Editeur : Autoédition
Nombre
de pages : 555
Résumé : La Société du Cycle a renoncé au métal et à
l’électricité. Pour survivre sans technologie face à un climat intraitable,
elle exige l’unité absolue du groupe. Chaque année, les villages sont
recomposés de force. L’amitié est brève, l’amour une déviance. Les enfants
s’attachent comme ils peuvent à leurs parents de l’année. Almille est décriée
pour son appétit indécent de sentiments. Mais elle tombe amoureuse. C’est fort,
c’est inarrêtable. Et Almille est curieuse. Malgré le tabou, elle cherche à
comprendre l’origine des enfants ...
Un grand merci à Achille Esqueril pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.
« Les enfants sortirent de la forêt. Ils étaient soixante-neuf, entre quatre et treize ans. Les huit vigilants qui les avaient guidés jusqu’à Acantil restèrent en retrait, à l’orée du bois, pour ne pas interférer. Les enfants foulaient à pas prudents l’herbe de la clairière. A cette heure, le soleil rasant les éblouissait, ils ne voyaient que le contour gigantesque de la montagne d’Acantil. Puis ils se retrouvèrent dans son ombre, à trente pas de l’alignement, et purent commencer à distinguer les détails. C’était le moment crucial. Les femmes retinrent leur souffle. Certaines saluèrent de la main pour se faire remarquer, d’autres ouvrirent les bras. »
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Almille a toujours détesté le jour de la Rebattue, pivot immuable de la Société du Cycle. Devoir quitter chaque année tous ceux auxquels elle s’est attachée au fil des mois – quand bien même la réciproque n’est pas forcément vraie – est à ses yeux une horrible torture. À la fois trop sociable et trop indépendante, la jeune fille est considérée par les Vigilants comme un élément potentiellement perturbateur : elle s’attache trop, se pose trop de questions. Mais plus ils cherchent à la ramener « sur le droit chemin », plus ils tentent d’étouffer son émotivité exacerbée, plus ils s’efforcent de réfréner sa curiosité insatiable et indécente, plus l’adolescente se révolte contre ces règles implacables. Tout ce qu’elle désire, c’est aimer. Aimer sans redouter le jour, inévitable, où il faudra dire adieu. Aimer, tout simplement, parce qu’on est si bien à deux. Mais dans un monde où seule compte l’unité de la collectivité, l’amour est une déviance qu’il faut exterminer …
Avec ce roman, l’auteur nous offre une dystopie foisonnante et poignante, suffisamment originale pour se démarquer des autres tout en restant suffisamment « classique » pour que le lecteur coutumier du genre se sente « comme chez lui ». De nos jours, beaucoup (trop) d’auteurs imaginent qu’il faut à tout prix faire quelque chose de totalement et parfaitement inédit, qui sort complétement des sentiers battus : l’intention n’est pas mauvaise en soi, mais cette obsession de « l’originalité » mène certains auteurs à inventer des mondes aux règles si farfelues qu’elles en perdent toute crédibilité. Parfois, la sobriété a du bon : nul besoin d’en faire trop dans une dystopie, bien au contraire, plus le concept est subtil, plus il sera fort. Ici, l’auteur a su maitriser cet équilibre délicat, même si j’ai par moment trouvé qu’il en rajoutait un peu trop. Personnellement, je trouvais qu’il y avait déjà quelque chose de très intéressant dans cette idée de société sans cesse rebattue, recomposée de force pour éviter un attachement « malsain », pour que l’idée de collectif prime sur le repli dans une amitié ou un amour trop exclusif ; toute cette histoire autour de la procréation « maitrisée » aurait très bien pu offrir un second récit tout aussi passionnant, mais les deux concepts entremêlés se phagocytent mutuellement : ils ne sont donc pas aussi « exploités » qu’ils auraient pu l’être si l’auteur les avaient traités séparément …
Mais je lui pardonne facilement cet excès de zèle, car j’ai vraiment trouvé toute cette histoire passionnante. Captivante car nous nous attachons très rapidement à Almille, cette pauvre adolescente trop sensible pour son propre bien, trop curieuse également, qui ne voit pas ce qu’il y a de mal à apprécier les autres et à être triste de les quitter. On est en quelque sorte tiraillé entre deux espoirs contradictoires : d’un côté, on lui souhaite vraiment de se libérer de cet ordre social si déshumanisé dans lequel le bonheur n’a plus se place, mais de l’autre, on craint tant pour elle qu’on préfèrerait voir ses élans de rébellion se dissiper avant qu’il ne lui arrive malheur. À plusieurs reprises dans le récit, des personnages incarnent cette dualité : ils rêvent d’un changement, sentent au fond d’eux-mêmes un soupçon de révolte contre cette vie qui leur est imposée, mais ont trop peur des représailles pour oser se révolter véritablement, pour tenter de changer les choses. Ce que j’ai bien aimé, c’est que ces personnages hésitants, qui n’ont finalement pas la force d’aller au bout de leur conviction, ne sont pas diabolisés. Trop souvent, on présente ces individus comme des lâches qui ne méritent plus le moindre respect : c’est horrible, je trouve, car c’est sans doute la réaction la plus « humaine », la plus commune qui soit. En étant honnête avec nous-mêmes, nous agirions sans doute plutôt comme eux : nous ne sommes pas tous des héros de romans ou de films.
Bien évidemment, Almille, parce qu’elle est l’héroïne de ce roman, se comporte comme telle : elle ne lâche rien. Même et surtout quand on s’acharne sur elle pour éteindre ce feu de rébellion : plus on tente de la faire entrer dans le rang, plus elle se débat, plus elle affirme son refus catégorique de céder. Et parce qu’elle est l’héroïne de ce roman, on veut bien lui pardonner ce petit côté légèrement trop « cliché » : quand on prend un peu de recul, on se dit parfois qu’elle est trop « lisse », qu’elle rentre finalement trop dans l’archétype de l’héroïne rebelle de dystopie, et on regrette qu’elle ne soit pas légèrement plus nuancée … Ce qui ne m’a pas empêchée d’aimer la suivre dans sa découverte progressive des secrets de son propre monde. Dans une société de castes où nul n’en sait plus que ce qu’il a besoin de savoir, où chaque ordre ne reçoit que les connaissances qui lui sont nécessaires pour remplir son rôle, il faut du temps pour cerner toute la complexité de ce futur fictif. J’ai d’ailleurs eu parfois le sentiment qu’il y avait trop de choses à découvrir, trop de mystères à dévoiler, trop de croyances à déconstruire : les choses vont parfois trop vites, sont parfois un peu confuses, un peu survolées. Peut-être que l’histoire aurait méritée d’être scindée en deux volumes, afin de pouvoir poser chaque révélation un peu plus « profondément », afin que le lecteur puisse véritablement saisir tous les enjeux …
Et cela d’autant plus que nous nous rendons finalement compte que l’histoire d’Almille n’est que la partie immergée de l’iceberg. Tout ceci la dépasse amplement, et je dois vraiment reconnaitre que je ne m’attendais pas du tout à ce que l’intrigue évolue de cette manière. C’est très audacieux, car l’auteur a été très malin dans sa façon d’amener cette seconde partie du récit : j’ai vraiment été agréablement surprise lorsque j’ai compris que, depuis le début, je m’étais laissée mener par le bout du nez concernant cet autre point de vue. Et encore plus agréable surprise quand les morceaux du puzzle se sont reconstitués et que j’ai compris qui était ce vigilant si dévoué à la Société du Cycle, si intransigeant, si furieux dans sa traque des insurgés … Vraiment, je suis époustouflée par la maitrise narrative d’Achille Esqueril ! Toutefois, il est vrai, j’ai moins apprécié cette seconde moitié du récit : autant la première partie était très fluide, très « ample », autant la seconde m’a semblée précipitée, confuse. Tout y est relaté comme dans un résumé, un exposé fait à toute hâte car l’heure tourne et qu’on veut absolument finir avant la sonnerie … Et je dois bien avouer que, du coup, j’ai été moins intéressée : à ce moment-là, j’ai commencé à regarder fréquemment combien de pages il restait avant la fin, car je commençais à me lasser. Et la fin m’a quelque peu laissée sur ma faim : en un éclair (c’est le cas de le dire), hop, le personnage change du tout au tout et se lance dans une grande entreprise … dont on ne connait même pas l’avenir.
En bref, vous l’aurez bien compris : ce roman fut globalement une très bonne lecture, une dystopie comme je les aime, mais ça n’a pas été un coup de cœur, en particulier à cause d’une seconde partie trop précipitée. On pourrait dire que ce livre souffre du « syndrome du premier roman » : on sent que l’auteur avait énormément de choses à dire, énormément d’idées, et qu’il a voulu en mettre le plus possible dans son récit, même quand il aurait été préférable d’en laisser certaines de côté pour rendre l’ensemble plus fluide, plus sobre. Mais je ne me fait pas de soucis pour Achille Esqueril : il ne fait aucun doute que ses prochains récits seront meilleurs encore, car il y a un vrai potentiel ! C’est un récit remarquablement bien écrit, porté par une plume très élégante, qui sait jongler entre le poétique et un style plus « brut » selon les scènes. Par ailleurs, on a un bel équilibre entre action et émotion, entre aventure et réflexion. C’est donc un roman qui embarque totalement le lecteur et qui le fait réfléchir par la même occasion : une dystopie dans toute sa splendeur, qui explore les failles de la société humaine tout en entrainant le lecteur dans une quête de liberté et de bonheur. Un bon roman que je recommande chaleureusement en dépit de quelques menus détails (car vous me connaissez : vous savez que j’aime pinailler) !