Un prince sans royaume
Editeur : Gallimard jeunesse
Nombre de pages : 393
Résumé : New York, 1936. Accroché au sommet des gratte-ciel, Vango poursuit l'homme qui a causé son malheur et détient le secret de sa naissance. Mais la fuite de Vango ne connaît pas de trêve. Qui est le chasseur et qui est la proie ? L'amour d'Ethel survivra-t-il à tant de tempêtes ?
« - Qui peut voler des chaussures ?
- Peut-être quelqu'un qui voulait t'empêcher de le suivre, répondit Zefiro assez bas. Quelqu'un qui ne voulait pas que tu démolisses tout son travail.
Vango s'immobilisa. Il releva la tête, la baissa pour observer les chaussures, la leva encore pour regarder Zefiro au milieu des fleurs de cosmos. Oui, ces chaussures allaient à Vango. Elles lui allaient à merveille puisque c'était les siennes.
Zefiro riait.
- Padre..., murmura Vango.
Il ne pouvait pas le croire. Saboteur, poseur de bombe, assommeur de cheminot, voleur de chaussures, c'était beaucoup pour un seul ecclésiastique. »
Plus de deux-tiers de ma (gigantesque) pile à lire est composé de tomes de saga, et environ un tiers d’entre eux sont des premiers tomes … Autant vous dire que j’ai de la réserve pour plusieurs années et que je ne sais plus trop où donner de la tête lorsque me vient l’envie de débuter une nouvelle saga ! Alors cette année, histoire d’y voir un peu plus clair dans mes étagères, j’ai décidé de me tourner vers les dyptiques et trilogies, des sagas suffisamment courtes pour pouvoir les lire d’une traite et ne pas faire grossir la liste des sagas en cours de lecture. Jusqu’à présent, ce n’était pas mon format favori : vous le savez, je suis plutôt une adepte des longues sagas, des interminables sagas même. Mais je dois bien reconnaitre que plus le temps passe, plus j’apprécie ces petites sagas, qui représentent une pause fort bienvenue entre deux fournées de services presse de genres variés. Une petite parenthèse plus conséquence qu’un one-shot, mais pas aussi envahissante qu’une saga de douze opus ! Et quand le dyptique en question est sublime, la parenthèse n’en est que plus agréable …
Bien décidé à en apprendre plus sur son passé, le jeune Vango s’embarque pour New York. Il espère bien y trouver l’assassin de ses parents, cet homme qui n’a pas hésité à tuer ses propres alliés pour récupérer leurs parts du butin. Il compte bien lui faire cracher leurs noms, pour reconstituer le fil de son existence. Qui est-il, d’où vient-il, et surtout pourquoi a-t-il tant de gens à ses trousses ? Tandis qu’il se rapproche du champ d’atterrissage du nouveau dirigeable de son vieil ami Hugo Eckener pour lui demander son aide dans sa recherche, il distingue un visage connu parmi la foule : c’est Zefiro ! Le Padre Zefiro, qui a abandonné son monastère invisible, laissant ses pauvres moines désemparés, qui ne l’avait même pas reconnu la dernière fois qu’ils s’étaient croisés ! Partagé entre la joie de l’avoir retrouvé et la peur de le voir disparaitre à nouveau, Vango se lance à sa poursuite … sans se douter que sa seule présence dans le train va être le grain de sable qui va enrailler tout le plan bien rodé du pauvre homme ! Sans se douter non plus du désespoir d’Ethel, là-bas dans son château en Ecosse, sans se douter des tracas du commissaire Boulard qui a mis les pieds dans une drôle de fourmilière, sans se douter que Mademoiselle tente par tous les moyens de lui envoyer une lettre …
« Une histoire comme celles qu’on raconte aux petits enfants », songe le vieux Zefiro lorsque Vango lui relate ses dernières découvertes sur son passé. Et c’est un peu ce que ressent le lecteur également : des pirates et un trésor, un commissaire qui dort dans son bureau avec pour seul oreiller une boite d’archives, une princesse en exil dans un château écossais où une biche fait tourner le jeune palefrenier en bourrique, une femme qui tente toutes les ruses pour poster une lettre au nez et à la barbe des soldats de Staline, une gamine justicière qui glisse sur les toits de Paris, un vieux moine qui se perche dans une tour en construction pour traquer et éliminer un as de la mafia … Dans ce roman pourtant bien ancré dans la grande et terrible Histoire, à l’approche de la Seconde Guerre Mondiale, l’auteur nous invite à suivre des personnages qui semblent tout droit sorti des contes de fées. J’aime vraiment beaucoup ce décalage entre la lourdeur croissante du contexte historique et l’étrangeté de nos héros qui ne semblent pas tout à fait à leur place dans ce monde. Comme si on les avait parachuté là un beau matin, mais qu’il restait tout au fond d’eux-mêmes un peu de poussière d’étoile : ils sont de ceux qui n’entrent pas dans le moule, de ceux qui gardent toujours en eux un peu de ce mystère céleste.
Mystère … C’est clairement le mot qui résume le mieux cette histoire. Tout n’y est que mystères, des mystères qui s’entremêlent délicatement, de façon parfois surprenante. On a vraiment le sentiment que tous ces personnages sont liés les uns aux autres par une immense toile : la quête de l’un rejoint l’enquête de l’autre d’une manière tout à fait déconcertante. Et les agissements de l’un à un bout de la planète vont avoir des retentissements sur la vie de l’autre à l’autre bout du monde. J’aime vraiment beaucoup cette interdépendance entre toutes ces existences, toutes ces facettes d’une même humanité où se côtoient le meilleur et le pire. C’est vraiment un livre qui nous rappelle que rien n’est jamais totalement blanc ni totalement noir. Parce que nous savons qu’Andreï agit sous la menace de voir toute sa famille tuée s’il ne ramène pas Vango à ses commanditaires, nous ne pouvons pas seulement le haïr mais aussi le plaindre, alors qu’Ethel ne voit qu’en lui qu’un homme mauvais puisqu’elle est persuadée qu’il en veut à son cher Vango. C’est un livre qui nous rappelle que les apparences sont parfois trompeuses et qu’il ne faut pas juger trop vite au risque de faire de grosses erreurs ... et celles-ci peuvent avoir des conséquences dramatiques.
Le drame est aussi bien présent dans ce deuxième opus, bien plus sombre que le précédent. Plus d’une fois, nous avons vraiment peur pour nos nombreux héros, et contrairement au premier tome, tous ne s’en sortent pas à tous les coups. Alors bien sûr, il y a toujours de ces retournements de situation à la toute dernière seconde, ces rebondissements qui semblent en agacer certains mais que j’ai personnellement beaucoup aimés car il y a rien de mieux que les sauvetages in extremis dans un récit d’aventure tel que celui-ci ! On les attend, ces moments où tout semble définitivement perdu et hors de contrôle, mais où l’ingéniosité, le courage et la vivacité de nos héros leur permettent de se sortir des situations les plus périlleuses qui soient. Comme nous retrouvons vraiment notre âme d’enfant en lisant ce roman, nous retrouvons également notre gout pour les coups de théâtre salvateurs de ce genre ! De même, si certains considèrent qu’il est de mauvais gout d’insérer ci et là des pointes d’humour avec un tel contexte historique, j’ai pour ma part beaucoup aimé ces petits badinages et ces dialogues à la limite de l’absurde qui font toute la saveur et l’unicité de ce récit : avec de tels hurluberlus comme personnages principaux, c’est somme toute tout naturel que nous souriions de temps à autres !
En bref, vous l’aurez bien compris : je crois bien avoir même préféré ce second opus au premier, ce qui n’est pas peu dire si on se souvient que le premier avait été une merveilleuse surprise ! J’ai vraiment trouvé ce tome plus profond, plus émouvant : nos héros ne se contentent plus de fuir pour survivre, ils ne se contentent plus de se planquer pour survivre, ils décident vraiment de prendre leur vie en main et de cesser de subir passivement les événements. Ils sentent que l’heure est venue pour eux d’agir. Quitte, cette fois-ci, à se mettre en danger. Quitte à avoir du sang sur les mains et sur la conscience, quitte à trahir un commandement divin pour honorer une promesse et assurer la sécurité des innocents que l’on aime. C’est parce qu’ils ne sont pas des héros sans tâches, parce qu’ils doutent, qu’ils se trompent et qu’ils se parjurent, que les héros de ce roman sont aussi humains et attachants : on se sent bien plus proches d’eux grâce à leur imperfection même. Et on a envie de leur ressembler parce qu’ils nous montrent quand même un chemin d’héroïsme. Une chose est sûre, j’ai vraiment suivi leurs aventures avec un bonheur immense, et il ne fait aucun doute que ce dyptique m’a réconciliée avec la plume sublime de Timothée de Fombelle !