samedi 27 avril 2019

Personne ne m'a dit - Hollie McNish


Personne ne m’a dit, Hollie McNish
Le journal d’un nouveau parent

Editeur : Solar
Nombre de pages : 458
Résumé : A 26 ans, Hollie McNish n'était pas prête à devenir maman. Quand elle découvre qu'elle est enceinte, alors que son copain lui annonce qu'il la quitte, elle est loin de s'imaginer tout ce qui l'attend, toutes ces choses dont on ne lui avait pas parlé ... Sous la forme d'un journal écrit sur le vif à quatre heures du matin, aux toilettes, à l'hôpital, au travail, parfois interrompus par des cris, et parfois inachevés, ce livre raconte son expérience personnelle, son ressenti et ses réflexions de jeune parent, saison après saison, depuis le test de grossesse jusqu'aux 3 ans de sa fille.

Un grand merci aux éditions Solar pour l’envoi de ce volume et à la plateforme Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

« Au cours de la matinée, je ne trouve plus mon stylo. Je le cherche partout sur mon bureau. Quand je demande à ma collègue si elle le voit, elle rit d’un air entendu en disant que j’ai le syndrome du neurone unique. J’entends souvent cette expression aux réunions du groupe pour les parents de nouveau-nés. Elle renvoie à la théorie, dénuée de tout fondement scientifique, selon laquelle le cerveau de la femme se remplit de ouate après l’arrivée de l’enfant. Seules les femmes ont l’air d’user de cette expression. Les hommes du groupe, non. Je n’ai jamais entendu parler du syndrome du neurone unique des papas. Les hommes ne disent pas cela. Parce qu’ils n’en souffrent pas : ils appellent ça être « défoncés de fatigue », reflet plus fidèle de la réalité. Bien joué, les papas. Pour les mamans, j’ajouterais volontiers quelques mots, pour dire qu’elles sont « défoncées de fatigue alors qu’elles gèrent les effets psychologiques et physiques d’une transformation interne et externe totale de leur corps ». »

- Mon avis sur le livre -

Parmi les questions récurrentes à propos de mon « activité » de blogueuse, il y a le fameux « mais qu’est-ce que cela t’apporte ? ». Si je me contente généralement de répondre « du bonheur, tout simplement », puisque je ne me suis jamais sentie aussi épanouie que depuis l’ouverture du blog, je suis bien souvent obligée d’apporter un peu plus de précision, mon interlocuteur estimant que ce n’est pas une réponse satisfaisante. Comme s’il fallait obligatoirement que cela m’apporte un élément à ajouter à mon CV, que cela m’ouvre des portes pour mon avenir professionnel, voire même que cela me permette de renflouer mon compte en banque ! Je suis donc obligée de répéter sans cesse que la seule chose que je recherche à travers ce blog, ce sont le partage et la découverte. J’aime échanger avec d’autres lecteurs. Et j’aime élargir mes horizons littéraires en testant de nouveaux genres, en sortant de ma zone de confort. C’est ainsi que je me suis retrouvée avec ce témoignage d’une slameuse féministe entre les mains … Et une fois encore, l’équipe de Babelio a visé juste en me proposant cet ouvrage, ce fut vraiment une belle lecture !

Tandis qu’Hollie, 26 ans, est sur le chemin qui la conduit vers sa toute première scène de poésie, elle découvre qu’elle est enceinte. La joie et le désarroi se disputent la suprématie dans son esprit. Désemparée, désarmée, effrayée, émerveillée. Elle décide alors de commencer à tenir un journal, un journal de « toutes les choses dont elle ne pouvait pas parler » avec son entourage. Jours après jours, saisons après saisons, elle raconte les joies et les peines, les petits et les gros tracas du quotidien, les réflexions, les doutes, les maladresses … Elle raconte l’amour qui grandit pour ce petit être qui vit déjà en elle, le bonheur et la peur de voir grandir Petite Chérie qui fait ses premiers pas dans ce monde de folie. Elle raconte les moments de désespoir, de découragement, les douleurs, les larmes et les cris qui ne demandent qu’à sortir mais qu’elle doit réfréner. Elle raconte comment elle est parvenue, progressivement, à apprivoiser le mot « maman » …

Ce témoignage, donc, n’en est pas réellement un : comme l’explique l’auteure dans les remerciements, elle ne pensait pas publier un jour ce journal intime … Elle ressentait juste le besoin de coucher sur papier toutes ses pensées, tous ses états d’âme, d’écrire ce qu’elle ne pouvait pas dire à haute voix, ce qu’elle pensait tout bas. Puisque ces mots n’étaient pas destinés à être publier, elle a écrit sans jamais s’autocensurer, et cet ouvrage est donc vibrant de sincérité et d’authenticité ! Elle évoque ainsi sans pudeur la difficulté à apprivoiser ce corps qui se transforme soudainement, la terreur de mourir pendant l’accouchement, la question de la sexualité après l’accouchement. Elle parle ainsi sans honte du calvaire de l’allaitement en public, de la fatigue qui s’accumule au fil des mois, de la peur de mal faire alimentée par les articles des magazines et les émissions télévisées. Devenir maman, ce n’est pas uniquement donner naissance à un enfant, selon Hollie : c’est une véritable transformation, physique comme psychique. A travers ce journal, à travers ces poèmes, Hollie raconte à quel point c’est dur, d’être maman. Mais aussi à quel point c’est beau. Ce livre, c’est aussi une déclaration d’amour d’une mère à sa fille, d’une mère qui passe ses nuits à regarder son nourrisson dormir, d’une mère qui passe ses journées à s’émerveiller d’avoir donné la vie à ce petit être incroyable. Je l’admets volontiers : j’ai pleuré bien des fois, tellement c’était émouvant !

Mais Hollie ne parle pas uniquement de sa relation avec sa Petite Chérie, cette petite fille qu’elle a portée pendant neuf mois et qui grandit désormais un petit peu plus chaque jour. Elle couche également sur papier ses éclats de colère : ne pourrait-on pas la laisser élever sa fille comme elle l’entend ? De quel droit diable d’illustres inconnus se permettent-ils continuellement de la juger, de la critiquer, de la blâmer ? Est-ce trop demander, de pouvoir allaiter tranquillement sa fille sans avoir à le faire dans les toilettes publiques, au milieu d’odeurs nauséabondes et de milliards de bactéries, sans recevoir de remarques désobligeantes face à quelque chose de parfaitement naturel et bénéfique pour ce petit être fragile et innocent ? Est-ce trop demander, de pouvoir s’assoir dans le métro quand on va accoucher dans deux jours et qu’on ressemble à une montgolfière ambulante, sans avoir en plus à faire face aux regards haineux de ceux qui pointent du doigt en hurlant « tu es trop jeune pour être mère » ? Est-ce trop demander, de pouvoir acheter deux biberons sans avoir à subir un discours de persuasion expliquant qu’il est nécessaire pour le bon développement de l’enfant d’acheter également une lotion pour le bain de bébé ? Est-ce trop demander, de pouvoir acheter un blouson de pluie résistant qui ne soit pas étiqueté « pour petit garçon », ou un vélo avec un panier qui ne soit pas estampillé « pour petite fille » ? Entre questionnement et effarement, Hollie dresse un portrait fort peu flatteur de notre monde actuel … 

En bref, vous l’aurez bien compris, j’ai vraiment beaucoup aimé ce livre ! A travers ce journal, l’auteure livre un portrait bouleversant de la maternité, avec ses bons et ses moins bons côtés. Elle parle de sa vie de nouvelle maman, parlant des bons comme des mauvais moments. Elle évoque la peur et la douleur, mais aussi le bonheur et la douceur. Et tout cela sans le moindre filtre, sans la moindre retenue : Hollie livre ses pensées à l’état brut, comme elles viennent, sans se préoccuper de la bienséance ou des « qu’en dira-t-on ? ». Elle raconte tout ce qu’elle a sur le cœur, sans rien cacher, sans rien dissimuler. Elle explique qu’elle a choisi d’agir comme elle l’entendait, comme elle le sentait, comme elle le souhaitait, même s’il est parfois difficile de ne pas céder à la pression de l’entourage et de la société. Ce livre, à sa manière, est révolutionnaire : il invite à ne pas se laisser influencer par les « conseils d’amis », par les remarques et autres réflexions plus ou moins bienveillantes, et encore moins par les grandes sociétés qui cherchent à profiter de la vulnérabilité des parents débordés pour leur faire acheter tout et n’importe quoi, en titillant la culpabilité inhérente à la peur de mal faire pour faire toujours plus de profit … A la fois témoignage et manifeste, ce livre bouleverse et interpelle !

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
(plus d’explications sur cet article)

mercredi 24 avril 2019

La quête des Opales, tome 1 : Ecume - Sarah Driver


La quête des Opales1, Sarah Driver
Ecume

Editeur : Fleurus
Nombre de pages : 367
Résumé : Mouse a grandi à bord de la Chasseresse. Rêvant au jour où elle deviendra capitaine, la jeune fille prend très à cœur son rôle protecteur envers son petit frère, Sparrow. Mais tout son univers bascule le jour où son père disparaît. Tandis qu’un froid surnaturel s’abat sur Trianukka, le navire de Mouse devient la proie de créatures terrifiantes et sanguinaires et un mal terrible frappe Sparrow. Le dernier espoir de Mouse réside dans une ancienne légende… En retrouvant les trois Opales mythiques, Mouse espère bien sauver sa famille, sa tribu et, peut-être même, le monde…

Un grand merci aux éditions Fleurus pour l’envoi de ce volume !

- Un petit extrait -

« Les bêtes nous attaquent. […]
Je sors en courant des cuisines, cavale dans les coursives sombres avant de déboucher dans l’armurerie. […] J’ouvre un coffre en orme, j’attrape mon arc et un carquois rempli de flèches trempées dans du poison de grenouille. Puis, je grimpe l’escalier jusqu’au pont de tempête. […]
La corne de batille mugit.
- Tous à vos armes ! Préparez les arcs et les lances ! s’écrie Grand-Ma, postée sur le gaillard d’avant. Dépêchez-vous bande d’empoté !
- Bien, Capitaine ! tonne l’équipage.  »

- Mon avis sur le livre -

Autant j’adore les récits d’aventures maritimes et de pirateries, autant je n’ai jamais été attirée par les mers et les océans … Je ne comprends pas cette fascination collective pour ces étendues d’eau salée : je n’aime ni l’odeur du sel, ni celle du poisson, je ne sais pas nager et j’ai le mal de mer. Sans oublier les tempêtes, les requins, les méduses et autres joyeusetés qui se cachent dans ces eaux polluées par les plastiques et les résidus chimiques que nous y déversons … Indiscutablement, il n’y a que dans les romans que l’océan me fait rêver ! Aussi, lorsque l’on m’a proposé de recevoir Ecume, premier tome d’une saga (trilogie ?) de fantasy, je n’ai pas hésité une seule seconde ! J’avais vraiment envie de m’embarquer aux côtés de Mouse à bord de la Chasseresse !

Mouse a treize ans, et dans sa tête, les choses sont bien simples : la future Capitaine de la Chasseresse, c’est elle ! En attendant, elle tient la promesse faite à sa mère et veille sur son petit frère, Sparrow, qui souffre d’étranges crises de tremblements toujours plus impressionnantes … Heureusement que Grand Ma est faiseuse de médecine ! Mais voilà qu’une vague de froid s’abat sur le continent et les océans, que le père de Mouse disparait alors qu’il avait promis d’être présent à sa lune de Chasseresse, et que sa grand-mère embauche un navigateur orgueilleux et antipathique qui lui donne la chair de poule ! Guidée par un mystérieux message laissé par son Pa, Mouse part à la recherche des trois Opales de l’ancienne Couronne du roi de Trianukka, dans l’espoir d’empêcher Trianukka d’être transformé en glace … Encore faut-il qu’elle y parvienne avant les « ennemis » dont parle son père !

Pendant bien longtemps, les auteurs de fantasy s’imaginaient qu’il était indispensable de présenter en long, en large et en travers les subtilités de l’univers dans lequel s’inscrit le récit, dans d’interminables prologues généralement imbuvables … Sarah Driver n’est pas tombée dans ce travers, bien au contraire : le lecteur est immédiatement plongé dans un monde dont il ne connait absolument rien, et rien ne lui est jamais expliqué clairement. Quelques informations sont disséminées par-ci par-là, lorsque cela est essentiel à l’intrigue, mais sans que cela ne casse jamais le rythme de la narration. C’est un peu déconcertant, au début, car on ne sait pas où on est tombé … Et puis, la magie opère : on se laisse entrainer par l’histoire, et c’est comme si nous avions toujours vécu à bord de la Chasseresse, ce navire marchand sur lequel vit la Tribu de la jeune Mouse, à laquelle on s’attache irrémédiablement malgré son sale caractère. Car Sarah Driver l’a bien compris : construire un monde dans lequel inscrire son histoire, c’est bien … mais raconter l’histoire en question sans perdre le lecteur dans un flux d’informations superflus, c’est mieux. Ce que le lecteur attend en ouvrant un roman de fantasy, c’est une histoire captivante !

Et Ecume est indiscutablement une histoire captivante. Plus de trois-cent pages de pur bonheur : de l’aventure et de l’émotion, de la magie et de l’action, du mystère et des complots …  Pas moyen de s’ennuyer une seule seconde, quand bien même l’essentiel de l’histoire se déroule sur un seul et unique bateau ! Une inquiétante vague de froid s’abat sur l’ancien royaume de Trianukka : si l’on n’agit pas, la glace recouvrira tout, et les baleines, déesses des océans, mourront sous la mer gelée. Pour mettre fin à cette avancée inexorable du froid, une seule solution : retrouver les Opales de Tempête de la Mer, du Ciel et de la Terre pour reformer la mythique Couronne … avant que des hommes mal intentionnés ne le fassent. Car Mouse en est persuadée : le nouveau navigateur du navire est un homme cruel, avide de pouvoir, qui ne respecte rien ni personne, pas même les traditions ancestrales, pas même les esprits de la Mer, pas même la Capitaine ! Pour notre petite héroïne, une véritable course contre la montre s’engage …

Mais plus qu’un simple récit d’aventure, Sarah Driver nous offre aussi un véritable récit initiatique. Au début de l’histoire, Mouse est une jeune fille insouciante,  intrépide et autoritaire, persuadée que l’héritage de la Chasseresse lui reviendra forcément et qu’un jour, ce sera elle la chef qui donnera des ordres à tout le monde. En attendant, elle se contente de donner des ordres à Sparrow, son maladif petit frère, qu’elle aime autant qu’elle déteste, lui dont le don est si indispensable à la Tribu, alors qu’elle-même n’a pas le droit de sortir sur le pont quand les terrodyls attaquent. Ce n’est que lorsque Sparrow lui est arraché qu’elle prend réellement conscience des responsabilités qui sont les siennes, en tant qu’ainée, en tant que grande sœur qui a promis à sa mère de toujours veiller sur son fragile petit frère. Elle se rend progressivement compte qu’il ne suffit pas d’être petite fille de Capitaine pour devenir Capitaine, et que ce sont ses actions, ses actes, qui la rendront digne ou non de porter ce titre. Elle se rend compte qu’être Capitaine, ce n’est pas être la chef, mais bien être au service de ceux qui dépendent de nous … Qu’être Capitaine, c’est avant tout penser aux autres avant de penser à soi.

En bref, vous l’aurez bien compris, j’ai vraiment beaucoup aimé ce premier tome, riche en mystère, en magie, en action et en aventure, comme le promettait la quatrième de couverture ! Le monde dans lequel l’autrice immerge le lecteur est d’une richesse rare et d’une originalité incroyable : je suis tombée sous le charme de cette magie, de ces légendes, de cet univers ! Et, bien sûr, de la petite Mouse, cette petite sauvageonne si attachante qui plonge la tête baissée vers le danger pour sauver son frère, pour sauver son monde. Pour retrouver son père, le rend fier d’elle. On a peur pour elle, si impulsive mais si démunie finalement, si naïve aussi. On a envie de la voir réussir. Et on sautille de joie à chaque petite victoire qui la rapproche du terme de sa quête … Enfin, du terme, c’est un bien grand mot : une fois la dernière page tournée, tout notre être se languit d’une suite qui n’est pas encore traduite en français ! Vivement le second tome !

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
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samedi 20 avril 2019

Les Ephémères sont éternels - Azelma Sigaux


Les Ephémères sont éternels, Azelma Sigaux

Editeur : H.Tag
Nombre de pages : 246
Résumé : Après des siècles de recherches et de fantasmes, la solution pour devenir immortel est enfin trouvée. Très vite, la Terre est surpeuplée et l’interdiction de donner naissance devient une nécessité. Toute femme trouvée enceinte est forcée d’avorter, tout enfant découvert vivant est abattu sans sommation. Un couple va braver la loi à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le petit June survive à la traque des puissants. Enfermé dans une cave pour sa protection, le garçon va s’échapper et se retrouver au coeur d’un groupe de rebelles : les Éphémères.

Un grand merci à Azelma Sigaux pour l’envoi de ce volume (et la petite dédicace) et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

« Il fallait renouveler la vie avant qu’elle ne croupît. Voilà une règle d’or que tout être vivant normalement constitué avait bien assimilée.
Ou presque. Les êtres humains ne semblaient, pour leur part, pas connaître grand-chose de cette vérité de base. Parce qu’ils étaient prétentieux, mal fichus ou juste angoissés, ces bipèdes enrobés de tissus s’avéraient plutôt revêches sur le sujet. En ce qui concernait la vie, ils en voulaient toujours plus. Pour ce qui était de la mort, ils tentaient par tous les moyens de l’oublier. La vie paraissait soit trop courte, soit trop injuste à leurs yeux. La mort, bien qu’omniprésente, demeurait taboue. Malsaine.
Elle était pourtant visible, dégoulinant sur les étalages des boucheries. Elle se tenait encore là, écrasée sur les casques des motards. Elle apparaissait à nouveau ici, tantôt sur les mains terreuses des maraîchers, tantôt sous les balles des soldats. Mais quand elle osait surgir dans les rides au coin des yeux ou dans la blancheur des cheveux, alors il fallait la cacher à tout prix. Au sens premier du terme. Chirurgie, coloration, greffes, rien n’était trop coûteux pour maquiller la vieillesse, son signe annonciateur.  »

- Mon avis sur le livre -

Quel crève-cœur que de devoir sélectionner un unique petit extrait pour illustrer cette chronique au détriment de la myriade d’autres passages percutants et magnifiques dont regorge ce récit ! C’est un problème que j’avais déjà rencontré avec Absurditerre de la même autrice : chaque page abonde de petites phrases aussi belles que frappantes qu’on aimerait partager au monde entier ! Je suis définitivement sous le charme de la plume d’Azelma Sigaux, et dans la famille, je ne suis pas la seule : Absurditerre est devenu le livre préféré de Petit frère, pourtant grand réfractaire à la lecture, qui l’a déjà lu plus d’une dizaine de fois (à l’endroit, à l’envers, par chapitre …) et qui semblait intéressé par le résumé de ce nouveau roman, et maman est impatiente de découvrir Les éphémères sont éternels, ayant elle-aussi beaucoup aimé Absurditerre … Bref, autant dire que j’avais intérêt à le lire vite si je voulais pouvoir le terminer avant que quelqu’un ne me le pique !

2042. La mort est abolie : grâce à une découverte aussi prodigieuse qu’inespérée, l’immortalité est désormais une réalité. Au lendemain de leur vingt-troisième anniversaire, âge considéré comme le moment optimal de la vitalité, chaque individu doit recevoir sa première injection de Bogolux, injection qui sera renouvelée tous les trois ans. Parallèlement à cette obligation, l’interdiction d’enfanter est également décrétée afin d’éviter de surpeupler la planète … Mais certains couples bravent l’interdit et donnent illégalement naissance à des enfants. Pour protéger June, ses parents le gardent précieusement enfermé dans la cave. Mais, après dix ans de captivité forcée, le petit garçon s’échappe … Traqué par les forces de l’ordre, qui ont pour mission d’abattre sans sommation tout enfant, June ne doit la vie qu’à l’intervention de Bernie, mortel lui aussi. Le jeune garçon rejoint alors les rangs des Ephémères, poignée d’enfants recueillis par Bernie qui, comme June, ont développé d’étranges capacités extrasensorielles dont ils se servent pour tenter d’éveiller les consciences de ces immortels dépendants et déprimés de leur vie éternelle …

Depuis la nuit des temps, la grande quête de l’homme, c’est l’immortalité. L’abolition de la mort. La vie infinie. Pour ne pas perdre ceux qui nous sont chers. Pour ne pas sombrer dans l’oubli une fois revenus à la terre. Pour gagner quelques années de vie supplémentaire, les hommes sont prêts à tout … Même à disséquer semaine après semaine un malheureux poisson, unique en son genre, immortel et doté d’incroyables capacités autorégénérantes. Parce qu’après tout, ce n’est qu’un misérable animal, et nous sommes des Hommes, donc nous avons le droit de faire souffrir un simple poisson pour servir nos propres intérêts, n’est-ce pas ? Surtout si cela peut rapporter des sous aux puissants de ce monde … Mais ça, bien sûr, on ne le dit pas. Il ne faudrait surtout pas que ces milliards d’immortels en viennent à se rebeller contre l’ordre établi et qu’ils cessent de consommer du Bogolux ! Alors, on leur rappelle continuellement quelle est leur chance : « Le monde leur appartenait. Ils avaient l’opportunité de voir défiler les siècles, ils avaient la chance de ne plus manquer de temps. Ils pouvaient expérimenter tout ce qui leur traversait l’esprit. Ils étaient capables de survivre à toutes les folies. Jamais ils ne connaitraient les bombardements ni les cancers, et encore moins les problèmes de la vieillesse » …

Imaginez un monde peuplé d’immortels, un monde où les maladies n’existent plus, un monde où la vieillesse n’existe plus : tout le monde est continuellement en excellente santé, en bonne forme. On a tout le temps du monde devant soi : même les projets les plus titanesques deviennent réalisables. Alors que les « humains pré-Bogolux » mourraient sans avoir accomplis leurs rêves, faute de temps ! Imaginez un monde où la guerre est impossible : s’il n’est pas possible de tuer ses ennemis, comment voulez-vous mettre fin aux conflits ? Imaginez un monde à l’économie florissante, où il y a du travail et un logement pour tout le monde et où les problèmes financiers n’existent plus. Ça fait rêver, n’est-ce pas ? Je pense que si l’on nous proposait de choisir entre mortalité dans notre monde en perdition et immortalité dans cette société apaisée, on n’hésiterait pas bien longtemps … Même si cela signifie démembrer quotidiennement un poisson pour fournir suffisamment d’élixir de vie éternelle (« après tout, ce n’est qu’un animal ! » diront beaucoup).

Mais si je vous dis que cette vie éternelle se double d’une interdiction formelle d’avoir des enfants, d’une baisse progressive des facultés intellectuelles, d’une obligation de travailler ad vitam aeternam (« pour la vie éternelle », et ce n’est plus une expression), sans oublier une déprime grandissante au fur et à mesure que l’euphorie du début retombe … Cela vous donnerait-il toujours envie ? La vie peut-elle avoir un sens sans la mort ? C’est la première question que nous pose ce livre : « entre un magnifique mandala qui s’envole au moindre coup de vent et un tableau indélébile aux couleurs ternies par le temps, lequel des deux est le plus mémorable ? » … Entre une vie courte mais intense et une vie longue mais monotone, que préférons-nous ? Azelma Sigaux nous présente ici un monde figé, comme si le temps, au lieu de s’étendre comme on aurait pu le penser, c’était finalement arrêté. Chaque jour ressemble au précédent. Et ceux qui auparavant craignaient la mort sont désormais prisonniers à tout jamais de la vie. « Ne jamais tenter de mettre fin à ses jours » par le feu, voici l’une des grandes règles. Condamnés à vivre une vie sans joie, sans espoir, sans rêve. Et désormais, la mort ne viendra jamais les libérer de leurs tourments. 

 Face à ces immortels, il y a les Ephémères. Ces enfants miraculés, fruits de l’insubordination d’immortels bien décidés à donner la vie. Mortels, doués de capacités extrasensorielles, ces jeunes croquent la vie à pleines dents. Ils ont la tête et le cœur pleins de rêves. Leur vie est loin d’être aussi confortable que celle des immortels : traqués, ils sont obligés de se cacher dans un bunker souterrain, séparés de leurs parents, considérés comme des criminels qu’il faut abattre à tout prix … Et pourtant ils sont heureux. « La vie est courte, mais elle est belle », nous dit Bernie, doyen des Ephémères, qui voit sa fin approcher. Sans crainte, sans regrets. Car il a pris soin de ces enfants, de ses enfants – non pas de sang mais de cœur – et il sait que « la mort fait partie de la vie ». A ses yeux, c’est la peur de la mort elle-même qui « procure l’envie d’embellir notre existence et celle des autres » … Car Bernie ne se bat pas pour lui-même, il se bat pour les autres. Pour ces petits Ephémères qu’il a aidé à grandir, mais aussi pour ces immortels prisonniers de cette immortalité imposée par les autorités, prisonniers de leur esprit en pleine décadence …

En bref, comme je m’y attendais, Azelma Sigaux nous offre une fois encore un magnifique récit qui fut un nouveau coup de cœur. J’aime sa façon de raconter les histoires, et j’aime les histoires qu’elle nous raconte. J’aime l’équilibre qu’elle sait trouver entre récit captivant et éveil des consciences. J’aime la poésie de sa plume, j’aime le rythme de ses intrigues. J’aime ses personnages, attachants et fragiles. Et j’aime les messages qu’elle transmet sans en avoir l’air, j’aime sa manière de nous inviter à réfléchir sur la vie, sur le monde, sur notre société, sur nous-même. Je pourrais parler des heures durant de ses romans, tant ils me secouent, tant ils me passionnent, tant ils m’interpellent. Vraiment, Les Ephémères sont éternels est un roman qui plaira autant aux amateurs de récits de science-fiction qu’aux adeptes d’essais philosophiques, car ici, l’histoire se mêle habilement à la réflexion, et chacun peut y trouver son compte. Alors, n’hésitez plus et procurez-vous ce livre ! Et ensuite, posez-vous la question : préférez-vous le fragile coquelicot qui fane à peine cueilli, ou le solide mais morne bouquet en plastique ?

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
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