Je t’ai rêvé, Francesca Zappia
Editeur : Robert Laffont
Collection : R
Nombre de pages : 442
Résumé : Vous, les gens normaux, êtes tellement habitués à la réalité que vous
n'envisagez pas qu'elle puisse être mise en doute. Et si vous n'étiez pas capables
de faire la part des choses ? Jour après jour, elle se retrouve confrontée au
même dilemme : le quotidien est-il réel ou modifié par son cerveau détraqué ?
Dans l'incapacité de se fier à ses sens, à ses émotions ou même à ses
souvenirs, mais armée d'une volonté farouche, Alex livre bataille contre sa
schizophrénie. Jusqu'où peut-elle se
faire confiance ? Et nous, jusqu'où pouvons-nous la croire ?
« Je ne
pouvais me payer le luxe de prendre la réalité pour acquise. Je ne peux pas
dire que je détestais tous ceux qui le faisaient, puisque c'était le cas du
monde entier. Je ne détestais personne. C'est juste que je vivais dans mon
monde. Mais ça ne m'a jamais empêchée de souhaiter vivre dans celui des autres. »
-
Mon avis sur le livre -
En lisant pour la
première fois la quatrième de couverture, assise au pied du rayonnage « Nouveautés »
de l’espace librairie du supermarché, je me suis demandé sur quoi j’étais
tombée. Alors, pour me faire une idée plus précise de ce roman dont la
couverture m’attirait irrémédiablement, j’ai commencé à le lire, comme cela, en
attendant que mes parents ne viennent me rejoindre. Cette décision fut une des plus
grosses erreurs de ma vie de lectrice : lorsqu’il a fallu que je repose ce
roman, après plus de deux-cents pages, en sachant que je ne connaitrais pas la
fin avant un certain temps, je fus envahie d’un abattement effroyable. Et cette
attente effroyable a duré bien longtemps, jusqu’à ce qu’enfin je le trouve en
occasion. Il m’a ensuite fallu patienter le temps de la livraison, attendre d’avoir
achevé ma lecture en cours pour enfin reprendre ma lecture (de zéro pour mieux
en profiter) !
Dès le prologue,
nous comprenons que nous avons affaire à une narratrice atypique. Ce qui n’est
alors qu’une vague impression est confirmée dès le premier chapitre, où
Alexandra nous dévoile ce que le résumé clame bien fort : elle souffre de schizophrénie.
Je dois bien l’avouer, au départ, j’ai eu peur que l’auteur n’ait utilisé ce
terme à tort et à travers, mais j’ai rapidement été rassurée : même si ce
trouble est parfois « enjolivé » ou « romancé », on sent qu’il
y a eu un réel travail de recherche avant l’écriture. C’est déjà un très gros
bon point pour ce livre car, pour des raisons personnelles, je m’intéresse
particulièrement aux maladies psychiques et psychologiques, et que je suis horripilée
à chaque fois que quelqu’un a le malheur de confondre « schizophrénie »
et « dédoublement de la personnalité » devant moi. Aussi, je suis
ravie qu’une auteure ait écrit un roman young adult à ce sujet, j’espère ainsi
que les lecteurs auront ainsi appris à faire la distinction entre ces deux pathologies !
Nous suivons donc
le quotidien d’Alexandra, adolescente qui tente de concilier arrivée dans un
nouveau lycée et gestion d’une maladie qui l’oblige à se demander sans cesse « Est-ce
que je vois et entends est vrai ou n’est-ce que le fruit de mon imagination
démesurée et incontrôlée ? ». La narration à la première personne
conduit le lecteur à se poser la même question : qu’est-ce qui, dans ce qu’Alex
décrit, est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quels sont les éléments
qui dépendent de la lucidité et quels sont ceux qui sont les conséquences d’une
hallucination ? Souvent, la réponse semble évidente, mais d’autres fois c’est
plus difficile de trancher. Parfois, Alexandra elle-même juge telle chose trop
loufoque et invraisemblable pour être vraie, aussi nous sommes tout aussi
surpris qu’elle lorsqu’elle découvre qu’il s’agit pourtant de la réalité. Et le
contraire arrive également : des éléments qui nous semblent évidentes et
normales s’avèrent n’être que des pures inventions de son esprit. C’est d’ailleurs
la grande force de ce roman : réussir à semer le doute dans la raison-même
du lecteur, parvenir à lui faire mélanger rêve et réalité, arriver à le faire
devenir, l’espace de quelques pages, Alexandra.
Malgré sa
maladie, Alex veut vivre une vie la plus ordinaire possible : elle veut
avoir son bac, entrer à l’université, avoir un petit boulot …. Alexandra tente
de s’adapter au monde « normal », essaye de comprendre comment
fonctionne les autres afin de mieux s’intégrer à eux. Ce livre met en effet en évidence
les difficultés que rencontrent les personnes atteintes de certaines maladies
psychiques à communiquer avec autrui : en effet, pour certains individus,
il est très compliqué de comprendre les émotions et les réactions des autres,
et encore plus de s’y adapter pour adopter un comportement adéquat et
approprié. Cette facette des troubles psychologiques a été parfaitement bien
décrite et mise en scène par l’auteur (je pense particulièrement à cette
fameuse phrase prononcée par l’un des personnages : « Parfois, je ne sais
pas comment il faut se comporter », que j’approuve parfaitement pour la
prononcer moi-même assez régulièrement).
Au cours de cette
année scolaire, Alex va donc faire de nombreuses rencontres et expérimenter un
certain nombre d’événements sociaux auxquels elle n’a jusqu’alors jamais été
confrontées : être invitée à une fête, enchainer blagues et plaisanteries,
subir les foudres d’une rivale jalouse … De manière générale, les événements racontés
dans le roman ne sont pas extraordinaires : une rencontre sportive avec un
autre établissement, des cours d’anglais ou de physique-chimie. Il y a
certaines péripéties qui sortent de l’ordinaire, avec des sorties nocturnes
proches de l’illégalité ou des légendes urbaines plus réelles qu’on ne le pense
… Toute l’originalité des aventures vécues par Alex tient dans la perception qu’elle
en a. En ce qui concerne les personnages, j’applaudis bien fort Francesca
Zappia : je les trouve parfaits. Ils sont tous différents, atypiques, avec
des traits de caractère bien affirmés mais jamais stéréotypés. Ils ont tous un
rôle bien particulier à joue dans l’histoire, dans l’histoire globale et dans l’histoire
d’Alex. Certains sont plutôt antipathiques alors que d’autres sont terriblement
attachants, mais au fond ils sont surtout réalistes : plus d’une fois je
me suis dit « Tiens, c’est rigolo, on dirait tel élève de mon ancien lycée ! ».
L’écriture est
dynamique et fluide, agréable et poétique. Les phrases coulent toutes seules,
sans longueur ni lourdeur, les mots semblent s’enchainer naturellement comme s’ils
étaient faits pour s’assembler. D’ailleurs, cela s’accorde bien avec l’histoire
d’amour que décrit le roman : au vue des premières pages, il était
parfaitement évident que ces deux-là étaient faits l’un pour l’autre, à la fois
si semblables et si différents, si complices et si distants. Vous l’aurez
compris, j’ai trouvé cette romance particulièrement mignonne et touchante. Plus
généralement, c’est l’histoire dans son intégralité que j’ai trouvé émouvante :
Alex a beau être déterminée et courageuse, il lui arrive bien souvent de
craquer et d’être submergée par les événements, et ses proches se trouvent à
leur tour désemparés face à cette détresse. Je dois l’avouer, parfois, j’ai eu
envie de baffer les parents d’Alex, mais en même temps je comprenais leur
réaction face à cette maladie si difficile à comprendre et à assumer.
Ce livre a donc
été un véritable électrochoc, un coup de cœur indéniable, une excellente
lecture. Parfois loufoque, cocasse et absurde, parfois sérieuse, profonde et
bouleversante, l’histoire d’Alexandra est inoubliable. En alternant légèreté et
gravité, l’auteur nous tient en haleine jusqu’à la dernière page, nous fait passer
du rire aux larmes et nous entraine dans un esprit torturé par le doute et l’espoir.
Un roman que je conseille à tous.