samedi 24 septembre 2022

Quatre filles et un jean, tome 2 : Le deuxième été - Ann Brashares

Quatre fille et un jean2, Ann Brashares

Le deuxième été

 Editeur : Gallimard

Nombre de pages : 393
Résumé : Les vacances approchent. Carmen, Tibby, Bridget et Lena s'apprêtent à ressortir le jean magique, symbole de leur amitié et témoin de leurs aventures. Cette année, l'été s'annonce cependant bien différent. Carmen reste à Washington avec sa mère : crises et turbulences en perspective… Tibby part suivre un stage de cinéma en Virginie mais, même derrière la caméra, ses souvenirs vont la rattraper. Bridget, qui traverse une crise existentielle, décide de se réconcilier avec son passé en rendant une visite surprise à sa grand-mère. Lena, dont le cœur n'est jamais vraiment revenu de Grèce, va percer des secrets de famille insoupçonnés.

 

- Un petit extrait -

« Lena savait qu’elle avait passé trop de temps dans un état d’angoisse passive, à attendre que quelque chose d’affreux lui arrive. Dans une vie pareille, arrêter d’avoir peur, c’était déjà presque le bonheur. Cette angoisse qui la rongeait la laissait perplexe. D’où venait-elle ? Que craignait-elle à ce point ? Pourtant, rien de terrible ne lui était jamais arrivé … Peut-être n’avait-elle pas vécu encore assez longtemps pour comprendre. »

- Mon avis sur le livre -

 Relire Quatre filles et un jean, c’est comme faire un bond en arrière et redevenir cette petite fille de douze ans, plus ou moins rescapée d’une phobie scolaire, qui a fini par trouver refuge dans un minuscule collège privé au fin fond du Jura … et qui s’est mis dans le crâne de lire tous les romans que possédait le petit mais si chaleureux CDI. Par ordre alphabétique. A raison d’un par jour, tous les deux jours tout au plus. Il faut dire qu’à l’époque, je lisais absolument n’importe où : recroquevillée sur un banc dans la cour (le plus loin possible des batailles de boule de neige), durant les intercours (je grappillais alors le plus de mots possibles jusqu’à ce que les professeurs me supplient d’arrêter), à la cantine, aux toilettes, et même dans les escaliers (j’étais passée maitre dans l’art de négocier les virages sans avoir besoin de lever les yeux). J’étais devenue la petite mascotte silencieuse du CDI, et pouvoir lire autant que je le souhaitais sans subir la moindre remarque ni la moindre moquerie a très assurément contribué à la réussite de cette rescolarisation (après tout de même deux années à alterner tentatives ratées, scolarisation à domicile et hospitalisation de jour ou complète). Pour la première fois que ma vie, j’ai même été invitée à une journée d’anniversaire, et ma petite camarade avait eu l’immense gentillesse de me préparer une petite pile de livres à l’écart, au cas où j’avais besoin « de faire réserve de solitude » … C’est donc dans ce cadre (qui relevait presque du paradis, après tout ce que j’avais vécu), que j’ai fait la rencontre des quatre filles : un vrai coup de foudre littéraire, lié à jamais aux souvenirs de cette douce époque.

Tandis que le deuxième été du jean approche à grands pas, les filles se replongent dans les souvenirs, tantôt heureux tantôt malheureux, des vacances précédentes … Carmen s’est enfin faite à l’idée que son père s’est remarié, qu’il est parfaitement heureux avec sa nouvelle famille, mais qu’il ne l’oublie pas et l’aime toujours autant. Elle a même réussi à devenir amie avec son demi-frère, le taciturne Paul. Mais lorsque sa mère commence, à son tour, à se rapprocher d’un homme, l’impulsive Carmen ne peut lutter contre la colère qui la submerge : une fois encore, elle va agir sans réfléchir, et s’en mordre les doigts. Tibby, quant à elle, a soigneusement enfoui tous ses souvenirs au fin fond de sa mémoire et de son armoire : tant qu’elle garde les portes résolument verrouillées, tant qu’elle ne laisse pas son regard s’attarder sur la cage vide de son défunt cochon d’inde, tant qu’elle jette aucun coup d’œil sur les vidéos tournées avec Bailey l’an dernier, elle musèle son chagrin. Mais elle va bien être obligée de se confronter à sa douleur si elle veut aller de l’avant. Bridget n’est plus que l’ombre d’elle-même : après avoir vécu un bref instant de bonheur absolu, la jeune fille s’est peu à peu laissé sombrer dans la déprime, dans un abysse d’autodestruction qui n’a rien à envier à ceux de sa défunte mère. Lorsqu’elle découvre que son père lui a caché toutes les lettres de sa grand-mère maternelle, Bridget décide d’aller rendre une visite surprise à cette dernière. Et se retrouver, peut-être, au passage. Lena, enfin, s’efforce de donner illusion, mais son cœur est brisé par sa rupture avec Kostos … mais il semblerait que leur histoire ne soit pas totalement terminée. Une fois encore, le jean magique va avoir du pain sur la planche (à repasser) !

Hormis quelques passages plus sérieux ou douloureux, le premier tome était dans l’ensemble plutôt léger et rafraichissant : c’était l’été de tous les possibles, celui où les quatre filles se métamorphosaient en jeunes femmes, où elles prenaient conscience qu’elles avaient toute la vie devant elles et autant de bonheur à vivre. Ce second tome est autrement plus profond : l’insouciance enfantine s’en est définitivement allée, il ne reste plus que le désarroi et l’angoisse face à l’abime que représente l’avenir, face aux souffrances que détiennent les souvenirs. Nos quatre filles ont grandi, c’est indéniable, elles ont muri, également … mais dans le fond, elles ne sont encore que des enfants dans un corps d’adulte. Leurs petits cœurs ne sont pas encore assez forts pour affronter toutes les déceptions et toutes les galères qui ne manquent pas de se dresser sur leur route. Leurs ailes ne sont pas encore suffisamment grandes pour les porter bien loin du nid : il suffit d’un simple coup de vent pour qu’elles dégringolent, effrayées et égratignées. Et si elles pensaient avoir appris de leurs erreurs, si elles étaient convaincues qu’elles ne les reproduiraient plus jamais, il s’avère que les leçons les plus importantes sont aussi celles qui ne rentrent pas du premier coup. Elles s’imaginaient qu’elles étaient mieux armées, maintenant, que la souffrance ne pourrait désormais plus les atteindre, qu’elles avaient surmonté le pire et que rien ne pourrait être pire … Mais elles vont apprendre, dans les larmes, que la vie, ça ne fonctionne pas comme ça. Qu’il ne suffit pas de remplir son quota de malheurs pour ensuite en être débarrassé : qu’aussi terrible et terrifiant que cela puisse paraitre, on n’est jamais à l’abri d’une nouvelle tragédie. Et qu’on ne s’y habitue jamais.

On peut essayer de donner illusion, de se faire illusion. On peut, comme Tibby, croire qu’il suffit de ne pas remuer le passé pour que celui-ci ne vienne plus nous hanter. Qu’il suffit de faire comme si de rien ne s’était passé. Qu’il suffit d’y croire pour que ça devienne réalité. C’est ainsi que Tibby, fidèle à l’ancienne elle-même, s’est efforcée de devenir amie avec les deux rebelles du stage de cinéma … en tachant de se convaincre qu’ils étaient drôles et audacieux, provocateurs et irrévérencieux. Pour leur plaire, Tibby va fermement museler la petite voix de sa conscience, qui ressemble étrangement à celle de Bailey. Bailey qui savait voir au-delà des apparences et qui lui a appris comment faire. Mais Bailey qui est morte, et dont le souvenir est trop douloureux pour qu’elle laisse cette petite voix lui murmurer des reproches à l’oreille. D’une certaine façon, Tibby a honte de celle qu’elle est devenue … alors qu’elle est devenue quelqu’un de meilleur. Mais à quoi bon être « meilleur » dans un monde où il faut être « populaire » ? Où « avoir la classe » est mieux perçu qu’avoir grand cœur ? Tibby m’a fait beaucoup de peine, elle ne sait plus du tout où elle en est, elle se fait du mal en faisant du mal aux autres … Un peu comme Carmen, d’ailleurs. Je sais que certains lecteurs ne voient en elle qu’une gamine capricieuse et égoïste, qui veut tout avoir pour elle. Mais je pense qu’il faut creuser plus loin que les apparences, justement. Essayer de comprendre avant de juger. Au premier abord, oui, Carmen ressemble simplement à une petite peste qui brise méticuleusement le bonheur de sa mère ... Mais en creusant un peu plus, on découvre une petite fille terrifiée à l’idée de ne pas suffire au bonheur de sa mère, au bonheur de quelqu’un, une petite fille qui va jusqu’à penser que c’est sa présence qui rend sa mère malheureuse et qui la pousse à le chercher ailleurs, dans les bras d’un homme. Ce dont Carmen a besoin, viscéralement, c’est d’être rassurée … mais ce n’est pas toujours facile d’exprimer ce genre de besoin, et c’est bien souvent l’impulsivité de la jeune fille qui parle à sa place. Dévastant tout sur son passage.

Contrairement à Tibby et Carmen, Bridget n’a fait de mal qu’à elle-même. Bridget, la blonde et fine sportive, hyperactive, débordant d’assurance et d’éloquence, s’est complétement laissée aller. Autrefois solaire, elle est désormais terne et morne et silencieuse et immobile. Elle s’est effacée derrière une carapace de graisse, a teint ses cheveux en noir cendre, et a laissé derrière elle son rêve de faire carrière dans le football. Elle a laissé derrière elle ses rêves, tout simplement. Elle a laissé la mort de sa mère la rattraper. Elle a laissé la maladie de sa mère la rattraper. Cette maladie qui lui a volé son enfance. Et qui peut-être menace son futur. Après tout, n’est-elle pas « le portrait craché de sa mère » ? Peut-être est-elle condamnée, elle aussi, à terminer en hôpital psychiatrique … Alors, à quoi bon lutter contre l’inéluctable ? Heureusement pour notre pauvre Bridget, elle va découvrir que son père a intercepté toutes les lettres que sa grand-mère leur avait adressées, à son jumeau et elle : ni une ni deux, retrouvant l’impulsivité de l’ancienne Bridget, elle s’envole pour l’Alabama. Pour y découvrir qu’elle n’est peut-être pas uniquement la fille à sa mère, mais peut-être aussi et surtout la petite-fille à sa grand-mère … Parce que, étonnement, l’histoire  semble parfois se répéter de génération en génération. C’est ce que va découvrir Lena, qui se remet difficilement de sa rupture avec Kostos. Mais déterrer les secrets de famille n’est pas sans danger : elle sait mieux que quiconque à quel point remuer le couteau dans la plaie peut être douloureux, et va se rendre compte que les plaies sont parfois longues à cicatriser. Voire même qu’elles ne cicatrisent jamais. Si, parfois, j’étais quelque peu agacée par le côté beaucoup trop « amourette » de l’intrigue de Lena, difficile de nier que je me suis souvent sentie très proche d’elle, l’angoissée introvertie qui ne sait pas s’adapter aux changements, qui ne sait pas faire ses adieux car elle aime trop fort …

En bref, vous l’aurez sans doute bien compris : j’ai trouvé ce second tome bien plus émouvant, bien plus poignant, que le précédent. On perd peut-être un peu de la fraicheur qui caractérisait le premier opus, mais on y gagne assurément de la profondeur : on est très loin du cliché de « la romancette niaise pour préadolescente » que ce genre de roman traine comme un boulet. Tandis que les petits et les gros drames de l’adolescence et de l’existence s’abattent sur nos quatre amies, tandis qu’elles apprennent à faire face tout en s’affrontant elles-mêmes dans ce qu’elles ont de plus détestables, le lecteur se sent tour à tour proche de l’une ou de l’autre, au gré des similitudes de caractères ou d’épreuves traversées. Il est si facile de s’attacher et de s’identifier à nos quatre filles, qui ne sont certes pas des saintes, pas des démones non plus : juste des adolescentes comme les autres avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs rêves et leurs peurs, leurs peines et leurs doutes. Il est dans ce tome beaucoup question de famille, et plus particulièrement des relations mères-filles, souvent tumultueuses à cet âge-là. Il est également beaucoup question de culpabilité, de remords, des sentiments qui hantent beaucoup d’adolescents, qui regrettent ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils n’ont pas fait, ce qu’ils auraient dû faire et ce qu’ils n’auraient pas dû faire. Il est enfin, évidemment, question d’amitié, une amitié qui se fait peut-être moins fusionnelle, moins démonstrative, mais qui n’en est pas moins forte, pas moins sincère, pas moins fidèle : avec une certaine pudeur, une certaine délicatesse, les quatre filles veillent toujours les unes sur les autres, sans s’imposer, mais sans jamais s’abandonner. Et qu’est-ce que c’est beau, qu’est-ce que c’est bon !

samedi 17 septembre 2022

Dark Plagueis - James Luceno

Dark Plagueis, James Luceno

 Editeur : Pocket

Nombre de pages : 574

Résumé : Dark Plagueis est l'un des Seigneurs Sith les plus brillants qui aient jamais existé : nul n'égale son talent à commander l'ultime pouvoir sur la vie et la mort. Dark Sidious, son Apprenti, étudie secrètement la voie des Sith tout en poursuivant publiquement son ascension au sein du gouvernement. Plagueis et Sidious visent la domination galactique et l'éradication de l'Ordre Jedi. Mais peuvent-ils défier l'impitoyable tradition Sith ? Le désir de règne absolu de l'un et le rêve d'éternité de l'autre contiennent-ils le germe de leur destruction ?

 

 

 

- Un petit extrait -

« Cent ans plus tôt, le Maître Twi’lek de Tenebrous avait ouvert une petite entaille dans le tissu de la Force, permettant au Côté Obscur d’être senti par l’Ordre Jedi pour la première fois depuis plus de huit siècles. Cela avait été le commencement de la Revanche des Sith. Maintenant, l’heure était venue d’élargir cette entaille pour qu’elle devienne un trou béant, une plaie ouverte dans laquelle la République et l’Ordre Jedi seraient attirés, à leurs risques et périls. »

- Mon avis sur le livre -

 «  Est-ce que tu connais l’histoire tragique de Dark Plagueis le Sage ? », demande innocemment le Chancelier Suprême Palpatine au jeune Anakin Skywalker. Non, bien évidemment. Normal, le rassure-t-il aussitôt : « Ce n’est pas le genre d’histoires que racontent les Jedi. C’est une légende Sith ». Et voici que le « vénérable » politicien se métamorphose l’espace d’un instant en conteur, relatant la quête d’immortalité de ce grand Seigneur Noir des Sith qui ne craignait rien de plus que de perdre son pouvoir mais qui, en dépit de toute sa sagesse et puissance, ne put empêcher son propre Apprenti de le tuer durant son sommeil. « Quelle ironie », n’est-ce pas ? Pourtant, la chose est loin d’être surprenante si l’on prend en compte l’ambition avide des Sith : chez eux, point d’attachement, point de sentimentalisme. A partir de l’instant où un allié devient une menace, ou risque seulement de le devenir, le Sith l’élimine sans hésitation ni remord. Chez eux, la relation Maitre-Apprenti n’a qu’un sens purement utilitaire : à partir du moment où le Maitre n’a plus rien à apporter à l’Apprenti, à partir du moment où l’Apprenti en sait autant voire plus que le Maitre, alors le Maitre n’est plus qu’une gêne, un obstacle sur la voie de la toute-puissance. Et puisque le Maitre a enseigné à son Apprenti que les obstacles devaient être réduits à néant, l’Apprenti ne fait qu’appliquer les leçons de son Maitre en réduisant celui-ci à néant … Comme le Maitre l’avait fait avec son propre Maitre avant lui.

Car l’ascension de Dark Plagueis débuta également par le meurtre de son Maitre, qui  dans son agonie lui délivra un ultime conseil : « Etre puissant dans la Force est une chose. Mais se croire tout-puissant, c’est inviter la catastrophe » ... Conseil que visiblement, tout sage qu’il était, Dark Plagueis ne suivit pas. Tout absorbé par ses recherches effrénées pour comprendre les secrets de la mort et ses expériences macabres pour vaincre cette dernière, le Seigneur Sith laissa toute latitude à son Apprenti pour organiser les machinations économiques, politiques et sociétales qui feront sombrer la République Galactique dans le chaos, pour mieux la faire tomber entre leurs mains … Si la Règle des Deux de Bane avait eu son intérêt et utilité pour le renouveau des Sith, l’heure est selon Plagueis venue de la dépasser, de l’abolir : son Apprenti ne doit pas perdre son temps à convoiter le pouvoir et chercher comment le lui arracher, mais bien plutôt consacrer toute son énergie et son intelligence à œuvrer avec lui à l’avènement du Grand Plan Sith. Intimement persuadé qu’il contrôle parfaitement la situation, Dark Plagueis ne se doute pas une seule seconde que Dark Sidious ne partage pas les mêmes visions de l’avenir que lui, et que s’il semble suivre scrupuleusement ses enseignements et recommandations, il poursuit dans l’ombre ses propres objectifs. Et tout puissant qu’il soit, Dark Plagueis ne peut prétendre à l’omniscience ou à l’omnipotence : « Souvenez-vous que l’imprévu peut se produire », encore une leçon qu’il n’a pas mis en application. Et lorsqu’il le regrettera, il sera déjà trop tard …

Presqu’unanimement présenté comme l’un, voire LE, meilleur roman de tout l’univers Légendes, ce récit m’a personnellement plongé dans un océan de perplexité. Je ne peux pas nier qu’il n’est pas mauvais … mais je suis loin de le trouver excellent non plus. Je l’ai trouvé plutôt quelconque, en étant généreuse. J’ai d’une certaine façon le sentiment de m’être fait avoir sur la marchandise : le titre me donnait l’impression que l’histoire allait tourner autour de Dark Plagueis, « le Sage », autour de ses recherches pour vaincre la mort et acquérir l’immortalité, et éventuellement autour de sa relation avec son Apprenti, celui-là même qui finira par le tuer … Mais en réalité, c’est bien plutôt l’ascension politique de Palpatine qui occupe tout l’espace ! Même son apprentissage Sith en tant que Dark Sidious est systématiquement éclipsé, bien caché derrière des ellipses temporelles anarchiques et toute une ribambelle de machinations destinées à déstabilisé l’équilibre de la République et donc du Sénat pour hisser le petit nobliau orphelin de Naboo au rang de Chancelier Suprême. Si vous voulez mon avis, ce roman aurait dû plutôt se titrer « le Chancelier Suprême Palpatine », le lecteur saurait au moins à quoi s’attendre, plutôt que d’espérer en apprendre plus sur cette « légende Sith » évoquée à demi-mots dans le film. Les faux espoirs, les espoirs déchus et déçus, il n’y a rien de pire pour un lecteur ! Et difficile, ensuite, d’apprécier l’histoire une fois qu’on a compris qu’on n’y trouverait pas ce qu’on venait y chercher ….

Pourtant, ceux qui me connaissent le savent, je suis généralement friande de tout ce qui est machinations, complots, manigances et conspirations, surtout si elles se jouent sur le plan économique et politique. J’aurai pu, donc, apprécier tout de même ce roman en dépit de ma déception initiale. Mais non : ces machinations, complots, manigances et conspirations étaient tellement confuses qu’elles m’ont laissé de marbre. Nos deux Dark emplissaient leurs conversations d’allusions à tous ces petits trafics, mais au final, impossible de saisir ne serait-ce qu’un petit peu quelle était leur stratégie globale. On devinait que l’idée était de semer chaos et mécontentement un peu partout dans la galaxie, histoire de mieux diviser le Sénat pour ensuite mieux y régner, on devinait qu’il fallait déstabiliser les plus hautes instances et progressivement miner la confiance des gens envers les Jedis … mais pour le reste, impossible de comprendre exactement en quoi leurs actions contribuaient à servir cet objectif. On aurait dit deux gamins qui jouent aux stratèges militaires en sortant des tas de grands mots, comme s’il suffisait d’agiter un bâton par-ci par-là pour dévier le cours d’une rivière, de l’histoire. Tout s’éparpille dans tous les sens, ça ne veut au final plus dire grand-chose, et c’est bien dommage, car ç’aurait été fort intéressant de comprendre comment on en est arrivé au contexte socio-politique quelque peu anarchique dans lequel prend place la prélogie. D’ailleurs, les seuls passages que j’ai véritablement apprécié, ce sont ceux qui relient ce récit désordonné aux films : comment la si jeune Padmé est devenue reine de Naboo, le basculement du Comte Dooku, mais aussi la première rencontre avec le petit Anakin. Voir ces événements avec un autre point de vue était plutôt sympathique.

En bref, je pense que je peux m’arrêter ici, car vous l’aurez bien compris : je suis très loin de partager l’enthousiasme collectif qui entoure ce roman. J’ai trouvé que le récit avait cette très fâcheuse tendance à tourner en rond, à s’éterniser inlassablement, le tout pour n’apporter finalement que peu de choses : on n’en sait pas vraiment plus sur les recherches et trouvailles de Dark Plagueis (qui auraient pourtant pu, je pense, apporter un éclairage intéressant sur certains points encore obscurs de l’univers), et l’ascension politique de Palpatine ressemble finalement à celle de n’importe quel génie opportuniste capable d’œuvrer sur différents plans. Qu’il soit adepte du Côté Obscur ne joue absolument pas dans son parcours … Quant au reste, difficile de véritablement cerner les implications de leurs actions, ça part vraiment dans tous les sens, c’est bourré de longueurs et de considérations pseudo-philosophiques parfaitement inintelligibles. C’est peut-être cette impression de confusion qui tend beaucoup à louer la « complexité » du récit, mais être complexe pour être complexe, en perdant le lecteur dans des entremêlas qui ne ressemblent plus à rien, ça n’est pas gage de qualité selon moi. Ça marche peut-être sur les lecteurs les moins exigeants, les plus facilement influençables, mais pour un lecteur qui apprécie de saisir les choses pleinement pour savourer la grandeur d’une machination … c’est juste un agglomérat d’agacement. Dommage, car il y avait des tas de choses à creuser dans cette époque de la chronologie, avec ces personnages, je pense !

samedi 10 septembre 2022

L'île - Vincent Villeminot

L’île, Vincent Villeminot

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 439

Résumé : Le premier jour, quand ils sont arrivés au bateau, la liaison entre l’île et le continent était coupée. Ordre du gouvernement. Par la suite ils ont vu des fumées, au loin, sur la côte. Le deuxième jour, ils ont enfin eu des nouvelles, et c’était plus effrayant encore. Depuis, personne ne peut plus aborder. Personne ne peut plus s’en aller. Et maintenant, prisonniers de leur île, Jo, Louna, Hugo, Blanche et les autres le savent : le danger vient de partout. Du continent. Des adultes. De leur propre communauté. D’eux-mêmes, surtout, la bande des six, les copains, le « crew », comme dit Simon, qui adore frimer en anglais.

 

 

- Un petit extrait -

« C'est parce que nous avons cru que nous étions dangereux les uns pour les autres que nous nous sommes défendus les uns contre les autres. Parce que nous étions devenus paranos. »

- Mon avis sur le livre -

 Je pense que c’est durant le premier confinement (et seul véritable) que j’ai commencé à remarquer que les gens ne réfléchissaient plus par eux-mêmes mais se contentaient de répéter mot pour mot ce que journalistes et influenceurs déclamaient, assenaient, plutôt. Et le plus terrible, finalement, c’est qu’à force de ressasser et rabâcher les mêmes banalités,  les mêmes absurdités susurrées par les autres … chacun a fini par y croire, par se persuader que telle était la vérité. Puisque tout le monde affirme que c’est vraiment une terrible épreuve insurmontable et traumatisante de devoir rester chez soi pour se protéger mutuellement, c’est que ça doit être le cas, n’est-ce pas ? Si tout le monde le dit, c’est forcément qu’ils ont raison … Pour ma part, en bonne petite extraterrestre, je n’ai jamais été aussi heureuse que pendant ce confinement : pour la toute première fois, le monde tournait enfin à la même vitesse que moi. C’en était finie de cette angoissante frénésie qui agite les masses, c’en était fini de ce terrifiant et assourdissant va et vient de mouvements, bruits et émotions entremêlés. Tout était enfin serein, silencieux. Apaisé. Je me sentais revivre, ou vivre enfin, libérée de l’angoisse perpétuelle qui m’assaillait en temps « normal ». Je n’étais plus « la fille bizarre cloitrée chez elle », puisque tout le monde était cloitré chez soi. Pour la première fois de ma vie, j’étais dans la norme … enfin presque, puisque j’étais devenue « la fille bizarre qui ne se plaint pas », à croire que je suis condamnée à être l’anormale du coin. Tout cela pour dire que je n’ai pas ressenti le besoin viscéral de me « vider quotidiennement la tête » en suivant la publication « en mode feuilleton » du nouveau roman de Vincent Villeminot, même si c’est un de mes auteurs préférés : je me disais seulement que si d’aventure il sortait en version papier, je le lirai, comme n’importe quel autre roman …

Jolan, sa sœur Louna et leurs amis Simon, Hugo, Maxence et Michaël vivent sur une petite île au cœur du Pertuis d’Antioche, détroit où se dresse également le célèbre Fort Boyard. Chaque jour, c’est en bateau qu’ils rejoignent le continent pour aller au collège. Mais voici qu’un « beau » matin, ledit bateau n’est pas à quai : le préfet a ordonné que toutes les liaisons entre l’île et le continent étaient interrompues jusqu’à nouvel ordre. Sans la moindre explication. Quelques heures plus tard, d’effrayantes colonnes de fumée s’élèvent sur le continent : heures après heures, toute la côté semble touchée, de la Rochelle jusqu’au pont de l’Ile de Ré. Même Françoise, la maire de l’île, ne sait rien sur le drame qui se joue de l’autre côté de leur petit bout de mer. Elle sait juste qu’avant que les communications soient coupées, les autorités compétences lui ont ordonné de ne laisser personne quitter l’île, et encore moins la rejoindre. Qu’il lui fallait « organiser l’autonomie alimentaire et énergétique » afin de « vivre en autarcie ». Sans préciser pour combien de temps … Quelle que soit la nature des événements (guerre civile ? épidémie ? catastrophe nucléaire ? ou pire encore ?), il ne fait aucun doute que la situation sur le continent est très grave, et qu’elle risque de durer. Il faut donc mettre les ressources en commun, œuvrer main dans la main. S’occuper des plus fragiles, organiser le rationnement, planter tout ce qu’on peut. Organiser des patrouilles pour éviter toute intrusion. Toute menace. Sans savoir exactement d’où ou de qui vient le danger … De tout le monde, peut-être.

Ainsi que je le disais plus haut, Vincent Villeminot fait sans hésitation parti de mes auteurs préférés : je lui fais généralement aveuglément confiance pour me faire passer un excellent moment de lecture, à la fois palpitant et enrichissant. Mais cette fois-ci, alors même que l’histoire semblait avoir tout pour me plaire, l’alchimie n’a pas opéré comme d’habitude. Ce n’est pas un mauvais roman, seulement un roman quelconque : sympathique, mais sans plus. Un roman qui aurait pu être écrit par n’importe qui d’autre : il ne porte pas en lui la petite étincelle que Vincent Villeminot glisse d’ordinaire dans ses écrits. Il n’y a pas ce petit quelque chose, indéfinissable mais pourtant si reconnaissable, qui fait que je peux d’habitude affirmer sans la moindre hésitation « oui, c’est de lui et de personne d’autre ». Ce que j’aime chez Villeminot, d’ordinaire, c’est vraiment cette petite touche d’irrévérence, d’audace, qui fait toute la différence, cette espèce de réticence à faire comme tout le monde, ce petit plaisir d’ajouter une touche d’inattendu et d’inespéré. Et je ne l’ai pas trouvé ici : c’est très convenu, très banal. Très bien-pensant, aussi. Comme s’il avait seulement écrit ce qu’on attendait de lui, ce que la masse voulait lire, comme s’il avait soigneusement rempli un cahier des charges distribué à tous les auteurs jeunesse du moment, sans rien y mettre de lui. A part, peut-être, l’émerveillement qu’il a ressenti pour l’île d’Aix, qui l’a accueilli en résidence pour écrire ce roman, l’amour qu’il a eu pour ce petit bout de terre au beau milieu d’un petit bout de mer. C’est finalement la seule chose qui m’a fait vibrer, moi qui n’aime pourtant pas l’océan : les très, trop rares descriptions de ce petit îlot encore un peu sauvage, un peu indomptable …

Il y avait pourtant de quoi faire du « bon Villeminot », avec un cadre pareil, avec un contexte pareil. Une petite centaine d’habitants, coincés sur leur île, isolés du monde entier. Sans savoir ce qui arrive quelques kilomètres plus loin, sans savoir comment vont leurs familles, sur le continent ravagé par les flammes. D’un côté, la nécessité pour la communauté de mettre leurs ressources et leurs efforts en commun pour le bien le chacun, la nécessité de faire corps. Et de l’autre, l’inquiétude grandissante, l’inévitable défiance, les rancœurs qui remontent, la peur qui dévore. Ce délicat équilibre entre la volonté d’affronter ensemble cette menace invisible et inconnue, car c’est bien connu, l’union fait la force, et la tentation naturelle du repli sur soi et de l’égoïsme, du chacun pour sa pomme, de cet instinct de survie purement individuel. Tout ce que j’aime, en somme … et tout ce que, d’ordinaire, l’auteur traite avec une grande finesse. Ici, les ingrédients sont là … mais ils sont très grossièrement coupés, pas assez cuisinés, pas assez assaisonnés, pas assez cuits, tout justes mûrs. Vaguement arrangés dans l’assiette pour donner l’illusion, mais sans plus. Ce qui m’a manqué dans ce roman, c’est de la profondeur : où est donc passée la plume, subtile et délicate, abrupte mais adroite et pénétrante, qui fait toute la grandeur des romans de Vincent Villeminot ? Elle a ici été remplacée par un style bien trop « nerveux », qui se veut « cinématographique » sans l’être réellement : une narration qui n’happe pas, qui ne titille pas, qui ne sublime pas l’histoire. Qui la relate, comme un élève déclame sa poésie apprise par cœur sans rien y comprendre. Il m’a manqué de la consistance. Il m’a manqué de la vie pour que ces simples mots se transforment en récit vibrant et poignant. Pour que Jolan ne soit pas un simple prénom, mais un personnage dont le sort pouvait m’importer …

Car Jolan, notre narrateur, a beau nous abreuver, nous submerger, de réflexions nous indiquant que le pire reste à venir, que la tragédie ne fait que commencer et que son dénouement sera des plus dramatiques … je n’ai pas vraiment réussi à trembler pour lui, ni même à pleurer pour lui quand il perd un être cher. D’une certaine manière, à vouloir forcer le trait dans le suspense et dans la tension dramatique, l’auteur a sombré dans un surplus de mélodrame, et j’en ai fait une sorte d’overdose : tout était comme « surjoué », les ficelles trop faciles à distinguer, on voyait trop rapidement où tout cela allait nous emmener, comment tout allait se terminer. Il y a, bien évidemment, ce qui se veut comme une « Grande Révélation » avec un grand G et un grand R, mais en réalité, ça tombe tellement comme un cheveu sur la soupe et c’est tellement survolé que ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Oui, c’était évident qu’à force de craindre une hypothétique épidémie de folie meurtrière, à force de se méfier continuellement de tout le monde en se demandant s’il a été « contaminé », la peur allait dégénérer en instinct de tuer avant d’être tué. Ce n’est pas vraiment un scoop que la violence nait de la peur, et que la peur nait de la violence, qu’elles s’entretiennent mutuellement et continuellement dans un cercle vicieux, qu’elles grandissent un peu plus à chaque nouvelle méprise, à chaque nouvelle maladresse, qu’elles se nourrissent aussi des rancunes inavouées et des jalousies inavouables. Pour que la « Grande Révélation » soit frappante, il aurait finalement fallu qu’elle soit un peu moins enrobée dans le chaos de ces derniers chapitres, qui restent fort confus : trop confus pour qu’on en tire quoi que ce soit … Alors qu’il y avait de quoi donner à réfléchir.

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : sans que cela soit une profonde déception,  car j’ai tout de même trouvé que l’histoire avait du potentiel, cette lecture n’a rien eu de profondément exceptionnelle. C’est finalement un roman sympathique mais sans plus, assez quelconque, assez banal : sans doute idéal pour s’occuper l’esprit avant d’aller se faire arracher une dent chez le dentiste, mais c’est tout. Le potentiel était là, indéniablement, mais il n’a pas été exploité à sa juste valeur : tout ce que le récit avait d’intéressant et d’émouvant a été écrasé par les longueurs et par l’aspect trop « convenu » de l’ensemble. C’est un roman qui ne sort pas des sentiers battus, qui reste bien sagement dans les chemins balisés : c’est creux, plat, presque insipide, et tellement prévisible ... D’une certaine manière, j’ai le sentiment que le parallèle avec le début de la pandémie (durant lequel personne ne savait vraiment ce qui se passait et ce qu’il fallait faire) et le premier confinement a été un peu trop forcé, et que le récit en a perdu toute saveur, toute profondeur. Il est entré dans le petit moule bien étroit des stéréotypes sur les groupes d’individus obligés de cohabiter dans un moment de grande tension, dans la soif un peu malsaine du collectif de voir surgir des accès de violence et des faits divers bien sanglants … Peut-être que le choix de l’auteur et l’éditeur de garder le manuscrit au plus « proche de sa parution initiale en feuilleton » n’était pas forcément le plus judicieux, car ça a bridé tout le potentiel « hors covid » du roman. Il ne s’autosuffit pas, il est toujours ramené au contexte de sa première parution, et je pense vraiment que ça n’a pas été bénéfique au récit …