mercredi 31 mars 2021

La voie des oracles, tome 2 : Enoch - Estelle Faye

La voie des oracles2, Estelle Faye

Enoch

 Editeur : Scrineo

Nombre de pages : 333

Résumé : Poursuivis par les hommes d’Aedon, Thya, Enoch et Aylus fuient dans les terres barbares… Sur les routes, les trois acolytes vont découvrir un monde très divers, coloré, fabuleux, où des magies et des mystiques plusieurs fois centenaires côtoient des aspirations farouches à la liberté. Un monde plus vaste et plus étrange que tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Au cours de ce nouveau voyage, Thya et Enoch vont à nouveau être mis à l’épreuve, et se révéler, ou se perdre…. Avec, en fond, la menace grandissante d’Aedon, soutenu cette fois par un nouvel allié surnaturel…

 

- Un petit extrait -

« Les Étrusques sont un peuple courageux, et pourtant ils craignent des dieux dont ils ne parlent quasiment jamais, pour lesquels ils ne construisent pas de temple, et qui n'ont même pas de nom. Le seul matelot qui a accepté de m'instruire, après quelques carafes de vin, m'a dit qu'ils étaient partis loin vers l'est, là où il n'y a plus que du vide. Voilà des divinités bien terribles, pour qu'on tremble à leur évocation alors même qu'elles ne sont plus là. »

- Mon avis sur le livre -

 Je ne me fais absolument aucune illusion : mes fameuses « bonnes résolutions littéraires de 2021 », préparées avec soin et espoir, vont très assurément sombrer dans l’oubli dans quelques semaines, quelques mois tout au plus (si la motivation et la détermination sont au rendez-vous, ce qui n’est clairement pas gagné). C’est pourquoi j’ai décidé, en ce glacial mois de janvier, d’avancer le plus possible dans la réalisation de ces-dites résolutions littéraires, en particulier la plus importante à mes yeux : terminer mes dizaines de sagas en cours. C’est toujours un crève-cœur que de devoir, pour une raison ou pour une autre, mettre en pause la lecture d’une saga : pendant les mois, voire les années dans le pire des cas, de latence, mon petit cerveau ne cesse de s’agiter en se demandant ce qu’il arrive à tel ou tel personnage, comment va se conclure telle ou telle intrigue … Et le plus terrible, c’est que parfois, l’attente a été si longue que j’en avais presque oublié le début ! La voie des oracles a eu plus de chance que d’autres, vu que deux mois seulement ont séparés ma lecture du premier et du second opus ….

Nous retrouvons la jeune Thya, accompagnée de son cher et tendre Enoch et de son oncle Aylus, en cavale dans les forêts barbares de la Germanie : traqués par les mercenaires que le frère de la jeune femme, Aedon, a envoyé à leurs trousses, nos trois fugitifs cherchent à rejoindre une tribu Node … Mais rien ne se passe comme ils l’avaient prévu et espéré, ce qui est un comble quand on est oracle ! Il faut dire que la jeune femme hésite de plus en plus à utiliser ses dons de divinations : elle a défié le Temps, défié le Destin, et le prix à payer pour chacune de ses visions est de plus en plus lourd. Elle décide alors de se rendre à Constantinople, chez le frère de sa mère, qui saura sans doute lui en apprendre plus sur ces fameux Dieux Voilés qui ne cessent de la hanter dans ses cauchemars. Sans le savoir, sans le vouloir, Thya n’est qu’un pion, convoité par toutes les forces en présence : le Destin est en marche, mais toute la question est de savoir qui en tire les ficelles … et qui payera le prix fort de cette partie d’échec où se joue jusqu’à l’existence de l’univers …

A mes yeux, Estelle Faye est une équilibriste, une excellente équilibriste qui danse sur son fil en toute légèreté pour mieux nous ébahir, nous émerveiller, nous faire trembler et rêver tout à la fois : elle a su trouver dans ce second opus une harmonie parfaite entre lumière et obscurité. En effet, d’un côté, l’intrigue prend un tournant autrement plus sombre que dans le premier tome : c’est désormais Hécate, déesse de l’ombre, des morts et des cauchemars, qui tire les ficelles, qui dicte les règles du jeu. Ses « alliés dévoués » ne sont que des pantins entre ses mains, de minuscules rouages facilement interchangeables dans la grande machine de sa conspiration. On frissonne d’effroi à chaque fois qu’elle intervient, comme si elle se dressait devant nous drapée de son aura sombre. « L’homme se croit libre car il ignore les causes qui le déterminent », dit Spinoza … Rien de plus vrai ici : Aedon et Enoch, pour ne citer qu’eux, sont tant et si bien sous l’emprise de la divine manipulatrice qu’ils ne doutent pas un seul instant d’agir de leur plein gré … Si j’éprouve beaucoup de sympathie pour le jeune mage, je dois reconnaitre que je n’avais que faire du sort du cruel Romain, si avide de pouvoir et de vengeance, si empli de haine et de rancœur …

Il est surprenant, glaçant même, de constater que de son côté, sa sœur Thya emprunte doucement le même chemin : elle aussi a le cœur empli de chagrin, un chagrin si profond qu’il s’est changé en colère. Thya veut prendre sa revanche sur le Destin, veut s’émanciper de cette toile qui décide du sort des hommes. Et elle vise haut : ni plus ni moins que des Dieux si puissants et si effrayants que les hommes et les divinités ont préféré en effacer la mémoire. Thya veut être la seule maitresse de sa destinée, la seule et unique guide de sa vie. Mais Thya n’est qu’une humaine, certes déterminée et obstinée, mais qu’une humaine : que pèseront sa détermination et son obstination face à la puissance des Dieux qu’elle est venue défier ? Autre point très intéressant : Thya est d’autant plus humaine qu’elle perd progressivement son humanité. Elle est humaine non plus dans sa bonté mais bien dans son inclination pour la haine, la vengeance, la violence. C’est parce qu’elle n’est pas une héroïne sans faille à la droiture sans tâche que Thya est profondément humaine, et qu’on ne peut pas s’empêcher de trembler pour elle, de s’attacher à elle, alors même qu’on ne peut plus cautionner ses actes …

Noirceur, donc. Mais aussi, je vous le disais, lumière, paradoxalement. Cette lumière se cache dans la loyauté du petit Sylvain minuscule, ce petit esprit des bois prêt à tous les sacrifices pour sauver son « ami humain » : il y a dans cette amitié un peu naïve une pureté qui m’a parfois tiré les larmes aux yeux, une absoluité qui m’a fait chaud au cœur. Lumière également dans l’amour d’Aylus pour son fils, cet amour qu’il n’a jamais pu, jamais su lui montrer, mais qui enfle dans son cœur et dans son âme. Mais plus globalement, la lumière se situe selon moi dans le contexte même : il y a quelque chose d’admirablement rafraichissant dans cette époque en équilibre, elle aussi, entre deux ères. C’est la fin de quelque chose, oui, mais aussi le début d’une autre, comme une renaissance qui règne dans l’atmosphère. Comme si tout était possible. Il est triste de se rendre compte que pour insuffler un nouveau souffle, un nouvel élan de vie, il faut que l’ancien monde soit à bout de force. Il faut une mort pour redonner vie. Alors le lecteur espère, il espère de tout cœur que même si tout semble perdu, même si les ténèbres semblent avoir envahi le monde et les cœurs, quelque chose de lumineux en sortira …

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un excellent deuxième tome que nous offre l’autrice ! C’est un roman qui vous fait voyager, voyager dans les rues colorées d’une Constantinople en plein essor, dans les rues désolées d’une Rome qui perd de son éclat, sur la Route de la Soie, dans les forêts celtiques. Estelle Faye a une plume telle qu’elle vous fait oublier que tout ceci n’est qu’une histoire, qu’un roman : il vous suffit de fermer les yeux pour sentir le vent du désert, pour humer l’odeur de la terre des bois. Estelle Faye ne raconte pas, elle happe. Elle captive. Elle ensorcelle. Et surtout, elle vous surprend : le tournant pris par le dernier quart du récit, et plus encore celui des ultimes chapitres, je ne l’avais pas vu venir. Cela faisait partis des retournements de situation si incroyables que le lecteur ne peut même pas l’imaginer, l’envisager avant qu’il ne se produise. Et clairement, c’est réussi : l’envie de découvrir le troisième et ultime opus, de voir les conséquences de cette décision inattendue, n’en est que d’autant plus forte. Une chose est sûre et certaine dans cette nébuleuse d’inconnus : c’est assurément une trilogie que je conseille, elle est vraiment sublime et exceptionnelle !

2 commentaires:

  1. Il faut vraiment que je découvre cette auteure ! J'ai deux de ses romans qui dorment dans ma PAL ><
    En tout cas merci pour ta chronique, cette série a l'air très bien :)

    RépondreSupprimer