mercredi 30 mars 2022

Les Chroniques occultes, tome 2 : Les Disparus d'Arkham - Guy-Roger Duvert

Les chroniques occultes2, Guy-Roger Duvert

Les disparus d’Arkham

 Editeur : Autoédition

Nombre de pages : 306
Résumé : Septembre 1934. Intriguée par la disparition à Arkham de deux personnes liées à une maison que la rumeur veut hantée, la journaliste Lillian Freling décide de quitter Boston pour se rendre sur place, convaincue d'y trouver le scoop qui la hissera dans la profession. Pensant au départ tomber sur une sombre affaire bassement criminelle, elle découvre des pratiques occultes à même de lui faire remettre en question sa propre santé mentale, et qui la verront s'associer avec un certain Milton Blake. Le détective privé, abîmé depuis son aventure en Egypte et en Europe, voit dans ce dossier la possibilité de retrouver ses anciens compagnons de route.

 Un grand merci à Guy-Roger Duvert pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Milton s’était retrouvé impliqué dans l’affaire Shellington quelques semaines plus tôt, tantôt qu’il profitait d’Arkham en plein mois d’aout. Lorsqu’il ne travaillait pas sur un dossier précis pour le compte de la Miskatonic ou pour le sien, le détective privé avait pris comme habitude de maintenir un contact relativement régulier avec plusieurs informateurs en ville, dans des lieux qui allaient des milieux les plus prestigieux à ceux les moins fréquentables. »

- Mon avis sur le livre -

 Il y a quelques temps, j’ai promis à Guy-Roger Duvert que ses (nombreux) romans auront leur étagère bien à eux dans ma future bibliothèque. Celle-ci est désormais installée (je vous laisse imaginer ma joie), et j’ai bien évidemment tenu cette promesse … même si, je l’avoue, pour l’instant, ils partagent encore ladite étagère avec les ouvrages de mes autres auteurs autoédités préférés (optimisation de l’espace disponible oblige). Mais si Guy-Roger continue de sortir trois ou quatre livres par an comme il le fait jusqu’à présent, ses livres finiront par phagocyter la place des autres, qui seront bien forcés de déménager sur une autre étagère ! Cela a même beaucoup fait rire ma maman, qui m’a très gentiment aidée à ranger mes quelques 1000 livres (oups) : « Tiens, on en a pas déjà rangé de cet auteur ? », « Oh, encore un Guy-Roger Duvert ! », « Mais il en a écrit combien ?! », « T’es sûre qu’une étagère suffira ? » … Il faut dire que je lui ai indiqué qu’il fallait garder une place libre pour la suite d’Outsphere (même si elle n’est pas prévue pour tout de suite), ainsi que pour le second opus des Chroniques occultes, qui n’allait quant à lui pas tarder à arriver. Bien évidemment, en bonne maman catholique qu’elle est, le titre l’a quelque peu fait tiqué : « depuis quand tu lis des romans avec des éléments occultes, toi ? » … La réponse a été assez simple : depuis que Guy-Roger Duvert en écrit ! Il est vrai que c’est généralement une thématique que je n’apprécie guère, même dans le cadre de fiction, mais il faut bien une exception pour confirmer la règle, n’est-ce pas ?

Septembre 1934. Alors que ses parents rêvaient de la voir devenir une épouse docile et cultivée pour un jeune homme « tout bien comme il faut », Lillian Freling a embrassé l’intrépide (et quelque peu scandaleuse pour une femme) vocation de journaliste. Son instinct aiguisé et son charme savamment entretenu lui ont permis de se faire une petite place dans le monde de la presse, mais il lui manque encore une affaire digne de ce nom pour se faire un nom auprès du grand public. Il lui faut du sensationnel … Elle pense, ou du moins espère vivement, avoir trouvé la perle rare qui fera décoller pour de bon sa carrière : les disparitions mystérieuses et inexpliquées, à quelques mois d’intervalle, de deux hommes venus à Arkham visiter une maison supposément hantée … Lillian le sait, le public raffole de ce genre d’histoire, et cela d’autant plus que la ville est réputée pour ses disparitions curieuses, mais plus encore pour ses apparitions à la limite de l’étrange. Pour la journaliste, toutes ces rumeurs ne sont que des balivernes de superstitieux, des histoires que l’on aime se raconter la nuit pour se faire peur : ce qu’elle cherche, ce sont des pistes concrètes, tangibles, rationnelles. Elle compte bien réussir là où enquêteurs et détectives ont échoué et comprendre ce qui est arrivé à ces deux hommes. Mais il n’y a pas de fumée sans feu : elle va rapidement apprendre, à ses dépens, que les rumeurs sont loin, très loin d’être infondées, et qu’il se passe définitivement quelque chose de pas net à Arkham.

Il semblerait que pour cette saga, Guy-Roger Duvert ait voulu mettre à l’honneur des jeunes femmes ambitieuses, qui ne laissent rien ni personne les empêcher de vivre de leur passion : dans le premier tome, nous avons fait la connaissance de Kristen, archéologue bien décidée à marcher dans les pas de son père, et dans celui-ci, nous rencontrons Lillian, journaliste, fermement déterminée à mener à bien son investigation et à rédiger un article qui fera sensation à Boston. Là où la bienséance de leur époque voudrait qu’elles ne soient que des épouses dévouées et effacées, Kristen et Lillian se sont toutes deux lancées dans une profession où elles doivent continuellement prouver leur valeur, se battre pour être pleinement reconnues. C’est sans doute cela qui les pousse à se surpasser, et donc à ne pas baisser les bras là où leurs collègues masculins laisseraient vite tomber, sachant pertinemment bien qu’on ne leur en tiendra pas rigueur et que cela n’aura aucune incidence sur leur réputation. Pour Lillian, l’enjeu est de taille : elle a besoin de cette affaire pour assoir une bonne fois pour toute sa légitimité de journaliste. Elle ne repartira pas de cette ville sans être venu à bout de ce mystère sur lequel enquêteurs et détectives se sont échinés en vain. Elle ne retournera pas à Boston sans un article digne des plus grands noms de la presse. Et pour cela, elle ne ménagera pas ses efforts, et ne reculera devant rien, quoi qu’il puisse arriver … Et croyez-moi, elle va avoir besoin de cette détermination, pour faire face à ce qui l’attend à Arkham !

En effet, le lecteur ne met pas bien longtemps à deviner que derrière ces disparitions énigmatiques se cachent des activités des plus sombres : Arkham fourmille d’adeptes de sciences occultes, de disciples de cultes obscurs. Et puisque ce roman est un second tome, on se doute bien – ou du moins, on juge fort logique – que le chemin de Lillian va finir par croiser, à un moment ou à un autre, celui des personnages du premier opus, que toute cette affaire est liée, d’une façon ou d’une autre, aux événements du premier opus. Et il semblerait qu’effectivement, c’est bien là que se situe tout l’enjeu véritable de cette intrigue : il fallait introduire un nouveau personnage (Lillian), tout en trouvant une façon élégante d’en faire réapparaitre d’autres (souvenez-vous, Milton a disparu dans une dimension parallèle, et Kristen a fini à l’asile, hautement perturbée par ses expériences surnaturelles), afin que puisse se poursuivre la saga … On est vraiment et purement dans un tome de transition, pour achever ce qui restait en suspens à la fin du premier tome, et ouvrir la porte à de nouvelles péripéties, la petite équipe étant enfin réunie. Et même si c’est très bien mené, même si on se laisse très aisément entrainer par l’histoire, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver ce tome un peu moins bon que tout ce que l’auteur m’avait habituée jusqu’à présent : ça manque un peu de tension, de dynamisme. On tourne un peu en rond, on fait trainer la chose en longueur, pour combler un tome tout entier de cet « entre-deux », de cet interminable prologue qui s’ignore …

N’allez surtout pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : j’ai aimé ce roman. Comment, en effet, ne pas se laisser entrainer par cette enquête qui promet d’être bien plus … surprenante que tout ce que Lillian pouvait imaginer ? Bien en sécurité derrière notre livre, nous frissonnons d’avance en attendant le moment où notre innocente journaliste se retrouvera face à cette réalité des plus inconcevables : ce qu’elle prenait pour des élucubrations d’illuminés ou de déséquilibrés est bel et bien vrai. Tandis qu’elle progresse toujours plus dans ses investigations, nous attendons l’instant fatidique où l’une ou l’autre de ses découvertes sortiront de l’ordinaire, la mettront sur la voie d’une toute autre piste, assurément plus « sensationnelle » … mais également bien plus dangereuse. Comme toujours, Guy-Roger Duvert a réussi à me happer du début à la fin, à me faire trembler d’effroi, à me faire soupirer de soulagement, à me faire sursauter de surprise. C’est là son immense talent : réussir à rendre chacune de ses histoires follement prenantes, quand bien même il ne s’agit ici que d’une « histoire-passerelle », quand bien même la tension dramatique est loin d’être aussi poignante que dans ses autres récits. Ainsi, même si, comme je le disais, j’ai parfois trouvé que l’histoire s’éternisait quelque peu, parce qu’on ressent vraiment ce côté « simple transition entre deux vraies intrigues » et qu’on est quelque peu frustré de ne pas entrer « vraiment » dans le vif du sujet, je ne me suis pas ennuyée pour autant, bien au contraire ! D’une certaine manière, Guy-Roger Duvert joue avec les nerfs du lecteur, stimule son impatience, pour lui donner encore plus envie de découvrir la suite !

En bref, vous l’aurez bien compris, même si ce tome n’est assurément pas mon préféré de l’auteur (je crois de toute façon que rien ne détrônera Outsphere, qui est selon moi, sans la moindre hésitation, son œuvre de loin la plus aboutie et la plus captivante), cela reste malgré tout un roman fort sympathique qui se dévore fort avidement ! Comme toujours, la plume de Guy-Roger Duvert est très cinématographique, prompte à pointer subtilement du doigt quelques petits détails qui auront toute leur importance par la suite, prompte également à multiplier les circonvolutions pour ne pas tout dévoiler d’un coup afin de mieux faire éclater la surprise le moment venu … Et le style a beau être relativement sobre, il n’en est pas moins d’une richesse impressionnante : sans trop en faire, il parvient à rendre toutes ses descriptions incroyablement vivantes, à tel point qu’il suffit de fermer les yeux pour se représenter le décor, les personnages, l’ambiance. Et c’est ainsi que le lecteur se laisse embarquer par l’histoire, sans même s’en rendre vraiment compte : on lit une page, puis une deuxième, on enchaine trois chapitres d’affilée sans les avoir vu passer, on se soudainement compte qu’une heure est passée sans qu’on voit les minutes filer. Et voilà que l’on tourne la dernière page, avec l’étrange sentiment d’avoir changé d’espace-temps : comment cela se fait-il donc que c’est déjà terminé alors qu’on vient seulement de commencer ? Et surtout … comment patienter jusqu’à la suite, après un épilogue tel que celui-ci ? Soyez prévenu, l’auteur sait très bien attiser la frustration du lecteur !

samedi 26 mars 2022

L'incroyable voyage de Coyote Sunrise - Dan Gemeinhart

L'incroyable voyage de Coyote Sunrise, Dan Gemeinhart

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 406

Résumé : Coyote, douze ans, vit avec Rodeo, son père, dans un bus scolaire. Ensemble, ils sillonnent les États-Unis au gré de leurs envies, embarquant parfois quelques autostoppeurs à l’âme en peine. Quand Coyote apprend que le parc de son enfance va être détruit, elle décide de tenter l’impossible : traverser le pays en moins de quatre jours pour arriver avant les bulldozers. Un défi de taille, puisque Rodeo a juré de ne jamais retourner sur les lieux qui abritent leurs plus précieux souvenirs. 

 

 

- Un petit extrait -

« Je suis peut-être un peu brisée. Peut-être un peu fragile. Mais je pense à Val, à Salvador, à Lester, et je me dis que ça va. Peut-être qu'on est tous un peu brisés ? Et un peu fragiles ? C'est peut-être pour ça qu'on a tellement besoin les uns des autres ? »

- Mon avis sur le livre -

 Durant toute mon enfance, puis mon adolescence, je me suis demandée ce que cela faisait, d’avoir des amis. Cela me semblait absolument merveilleux, fabuleux, mais à quel point ? A quoi ressemblait la vie avec un ami ? Moi qui ne connaissais, au mieux, que la solitude et, la plupart du temps, le rejet pur et simple de la part de mes « petits camarades de classe », je peinais à imaginer ce que ça pouvait être, d’être non seulement acceptée mais aussi appréciée. Je rêvais de cette Amitié, sans vraiment savoir ce que je cherchais véritablement, sans vraiment oser espérer la trouver un jour : j’ai appris à me méfier des espoirs et des rêves, car plus on les nourrit, plus on est déçu lorsqu’ils sont brisés. Et puis, alors que je pensais avoir fait le deuil de cette Amitié qui m’apparaissait de plus en plus illusoire, la vie a placé sur mon chemin de vraies amies. De ces amitiés discrètes mais solides, sans aucun doute moins « fusionnelles » que celles dont on rêve enfant, mais autrement plus profondes et indispensables. Désormais, je peux répondre à la question qui m’a si longtemps taraudée : avoir des amis, c’est encore plus merveilleux, fabuleux, que je ne l’imaginais. Il y a quelque chose de magique dans le fait de recevoir, un beau matin, un petit colis de livres car une amie a senti qu’on n’avait pas le moral, même si on ne lui a pas dit clairement … Et il y a quelque chose d’encore plus magique quand cette amie a su trouver exactement les livres dont on avait besoin pour aller mieux. Alors mille mercis, Aurélia, d’être une si bonne amie, merci, merci, merci !

En l’espace de cinq ans, Coyote, treize ans, a fréquenté plus de stations-services, aires de repos, portions d’autoroute ou parkings que tous les autres adolescents de son âge n’en verront de toute leur existence : depuis cinq ans maintenant, Coyote et son père – pardon, son Rodeo – sillonnent les routes à bord de leur bus scolaire réaménagé en maison ambulante. Cinq ans à rouler d’un bout à l’autre des Etats-Unis au gré de leurs envies, sans jamais jeter un seul coup d’œil en arrière : l’important, c’est ce qu’il y a devant, pas question de ressasser sans cesse le passé, celui-ci est bien et bien terminé et n’apporte rien de bon. Cinq ans de petites habitudes bien rodées, de petits rituels bien exécutés. Jusqu’au jour où tout a commencé à déraillé. Tout d’abord, il y a eu Ivan : le plus adorable petit chaton que le monde ait jamais porté, et que Coyote a adopté sur un coup de tête sur le parking d’une station-service, sans demander la permission à Rodeo, qui aurait à coup sûr désapprouvé la présence de ce petit animal dans son bus, et plus encore le besoin de Coyote de se lier à un autre être vivant que lui. Et puis, il y a eu l’annonce fracassante de sa grand-mère, au téléphone : le parc de sa ville natale va être détruit, pulvérisé par des bulldozers implacables, qui n’ont absolument aucune idée du trésor qui se cache au creux des racines d’un des arbres. Et il est absolument hors de question pour Coyote de les laisser faire cela … Mais comment convaincre Rodeo de retourner là-bas, là où tout a basculé, lui qui refuse catégoriquement de laisser le moindre souvenir refaire surface ?

Attachez bien vos ceintures : ouvrir ce livre, c’est plonger dans un road-trip des plus mouvementés en compagnie d’une « joyeuse » équipée haute en couleur. Il y a tout d’abord le « noyau dur » : Coyote et Rodeo. Ils sont tout l’un pour l’autre … sauf peut-être ce qu’ils devraient être : un père et sa fille. Terrassés par le drame qui les a jeté sur les routes il y a cinq ans, ils refusent (ou plutôt, Rodeo refuse, Coyote brave parfois cet interdit) d’évoquer ou même de penser à leur passé. De se souvenir de ce qu’ils ont perdus. De ce qu’ils étaient avant que la vie ne les transforme en quelqu’un d’autres : ils étaient un père, un mari, une fille, une sœur, et ils ne sont plus qu’un homme veuf et sa fille orpheline de mère. Amputés d’une partie de leur identité. Mais tâchant de se convaincre qu’ils s’autosuffisent, qu’ils sont très bien tous les deux, qu’il leur suffit de veiller l’un sur l’autre et de veiller à ne jamais laisser le passé les rattraper. Et pour cela, la meilleure solution, c’est de fuir. De rouler. Sans jamais s’arrêter plus de quelques heures. De se laisser porter par leurs envies du moment, pour ne pas s’attarder trop longuement sur ce dont ils ont envie plus profondément. Mais voilà qu’un caillou se glisse dans l’engrenage : un caillou gros comme des bulldozers, gros comme un projet immobilier. Un caillou gros comme une promesse à tenir coûte que coûte. Gros comme une petite boite à souvenirs enfouis bien profondément dans la terre, et que Coyote se doit d’aller déterrer. Même si c’est interdit. Surtout si c’est interdit. Car Coyote a beau aimé son Rodeo, elle aurait parfois besoin de son Papa …

Mais Coyote et Rodeo ne vont pas rester seuls bien longtemps : nomades au grand cœur, ils n’hésitent pas à ouvrir grande la porte du bus aux voyageurs embarrassés, aux âmes en peine. Et c’est ainsi qu’Ivan, le premier, se fait sa petite place sur le tableau de bord. Ivan le chat, personnage à part entière de ce roman : il représente la première « infraction » de Coyote aux règles bien tranchées de Rodeo. Ne pas s’attacher. Surtout pas à une petite boule de poils qui va crotter partout dans le bus. Mais Ivan est un chat « incroyablement raisonnable et propre pour son âge », alors il a eu le droit de rester. Et non, sa petite bouille adorable n’a absolument pas contribué à faire craquer Rodeo … pas du tout. Et puis, Lester est arrivé. Musicien tourmenté par une histoire d’amour compliqué, il doit absolument se rendre chez sa Tammy pour tâcher d’arranger les choses. Coup de chance pour Coyote, la destination de Lester rapprochera le bus de sa destination à elle en toute discrétion, et en plus, il a le permis (et on avale plus de kilomètres à la journée avec deux conducteurs qu’un seul). Quelques questions plus tard, Lester est accepté à bord. Et s’entend comme larron en foire avec Rodeo. Et puis, voici que Salvador et sa mère rejoignent la petite troupe, fuyant un homme violent et courant après un nouveau travail : Coyote se fait la réflexion que même s’ils sont est de plus en plus à l’étroit dans le bus, ils commencent à ressembler à une drôle de famille, et ce n’est pas si désagréable que cela. D’autant plus que Salvador a tout du meilleur ami idéal : lui aussi a des regrets plein le cœur, et déteste être pris en pitié. Et il ne laisse jamais tomber ceux qu’il aime. Bon point, très bon point. Il ne manque plus que Val, jeune fille chassée de chez elle, et Gladys, dont je ne dirai rien de plus, pour compléter cette improbable compagnie aux quêtes diverses et variées, mais finalement si similaires.

Car ils sont tous un peu cabossés par la vie, chacun à leur manière. Ils cherchent tous à recoller les morceaux de leur existence, sans trop savoir comment. Ils étaient seuls avec leurs peines et leurs doutes, et les voici tous embarqués dans la même galère. Une galère de luxe, avec des plans de tomates à la fenêtre et un chat-thérapeute des plus efficaces (et même une terrasse de toit pour hurler au vent ses secrets les plus intimes, lorsqu’ils deviennent trop lourd à porter pour un petit cœur brisé). Mais une galère tout de même : la vie est parfois une sacrée galère. On avance, ou du moins on essaye, tandis que des vents contraires (les petites et grosses tragédies, les petits et gros problèmes, les petites et grosses peines) vous rejettent sans cesse en arrière. Et on lutte, inlassablement, persuadés que le seul moyen de venir à bout de ces tempêtes est de foncer dans le tas, de foncer dans le brouillard, alors que, peut-être, on devrait accepter d’être rejeté sur le rivage, là d’où on vient, pour rafistoler un peu notre bateau avant de reprendre la mer. De reprendre la route. De reprendre le cours de son existence, regonflé à bloc après avoir fait la paix avec notre passé. Avec nos racines. Qui s’entremêlent aux racines des autres, car c’est ainsi dans les forêts : les arbres sont tous reliés les uns aux autres, dans une immense toile d’entraide et de soutien. Un arbre isolé ne pousse pas. Un arbre entouré se dresse vers le ciel, soutenu par les dons de sève de ses voisins. On a tous un peu des autres en nous, même si on aimerait parfois s’autosuffire, ne pas dépendre de quelqu’un qui pourrait à tout instant nous être arraché. Mais Coyote et ses compagnons de route vont vite comprendre qu’ensemble, on est plus forts …

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : il ne m’a fallu que quelques chapitres pour pouvoir affirmer que ce roman serait un fabuleux, un merveilleux, un absolu coup de cœur. Comment pouvait-il en être autrement ? J’aime les personnages un peu fantasques et cabossés à la fois, j’aime les récits doux-amers, durs et doux à la fois, les romans qui font rire et pleurer tout en même temps. Les histoires qui prennent aux tripes, qui chamboulent, qui bouleversent. Les histoires qui transforment, qui métamorphosent : celles qui nous aident à cheminer dans la vie, parce qu’elles font échos à nos propres doutes, nos propres peurs, nos propres peines. Celles qui redonnent le sourire, qui redonnent des forces, qui redonnent courage. Celles qui tissent un petit cocon de douceurs et de douleurs entremêlées, les premières adoucissant les secondes, les secondes affermissant les premières. Celles qui nous rappellent que même si la vie, parfois, semble prendre un malin plaisir à nous piétiner, à nous cabosser, c’est aussi la vie qui place sur notre chemin ceux qui sauront panser nos blessures et nous aider à aller de l’avant. Celles qui nous rappellent que « le voyage est parfois plus important que la destination », que les imprévus font partie intégrantes de l’existence, mais qu’il ne faut pas les laisser nous arrêter, que les détours sont parfois plus beaux qu’une route bien droite. Et que les amis, c’est un des cadeaux les plus précieux que la vie nous fait : ça, je m’en étais bien rendu compte, justement parce que c’est une amie qui me l’a fourré entre les mains, ce roman sublime ! Alors qu’attendez-vous pour vous l’offrir, et l’offrir à vos amis ?

mercredi 23 mars 2022

Sainte Marguerite-Marie et moi - Clémentine Beauvais

Sainte Marguerite-Marie et moi, Clémentine Beauvais

 Editeur : Quasar

Nombre de pages : 236

Résumé : Rien ne prédisposait Clémentine, agnostique non baptisée, féministe 2.0, écolo végétarienne, à enquêter sur sainte Marguerite-Marie Alacoque, mystique du XVIIe siècle, apôtre du Sacré Cœur. Mais voilà : selon la légende familiale, la religieuse serait une aïeule. Et Clémentine est enceinte, sa grand-mère bien-aimée perd la mémoire… il est temps de partir à la recherche de ses racines.

 Un grand merci aux éditions Quasar pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Mais en réalité je n'ai aucune raison ni aucune envie d'être malveillante. Ma loyauté envers ma grand-mère suffirait à m'interdire toute médisance sur son ancêtre, mais surtout ma curiosité pour la sainte n'est pas feinte ni teintée de sarcasme. Je ne sais pas encore de quoi elle est faite exactement ; par contre, il est très clair dans mon esprit que ce texte doit être lié à moi, faire partie d'un projet autofictionnel : une forme littéraire extrêmement intime, qui m'est jusqu'à maintenant parfaitement étrangère. »

- Mon avis sur le livre -

 Il arrive parfois que les expériences d’écriture et de lecture se répondent, étrangement, étonnamment. Que d’un côté du texte comme de l’autre, les situations de l’auteur et du lecteur entrent en résonnance. Ainsi, rien ne laissait penser à Clémentine Beauvais, agnostique féministe végétarienne anticléricale, qu’elle se laisserait un jour tenter par l’écriture d’une biographie (ou plutôt d’une hagiographie) de sa fort lointaine aïeule « vraiment très catholique car carrément sainte ». Et rien, absolument rien, ne me laissait penser que moi, « très catholique », très pratiquante et très fière de l’être, allait un jour céder à la tentation de lire une hagiographie de la mystique Marguerite-Marie Alacoque, messagère du Sacré-Cœur de Jésus, écrite par une agnostique féministe végétarienne anticléricale ! Pour être vraiment totalement honnête, je nourrissais de très sérieuses et profondes inquiétudes vis-à-vis de ce livre : certes, une amie à moi, ancienne étudiante de la-dite autrice agnostique féministe végétarienne anticléricale, ne cessait de m’affirmer que Clémentine Beauvais était la gentillesse incarnée, et certes, d’autres amies à moi ne cessaient de me chanter les louanges de ses romans jeunesse et de sa plume. Mais tout de même … une autrice agnostique féministe végétarienne anticléricale, écrire sur sainte Marguerite-Marie ! Il fallait oser, de son côté … mais aussi du miens.  

De son ancêtre – qu’elle ne se risquerait pas à qualifier « d’illustre », car dans son milieu, il serait bien préférable de descendre d’une résistante, d’une communarde, d’une révolutionnaire … que d’une obscure mystique du dix-septième siècle –, Clémentine Beauvais ne savait en réalité pas grand-chose. Elle était sainte. Elle a mangé du vomi pour Jésus. Elle a fondé le culte du Sacré-Cœur, quoi que ça puisse être. Bien longtemps, elle s’est contentée de ces connaissances fort lacunaires : elle n’avait absolument aucune raison de s’intéresser plus longuement à cette arrière-arrière-arrière-…-arrière-grande-tante avec laquelle elle ne partage absolument rien. Mais voilà : il s’est avéré que l’homme dont elle portait alors l’enfant est un homme « très catholique », qui sait très bien qui est cette drôle de sainte au nom ô combien « conte-de-féérique ». Et, plus encore, que par son intermédiaire, Clémentine est devenue amie avec une autre « très catholique », qui connait encore mieux sainte Marguerite-Marie Alacoque : elle est éditrice de la communauté de l’Emmanuel, communauté en charge du sanctuaire de Paray-le-Monial, là-même où la fameuse sainte est devenue religieuse et a reçu ces innombrables apparitions du Christ. Et voici que cette éditrice lui propose, sur le ton de la plaisanterie, de rédiger une biographie « happy, fun et décalée » de cette mystique qui, au premier abord, ne semble pas forcément très « happy, fun et décalée » … Et voici que, sans trop réfléchir aux conséquences, Clémentine Beauvais accepte.

Et voici que, un accouchement, un confinement et quelques années plus tard, la fameuse « biographie happy, fun et décalée » se retrouve sur les tables de chevet des lecteurs. Il ne fait aucun doute que le profil de ces lecteurs est très divers : il y a, assurément, ceux qui apprécient les autres romans de l’autrice, qui partagent sans nulle doute sa distance respectueuse (mais surtout de sécurité) avec tout ce qui se rapproche de près ou de loin à la religion (parce que dans leur milieu, « on n’a pas de problème avec les cathos, du moment qu’ils ne font pas des trucs de catho, genre s’opposer à ceci ou cela, tout le monde sait bien de quoi on parle ») … et il y a, sûrement, quelques catholiques un peu plus courageux que les autres, qui ne se sont pas laissé trop effrayer par le fait que l’autrice, quant à elle, défend farouchement tout ce qui nous met mal à l’aise. Il y a un gouffre immense qui sépare les lecteurs de ce roman. Mais il y a un pont : ce lien familial qui unit cette autrice « bien de son temps » et cette sainte très importante pour tous les catholiques se dévouant au Sacré-Cœur de Jésus. Certains arriveront à ce livre par la première, d’autres par la seconde. Et la grande richesse de cet ouvrage … c’est que tous y trouveront leur compte, à condition de faire preuve de la même ouverture d’esprit que Clémentine Beauvais. A la condition d’enterrer bien profondément les préjugés et les a prioris, les jugements et les réticences. Oui, chers lecteurs agnostiques, ce livre parle d’une sainte mystique. Et oui, chers lecteurs catholiques, l’autrice est agnostique et adepte d’un humour débordant … mais tout ira très bien, promis.

Car derrière cet humour mordant se cache un double récit des plus touchants. D'un côté, les confidences de cette jeune autrice qui regrette parfois profondément de s'être plongée dans cet audacieux projet littéraire : comment diable va-t-elle faire pour répondre aux exigences de « ton résolument bienveillant » de son éditrice très catho, et surtout pour ne pas se faire lapider par les activistes féministes qu'elle côtoie chaque jour ? De l'autre, le cheminement spirituel, teinté d'une certaine forme d'exaltation qui frôle la folie douce (ou plutôt furieuse) de la grande sainte qui parvint à imposer la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, tout en se contraignant à des restrictions et pénitences des plus effroyables. Dont Clémentine Beauvais ne cache absolument rien, comparé aux hagiographes catholiques qui, la plupart du temps, éclipsent tout ce qui pourrait heurter la sensibilité des catholiques d’aujourd’hui. Affirmer que sainte Marguerite-Marie a été missionnée par le Christ lui-même pour établir une dévotion particulière envers son Sacré-Cœur, ça, c’est porteur, édifiant, on en fait des vitraux, des exhortations flamboyantes … Mais raconter que la même sainte, tout au long de sa vie, s’est infligée des souffrances aussi horribles que se couper un bout de gencive, se coucher sur une croix couverte d’épines, manger le vomi d’une de ses sœurs malades, et j’en passe (et pas forcément des meilleures), ça fait un peu « tâche ». Mais, s’insurge sa lointaine descendante (pas si détachée que cela, donc), éclipser tout ceci, c’est éclipser tout ce qui faisait de Marguerite-Marie une messagère aussi … remarquable. Aussi efficace, donc.

Et c’est, finalement, ce qui m’a vraiment beaucoup émue dans ce récit : de voir cette jeune femme, agnostique, pas croyante pour deux sous, défendre avec plus de ferveur que grand nombre de croyants eux-mêmes cette sainte à la personnalité controversée. Et surtout, de la voir essayer de comprendre cette jeune femme si différente d’elle au premier abord … et de la voir se rendre compte que, d’une certaine manière, elles se ressemblent tout de même bien plus qu’elle ne pouvait et ne voulait bien l’imaginer. Ce livre, c’est aussi cela : ce cheminement. N’allons pas jusqu’à dire spirituel, car Clémentine Beauvais ne s’est pas brusquement convertie dans une extase digne de sa lointaine ancêtre (dommage, ça aurait eu un grand potentiel dramatique). Mais tout de même : on sent bien qu’entre la première et la dernière page, entre le moment où Clémentine s’est embarquée dans cette épopée littéraire et le moment où elle pose le point final, quelque chose s’est passé. Quelque chose a changé. Quelque chose a été chamboulé, ébranlé. Car même si l’autrice s’efforce de le masquer en surenchérissant de réflexions ironiques, même si elle s’efforce de se le masquer en se réfugiant derrière cet humour à toute épreuve qui l’évite de s’y confronter en face … ça ne fait aucun doute que Clémentine Beauvais n’est plus si insensible, si distante, si indifférente, face à cette lointaine aïeule auréolée de sainteté. Si le lecteur est si touché, c’est peut-être parce que l’autrice aussi a été touchée. Pas par la grâce. Mais peut-être par une certaine forme de communion … de compréhension nouvelle.

En bref, je pense qu’il vaut mieux que je m’arrête là, sinon je vais tourner en rond, mais vous l’aurez bien compris : moi qui nourrissais quelques inquiétudes au moment de commencer ce récit (et qui n’aurai peut-être même pas pris le risque de le lire sans le petit coup de pouce de la Masse critique de Babelio), j’ai été non seulement très agréablement surprise, mais surtout très profondément touchée. En tant que catholique, j’ai bien évidemment apprécié d’en apprendre un peu plus sur la vie de sainte Marguerite-Marie Alacoque, sur son enfance, mais aussi sur sa personnalité (pour le moins unique, pour ne pas dire totalement extravagante). Et en tant que lectrice, j’ai également apprécié en apprendre un peu plus sur Clémentine Beauvais, dont mes amies ne cessaient de me parler, et dont j’ai désormais plus envie que jamais de découvrir les romans jeunesse. Avec ce petit livre indéfinissable (ni complétement une hagiographie, ni totalement une autofiction), l’autrice réussit l’incroyable pari de réunir deux mondes, deux milieux, qui semblaient totalement inconciliables … mais clairement, je pense que ce livre peut énormément plaire à tous les lecteurs, ceux de Clémentine Beauvais et ceux des éditions de l’Emmanuel. Ceux qui « parlent au futur inclusif » et ceux qui vont à la messe entre midi et deux. Différents, oui, mais pas irréconciliables. Il suffit peut-être d’une bonne petite pincée d’humour, et d’une délicate pointe de tendresse, pour concocter un ouvrage rafraichissant, émouvant, et vraiment très intéressant. Un vrai petit bijou !