Editeur : ActuSF
Résumé : Les deux imaginaires du futur les plus forts aujourd’hui sont la démesure technologique et l’apocalypse environnementale. Ils suscitent en nous une sidération, un court-circuit de la pensée et de l’action. L’enjeu de cet essai c’est de sortir de cette impasse en traçant des chemins et un horizon pour y arriver : la construction d’utopies politiques, lucides sur le long terme, d’inspiration anarchiste et terrestre, contre l’idéologie dominante et en toute conscience des risques de dystopie. Sa méthode : considérer les œuvres de science-fiction comme une extraordinaire source de savoirs et de pistes pour comprendre les impasses actuelles de l’écologie et du tout numérique, puis tenter d’entrouvrir des voies alternatives pour demain.
Un grand merci aux éditions ActuSF pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.
« L’enjeu de responsabilité ou d’irresponsabilité face à cette catastrophe diffuse et aux paramètres multiples s’est par ailleurs compliqué depuis la popularisation du concept d’effondrement en 2015, notamment via l’essai de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, « Comment tout peut s’effondrer ». Ne sommes-nous pas aujourd’hui, chacun à des niveaux différents, tous coupables de cet effondrement-là, mille fois validé par les experts, en particulier climatologues, même si nombre d’Occidentaux dans leurs nids protégés vivent dans le déni du changement climatique ? D’où la question du sens, pour nous autres, humains de la décennie 2020, des fictions se situant sans ambiguïté dans un avenir, d’après l’apocalypse, où il est trop tard pour revenir en arrière, voire pour dire : stop, on arrête le processus collectivement suicidaire, et on recommence tout … »
Dans notre France élitiste qui s’obstine à considérer les littératures de l’imaginaire comme de la « sous-littérature » tout juste bonne à amuser les enfants jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment mûrs pour passer à la « vraie littérature », leur refusant le droit de séjour au sein des programmes universitaires tout comme l’accès aux émissions culturelles les plus connues et reconnues, la sortie d’un essai sur la fantasy ou la science-fiction me remplit toujours de joie : ce n’est peut-être qu’une ridicule petite goutte d’eau au milieu de l’océan des publications, mais petite goutte après petite goutte, ces ouvrages finiront par former un jour une mare, un lac, une mer de plus en plus visible ! J’ai toujours considéré que les littératures de l’imaginaire avaient bien plus de choses à nous apprendre que ce que nous voulions le croire : autant vous dire que la sortie de cet ouvrage, qui abonde dans ce sens, a été suivie d’une petite danse de la victoire !
Lorsque vous interrogez les passants dans la rue sur leur vision de l’avenir, il est fort probable que deux groupes se forment : d’un côté ceux qui voient le futur comme l’avènement de la technologie au service de l’humanité qui n’aura plus qu’à se prélasser dans les loisirs oisifs sans se préoccuper des contingences matérielles, de l’autre ceux qui pressentent un effondrement plus ou moins rapide et violent mais qui sonnera l’extinction de l’espèce humaine si ce n’est de la planète toute entière. C’est en se basant sur ces deux imaginaires du futur qu’Ariel Kyrou déploie son exploration de la science-fiction, tant dans la littérature que dans le cinéma, dans la musique que dans les jeux-vidéos. Qu’est-ce que ces œuvres nous disent, tant de l’avenir que de notre présent ? Comment ces œuvres influencent-elles notre vision de l’avenir, comment construisent-elles en quelque sorte cet avenir en orientant les recherches scientifiques ?
De l’intelligence artificielle aux dystopies écologiques en passant par l’exploration spatiale et l’apocalypse, l’auteur nous offre un tour d’horizon des grandes thématiques abordées dans les plus grandes œuvres de science-fiction. Mais il ne se contente pas, loin de là, d’offrir un simple « catalogue » de romans incontournables sur la question des extraterrestres conquérants ou des pandémies meurtrières (je tiens tout de même à vous avertir : votre wish-list va en prendre un sacré coup). Non, il analyse, décortique et croise ces différentes œuvres pour mieux dégager ce qui fait l’essence même des « imaginaires du futur », tout en reliant ces imaginaires aux réalités scientifiques de notre époque. Car que nous le voulions ou non, l’avenir est déjà à notre porte, et nous le façonnons jour après jour, collectivement, par ce que nous faisons mais aussi ce que nous ne faisons pas.
Il y a en effet une dimension éminemment politique dans cet essai fort bien documenté et qui ne s’embarrasse pas de « politiquement correct » : Ariel Kyrou n’hésite pas à « taper » sur les autoproclamés « prophètes du futur », ces hommes qui promettent au peuple milles et unes merveilles pour leur avenir. Il n’hésite pas non plus à interpeller parfois vivement ce peuple, qui préfère faire l’autruche plutôt que de faire des efforts au nom du bien commun, qui ne pense qu’à son petit plaisir et confort personnel plutôt que de penser aux autres, et à l’Autre que représente notre planète Terre, Gaïa. Il n’hésite pas non plus à interroger le bien-fondé de nos sociétés capitalistes, mondialisées, basées sur cette quête effrénée à la croissance coute que coute, bâties sur l’aliénation des foules qui se transforment en troupeaux de moutons sans libre-arbitre, connectées qu’elles sont aux divins réseaux sociaux …
En bref, c’est un essai brillant, complet, dense, qui n’hésite pas à aller à contre-courant sans pour autant chercher à faire adhérer le lecteur à sa vision : il s’agit tout simplement de le faire réfléchir, de lui présenter plusieurs voies parfois contraires pour l’inciter à ne pas se laisser aveuglément guider par les grands gourous « visionnaires » de la technologie ou de l’effondrement. C’est un ouvrage qui nous appelle à voir dans la science-fiction un fabuleux réservoir à avenirs, une merveilleuse usine à futurs : à nous d’explorer ce genre si riche pour y nourrir notre imaginaire et déterminer ce que nous souhaitons pour les années, décennies, siècles à venir. Pour ma part, j’ai trouvé cet essai vraiment instructif, même si je dois reconnaitre qu’il faut parfois s’accrocher car les réflexions sont parfois très poussées, et que je regrette un peu de m’être fait spoiler sur certains livres que je n’ai pas encore lu …