vendredi 8 novembre 2024

Les Gardiens du Cycle - Achille Esqueril

Les Gardiens du Cycle, Achille Esqueril

Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 555
Résumé : La Société du Cycle a renoncé au métal et à l’électricité. Pour survivre sans technologie face à un climat intraitable, elle exige l’unité absolue du groupe. Chaque année, les villages sont recomposés de force. L’amitié est brève, l’amour une déviance. Les enfants s’attachent comme ils peuvent à leurs parents de l’année. Almille est décriée pour son appétit indécent de sentiments. Mais elle tombe amoureuse. C’est fort, c’est inarrêtable. Et Almille est curieuse. Malgré le tabou, elle cherche à comprendre l’origine des enfants ...

 Un grand merci à Achille Esqueril pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Les enfants sortirent de la forêt. Ils étaient soixante-neuf, entre quatre et treize ans. Les huit vigilants qui les avaient guidés jusqu’à Acantil restèrent en retrait, à l’orée du bois, pour ne pas interférer. Les enfants foulaient à pas prudents l’herbe de la clairière. A cette heure, le soleil rasant les éblouissait, ils ne voyaient que le contour gigantesque de la montagne d’Acantil. Puis ils se retrouvèrent dans son ombre, à trente pas de l’alignement, et purent commencer à distinguer les détails. C’était le moment crucial. Les femmes retinrent leur souffle. Certaines saluèrent de la main pour se faire remarquer, d’autres ouvrirent les bras.  »

- Mon avis sur le livre -

 D’aussi loin qu’elle se souvienne, Almille a toujours détesté le jour de la Rebattue, pivot immuable de la Société du Cycle. Devoir quitter chaque année tous ceux auxquels elle s’est attachée au fil des mois – quand bien même la réciproque n’est pas forcément vraie – est à ses yeux une horrible torture. À la fois trop sociable et trop indépendante, la jeune fille est considérée par les Vigilants comme un élément potentiellement perturbateur : elle s’attache trop, se pose trop de questions. Mais plus ils cherchent à la ramener « sur le droit chemin », plus ils tentent d’étouffer son émotivité exacerbée, plus ils s’efforcent de réfréner sa curiosité insatiable et indécente, plus l’adolescente se révolte contre ces règles implacables. Tout ce qu’elle désire, c’est aimer. Aimer sans redouter le jour, inévitable, où il faudra dire adieu. Aimer, tout simplement, parce qu’on est si bien à deux. Mais dans un monde où seule compte l’unité de la collectivité, l’amour est une déviance qu’il faut exterminer …

Avec ce roman, l’auteur nous offre une dystopie foisonnante et poignante, suffisamment originale pour se démarquer des autres tout en restant suffisamment « classique » pour que le lecteur coutumier du genre se sente « comme chez lui ». De nos jours, beaucoup (trop) d’auteurs imaginent qu’il faut à tout prix faire quelque chose de totalement et parfaitement inédit, qui sort complétement des sentiers battus : l’intention n’est pas mauvaise en soi, mais cette obsession de « l’originalité » mène certains auteurs à inventer des mondes aux règles si farfelues qu’elles en perdent toute crédibilité. Parfois, la sobriété a du bon : nul besoin d’en faire trop dans une dystopie, bien au contraire, plus le concept est subtil, plus il sera fort. Ici, l’auteur a su maitriser cet équilibre délicat, même si j’ai par moment trouvé qu’il en rajoutait un peu trop. Personnellement, je trouvais qu’il y avait déjà quelque chose de très intéressant dans cette idée de société sans cesse rebattue, recomposée de force pour éviter un attachement « malsain », pour que l’idée de collectif prime sur le repli dans une amitié ou un amour trop exclusif ; toute cette histoire autour de la procréation « maitrisée » aurait très bien pu offrir un second récit tout aussi passionnant, mais les deux concepts entremêlés se phagocytent mutuellement : ils ne sont donc pas aussi « exploités » qu’ils auraient pu l’être si l’auteur les avaient traités séparément …

Mais je lui pardonne facilement cet excès de zèle, car j’ai vraiment trouvé toute cette histoire passionnante. Captivante car nous nous attachons très rapidement à Almille, cette pauvre adolescente trop sensible pour son propre bien, trop curieuse également, qui ne voit pas ce qu’il y a de mal à apprécier les autres et à être triste de les quitter. On est en quelque sorte tiraillé entre deux espoirs contradictoires : d’un côté, on lui souhaite vraiment de se libérer de cet ordre social si déshumanisé dans lequel le bonheur n’a plus se place, mais de l’autre, on craint tant pour elle qu’on préfèrerait voir ses élans de rébellion se dissiper avant qu’il ne lui arrive malheur. À plusieurs reprises dans le récit, des personnages incarnent cette dualité : ils rêvent d’un changement, sentent au fond d’eux-mêmes un soupçon de révolte contre cette vie qui leur est imposée, mais ont trop peur des représailles pour oser se révolter véritablement, pour tenter de changer les choses. Ce que j’ai bien aimé, c’est que ces personnages hésitants, qui n’ont finalement pas la force d’aller au bout de leur conviction, ne sont pas diabolisés. Trop souvent, on présente ces individus comme des lâches qui ne méritent plus le moindre respect : c’est horrible, je trouve, car c’est sans doute la réaction la plus « humaine », la plus commune qui soit. En étant honnête avec nous-mêmes, nous agirions sans doute plutôt comme eux : nous ne sommes pas tous des héros de romans ou de films.

Bien évidemment, Almille, parce qu’elle est l’héroïne de ce roman, se comporte comme telle : elle ne lâche rien. Même et surtout quand on s’acharne sur elle pour éteindre ce feu de rébellion : plus on tente de la faire entrer dans le rang, plus elle se débat, plus elle affirme son refus catégorique de céder. Et parce qu’elle est l’héroïne de ce roman, on veut bien lui pardonner ce petit côté légèrement trop « cliché » : quand on prend un peu de recul, on se dit parfois qu’elle est trop « lisse », qu’elle rentre finalement trop dans l’archétype de l’héroïne rebelle de dystopie, et on regrette qu’elle ne soit pas légèrement plus nuancée … Ce qui ne m’a pas empêchée d’aimer la suivre dans sa découverte progressive des secrets de son propre monde. Dans une société de castes où nul n’en sait plus que ce qu’il a besoin de savoir, où chaque ordre ne reçoit que les connaissances qui lui sont nécessaires pour remplir son rôle, il faut du temps pour cerner toute la complexité de ce futur fictif. J’ai d’ailleurs eu parfois le sentiment qu’il y avait trop de choses à découvrir, trop de mystères à dévoiler, trop de croyances à déconstruire : les choses vont parfois trop vites, sont parfois un peu confuses, un peu survolées. Peut-être que l’histoire aurait méritée d’être scindée en deux volumes, afin de pouvoir poser chaque révélation un peu plus « profondément », afin que le lecteur puisse véritablement saisir tous les enjeux …

Et cela d’autant plus que nous nous rendons finalement compte que l’histoire d’Almille n’est que la partie immergée de l’iceberg. Tout ceci la dépasse amplement, et je dois vraiment reconnaitre que je ne m’attendais pas du tout à ce que l’intrigue évolue de cette manière. C’est très audacieux, car l’auteur a été très malin dans sa façon d’amener cette seconde partie du récit : j’ai vraiment été agréablement surprise lorsque j’ai compris que, depuis le début, je m’étais laissée mener par le bout du nez concernant cet autre point de vue. Et encore plus agréable surprise quand les morceaux du puzzle se sont reconstitués et que j’ai compris qui était ce vigilant si dévoué à la Société du Cycle, si intransigeant, si furieux dans sa traque des insurgés … Vraiment, je suis époustouflée par la maitrise narrative d’Achille Esqueril ! Toutefois, il est vrai, j’ai moins apprécié cette seconde moitié du récit : autant la première partie était très fluide, très « ample », autant la seconde m’a semblée précipitée, confuse. Tout y est relaté comme dans un résumé, un exposé fait à toute hâte car l’heure tourne et qu’on veut absolument finir avant la sonnerie … Et je dois bien avouer que, du coup, j’ai été moins intéressée : à ce moment-là, j’ai commencé à regarder fréquemment combien de pages il restait avant la fin, car je commençais à me lasser. Et la fin m’a quelque peu laissée sur ma faim : en un éclair (c’est le cas de le dire), hop, le personnage change du tout au tout et se lance dans une grande entreprise … dont on ne connait même pas l’avenir.

En bref, vous l’aurez bien compris : ce roman fut globalement une très bonne lecture, une dystopie comme je les aime, mais ça n’a pas été un coup de cœur, en particulier à cause d’une seconde partie trop précipitée. On pourrait dire que ce livre souffre du « syndrome du premier roman » : on sent que l’auteur avait énormément de choses à dire, énormément d’idées, et qu’il a voulu en mettre le plus possible dans son récit, même quand il aurait été préférable d’en laisser certaines de côté pour rendre l’ensemble plus fluide, plus sobre. Mais je ne me fait pas de soucis pour Achille Esqueril : il ne fait aucun doute que ses prochains récits seront meilleurs encore, car il y a un vrai potentiel ! C’est un récit remarquablement bien écrit, porté par une plume très élégante, qui sait jongler entre le poétique et un style plus « brut » selon les scènes. Par ailleurs, on a un bel équilibre entre action et émotion, entre aventure et réflexion. C’est donc un roman qui embarque totalement le lecteur et qui le fait réfléchir par la même occasion : une dystopie dans toute sa splendeur, qui explore les failles de la société humaine tout en entrainant le lecteur dans une quête de liberté et de bonheur. Un bon roman que je recommande chaleureusement en dépit de quelques menus détails (car vous me connaissez : vous savez que j’aime pinailler) !

samedi 7 septembre 2024

Outsphere, tome 4 : Ordres et Chaos - Guy-Roger Duvert

Outsphere4, Guy-Roger Duvert

Ordres et Chaos

 Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 305
Résumé : C'est au tour de Vanessa Fulton de se réveiller d'un sommeil séculaire. Eden a encore évolué, s'enfonçant de plus en plus dans un monde quasi médiéval où la violence est reine. Pour autant, les vestiges de ce qui fut la civilisation terrienne ne sont peut-être pas tous éteints. Accompagnée de chasseurs de reliques d'un côté et de curieux rescapés de l'autre, elle entame une véritable odyssée à travers les terres connues en conservant un espoir ténu, mais qu'elle refuse d'abandonner : retrouver un jour celui qui était connu sous le nom du colonel Jake Bowman...

 Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Le vaisseau parcourait l'espace dans un silence de mort. Il filait, tranquillement, à travers des cieux qu'aucun humain n'avait franchis depuis longtemps. Sa coque, d'un gris métallisé, était dramatiquement endommagée, tandis que des débris se détachaient régulièrement de la structure pour se perdre dans le vide sidéral.  »

- Mon avis sur le livre -

 Lorsqu’il sort de son sommeil artificiel à bord du vaisseau Hespéride, le colonel Lemoine découvre simultanément trois choses. La bonne nouvelle, c’est qu’ils sont bien arrivés à destination. La mauvaise nouvelle, c’est qu’ils ont plusieurs siècles de retard. La très mauvaise nouvelle, c’est que le vaisseau, terriblement endommagé, va se crasher sur Eden. Accompagné de quelques membres de son équipe, réveillés à la va-vite, l’officier parvient à rejoindre une capsule d’évacuation et à rejoindre « sans encombre » la surface de la planète, sans savoir ce qui les y attend. Loin du paradis espéré, Eden est une planète hostile où la faune et la flore semblent rivaliser d’inventivité pour tuer les rescapés du crash … Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises. Voici que des hommes semblant sortir tout droit du Moyen Age, avec flèches et épées, leur tombent dessus ! L’humanité s’est belle et bien installée sur cette planète. Mais l’ère de la technologie, elle, semble belle et bien révolue …

Nouveau tome, nouvelle ellipse temporelle : plusieurs siècles (si ce n’est millénaires) ont passés depuis que nous avons quitté Bowman. Et les choses ont bien changées. Au fil du temps, l’humanité a régressé, au point d’oublier qu’elle venait d’une autre planète, au point d’ignorer que d’autres espèces ont elles aussi foulé le sol d’Eden. Seuls quelques individus, chasseurs de reliques ou fanatiques mystiques, savent que Ceux d’Avant ont réellement existés et qu’ils ont laissés derrière eux des objets mystérieux qui se revendent à prix d’or. Outre la régression technologique, la nouvelle civilisation humaine a également connu un terrible déclin sociétal : ici règne l’anarchie la plus complète, sans foi ni loi, là règne au contraire une dictature implacable … La violence est omniprésente, banale pour les habitants de ce nouveau monde. Effrayant pour les quelques rescapés de l’Hespéride, déconcertant pour Vanessa Fulton enfin réveillée de son sommeil artificiel. Comment en est-on arrivé là ? Est-ce seulement le fruit de la nature humaine, si prompte à l’auto-destruction ? Ou bien est-ce la faute à une Menace plus grande encore, car invisible et indéterminée ? On se demande bien quelle éventualité est la plus terrible …

La bascule amorcée dans le troisième tome se confirme ici : peu à peu, nous quittons le domaine de la science-fiction pour nous introduire dans celui de la fantasy. Car la technologie a laissé place à la magie : auparavant, les choses « étranges » s’expliquaient scientifiquement, désormais elles relèvent du surnaturel, de ce qu’on ne peut pas comprendre. Nous ne sommes pas dans une société plus évoluée que la nôtre, comme c’est généralement le cas dans un roman d’anticipation ; au contraire, nous découvrons une société que nous qualifierons de « médiévale », d’archaïque donc. C’est vraiment ce qui fait selon moi toute l’originalité de cette saga : elle prend le schéma « habituel » à contre-pied, elle va à contre-courant. On se dit qu’une civilisation qui parvient à rejoindre et coloniser une planète dans une autre galaxie est forcément une civilisation si évoluée qu’elle ne fera qu’évoluer toujours plus … Mais Guy-Roger Duvert, lui, nous présente une civilisation qui, arrivée dans son nouvel environnement, semble avoir le « besoin » inconscient et collectif de revenir à l’origine de la civilisation humaine. Comme s’il fallait forcément repartir de zéro pour que puisse émerger une société vraiment nouvelle sur une nouvelle planète. Peut-être que la rupture est trop grande pour qu’on puisse seulement poursuivre « comme avant » …

Mais qu’à cela ne tienne : science-fiction ou fantasy, le cœur de cette saga, c’est tout de même l’aventure. L’exploration. Et quoi de tel qu’un nouveau dépaysement pour relancer la soif de découvertes et de compréhension ? Entre l’arrivée d’un nouveau vaisseau et le réveil de Fulton après des centaines et des centaines (et des centaines) d’années, les personnages sont en quelques sortes aussi perdus que le lecteur. Nous avons tous tout à apprendre ou réapprendre. Les dangers sont nombreux, mais surtout nouveaux. Difficile de savoir à qui se fier, de qui se méfier : tous les personnages sont finalement issus d’une époque, d’une société différente. Ce qui est banal, normal, évident, pour les uns est étrange, déconcertant, effrayant pour les autres, et vice-versa. Et pourtant, ils parviennent à se trouver des buts communs, à cheminer ensemble pour une épopée des plus périlleuses … et donc, forcément, palpitantes pour le lecteur. Alors il faut bien le reconnaitre, à force de lire du Guy-Roger Duvert, on connait bien ses petites habitudes, ses péripéties préférées, ses embûches favorites : il n’y a plus forcément d’effet de surprise, mais cela n’est pas bien grave. Ça marche à tous les coups : à chaque fin de chapitre, on meurt d’envie de se jeter sur la suite. Et généralement, on le fait aussitôt !

Si je veux être parfaitement honnête, il y a bien un petit quelque chose qui m’a plus chiffonnée dans ce tome que dans les précédents : nous sommes tellement centrés sur l’action que les personnages manquent parfois de profondeur. Ils ont plutôt tendance à être des « rôles » : d’ailleurs, bien souvent, ils sont désignés par leur fonction. Le soldat, la pilote, le chasseur de reliques, la scientifique, et non pas Olsen, Kim, Salvatore et Fulton. Ni même le téméraire, l’indécise, le pragmatique, la réfléchie. Ils sont parfois « réduits » à leur métier ou leurs compétences, comme s’ils n’étaient que cela. Alors qu’ils sont humains, donc forcément plus,  normalement. Au bout de quatre tomes, j’aurai aimé me sentir plus « attachée » à Vanessa, mais c’est difficile, car elle apparait parfois comme une coquille vide. Un cerveau plein, comme on s’y attend d’une brillante scientifique, mais pour le reste, elle n’a pas de consistance : il lui manque de l’émotion, de l’émotivité, de la personnalité. Et c’est de même pour tous les autres : ils font beaucoup de choses, mais ne sont pas assez. Le livre étant finalement assez court, et se lisant assez vite, cela n’aurait à mes yeux pas été superflus de s’attarder un peu plus longuement sur ce qui se tapit au cœur de chaque personnage, au lieu de ne s’attacher qu’à leurs actes. Mais disons que c’est un détail.

Car, je pense que vous l’aurez bien compris : une fois encore, ce fut un réel plaisir que de retrouver la plume de Guy-Roger Duvert. Il offre toujours au lecteur des récits terriblement palpitants, prenants, qui se lise vite et bien. Qui se dévore, pour ainsi dire. Quand bien même, parfois, on a le sentiment de tourner un peu en rond, ou que l’intrigue traine inutilement en longueur, on ne peut pas s’empêcher de trouver chaque péripétie absolument fascinante. Quand bien même, parfois, on regrette de ne pas se sentir proche des personnages, on ne peut pas s’empêcher de trembler d’effroi ou soupirer de soulagement pour eux. On se laisse, en quelque sort, prendre au jeu, comme si c’était nous qui étions sur Eden, comme si c’était nous les héros de cette épopée. Et ce genre d’immersion, c’est quelque chose que peu de livres offrent, je trouve. Mais ceux de Guy-Roger Duvert, eux, l’offrent systématiquement. La cerise sur le gâteau, c’est que l’intuition et l’espoir qui me traversaient en lisant le second tome des Rodeurs de l’Empire étaient justifiés : oui, les deux sagas se rencontrent, et ça, c’est quelque chose de vraiment très audacieux que je trouve absolument génial ! Du coup, j’ai vraiment hâte de voir ce que cela va donner … pour les deux sagas !

dimanche 14 janvier 2024

Les Chroniques occultes, tome 4 : Nid d’espions à Canton - Guy-Roger Duvert

Les chroniques occultes4, Guy-Roger Duvert

Nid d’espions à Canton

 Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 305
Résumé : Au cœur des ruelles envoûtantes de Canton, des palaces coloniaux aux fumeries d’opium, des casinos luxueux à l’ombre des pagodes et des temples millénaires, nos quatre investigateurs se retrouvent au milieu d’un jeu dangereux entre espions de différents pays, afin de récupérer des données liées à de sombres savoirs impies. Une enquête qui les mènera à s’attirer l’ire de cultes séculaires et à devoir affronter des créatures dont ils ne connaissaient que de vagues descriptions : les goules...

 Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Comme vous le savez, mon contact, un ressortissant britannique du nom de Corbyn, était disposé à me céder le texte de Cresci, potentiellement riche en enseignements concernant cet Ordre de Janus, qui au XVIe siècle aurait utilisé comme signe le ralliement le même symbole que celui que vous avez trouvé dans les ruines du Bengale dédiées à Nyarlathotep. Malheureusement, notre homme semble avoir disparu. J’avais rendez-vous avec lui il y a trois jours, et il n’est jamais venu. Après renseignement, il semblerait qu’il n’ait plus donné signe de vie depuis une semaine, maintenant. »

- Mon avis sur le livre -

 Mars 1935. Pas de repos pour les braves : laissant derrière eux le delta du Bengale et les Indes Britanniques, Milton, Kristen, Lillian et Howard embarquent pour Hong-Kong. Ils y retrouvent une autre membre de la Miskatonic, qui leur fait part de son inquiétude : son contact sur place, supposé lui remettre un document particulièrement important - et potentiellement dangereux s’il se retrouve entre de mauvaises mains -, ne donne plus signe de vie depuis plus d’une semaine. Sans tarder, nos quatre compagnons se remettent en route : cap pour la concession internationale de Canton. C’est là, au cœur d’un imbroglio diplomatique où les espions de tous pays jouent au chat et à la souris, que nos quatre explorateurs commencent leur enquête … Sans se douter qu’ils vont, une nouvelle fois, se retrouver entourés de dangers surnaturels. Entre une fumerie d’opium où disparaissent des corps et un cimetière où se tient une macabre cérémonie nécrophile, il n’y a parfois qu’un pas …

Après l’explosion d’action de l’opus précédent, il faut bien reconnaitre que celui-ci fait « pale figure » en comparaison : c’est le calme après la tempête, et probablement avant la suivante. Tome de transition plus qu’autre chose, il permet au lecteur de reprendre doucement son souffle … pour ensuite le tenir en haleine. Il a beau se passer moins de choses dans ce volume que dans les précédents, et tout le côté fantastique a beau passer au second plan, on est tellement dans l’attente continuelle de voir les choses dégénérer que l’on ne peut s’empêcher de dévorer chaque chapitre en se demandant si c’est dans le suivant qu’un occultiste fou va débarquer avec un rituel infernal. Il y a, bien sûr, toujours cette petite pointe de déception quand on se rend compte que non, pas encore, mais cela n’entache en rien le plaisir de lecture. Il faut dire qu’on a fini par s’attacher aux personnages, et le simple fait de voyager « en leur compagnie » suffit à rendre la chose agréable : c’est toujours un plaisir de les voir se dépatouiller de situations qui semblent assez inextricables, de les voir entremêler leurs réflexions pour parvenir à une « révélation » collective, de les voir aussi, parfois, en arriver aux mêmes conclusions par divers chemins lorsqu’ils se séparent.

Il faut dire que comme souvent chez Guy-Roger Duvert, les machinations des uns s’entrelacent aux quêtes des autres, et tout ceci forme une immense trame, une improbable toile d’araignée aux ramifications parfois surprenantes : au premier abord, on se demande bien en quoi les expérimentations scientifiques pour le moins douteuses et contre-nature d’un savant allemand peuvent bien être reliées aux cérémonies nécrophiles et nécrophages d’un petit village où personne ne semble vieillir ni mourir … Sans vraiment le vouloir, c’est bien souvent dans une fourmilière bien plus vaste et plus dangereuse qu’ils ne pouvaient l’imaginer que nos quatre compagnons vont sauter à pieds joints : ils ont beau s’armer de prudence, face aux forces occultes et aux trafics bien rôdés, il suffit d’une seconde d’inattention pour se retrouver dans une cage ou même dans un cercueil ! L’avantage de n’être que lecteur, spectateur, c’est qu’on profite de toute cette adrénaline sans jamais être en danger : assurément, je ne tiendrais pas une seule seconde à la place de nos quatre héros, qui s’en sortent peut-être parfois trop « facilement », il est vrai, mais c’est aussi ce qui fait le charme de cette saga. Il y a clairement un petit côté « Indiana Jones », une petite pointe de « kitch » qui vient contrebalancer les côtés plus sombres et horrifiques à la Lovecraft : un mélange surprenant mais que j’apprécie énormément !

Il me semble difficile d’en dire plus sans en dire trop, je vais donc m’arrêter là : vous l’aurez bien compris je pense, même si ce n’est pas forcément mon tome préféré car il ressemble bien plus à un « simple » policier qu’à un véritable roman fantastique, j’ai tout de même passé un excellent moment en compagnie de Milton, Kristen, Lillian et Howard. Comme toujours, j’ai apprécié la plume de l’auteur : simple mais efficace, sobre mais très visuelle. On a vraiment cette impression d’être pleinement immergé dans le récit, de en pas pouvoir s’en sortir car plus le temps passe, plus on ressent cette urgence, cette tension qui monte, plus on a envie de savoir comment tout ceci va se dénouer, comment ils vont bien pouvoir s’en sortir. Guy-Roger Duvert fait indéniablement parti de ces auteurs qui savent parfaitement bien comment jouer avec les nerfs de ses lecteurs, comment les faire s’impatienter, comment les surprendre, comment les frustrer également : comme toujours, c’est au moment où on se dit « oh, ça y est, les choses sérieuses commencent pour de bon » que surgit l’horrible mention « suite dans le prochain tome » ! Vivement la suite, vivement !

mardi 2 janvier 2024

Jonathan Sato et les chroniques d’Alméria - Jean-François Morin

Jonathan Sato et les chroniques d’Alméria, Jean-François Morin

 Editeur : Le lac aux fées
Nombre de pages : 466
Résumé : Jonathan, Emy et Jany poursuivent leur voyage pour rejoindre Alméria, le Royaume des Fées. Sur cette île coupée du monde, où l’alchimie subsiste depuis plus de cent ans, les jeunes dragonniers doivent mettre en sécurité les armures d’or et continuer leur apprentissage à cette science oubliée. Pour atteindre leur objectif et traverser la mer d’Eresda, ils vont devoir embarquer à bord du Maelstrom, le bateau pirate du tant redouter Pow Rickmort. Mais pourquoi Samérion a-t-il fait appel à cet homme à la sinistre réputation ? Nos jeunes héros ne tarderont pas à le savoir…

 Un grand merci à Jean-François Morin pour l’envoi de ce volume.

 

- Un petit extrait -

« En pleine nuit, mon père entra dans ma chambre pour me réveiller. Mais à vrai dire, je ne dormais pas. J’étais à la fois triste et excité. Triste, car ce nouveau départ qui se profilait m’éloignait à nouveau de mes parents. Et excité, car en compagnie d’Emy et de Jany, j’allais naviguer en mer pour la première fois et, qui plus est, à bord du Maelstrom ! Ce bateau pirate qui terrifiait tant de marins … »

- Mon avis sur le livre -

 Après avoir exploré en secret de mystérieux souterrains, découvrant ainsi les secrets des alchimistes, et avoir crapahuté au cœur de grandioses montagnes pour récupérer les légendaires armures d’or de ces derniers, l’heure est venue pour Jonathan, Emy, Jany et leurs dragons respectifs de voguer à bord d’un majestueux navire pirate. Direction : Alméria, l’île des fées et des alchimistes blancs ! Les trois enfants sont à la fois surexcités par cette nouvelle aventure, tristes d’être une nouvelle fois séparés de leurs parents et effrayés par la guerre alchimique qui se profile : ils ont tout autant envie de découvrir les merveilles de ce petit bout de terre perdu au milieu de l’océan que de retrouver leur petite maison et les attentions délicates de leur maman … Mais ils n’ont pas le choix : ils doivent à tout prix mettre en sécurité les armures d’or si laborieusement retrouvées, et poursuivre leur difficile apprentissage de l’alchimie, afin d’être prêts à lutter contre Odon Lémoras et ses cruels partisans. Les trois enfants parviendront-ils à maitriser leurs nouveaux pouvoirs avant qu’il ne soit trop tard ?

Avec ce troisième opus, on pourrait presque dire « on prend les mêmes et on recommence », tant nous sommes dans la continuité des deux premiers : nous retrouvons cette ambiance en clair-obscur, où l’insouciance enfantine de nos trois petits héros côtoie l’approche inexorable d’un conflit qui promet d’être sans pitié. Il y a, d’un côté, l’enthousiasme et l’émerveillement de ces trois enfants fins prêts à vivre une toute nouvelle aventure, et de l’autre, leur peine et leur peur à l’idée d’être une nouvelle fois séparés de leurs parents pour se jeter la tête la première dans ce monde sur le point de connaitre une nouvelle guerre alchimique. Malgré leur jeune âge, Jonathan, Jany et Emy ont bien conscience qu’ils ne sont pas en voyage d’agrément, ils savent très bien que le danger est bel et bien présent, et ils savent également qu’un jour ou l’autre, ils seront amenés à prendre part au conflit. Et même s’ils ont grandis entourés de chevaliers-dragons et qu’ils ont toujours eu envie d’en devenir à leur tour, ils se rendent compte que ce n’est pas si facile, d’être un héros … J’ai beaucoup aimé cette dualité en eux : il y a à la fois ce désir profond de devenir de valeureux chevaliers-dragons et de brillants alchimistes blancs, et cette envie de redevenir de simples enfants qui ne font que jouer à être de valeureux chevaliers-dragons et de brillants alchimistes blancs au lieu de l’être pour de vrai

À vrai dire, je crois que c’est ce que j’aime le plus dans cette saga : le fait que nos héros soient de jeunes enfants. Cela apporte vraiment une touche de légèreté et de lumière : bien plus que les adultes, les enfants ont un cœur profondément généreux, un désir authentique de faire le bien et de bien faire, une volonté farouche de voir le bien, le bon et le beau vaincre … et une certaine forme de candeur et de naïveté, car ils croient encore, justement, que le mal ne peut jamais gagner, car ils ont encore cette foi en la gentillesse et en la grandeur de l’être humain. Cette insouciante espérance est profondément touchante, et d’une certaine manière quelque peu désarmante. En tant qu’adulte, on a tout à la fois envie de préserver coute que coute cette innocence, et envie de les avertir que les choses sont rarement aussi simples et aussi belles pour leur éviter une cuisante désillusion. On est à la fois jaloux de leur candide bonheur, de joyeuse inconscience, et honteusement fier de savoir quelque chose qu’ils ignorent encore, comme si c’était une victoire que d’avoir réussi à « surmonter » (si cela est possible) cet effroyable apprentissage de la terrible réalité. Les enfants sont bien moins compliqués, bien moins hypocrites, et ils font donc des héros bien plus « authentiques », bien plus inspirants également ... On a encore plus envie de les voir réussir, de les voir gagner, on tremble encore plus pour eux quand tout semble perdu, on exulte encore plus avec eux quand tout s’arrange.

Et dans ce tome, on tremble autant qu’on exulte. Il y a vraiment des moments effroyables où on a le sentiment que tout est perdu, que l’ennemi est décidément et définitivement plus fort, que plus rien ne pourra faire pencher la balance en faveur du « camp des bons » … Il faut dire qu’on a fini par baisser la garde : cette île semblait si tranquille, si sûre, on ne pouvait pas imaginer que même là, la rancœur et la jalousie allaient grignoter les cœurs, et on ne pouvait pas concevoir que l’ennemi allait venir jusque-là. Un peu comme nos petits héros, on avait finalement l’espoir qu’ils aient trouvés sur cette île un véritable havre de paix, un lieu où chacun et tous avaient appris à vivre dans le respect, l’harmonie et l’équilibre. Parce qu’on aimerait croire que c’est possible, que la paix est possible … on a besoin d’y croire, je pense. Mais malheureusement, inévitablement, il y a toujours un grain de poussière qui vient gripper le mécanisme bien rodé, il y a toujours quelqu’un pour éprouver une insatisfaction, une frustration, et pour transformer cette dernière en colère et en violence. Et même si, tout comme Jonathan, on ne peut que comprendre le désarroi de certains, je trouve cela assez triste et déplorable que les moyens d’actions choisis soient toujours la brutalité et la cruauté. Triste, déplorable, mais pourtant si humains. Tristement et déplorablement humain …

Heureusement pour le lecteur, qui a déjà suffisamment de raisons de déprimer en écoutant quelques secondes les informations au journal télévisé, il y a dans cette saga un côté intensément plus lumineux, plus réjouissant. Il y a, en premier lieu je pense, l’amitié et l’amour familial. Plus cela avance, plus je suis émue par le lien qui unit Jonathan et sa petite sœur Emy. À chaque fois que Jonathan, en dépit de toute sa pudeur et sa maladresse affective typiquement masculines, se préoccupe de sa petite sœur, s’efforce de la protéger et de la réconforter, je sens mon petit cœur fondre : c’est si beau, si tendre. J’ai également été très touchée par les scènes où nos petits héros sont avec leurs parents : bien souvent, les romans insistent sur les conflits entre les pré-ados et leurs parents, alors que là, il n’y a que la joie de se retrouver, le désir farouche de se protéger, la tendresse et la complicité. Cela fait du bien, de voir une famille unie ! Et je n’oublie pas l’Amitié, qui mérite ici je pense une majuscule : pour Jonathan, l’Amitié, c’est sacré. Pour un ami, Jonathan est prêt à mourir … ou à tuer (même si, et j’en suis très heureuse et soulagée, cet acte n’est jamais banalisé et encore moins valorisé). Et Jonathan ne laissera jamais tomber un ami, qu’il soit de longue date ou à peine rencontré. Aux yeux de certains, tout ceci ne sera peut-être qu’un « ramassis de bons sentiments », mais pour ma part, c’est vraiment que chose que j’aime tout particulièrement dans cette saga, et ce tome est plein de belles scènes d’amitié !

En bref, vous l’aurez bien compris je pense : à l’instar des deux premiers opus, celui-ci m’a pleinement convaincue et énormément plu. Alors bien sûr, je l’admets bien volontiers, on reste dans de la fantasy jeunesse plutôt « classique », il n’y a rien de particulièrement extravagant, audacieux ni même original, mais cela n’empêche clairement pas l’intrigue d’être passionnante. On a beau y retrouver des schémas bien connus, des retournements de situations parfois prévisibles, rien de tout cela n’entache le plaisir de lecture : on se laisse entrainer, tout simplement, on se laisse émerveiller, on se laisse surprendre, on se laisse effrayer … L’espace de quelques centaines de pages, on retrouve quelque peu notre âme d’enfant, on vit par procuration une fabuleuse aventure, une incroyable épopée pleine de magie et de mystère. Et même si j’ai trouvé la fin quelque peu précipitée, clairement moins aboutie que tout ce qui précédait, cela ne m’empêche nullement d’avoir terriblement envie que la suite sorte au plus vite, car j’ai vraiment hâte de savoir comment tout ceci va évoluer ! On en redemande, clairement ! Et impatiemment !