violente, trop imprévisible, trop incompréhensible. Toutefois, aucun diagnostic n’a jamais été posé : Liane était surdouée, voilà toute l’explication à son comportement inhabituel et à son incapacité à se faire des amis. Elle traversa l’enfance et l’adolescence avec une relative aisance, établissant des stratégies afin de compenser les différences qu’elle sentait monter en elle au fur et à mesure qu’elle observait avec attention le comportement de ses pairs. C’est à son entrée à l’université et dans l’âge adulte que tout s’écroule : incapable de faire face, Liane se renferme sur elle-même. Devenue maman, Liane découvrira l’existence du syndrome d’Asperger lors du diagnostic d’une de ses trois filles … et par conséquent du sien. 

Cet ouvrage est avant toute chose un délicat mélange entre l’autobiographie et le témoignage : j’ai toujours eu du mal à discerner la frontière entre ces deux genres, mais ici, c’est encore plus flagrant. Tantôt, Liane se contente de raconter son enfance, son adolescence, son existence, anecdote après anecdotes, tantôt elle agrémente ce récit de réflexions, d’éclaircissements, d’analyses. A chaque fois, elle met en relation son passé avec sa connaissance actuelle du syndrome d’Asperger : ce qui à l’époque était inexplicable et inexpliqué a désormais une explication. C’est vraiment très intéressant. J’ai été particulièrement touchée par l’honnêteté dont Liane fait preuve : tout en sachant pertinemment bien que ce qu’elle écrit n’est pas conforme aux attentes sociales, elle n’hésite pas à le faire, pour que le lecteur comprenne bien quelles sont les difficultés qu’elle rencontre au quotidien. Et surtout, qu’il saisisse bien que ses comportements parfois « bizarres » ne sont pas des caprices de sa part, mais bien des éléments sur lequel elle n’a pas toujours prise, des éléments dont elle a besoin pour ne pas perdre pieds.

Ainsi, et c’est la seconde facette de cet ouvrage, Liane nous offre ici une véritable ode à la différence et à la tolérance, au respect mutuel et à la bonté naturelle. Elle invite chacun à accepter ses particularités, et même à en être fier, à ne pas tenter de les éradiquer seulement pour « plaire » aux autres, pour ne pas les effrayer, mais bien à les cultiver pour qu’elles deviennent une force et la marque d’une unicité qui doit être perçue comme une richesse et non une faiblesse. Elle invite également tout à chacun à se montrer plus tolérant et plus respectueux des différences d’autrui, à aider les personnes en difficultés sociales et non pas les stigmatiser en les rendant encore plus malheureuses. En clair, elle cherche à la fois à changer le regard des « neurotypiques » sur les personnes atteintes du syndrome d’Asperger et à changer le regard que ces-dites personnes ont d’eux-mêmes. Bien trop souvent, il est uniquement question du respect et de la tolérance de l’autre … alors qu’il faudrait peut-être commencer par se respecter et se tolérer soi-même pour pouvoir avancer dans la vie. 

Et enfin, le troisième et dernier volet de cet ouvrage s’apparente plus à un « guide de survie » à destination des personnes atteintes du syndrome d’Asperger (SA). L’auteur offre ici un florilège de petits conseils afin de savoir si on doit ou non faire part de son diagnostic à quelqu’un, à qui le faire, comment le faire, des astuces pour survivre à ses années d’études universitaires, pour trouver et garder un emploi, pour gérer le quotidien de son ménage ou minimiser les attaques sensorielles du monde. Le seul reproche que je peux adresser à ces quelques chapitres, c’est qu’ils font croire qu’autrui est forcément bienveillant et sera forcément disposé à nous aider si on lui explique nos difficultés … Je suis personnellement moyennement convaincue que, dans notre société actuelle, un employeur accepte de dispenser un employé des réunions entre cadres juste pour lui éviter un stress maladif : de nos jours, seule compte la productivité, le bien-être des gens est considéré comme superflus et je ne pense donc pas que le conseil « demander à disposer de services qui pourraient vous aider à contrôler les particularités SA qui pourraient perturber votre réussite professionnelle » soit facilement applicable … A moins que tous les patrons du monde ne lise l’ultime chapitre de cet ouvrage, dédié justement aux « personnes non SA qui accompagnent » des personnes SA : à travers cet appendice, l’auteur donne aux amis, aux employeurs, aux professeurs … quelques recommandations pour aider, soutenir et s’adapter aux personnes atteintes du syndrome d’Asperger. Ce chapitre est d’utilisé publique.

En bref, j’ai été très agréablement surprise par ce livre ! Un témoignage aussi émouvant qu’intéressant, une invitation à l’acceptation et de soi et des autres, un guide bien construit et rempli de bonnes idées … Le tout accompagné d’un glossaire qui permet d’expliquer simplement les quelques terminologies « scientifiques » utilisées ci et là et de quelques références bibliographiques (en anglais, mais je pense que certains ouvrages ont été traduits) pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet. J’ai tout particulièrement apprécié le style, tout en douceur, finesse, émotion, une plume que la traduction de Josef Schovanec a su conserver. S’il n’y avait qu’un ouvrage à faire lire à quelqu’un concerné de prêt ou de loin par le syndrome d’Asperger (qu’il s’agisse donc d’un Aspie, d’un ami, d’un éducateur, d’un employeur, d’un collègue ….), je pense que ce serait celui-là : il est court, il est simple, il est complet. Pour une première approche, il est donc idéal !

Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus d’explications sur cet article)