De bonnes raisons de mourir, Morgan Audic
Editeur : Albin Michel
Nombre
de pages : 490
Résumé : Un cadavre atrocement mutilé suspendu à la
façade d'un bâtiment. Une ancienne ville soviétique envoûtante et terrifiante. Deux
enquêteurs, aux motivations divergentes, face à un tueur fou qui signe ses
crimes d'une hirondelle empaillée. Et l'ombre d'un double meurtre perpétré en
1986, la nuit où la centrale de Tchernobyl a explosé...
Un grand merci aux éditions Albin
Michel pour l’envoi de ce volume et à la plateforme Babelio pour avoir rendu ce
partenariat possible.
« Avec amertume il se dit que
le monde se souvenait de dictateurs, de joueurs de foot brésilien et d’artiste
peignant des carrés blancs sur fond blanc, mais que personne ne pouvait donner
le nom d’un seul de ces hommes qui avaient sauvé l’Europe d’un cataclysme
nucléaire sans précédent. Qui connaissait Alexei Ananeko, Valeri Bespalov et
Boris Baranov ? Qui savait qu’ils s’étaient portés volontaires pour plonger
dans le bassin inondé sous le réacteur 4, pour activer les pompes et le vider
de son eau avant que le cœur en fusion ne l’atteigne ? Qui savait que si le
magma d’uranium et de graphite s’était déversé dans le bassin, il se serait
produit une explosion de plusieurs mégatonnes qui aurait rendu inhabitable une
bonne partie de l’Europe ? »
- Mon avis sur le livre -
Pour garder une lectrice compulsive de
fantasy et de science-fiction en bonne santé, je recommande un bon thriller par
mois ! Plus sérieusement, je me rends progressivement compte que ce genre,
que j’ai longuement boudé, me réussit drôlement bien : c’est toujours un plaisir
d’entrecouper mes « marathons de l’imaginaire » par un thriller !
Changement brutal d’ambiance, bouleversement total de rythme … J’aime de plus
en plus ces petites pauses « polars » ! Aussi, quand Babelio m’a
proposé de recevoir ce « thriller époustouflant dans une Ukraine disloquée
où se mêlent conflits armés, effrontément économique et revendications
écologiques » dans le cadre d’une opération privilégiée, je me suis ruée
sur la page d’inscription, en croisant les doigts pour que le « bug des
opérations privilégiées » ne frappe pas à nouveau en ne prenant pas en
compte ma participation ! Quelques heures plus tard, bonne nouvelle dans
la boite mail : j’allais prochainement recevoir ce roman qui promettait d’être
fort dépaysant !
Le dépaysement … c’est justement ce que
cherchent certains touristes en s’offrant une petite virée à Pripiat, ancienne
ville soviétique au cœur de la zone d’exclusion de Tchernobyl. C’est au cours d’une
de ces « visites guidées radioactives » qu’un touriste aperçoit un cadavre,
atrocement mutilé, suspendu à la façade d’un bâtiment. C’est le capitaine Joseph
Melnyk qui est chargé de l’enquête, tandis que le père de la victime dépêche le
policier russe Alexandre Rybalko pour retrouver l’assassin de son fils … Le
premier est motivé par un sens aigu de la justice, tandis que le second,
atteint d’un cancer incurable, est prêt à tout pour racheter ses fautes et payer
l’opération de sa fille. Chacun de leur côté, les deux policiers font le lien
avec un double-meurtre perpétré en 1986, le jour de l’explosion de la centrale
de Tchernobyl. Tandis que le présent s’entremêle au passé dans cette ville
désertée, la terrible vérité s’apprête à refaire surface, telles les particules
radioactives qui jonchent le sol jusqu’à ce qu’un coup de vent les disperse …
La catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Elle
constitue à elle-seule un personnage à part entière de ce récit. Non seulement
parce que la majeure partie de l’intrigue se déroule au cœur de la zone d’exclusion,
mais aussi et surtout parce que tout tourne autour de cette explosion.
Alexandre Rybalko est né et a grandi à Pripiat : lui qui s’était juré de
ne pas remettre les pieds en Ukraine se retrouve à fouler les rues de son
enfance pour cette enquête qui pourrait bien être la dernière : atteint d’un
cancer incurable dû aux radiations, il sait qu’il ne lui reste que quelques
mois à vivre. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a brisé sa promesse : Vektor
Sokolov, père de la victime, lui a promis une petite fortune s’il trouve et
abat l’assassin de son fils. Et Alexandre a besoin de cet argent : il n’a
jamais été un bon père pour sa fille, malentendante de naissance, et compte
bien lui offrir l’opération dont elle a besoin pour mener une vie normale.
A travers lui, ce thriller pose ainsi la
question suivante : jusqu’où serait-on prêt à se salir les mains, à
souiller sa conscience, pour ceux qu’on aime ? Mais chez Alexandre, n’y
a-t-il pas plutôt une volonté de racheter ses fautes, donc de se donner bonne
conscience avant de quitter ce monde, d’être convaincu d’avoir fait au moins
une chose de bien dans sa vie ? N’essaye-t-il pas, finalement, de se faire
passer pour un héros aux yeux de sa fille et de son ex-femme ? Où se situe
donc la frontière entre l’altruisme et l’égoïsme dans ce genre de décision ?
Point de réponse, mais un questionnement en suspens. Plus généralement, ce
thriller brise totalement le mythe du détective animé par la pure soif de
justice : ici, Alexandre et Joseph Melnyk sont des « monsieur tout le
monde », avec leurs qualités, certes, mais aussi leurs défauts, leurs
faiblesses, leurs regrets. On a d’autant plus envie de les voir trouver le fin
mot de l’histoire qu’ils sont profondément humains : ils ne sont pas
seulement des « moyens » pour l’auteur de mener l’enquête (il faut
bien des détectives, voyons !), mais ils sont vraiment les moteurs de
cette histoire, et leur parcours personnel est tout aussi important que l’enquête.
Mais quelle enquête ! Depuis quelques
années, je lis de plus en plus de thrillers et polars, mais je pense pouvoir
affirmer sans la moindre hésitation que De bonnes raisons de mourir est le plus palpitant qu’il m’ait été donné
de lire. Que de mystères et de surprises, que de révélations et de
rebondissements, vraiment, je n’ai pas vu la fin venir ! C’était un vrai
régal que de suivre ces deux enquêtes parallèles, qui se complétaient et se
répondaient sans le savoir : au lecteur de mettre bout à bout les
différentes pièces du puzzle que nous apportent Alexandre et Joseph, dans l’espoir
de démasquer le tueur et de comprendre ses motivations. Car on a vraiment envie
de savoir : pourquoi de telles mises en scène macabres ? Certaines
descriptions sont franchement répugnantes, et je vous exhorte à ne pas lire ce
roman pendant ou après les repas : certains passages donnent franchement
la nausée … Et je ne vous parle même pas des découvertes que vous ferez sur la
Zone de Tchernobyl et ses petits trafics : certaines choses font
franchement froid dans le dos (saviez-vous que, potentiellement, le bois de
votre bibliothèque Billy est issu de cette zone radioactive ? non ?
désolée, vous le savez maintenant). Entre les autopsies « sauvages »
et les mornes paysages désolées de la zone, l’ambiance de ce roman est vraiment
particulière, presque malsaine, mais elle sert à merveille ce récit aussi prenant
que surprenant !
En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un
vrai coup de cœur. Avec ce livre, j’ai appris énormément de choses sur une
catastrophe que tout le monde connait de nom mais dont nous ne savons
finalement que peu de choses, alors qu’elle a encore bien des conséquences pour
l’Ukraine comme pour le reste du monde. Avec ce livre, j’ai suivi une
double-enquête particulièrement palpitante et intrigante, qui explore des
pistes rarement explorées pour le plus grand plaisir du lecteur : quelle
excellente idée que d’intégrer la taxidermie, activité aussi méconnue que
dérangeante, comme fil conducteur de ce thriller riche en surprises ! Avec
ce livre, enfin, j’ai eu la chance de découvrir la plume d’un auteur français
qui signe aussi son deuxième roman, et que je compte suivre avec intérêt :
j’ai vraiment beaucoup aimé sa façon de raconter cette histoire, de plonger le
lecteur dans son histoire, de le happer pour mieux l’entrainer à la suite de
ses personnages, dans cette Zone désertique et fantomatique qu’il n’aura
logiquement jamais l’occasion de visiter autrement que par un roman …. A lire
absolument !
Ce livre
a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers