lundi 31 mai 2021

Pause estivale

 


- Pause estivale -

 Le moment est venu d’entamer la traditionnelle pause estivale du blog, qui comme l’an dernier débute dès le mois de juin et durera trois mois ! Mais ne vous inquiétez pas, « pause » ne veut pas dire « abandon » ! Je continue à alimenter ce blog durant tout l’été … Mais avec un rythme moins soutenu. C’est pourquoi, jusqu’au 31 aout, je ne posterai plus qu’une chronique par semaine au lieu de deux : je vous donne donc rendez-vous tous les samedis ! Je vous souhaite de passer un agréable été, et surtout, n’oubliez pas de lire !

A très bientôt !

samedi 29 mai 2021

Chamane - Katherine Quénot

Chamane, Katherine Quénot

 Editeur : Auzou

Nombre de pages : 231

Résumé : Les cauchemars qui hantent les nuits d'Isidora tissent une toile sombre autour de sa vie. Enfant adoptée, elle s'est toujours sentie à part, différente. Seul vestige de son passé : un quipu, système traditionnel de noeuds et de cordelettes, porteur d'un mystérieux message. Pour apprendre la vérité sur ses origines, elle part au Chili, mais ce voyage l'emmène rapidement plus loin que ce qu'elle avait imaginé. Elle y découvre la culture chamane, sa magie, son mystère et l'histoire du peuple Mapuche ... 

 

 Un grand merci aux éditions Auzou pour l’envoi de ce volume.

 

- Un petit extrait -

« Tout le monde peut changer son monde. Mais je dirais que le plus important est le courage, l’intrépidité. Il faut un sacré courage pour sortir de sa routine, pour prendre des décisions qui ont l’air folles … Mais certains ont plus de facilités, je en sais pas pourquoi. Depuis tout petit, ils sont en connexion avec des énergies mystérieuses … »

- Mon avis sur le livre -

 Lorsque j’étais petite, j’avais l’ambition de tout savoir, tout comprendre, tout connaitre, tout apprendre. Curieuse de tout, avide de connaissances et jamais rassasiée, je dévorais compulsivement tous les ouvrages documentaires et encyclopédiques qui me tombaient sous la main, sur tous les domaines possibles et inimaginables. Et si, parfois, je me « contentais » de quelques livres, pour d’autres sujets qui me passionnaient plus, je me ruais à la bibliothèque pour emprunter tous les ouvrages évoquant de prêt ou de loin ces sujets. Il me semble même que pour certains domaines, j’avais un petit cahier dédié sur lequel je recopiais avec application tout ce qui me semblait intéressant à retenir … Parmi ces sujets, la culture amérindienne : une de mes maitresses nous avait appris un chant traditionnel iroquois, et cela avait suffi pour faire naitre en moi cette envie irrésistible d’en apprendre plus sur cette culture. De là, de fil en aiguille, je me suis intéressée plus généralement aux cultures chamaniques. Et même si, aujourd’hui, je ne suis plus aussi passionnée par le sujet, je n’ai tout de même pas hésité bien longtemps avant de demander ce roman aux éditions Auzou !

D’aussi loin qu’elle se souvienne, les nuits d’Isidora ont toujours été peuplées de cauchemars terrifiants, d’êtres difformes et d’ombres malveillantes qui hantent son sommeil et s’immiscent dans ses pensées de tous les jours. Et son quotidien n’est guère plus reluisant : la jeune fille ne se sent à sa place nulle part, ni au sein de sa famille adoptive où elle ne se sent pas vraiment la bienvenue, ni au lycée. Lorsqu’elle est exclue de l’établissement pour s’être battue avec quatre autres élèves qui ont abusé de sa confiance, de sa naïveté et de sa soif d’amour et d’amitié, l’adolescente est expédiée manu militari chez la sœur de son père, au Chili. Le pays où elle est née et qui l’attire comme un aimant depuis qu’elle sait qu’elle a été adoptée. Isadora a trois semaines devant elle pour renouer avec ses racines, mais surtout pour percer le mystère qui entoure sa naissance, son abandon, sa famille biologique. Elle a besoin de savoir qui elle est, et pour cela, elle doit retrouver la trace de cette femme qui, parait-il, l’a déposée sur le parvis d’une église alors qu’elle n’avait que quelques mois. Mais Isadora est bien loin de se douter de ce qui l’attend réellement au fil de sa quête … Car les légendes mapuches sont peut-être bien plus réelles que ce que voulait lui faire croire son grand-père.

C’est un roman qui commence comme beaucoup d’autres : nous y rencontrons Isadora, une adolescente mal dans sa peau, mal dans son âme, mal dans son cœur, mal dans sa vie. Comme beaucoup d’enfants adoptés qui ignorent tout de leurs origines, Isadora peine à trouver sa place dans ce monde. Elle a besoin de savoir, de comprendre : qui étaient ses parents biologiques, et pourquoi l’ont-ils abandonnée sur le parvis d’une église ? Les choses sont d’autant plus difficiles pour elle que ses parents adoptifs refusent catégoriquement qu’elle s’intéresse à sa culture natale : ils lui ont même interdit de prendre l’espagnol comme première langue vivante ! Progressivement, c’est donc une sorte de révolte sous-jacente qui est venue combler le trou béant laissé par ces questions sans réponses. Ajoutez à cela ces cauchemars incessants qui reviennent nuit après nuit la hanter, et vous devinez que va arriver un moment où la cocotte-minute expose … Et effectivement, lorsque le vase est plein, il suffit d’une petite goutte pour déclencher une inondation, et toutes ces émotions refoulées surgissent dans un déchainement de colère. Et voilà l’élément déclencheur dont avait besoin l’autrice pour envoyer la jeune fille loin de chez elle : c’est un peu surréaliste (quel parent va envoyer sa fille, qui vient de se faire exclure du lycée pour avoir tabassé d’autres élèves, en vacances dans le pays de ses rêves ?) mais c’est efficace …

Parce qu’on se rend rapidement compte que le plus important, finalement, ce n’est pas tant le mal-être d’Isadora : bien sûr, il y a toujours en arrière fond cette quête identitaire, ce besoin viscéral pour la jeune fille de savoir d’où elle vient pour pouvoir trouver sa place dans ce monde hostile, mais ce n’est finalement que le fil rouge autour duquel se tisse une autre intrigue. Une intrigue où les légendes mapuches prennent soudainement vie, où les cauchemars qui hantent Isadora s’immiscent progressivement dans la réalité. En fouillant dans son passé, Isadora va déterrer des forces qui la dépassent … Avec ce roman, nous plongeons la tête la première dans la culture de ce peuple méconnu qui a bien failli disparaitre, mais qui s’est accroché coute que coute à ses croyances et à ses coutumes ancestrales. Pour parvenir au bout de sa quête, Isadora doit renouer avec cette culture, avec cette magie qui coule dans ses veines … C’est à partir de ce moment-là que le récit prend un autre tournant, qui flirte allégrement avec le fantastique : alors que la jeune fille ne faisait que chercher des réponses à ses questions, elle se retrouve à combattre ces esprits maléfiques qui la traquent depuis toujours dans son sommeil, elle se libère des entraves qui pesaient sur son esprit depuis sa naissance.

A vrai dire, c’est un roman dont je ne sais pas trop quoi dire et quoi penser, sans doute parce qu’il est quelque peu indéfinissable : nous ne sommes pas totalement dans du réalisme contemporain, comme pourrait le faire penser la quête initiale d’Isadora, mais nous ne sommes pas non plus totalement dans du fantastique. Le roman est à l’orée de deux genres, un peu comme les chamanes ont un pied entre deux mondes … Face aux épreuves et embûches qui se dressent sur la route d’Isadora, nous ne savons jamais si ce n’est que du pure symbolisme ou non, nous ne savons jamais si nous devons trembler comme quand un chevalier de fantasy se retrouve face à un dragon ou non … et c’est un peu déconcertant pour le lecteur, même si cela prouve que l’autrice a remarquablement bien fait son travail ! Personnellement, j’avoue que j’aurai préféré que l’accent soit véritablement et clairement mis sur le cheminement intérieur d’Isadora, car même si j’aime beaucoup le fantastique et la magie, je suis quelque peu restée sur ma faim : alors que ce besoin de connaitre ses origines semblait tirailler profondément Isadora, j’ai le sentiment que cet aspect de l’histoire est vraiment passée au second plan, et d’ailleurs, les révélations sur ce mystère tiennent en moins de deux pages au dernier chapitre, et la jeune fille les assimile instantanément … J’ai trouvé ça dommage.

En bref, vous l’aurez bien compris, même si j’ai globalement apprécié ma lecture, je ne l’ai pas trouvé aussi puissante et émouvante que je l’espérais, sans doute parce que ce qui apparaissait comme l’enjeu majeur de cette épopée au Chili a très vite été éclipsée par l’irruption dans la réalité des légendes mapuches. Et même si cela confère une ambiance vraiment très particulière au récit, à la fois très onirique et très pesant, cela nous empêche également de nous attacher véritablement à cette jeune fille en grande souffrance qui n’est finalement plus qu’un prétexte pour nous faire découvrir cette peuplade et ses croyances … Cela reste toutefois un roman envoutant qui a le grand mérite d’emmener le lecteur là où la littérature jeunesse s’aventure très (et trop) rarement : en Amérique du Sud. Quel voyage : on a vraiment le sentiment de sentir la présence de la Cordillère des Andes, vraiment le sentiment de sentir la chaleur du soleil ! Car Katherine Quénot a une très belle plume, elle sait nous embarquer en quelques mots : la narration de ce roman est très vivante, simple mais efficace. En clair, c’est un roman que je conseille seulement à ceux qui n’ont pas peur des récits atypiques et inclassables, et qui aiment quand leurs repères sont totalement brouillés !

mercredi 26 mai 2021

Les Prélats de Faneas, tome 4 : La légende des amants séparés - Charlotte Abécassis Weigel

Les prélats de Faneas4, Charlotte Abécassis Weigel

La légende des amants séparés

 Editeur : Autoédition

Nombre de pages : 606

Résumé : Astéria Cliff, reine de Faneas, a œuvré d'arrache-pied pour protéger son peuple du roi d'Endor et grâce à ses multiples sacrifices, Faneas a retrouvré un semblant de liberté. Toutefois, rien n'est acquis. Maboroshi, fatigué d'attendre, entend bien accélérer l'avènement de Freya par le biais du mariage qu'il projette depuis des mois. Cette union mettrait fin à la vie d'Asté et ferait du démon le roi incontesté de Faneas et d'Endor. Pour lui résister, l'alliance d'Amiran s'est fortifiée ...

 Un grand merci à Charlotte Abécassis Weigel pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Noctis avait fait son choix. Il avait décidé d’œuvrer pour l'alliance avant tout. Il l'avait placé au-dessus de ses intérêts personnels, mais cela ne signifiait pas qu'il en était satisfait.

– Et de ton côté, que vas-tu faire ?

Il demanda plus pour penser à autre chose que parce que la réponse l'intéressait. Mais il fut étonné.

– Je ne compte pas accepter l'invitation, ce n'est pas mon rôle. Je suivrai les instructions qui m'ont été données, affirma-t-elle d'un ton détaché.

Cette phrase ne ressemblait pas du tout à Cléora. »

- Mon avis sur le livre -

 Le plus délicat, quand on lit et chronique plusieurs tomes d’une même saga d’affilée, c’est à la fois de ne pas trop se répéter, pour éviter de lasser le lecteur, et de ne pas trop en dévoiler, pour éviter de lui gâcher la surprise s’il lui venait l’envie de découvrir ladite saga par lui-même … C’est d’autant plus difficile dans le cas d’un dernier tome : il faut à tout prix éviter de dévoiler la fin, quand bien même on a terriblement envie de partager notre ressenti sur le dénouement, parce que c’est justement ce-dit dénouement qui a entrainé le coup de cœur définitif ! Voici donc pourquoi cela fait déjà plusieurs heures que je fixe d’un air hagard ma page Word désespérément vide, tandis que le petit curseur clignotant me nargue allégrement en me rappelant que je suis censée écrire quelque chose. Comment diable vais-je vous parler de ce quatrième tome, qui (disons-le tout net et tout de suite) m’a totalement captivée et chamboulée, comment diable vais-je pouvoir vous dire ce qui m’a tant plus sans pour autant trop vous en dire sur le contenu de l’histoire ? Je relève le défi, mais sans rien promettre …

Cela fait déjà cinq ans, cinq très longues années que la jeune reine Astéria Cliff a fait passer son peuple avant tout le reste, cinq très longues années que la jeune femme vit sous la coupe tyrannique de son ennemi, cinq très longues années qu’elle a conclu avec lui le seul marché qu’il était susceptible d’accepter. Exténuée, brisée, l’assaillée n’est plus que l’ombre d’elle-même, n’a plus la force de se battre et n’attend plus qu’une seule chose : que tout s’arrête enfin … mais la délivrance se refuse toujours à elle. En dépit de tous les efforts du cruel roi d’Endor, Freya, la bien-aimée de ce dernier tapie au cœur de la conscience d’Astéria, refuse obstinément de refaire surface. A bout de patience, Maboroshi décide de précipiter les choses et programme l’officialisation de leur union dans quelques mois … Mais l’alliance d’Amiran ne compte pas laisser le pays tomber entre les mains du démon : la résistance a eu cinq ans pour se fortifier, pour s’organiser, il est maintenant temps de passer à l’offensive et de libérer Faneas de l’oppression endorine ! Et si, officiellement, la reine est loin d’être une priorité, dans l’ombre, ses amis et prélats ne peuvent se résoudre à l’abandonner à son triste sort …

Alors que nous avions pris l’habitude de retrouver nos héros pile là où nous les avions laissés à la fin du tome précédent, nous avons ici la surprise de nous retrouver cinq ans après les événements du troisième opus. Cinq ans durant lesquelles la situation a bien changé à Faneas : au premier abord, les choses semblent s’être améliorées pour le peuple, grâce à l’abnégation et à l’obstination de la jeune Astéria, mais en y regardant de plus près, rien n’a réellement changé. Le royaume est toujours sous la coupe tyrannique du démon Maboroshi, qui compte bien mâter une bonne fois pour toute la résistance afin de s’assurer un règne incontesté lorsqu’il aura épousé la reine de Faneas … ou du moins la déesse qui prendra la place de sa conscience lorsqu’il l’aura définitivement privée de toute son énergie magique et de toute sa résistance psychique. Et le lecteur constate avec effroi qu’il n’est pas loin de parvenir à ses fins : notre si chère Astéria n’a plus la force de se battre. J’ai ressenti à la fois beaucoup de peine et d’admiration pour cette jeune femme qui a tout sacrifié pour les siens, qui a supporté pendant tant d’années tous ces sévices tout en s’efforçant d’améliorer toujours plus le quotidien de son peuple ...

Mais contrairement aux autres tomes qui suivaient principalement le point de vue d’Astéria, cette fois-ci, ce sont les prélats qui sont à l’honneur, et c’est un changement fort bienvenu. Car si Astéria a souffert, elle est loin d’être la seule : ses proches et ses amis ont eux aussi énormément souffert de cette situation. S’ils reconnaissent rationnellement que la jeune reine n’avait pas beaucoup d’autres choix à sa disposition, ils ne peuvent s’empêcher de se sentir trahis et abandonnés par celle qu’ils considéraient avant tout comme une amie, une sœur, une tante, une cousine, une amante. En eux, la colère se dispute à la tristesse. Et chacun a réagi à sa manière : tandis que Kaede s’est laissé submergé par le désespoir et la fureur, Noctis s’est réfugié derrière son sens du devoir et a décidé de suivre à la lettre les instructions de sa souveraine, quitte à enfouir ses aspirations personnelles aussi profond que possible. Sora, quant à lui, a eu la chance d’être entouré de bons amis qui lui ont permis de surmonter cette épreuve, même si on sent bien qu’il est bien moins insouciant et joyeux que lorsqu’il était enfant. Et Cléora … elle est fidèle à elle-même, toute en nuances et en paradoxes. On ne sait jamais trop quoi penser d’elle, et c’est bien là ce qui la rend si fascinante et imprévisible.

Car il faut que vous sachiez une chose : plus que jamais, l’autrice a su surprendre le lecteur. Je ne dis pas que cela marche à tous les coups, car elle sème suffisamment d’indices pour permettre aux habitués du genre de deviner par avance certains rebondissements ou certaines révélations, mais tout de même, il y a eu plusieurs retournements de situations qui m’ont vraiment laissée ahurie ! Contrairement à ce qu’on pouvait imaginer et même espérer, ce n’est pas seulement une grande bataille épique qui se profile à l’horizon, c’est quelque chose de bien plus grand et complexe qui vous captive du début à la fin … La tension monte, doucement, sûrement et inexorablement, on a vraiment le sentiment que cela ne s’arrêtera jamais, et à chaque fois qu’on se dit « cette fois-ci, ça ne peut pas être pire, c’est tout bonnement insoutenable », et bien l’autrice parvient à nous démentir. On pourrait se lasser de cette surenchère, on pourrait se dire que « c’est trop gros », mais non : on se laisse juste transporté par cette formidable épopée, qui nous coupe le souffle, qui fait s’emballer notre petit cœur. On vit cette histoire plus qu’on ne la lit, car on s’est vraiment pris d’affection et d’amitié pour les protagonistes : on a besoin, viscéralement, de les voir gagner, même et surtout parce que cela semble impossible.

Je vais m’arrêter là, parce que je sens que je vais finir par vous dévoiler le dénouement final si je continue sur cette lancée, mais je pense que vous l’aurez bien compris : ça, c’est ce que j’appelle du final en apothéose ! Je n’ai pas vu les six-cent pages passer tant j’étais happée par l’histoire ! J’ai beaucoup aimé tous les choix pris par l’autrice pour ce grand final, c’est audacieux et original, ça surprend tout en restant parfaitement cohérent, tout s’emboite comme dans un bon puzzle. C’est vraiment une saga qui va vous faire passer par toutes les émotions possibles et inimaginables, et parfois à quelques pages d’intervalle seulement. Car la grande force de cette saga, finalement, ce sont ses personnages : ils sont à la fois de véritables héros de fantasy, courageux, déterminés et puissants bien comme il faut, et des adolescents presque comme les autres, avec leurs doutes et leurs faiblesses, avec leurs fragilités et leurs sensibilités. Ils sont vraiment très attachants car ils sont « justes » : il est très facile de s’identifier à eux, de compatir à leurs peines et leurs peurs … Et le plus difficile, finalement, c’est vraiment de leur dire adieu, de tourner la dernière page en sachant que cette fois-ci, c’est terminé, on ne les retrouvera pas dans la suite. En tout cas, une chose est sûre : c’est une saga que je relirai sans hésitation un jour, et que je vous conseille avec encore moins d’hésitation !

samedi 22 mai 2021

Bjorn le morphir - Thomas Lavachery

Bjorn le morphir, Thomas Lavachery

 Editeur : l’école des loisirs

Nombre de pages : 207

Résumé : La neige est méchante en cet hiver 1065, elle a décidé de s'en prendre aux hommes. Elle envoie ses légions de flocons de la taille d'un roc sur le Fizzland, avec pour mission d'engloutir les villages vikings et tous leurs habitants. Afin d'échapper à la Démone blanche, Bjorn et sa famille se claquemurent dans la salle commune de la maison de son père, Erik, le colosse sans peur. Tous se préparent à supporter un siège qui risque de durer de longs mois. Lors de cette épreuve exceptionnelle, chacun va dévoiler son cœur et son courage. À l'exception de Bjorn. Lui ne se révèle pas, il se métamorphose. Bjorn serait-il un morphir ? Lui-même en doute.

 

- Un petit extrait -

« Mais soudain Sigrid me serra très fort. Je sentis l’odeur légèrement poivrée de son crâne, et puis son haleine de fraise contre ma bouche. À ce moment, mon cœur s’envola. Je n’avais plus peur de la neige, ou plutôt si, j’avais peur - mais l’angoisse se transforma en un sentiment palpitant. La mort toute proche chargeait ces instants d’une sorte d’électricité délicieuse, oui. Nous étions plus vivants, plus heureux de notre amour parce que justement nous allions mourir.   »

- Mon avis sur le livre -

 A force de me voir débarquer au CDI chaque jour pour rendre un livre terminé et en emprunter directement un autre (que je lui rapportais le lendemain), la professeur documentaliste s’est dit qu’elle tenait sa future petite championne et m’a proposé de représenter l’établissement au défi lecture organisé avec les autres collèges des environs … Ce qu’elle n’avait pas pris en compte, c’est que je sortais à peine d’une grosse phobie scolaire et que j’étais encore particulièrement fragile : la pression qui pesait sur mes frêles épaules ainsi que le mépris de mes « collègues » de troisième qui ne supportaient pas d’avoir à trainer un boulet de cinquième dans leur sillage me firent perdre tous mes moyens, et je fus disqualifiée dès la première épreuve, incapable même de me souvenir des titres des livres concernés …. Morte de honte à l’idée d’avoir déçue cette documentaliste que j’admirais profondément, je n’osai pas remettre les pieds au CDI pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce que ma douce professeur de français m’explique que la professeure documentaliste était vraiment peinée de m’avoir embarquée dans ce défi trop lourd à porter. Nous nous pardonnâmes donc mutuellement, et je repris mes incursions quotidiennes au CDI. Mais croyez-le ou non, au moment de me plonger dans Bjorn le morphir, plus de dix ans après toute cette affaire, je n’ai pas pu empêcher un petit pincement au coeur de ressurgir : il faisait partie de la sélection de l’époque …

Les hivers sont rigoureux, dans la vallée où habite Bjorn et sa famille, mais jamais l’adolescent n’avait connu une situation pareille : la neige est en colère, elle en veut aux habitants de cette terre, elle tombera sans relâche jusqu’à détruire tous les villages qu’elle croisera et dévorer toutes les âmes qu’elle attrapera … Des flocons gros comme des rocs de pierre se jettent sur les murs, maintes fois renforcés depuis des générations pour faire face aux assauts de cette neige cruelle et vorace. On barricade les fenêtres pour que nul flocon ne puisse entrer dans les demeures : la neige rend fous les hommes qu’elle touche …. Et on se cloitre chez soi pendant plusieurs mois, en priant les dieux ancestraux ou le nouveau Dieu des chrétiens pour que la neige s’arrête vite, pour qu’elle ne recouvre pas la cheminée, pour qu’elle n’effondre pas la charpente, pour que les réserves de nourriture tiennent suffisamment longtemps. Bjorn, sa famille et leurs serviteurs sont loin de se douter que cet interminable hiver, ce dangereux hiver, va être celui durant lequel Bjorn, le faiblard Bjorn, le froussard Bjorn, le pleurnichard Bjorn, va se métamorphoser du tout au tout. Une légende est en train de naitre dans le secret de cette maisonnée assiégée par la neige : celle de Bjorn le morphir …

Pour reprendre un terme que nous sommes désormais tous en mesure de comprendre, terrible confinement que celui que vivent Bjorn et les autres membres de la maisonnée ! Imaginez : plusieurs mois à frémir d’effroi au moindre coup de vent, au moindre craquement, plusieurs mois à craindre collectivement que la maison s’effondre et ensevelisse vivants tous les habitants, plusieurs mois à rationner de plus en plus drastiquement la nourriture car il n’est pas possible de glisser un seul orteil hors de la maison pour aller se ravitailler sans risquer la mort immédiate. Onze personnes, isolées du reste du monde, sans moyen de savoir si les voisins sont encore en vie ou si la neige a eu raison d’eux. Et surtout, sans savoir s’ils sortiront vivants de cet hiver qui semble n’avoir pas de fin. Leur situation est bien plus terrible que la nôtre, car contrairement à nous, ils n’ont pas internet pour se distraire, ils n’ont pas de smartphone pour être en contact avec l’extérieur, et ils n’ont même pas la possibilité de prendre l’air dans un rayon de 10 kilomètres : ils sont confinés dans une pièce, une seule et unique pièce, avec pour seule distraction les récits plus ou moins attrayants du pêcheur, sans oublier la puanteur du demi-troll qui embauche la pièce bien malgré lui …

Voici dans quel terrible contexte nous rencontrons Bjorn, ce gamin malingre qui fait la honte de son viking de père, Erik sans peur, qui a tranché la tête du général vorage Long-Cou, ce gosse souffreteux qui ne tient pas la comparaison avec son guerrier de frère. Il m’a fait de la peine, ce petit Bjorn : difficile d’être le vilain petit canard maladif et craintif dans une famille viking comme la sienne ! Comme beaucoup de petit garçon, il rêve de faire la fierté de son père. Mais Erik est difficile à satisfaire, il attend de ses fils qu’ils suivent ses traces et s’illustrent au combat … mais d’un autre côté, il n’est pas forcément prêt à perdre sa place de héros familial, et trouve donc toujours quelque chose à leur reprocher. Je pense vraiment que beaucoup de jeunes lecteurs et lectrices pourront se reconnaitre en Bjorn, car ils sont eux aussi à un âge où l’on ne veut plus être considéré comme un enfant, petite chose fragile et malléable, mais bien comme un adulte en devenir, indépendant et impressionnant. Il y a quelque chose de particulièrement salvateur, galvanisant, à voir ce Bjorn timide et maladif se métamorphoser en héros, sortir de son ombre pour entrer dans sa légende. Alors bien sûr, on peut trouver ça trop improbable et rapide, mais n’oublions pas que c’est un roman jeunesse !

Et cela se ressent également dans cette « légèreté » qui entoure finalement ce huis-clos qui aurait pu être angoissant autrement : entre le zozotement du demi-troll, Drunn le berger qui régresse et balance des cailloux sur « méchant Bjorn », le rapprochement entre Bjorn et la jeune Sigrid, il y a pas mal de moments d’humour et de douceur pour contrebalancer l’effroyable réalité qui se déroule au dehors. On est bien plus dans un récit d’aventure que dans un thriller psychologique, disons-le franchement : on le sent, l’idée est vraiment de relater au lecteur l’incroyable métamorphose de Bjorn, la renaissance de Bjorn qui découvre sa destinée de morphir. Et c’est peut-être mon grand regret : nous sommes dans un opus purement introductif, il faut que le lecteur fasse la connaissance de Bjorn et découvre ce qu’est un morphir, pour qu’il puisse ensuite lire la « vraie » histoire. Du coup, ce roman est loin d’être aussi palpitant qu’il aurait pu l’être s’il avait été un peu plus développé : on survole en quelque sorte chaque mésaventure, chaque embûche, chaque épreuve, juste pour nous montrer à quel point il a changé et à quel point il est prêt pour ses véritables épopées à venir. C’est un peu dommage, car cela nous empêche de trembler véritablement pour les personnages, de s’émouvoir vraiment pour eux : on le sent, l’intrigue n’est pas là, et ce n’est qu’une sorte de mise en bouche qui laisse sur notre faim …

En bref, vous l’aurez bien compris, même si j’ai globalement apprécié ma lecture, je dois bien reconnaitre être un tantinet déçue. En effet, je gardais de ma très lointaine lecture un souvenir plutôt vivace d’un récit vraiment haletant et magique, et ce n’est finalement qu’une introduction un peu plate, sans réelle tension dramatique et donc sans réels enjeux pour stimuler le lecteur. Même les passages qui auraient pu être particulièrement épiques sont vite expédiés : puisqu’il fallait que Bjorn rencontre le roi, l’impressionne en dévoilant ses capacités nouvelles de morphir, pour que celui-ci lui promettre de l’envoyer en mission par la suite, on se débrouille pour en arriver là, mais c’est tout. Alors certes, le pari est réussi, on a effectivement envie de se plonger dans Bjorn aux enfers, mais c’est un peu dommage de ne pas offrir dès ce tome introductif une vraie aventure au lecteur, qui n’a en réalité que peu de choses à se mettre sous la dent avec cet opus … Heureusement, la plume est vraiment sublime, elle épouse à merveille l’ambiance très particulière de cet hiver meurtrier, de ces souterrains oubliés : il y a une sorte de poésie dans le rythme et les sonorités qui m’a vraiment beaucoup plu ! J’ai également apprécié les petites illustrations disséminées par-ci par-là qui nous plongent un peu plus dans cet univers à cheval entre les rudes légendes nordiques et les merveilles des contes de fées …