samedi 27 août 2022

Les enfants du Préventorium - Fabien Clavel

Les enfants du Préventorium, Fabien Clavel

 Editeur : Fleurus

Nombre de pages : 241
Résumé : Article 2048. Tout enfant présentant un caractère potentiellement déviant devra, dès l'âge de 3 ans, être retiré à ses parents pour être interné au Préventorium. Ce que la loi n'avait pas prévu, c'est que les traitements administrés doteraient les enfants de pouvoirs psychiques étonnants ... Anaël, Miklos, Untu, Léana et Jão ont grandi ensemble dans le Préventorium. Mais, quand ils découvrent que le plus jeune d'entre eux, Jão, est atteint d'un cancer incurable, ils commencent à remettre en question le discours des adultes qui les encadrent. Les adolescents sont désormais prêts à tout pour percer les mystères de l'institut et tenter de s'évader.

 Un grand merci aux éditions Fleurus pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Ici, contrairement aux histoires qu’on lit, nous n’avons pas de parents. Yasu dit que ce n’est pas la peine. Alors, dans les contes qu’invente Léana, il y a souvent un père et une mère. […] Nous sommes habitués à ça mais, pour Jao, ça reste difficile. Il s’endort souvent en pleurant et en réclamant ses parents. Pourtant, quand on lui demande de nous en parler, il n’en a aucun souvenir. Comme nous.  »

- Mon avis sur le livre -

 Il semblerait que dans le monde littéraire comme ailleurs, je sois le vilain petit canard, celle qui pense toujours différemment des autres. Je vais ainsi tomber en amour profond pour des ouvrages que l’écrasante majorité dénigre – je pense ici à l’atypique Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver de Noémie Wiorek pour lequel j’avais eu un immense coup de foudre, mais qui semble perçu comme plat, pénible et lourd par tous les autres lecteurs … Et de l’autre côté, je vais totalement passer à côté d’ouvrages unanimement encensés, me demandant du début à la fin ce que peuvent bien leur trouver la masse, et bien sûr, la déception est d’autant plus grande qu’on me les vendait comme des chefs d’œuvre inimitables et inoubliables. Alors bien sûr, tout le monde vous dira que « les gouts et les couleurs, ça ne se discute pas » … mais il y a quand même un petit quelque chose de fort déconcertant d’avoir si régulièrement des avis diamétralement opposés à ceux de tous les autres lecteurs. Une fois, on se dit, c’est normal. Deux fois, pourquoi pas. Mais quasiment systématiquement ? On se dit qu’il doit y avoir quelque chose qui cloche chez nous, qu’on est définitivement pas constitué comme les autres. Et surtout, en tant que chroniqueuse, j’en viens à me demander si cela vaut encore la peine : mes avis peuvent-ils réellement aider quelqu’un, puisque je suis celle qui n’aime jamais rien comme les autres ? Et puis, je me dis : mais que serait le monde sans un peu d’anormalité, sans un peu d’étrangeté ? Si je me tais, n’est-ce pas faire gagner la tyrannie de la standardisation ?

Ne serait-ce pas la première étape vers la création des Préventorium, ces centres dans lesquels on enferme les gamins au comportement déviant ? Comme environ 15% des enfants testés depuis l’instauration de la loi, Anaël, Miklos, Untu, Léana et le tout jeune Jão ont été jugés « incapables de répondre de manière adaptée à l’agressivité interne ou externe à laquelle ils étaient confrontés », et ont donc été placés dans un Préventorium, afin de subir un traitement qui effacerait ces comportements violents. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, ces enfants devenus adolescents passent de leur dortoir à leur salle de cours, du réfectoire à la petite cour, du couloir au laboratoire. Chaque jour la même routine, inlassablement. Jusqu’au jour où un incident vient briser cet enchainement discontinue de journées rigoureusement identiques. Jusqu’au jour où une question s’impose au petit groupe : les adultes leur disent-ils vraiment toute la vérité ? Et si tout ce qu’on leur avait raconté, pour ne pas dire rabâcher, depuis leur plus tendre enfance n’était que des mensonges ? Et si le Préventorium n’était pas là pour les protéger et les soigner comme on ne cesse de le leur répéter, mais plutôt pour les enfermer et protéger les autres d’eux ? Et si ce qu’ils prenaient jusqu’alors comme leurs « petites particularités » étaient en réalité de véritables et dangereux pouvoirs ? Lorsqu’ils découvrent que le petit Jão, le plus jeune du groupe, est terriblement malade, ils décident de tenter le tout pour le tout pour réaliser son plus grand rêve : retrouver ses parents …

A la lecture du résumé, ce qui m’a véritablement donné envie de découvrir ce roman, c’est toute cette affaire de Préventorium. « Tout enfant présentant un caractère potentiellement déviant devra, dès l’âge de trois ans, être retiré à ses parents pour être interné au Préventorium » … Au nom de la sécurité, de la prévention de la délinquance, la législation prévoit d’arracher des gosses de trois ans à peine à leur famille pour les parquer dans des centres pseudo-médicaux afin de « soigner » cette prédisposition à la violence et au crime. Plus encore, au nom de la sécurité, on n’hésite pas à inoculer à des gosses une molécule dont on ne connait pas les effets secondaires, on exploite ces enfants comme des rats de laboratoire sous prétexte que des tests psychologiques effectués à l’âge de deux ans révèlent qu’ils sont des meurtriers en devenir. Que ne fait-on pas au nom de la sécurité ! Imaginez : dans certains cas, ce sont les parents eux-mêmes qui, trouvant leur enfant « trop difficile », les abandonnent au Préventorium. Car c’est bien connu : un enfant qui rechigne à manger ses épinards ou à faire sa sieste sans pleurer tuera père et mère dans quelques années … La formulation même de la loi fait froid dans le dos : « potentiellement déviant ». Littéralement «  qui risque de s’éloigner de la norme ». Il suffit donc d’avoir la suspicion que l’enfant ne rentrera pas dans le moule pour justifier son internement. Tyrannie de la standardisation poussée à son extrême : il faut protéger la société de ces individus atypiques, différents. Anormaux, donc dérangeants. Effrayants, même.

Le problème, c’est que cet aspect des choses … n’est que survolé. C’est vaguement évoqué pour justifier l’existence du centre dans lequel sont enfermés nos jeunes héros, pour donner un cadre à leur enfermement, mais rien de plus. C’est fort dommage, car à lire quelques chroniques par-ci par-là, c’est tellement peu expliqué que beaucoup semblent ne pas avoir tout compris : il faut vraiment se concentrer pour remettre les pièces du puzzle en place et ne pas faire de contresens malheureux. Plus généralement, je trouve que c’est un récit qui manque sérieusement de consistance, de profondeur : tout va beaucoup trop vite, tout manque d’approfondissement. Tout s’enchaine à un rythme qui se veut trépidant, mais qui donne plutôt le sentiment de lire un synopsis, tout au plus un premier jet : il se passe ci, puis ça, et encore ceci, et enfin cela. On passe directement de A à Z sans transition aucune. Pendant douze ans, les occupants du dortoir B ne se sont jamais posé la question de savoir s’il y avait un dortoir A, pendant douze ans, ils ont à peine chercher à savoir pourquoi ils ne pouvaient ni sortir ni recevoir de visites de leurs parents, pendant douze ans ils ont accepté les médicaments sans même savoir de quelle maladie ils souffraient … et hopla, du jour au lendemain, ils se posent tellement de questions qu’ils vont voler leurs dossiers médicaux et contacter l’extérieur. En l’espace de douze ans, ils n’ont jamais pu ne serait-ce qu’aller dans la cour sans en avoir l’autorisation car les gardes sont très vigilants et inflexibles, et voilà qu’ils réussissent une évasion du premier coup sans rencontrer de véritable résistance … Et ainsi de suite.

C’est d’autant plus dommage que même la révélation finale, supposée être incroyable, nous laisse quelque peu de marbre. Alors bien sûr, c’est pour le moins inattendu … mais peut-être trop inattendu, justement. C’est trop gros, ça tombe comme un cheveu sur la soupe tel un deus ex machina des plus lourdauds … et des plus inutiles, puisqu’à peine la « bombe » lâchée, on jette négligemment le mot fin. Tout ça pour ça, en somme. L’auteur s’est bien joué du lecteur, il l’a mené par le bout du nez du début à la fin, très bien … mais à part la satisfaction d’avoir berné le lecteur, qu’est-ce que cela apporte véritablement ? Le plot twist est superbement bien mené, rien à redire, mais je n’en vois pas l’intérêt narratif. L’intérêt pour l’histoire. D’autant plus qu’il ne faut pas se mentir : celle-ci manque déjà quelque peu d’originalité (les gamins cobayes qui développent des super-pouvoirs, ça n’a plus rien de révolutionnaire de nos jours). Il aurait donc fallu que le dénouement, que la fin, change de l’ordinaire, apporte un petit quelque chose de nouveau au genre. Un peu d’audace, nom d’un petit bonhomme en mousse ! Ce n’est pas parce qu’on destine un livre au jeune public qu’il faut rester bien sagement dans les sentiers battus, qu’il faut rester dans ce qui déjà vu et revu : même le jeune lecteur aura le sentiment d’avoir « déjà lu » ça quelque part, et il n’aura pas tort. Et comme tout va très vite, il n’aura même pas la possibilité de s’attacher véritablement à un personnage : ils forment une sorte d’entité indéfinie, mais leur individualité est à peine effleurée. A part le narrateur qui attire un tantinet plus de sympathie, on n’arrive pas vraiment à se sentir concerné par leur sort, ils restent d’illustrés inconnus, des prénoms posés sur le papier, sans consistance.

En bref, vous l’aurez bien compris : j’attendais énormément de ce roman, d’autant plus que j’avais beaucoup apprécié Asynchrone du même auteur, mais j’ai été quelque peu déçue. Alors bien sûr, ça reste une lecture sympathique, sans aucune prise de tête, divertissante … Mais il m’a vraiment manqué quelque chose pour être véritablement convaincue par ce récit qui manque selon moi d’originalité et de profondeur : je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages, et je n’avais aucune raison de m’en faire pour eux puisque tout leur tombait tout cuit dans le bec. Et surtout, je n’ai pas ressenti le moindre enjeu : ok, ils veulent sortir, c’est parfaitement normal. Et oui, bien sûr, ils voudraient retrouver les parents du petit Jão, c’est plutôt gentil de leur part. Mais après ? Et bien après, rien. Baissez le rideau. Secouez-le vaguement avec une ultime révélation pour faire genre qu’il y a quelque chose derrière. Et éteignez les lumières : le spectacle est fini. C’est vraiment dommage, car je trouve qu’il y avait de bonnes idées derrière, qu’il y avait du potentiel, mais rien n’a été exploité, juste effleuré, juste survolé. Alors peut-être qu’une suite est prévue, je ne sais pas, rien ne l’indique en tout cas … Mais je l’avoue, même si je suis curieuse de savoir les répercussions de cette évasion, à la fois pour nos jeunes héros et pour tout le système, je ne suis pas certaine d’avoir vraiment envie de lire cet hypothétique second opus : je me suis un tantinet ennuyée avec celui-ci. Mais si cela peut vous rassurer, je suis vraiment l’exception qui confirme la règle, car tous les autres avis que j’ai eu l’occasion de lire sont pour le moins dithyrambiques : puisque je n’ai pas aimé plus que cela, je pense que les autres lecteurs vont tous adorer, vous y compris ! Je reconnais ne pas comprendre ce qu’ils y trouvent de si extraordinaire, mais si tout le monde le dit, ils ont sûrement raison !

samedi 20 août 2022

Anne et sa maison de rêve - Lucy Maud Montgomery

Anne et sa maison de rêve, Lucy Maud Montgomery

 Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Nombre de pages : 330

Résumé : Après trois années passées à Summerside à faire des rencontres toutes plus surprenantes les unes que les autres, Anne Shirley quitte le lycée dont elle avait la direction et la charmante pension de Windy Willows et s’apprête à entamer un nouveau chapitre de sa vie aux côtés de son fiancé, Gilbert Blythe, à Four Winds, dans un coin de paradis de l’Île-du-Prince-Édouard.

 

 

 

 

- Un petit extrait -

« Les oiseaux chantent rarement en septembre, mais lorsque Anne et Gilbert prononcèrent leurs vœux éternels, l’un d’eux gazouilla depuis quelque branche cachée. Anne l’entendit et en frémit de plaisir ; Gilbert l’entendit et s’étonna que tous les oiseaux du monde n’aient pas déjà entonné un hymne de joie ; Paul l’entendit et écrivit plus tard une phrase à ce propos qui devint l’un des vers les plus prisés de son premier recueil de poésie ; Charlotta IV l’entendit et eut la béate certitude que c’était un signe de chance pour sa M’dame Shirley adorée. L’oiseau chanta jusqu’à la fin de la cérémonie qu’il conclut avec un petit trille saisissant, un petit trille ravissant. »

- Mon avis sur le livre -

 «  Une maison de rêve, c’est là où résonnent les conversations intimes et les rires de nos amis, c’est aussi le lieu où entouré d’âmes échouées et magnifiques, on peut combattre la douleur et retrouver l’espoir, un endroit d’où l’on repousse les ombres et où l’on accueille la vie » : voici comment Monsieur Toussaint Louverture introduit ce nouvel opus des aventures d’Anne, la petite orpheline aux cheveux flamboyants qui a su conquérir le cœur de ses lecteurs aussi sûrement que celui de son cher et tendre Gilbert. Quel alléchant programme que celui-ci, ne trouvez-vous pas ?! Malgré l’inévitable petit pincement au cœur au moment de quitter définitivement Green Gables, de laisser derrière nous Marilla, Diana, Madame Lynde, Davy et Dora, c’est avec un petit frisson d’allégresse que nous suivons nos deux jeunes et heureux mariés dans la petite baie de Four Winds, à la rencontre de leur douce « maison de rêve » et de leurs nouveaux amis. Avec Anne, il n’y a d’adieux qui ne soient suivis de délicieuses rencontres, ni de fins qui ne soient talonnées de nouveaux départs. Ame sage en dépit de son insouciante jeunesse, Anne saisit chaque occasion de créer de formidables souvenirs pour l’accompagner tout au long de son existence : résolument tournée vers l’avenir, elle ne garde que le meilleur du passé et ne laisse jamais la nostalgie entraver sa folle épopée. Rien d’étonnant qu’elle s’entende si bien avec le Capitaine Jim : à chaque nouvelle étape de sa vie, Anne ne demande qu’à « prendre le large », tel un vieux marin ne songeant qu’à prendre la mer …

 Plus que jamais, la plume délicate, élégante, raffinée de Lucy Maud Montgomery nous ensorcelle. Elle nous transporte presque physiquement sur ce majestueux et sauvage rivage de rochers ocre où le « docteur » Blythe et sa flamboyante épouse viennent de poser leurs bagages : nul besoin de posséder l’imagination débridée d’Anne pour voir se dessiner devant nous ces paysages enchanteurs, pour entendre les murmures des sapins qui dansent avec le vent, pour ressentir toute la chaleur qui se dégage de la cheminée de leur « maison de rêve ». Plus qu’une simple maison, cette charmante petite bâtisse ne tarde pas à devenir un véritable foyer : lieu de toutes les joies, mais aussi de toutes les peines, théâtre des éclats de rire entre amis, mais aussi des différends occasionnels. Avec son charmant petit jardin fleuri, son allée de peupliers et son bosquet de bouleau, son petit ruisseau, la demeure semble tout droit sortie d’un conte de fée : assurément l’endroit parfait pour quelqu’un comme Anne, qui, bien que devenue une jeune femme tout ce qu’il y a de plus raisonnable et sensée, n’en reste pas moins cette enfant rêveuse et passionnée qui ne jure que par le romantisme et la poésie. Que ne donnerais-je pas pour me glisser dans le salon de cette petite maison, qui a tout d’un petit paradis sur terre ! Et parce qu’Anne est Anne, il ne fait aucun doute qu’elle ouvrirait grande la porte de ce petite chaumière, et plus grandes encore celle de son cœur : loin de garder jalousement son bonheur, la jeune Madame Blythe ne demande rien de plus qu’à le partager tout autour d’elle, aussi généreusement que le phare de Four Winds brise la nuit sombre de son éclatante lumière.

Si Anne a toujours aimé « les joyeux petits moments avec les gens », elle ressent désormais sans pouvoir se l’expliquer le besoin de fonder des amitiés plus solides, plus profondes. Jusqu’alors attirée par les âmes aussi lumineuses que les siennes, Anne se tourne désormais vers les cœurs alourdis par le fardeau de la vie, vers les âmes assombris par les défis incessants de l’existence. Elle pressent que ces amitiés, autrement plus « laborieuses » et « exigeantes » que les camaraderies spontanées qu’elle a su suscité jusqu’à présent, sont de celles qui se nouent pour toute une vie. De celles que les épreuves ne déchirent pas, mais affermissent plus encore. De celles que les souffrances ne brisent pas, mais cimentent plus encore. Anne découvre que même les plus belles amitiés peuvent être teintées d’une pointe d’amertume et de jalousie, de regrets et de mélancolie. Que l’on peut aimer profondément quelqu’un tout en le haïssant par moment. Anne apprend que l’amitié, tout comme la vie, est d’autant plus belle lorsqu’on a lutté pour elle. Lorsqu’on refuse de la laisser s’effilocher à la moindre vexation, à la première contrariété, lorsqu’on s’obstine à offrir son amitié même lorsque l’autre semble ne pas vouloir la recevoir. Mais aussi lorsqu’on accepte l’amitié offerte, même et surtout dans les moments où on n’en veut pas. Parce que rien n’est plus difficile que de céder une petite place à l’amitié lorsque la souffrance semble occuper tout l’espace, lorsque la peine fait naitre le désir viscéral de se replier sur soi-même, à la fois parce que la gentillesse blesse et pour ne pas blesser les gentils.

Car ni la plus accueillante des maisons de rêve, ni la plus sincère des amitiés, ne peut protéger contre les « abîmes du désespoir » qu’Anne évoquait dans sa prime jeunesse, sans se douter de leur profondeur ni de leur noirceur. Après avoir expérimenté la plus viscérale des joies, notre pauvre Anne va affronter la plus cruelle des souffrances, voyant son rêve le plus cher se briser en des milliards de petits morceaux de verre qui entaillent son pauvre petit cœur encore si innocent. Si vous saviez comme j’ai pleuré, en dépit de toute la pudeur et la délicatesse que l’autrice manie pour atténuer cette horrible épreuve ! J’ai pleuré comme on pleure sur la détresse d’une amie chère, d’une sœur aimée. J’ai pleuré comme on pleure sur le sort injuste et funeste d’un innocent, sur l’insouciance définitivement perdue, piétinée. C’est dans le fracas d’une tornade dévastatrice que s’envole l’enfance d’Anne, et non dans la quiétude d’une délicate brise qu’elle aime tant … Et ce double et tragique « baptême de douleur » transforme profondément notre Anne adorée. En mieux. Alors bien sûr, ça fait un petit pincement au cœur de voir s’effilocher l’insouciance enfantine qui caractérisait la petite orpheline arrivée à Green Gables, mais Anne y gagne une certaine sagesse d’esprit qui s’entremêlé à sa grandeur d’âme et sa bonté de cœur pour faire d’elle la plus tendre, la plus loyale, la plus attentionnée et la plus délicate des amies possibles. Moins impulsive, elle réfléchit désormais aux conséquences de ses actes avant de foncer tête baissée, bien consciente désormais que, parfois, en voulant bien faire, on ne fait qu’attiser un peu plus les peines et les tourments. Moins envahissante, elle sait désormais quand il est préférable de s’éclipser, car elle sait désormais que, parfois, la présence la plus réconfortante est la solitude.

Il y a donc dans ce roman un clair-obscur des plus délicats et exquis, un sobre et tendre équilibre entre la joie la plus pure et la peine la plus incisive. Il y a l’amour incroyable d’Anne et Gilbert, qui s’aimaient déjà tant en tant qu’amis, en tant que fiancés, et qui s’aiment chaque jour plus encore en tant que jeunes mariés. Il y a la beauté grandiloquente de ce petit bout de terre qui accueille leur petite maison, la grandeur de l’océan, la magnificence du ciel, le charme des plages et la majesté de ce phare où habite un marin conteur au grand cœur. Il y a l’amitié qui unit tout ce beau petit monde, du jovial mais nostalgique Capitaine Jim à la dévouée et hantée Leslie en passant par l’acariâtre mais généreuse Cornelia. Il y a, comme toujours, les réjouissantes petites bizarreries de la nature humaine, les petites manies hilarantes, les histoires abracadabrantes, les petits conflits plus ou moins amicaux. Il y a la vie qui se déploie, qui a toujours le dernier mot, quoi qu’il arrive, même quand les épreuves semblent insurmontables, même quand les douleurs semblent interminables. Il y a donc aussi les incessantes journées pluvieuses, orageuses, les tempêtes de la vie qui se reflètent dans la météo indomptable de la petite baie. Il y a les peines, il y a les peurs, il y a les colères également. Il y a la mort qui rode, qui menace, qui dévore. Il y a les conflits qui dégénèrent en drame, les drames qu’on ne peut oublier, ceux qu’on  aimerait éviter. Oui, assurément, cet opus est autrement plus sombre que les précédents, mais les Ténèbres sont toujours vaincues lorsque se lève le soleil : la lumière, la douceur, gagnent à tous les coups.

En bref, vous l’aurez bien compris, une fois encore, je ne sais en réalité pas quoi dire : j’ai le sentiment que chaque nouvel opus des aventures d’Anne est encore plus extraordinaire que le précédent, plus émouvant et plus palpitant encore. Plus réconfortant et apaisant, également : il y a ce petit quelque chose, indéfinissable et indescriptible, qui me fait un bien fou, qui apaise toutes mes angoisses et tous mes chagrins. La plume de Lucy Maud Montgomery y est peut-être, sans doute, pour quelque chose : avez-vous déjà vu et lu quelque chose d’aussi joliment écrit ? Je me noie de bonheur dans ces descriptions, si délicatement poétiques, toutes emplies d’une espèce de tendre mélancolie, de douce rêverie. Je m’enivre de ces phrases, si habilement tournées, de leur dansante sonorité, je les murmure, je les déclame, je les savoure. Et il y a, aussi et surtout, le personnage d’Anne en lui-même : en elle j’ai trouvé une âme sœur, l’amie que j’ai si longuement et si vainement cherchée, la sœur que j’aurai pu avoir. Elle me rappelle un peu l’enfant que j’étais, et je pense que j’aimerai être la femme qu’elle est devenue. Je lui envie son indéfectible gout de vivre, sa spontanéité, sa résilience, sa confiance, son audace. J’aimerai, comme elle, être capable de semer la joie là où je passe. Anne est tout à la fois un miroir et un modèle, comme si elle était celle que j’aurai pu devenir. Dans un autre monde. A une autre époque. Alors, faute de pouvoir changer de monde ou d’époque, je me contente de chercher un peu de sérénité et de bonheur au détour de ces pages, picorant un chapitre par-ci par-là lorsque le besoin s’en fait sentir, comme pour confier à cette amie de papier tout ce qui me pèse, piochant en contrepartie un petit peu de cette lumière qu’Anne dégage, envers et contre tout …

samedi 13 août 2022

Come Find Me - Megan Miranda

Come find me, Megan Miranda

 Editeur : Bayard

Nombre de pages : 425

Résumé : Depuis qu’elle a survécu au drame qui a frappé sa famille, Kennedy, seize ans, n’a plus qu’un but : poursuivre les recherches que menait son frère sur l’Univers et la vie extraterrestre. Nolan, jeune lycéen d’une ville voisine, est, quant à lui, déterminé à découvrir ce qui est véritablement arrivé à son frère, disparu sans laisser de trace. Kennedy et Nolan ne se connaissent pas, mais leur quête va les mener au même étrange signal. Une fréquence négative qui ne devrait pas exister. Un message qui semble les alerter. Mais la menace qui plane sur eux peut-elle encore être écartée ?

 Un grand merci aux éditions Bayard pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« La plupart des gens ont besoin de preuves pour croire. Mais, à mon avis, ça marche peut-être dans l'autre sens. Peut-être qu'on commence par croire, que cela nous change et, du coup, ça nous rend capables de percevoir d'autres possibilités. »

- Mon avis sur le livre -

 La raison peut-elle tout expliquer ? Tout du moins notre monde s’efforce-t-il de le croire (quand bien même une croyance peut être parfaitement irrationnelle, c’est une contradiction qu’il est politiquement incorrect de pointer du doigt) : quoi qu’il arrive, nous cherchons toujours à apporter une explication logique, cartésienne, quitte à occulter les éléments qui contredisent cette-dite explication, quitte à extrapoler pour mieux la faire tenir debout. Et pourtant, parfois, on a beau tourner et retourner la question dans tous les sens, difficile de trouver une justification purement rationnelle. Ainsi, comment expliquer qu’une petite fille hospitalisée, entendant débarquer des dizaines et des dizaines d’ambulances chaque jour, se soit réveillée en panique au beau milieu de la nuit au son d’une sirène, sans savoir que c’était sa maman qui était transportée aux urgences ? Et comment expliquer qu’un jeune homme habitant en ville, et voyant passer des dizaines et des dizaines de voitures de police chaque jour, se soit senti paniqué en en voyant une passer, sans savoir que c’était sa maman qui avait eu le léger accident de voiture vers lequel ils se précipitaient ? Une ambulance fait le même bruit qu’une autre ambulance, quand bien même elle transporte votre maman. Une voiture de police ressemble à une autre voiture de police, quand bien même elle se dirige vers votre maman. Il y en aura toujours pour soutenir qu’il y a une seule et unique explication possible à ces pressentiments, et qu’elle est seulement et purement rationnelle … mais ne peut-on pas envisager qu’il y ait autre chose que la seule raison en ce bas-monde ? A trop suivre la raison, ne risquons-nous pas de passer à côté de quelque chose ?

C’est ce que pense Nolan. Il y a deux ans, juste avant la disparition de son frère ainé, tandis que ce dernier s’éloignait dans le parc avec son chien, Nolan a eu une de ces prémonitions indescriptibles, terrifiantes, la certitude absolue qu’un malheur allait survenir. Mais ses parents n’ont pas voulu l’écouter, et quand ils ont commencé à se demander où était passé Liam, il était trop tard … Aujourd’hui, ils ne l’écoutent pas plus : investis corps et âmes dans leur association consacrée à la recherche des enfants portés disparus, ils passent désormais leurs journées à placarder des photos de gosses sur tous les murs de la maison, à répondre à des centaines de coups de téléphones d’inconnus assurant avoir vu l’un ou l’autre de ces gamins, à accueillir et former des dizaines d’étudiants « bénévoles » en quête d’un bon point dans leur CV … Nolan, lui, déambule dans le parc, armé de ses détecteurs de champs électromagnétiques et autres appareils de mesure, convaincu qu’il finira par comprendre ce qui a bien pu arriver à son frère. Et peut-être, ainsi, le retrouver … De son côté, Kennedy quitte chaque nuit le domicile de son oncle, devenu son tuteur suite à la mort de sa mère et l’emprisonnement de son frère ainé, pour se rendre dans la remise de son ancienne maison. Là, elle relève méthodiquement les données collectées par le radiotélescope de son frère, qui nourrissait l’espoir de recevoir un jour un signal venu de l’espace. Tandis que le procès d’Elliott approche à grands pas, Kennedy reste profondément convaincu qu’il ne peut pas être le meurtrier que tout le monde décrit : il y a forcément quelque chose qui leur échappe. Nolan et Kennedy ne se connaissent pas. Mais ils vont tous les deux recevoir le même signal : une fréquence négative. Et s’ils étaient faits pour se rencontrer ? Pour trouver, ensembles, les réponses à leurs questions respectives ?

Kennedy et Nolan. Deux victimes collatérales de drames familiaux qui ont fait les premières pages des journaux des semaines durant, jusqu’à ce qu’un nouveau fait divers plus sensationnel défraye la chronique. Pour tout à chacun, Kennedy n’est que « la sœur du gamin Jones », « celui qui a abattu sa mère et son beau-père », elle n’est que « la pauvre petite qui a appelé les secours ». Dans tous les regards, il y a ce mélange de pitié et de curiosité morbide : tout le monde aimerait lui demander comment c’était, de se retrouver dans ce couloir ensanglanté, au beau milieu de la nuit, et de voir son frère un flingue à la main devant les corps de leur mère et son petit ami. Et pour tout le monde, Nolan n’est que « le frère du petit prodige disparu », « le fils des gens de l’Association ». Celui qui, déjà avant, était dans l’ombre de son frère, gardien de but de l’équipe régionale, lauréat d’une bourse au mérite, star du lycée, de la ville, du comté, du pays. Quant aux « mieux informés », ils ne le voient que comme « le gamin qui a eu une funeste intuition » et qui désormais « hante le parc à la recherche de fantômes ». Kennedy et Nolan sont condamnés à être réduits à ces drames qui ont détruits leurs familles respectives : ils n’existent pas par eux-mêmes, mais seulement à travers cette tuerie ou cette disparition. Dans le meilleur des cas, ils sont purement et simplement ignorés. Comme s’ils n’avaient aucune importance : ils ne sont pas morts ni disparus, ils ne sont pas non plus le meurtrier ou le kidnappeur, bref, ils ne méritent aucune attention particulière des foules assoiffées de tragédies et de vicissitudes …

Et pourtant, Kennedy et Nolan souffrent. En quelques minutes à peine, toute leur existence a été bouleversée, piétinée. Toutes leurs certitudes ont été ébranlées, ébréchées. Un grand frère plus patient qu’un moine bouddhiste et plus sensible qu’un nouveau-né ne peut pas se transformer soudainement en meurtrier sanguinaire. Un jeune homme sans histoire et son chien ne peuvent pas disparaitre sans laisser la moindre trace. Il y a forcément autre chose que les explications toutes faites, toutes prêtes, des gens très rationnels, des enquêteurs blasés par des dizaines d’affaires similaires. Aucun drame n’est identique, aucun drame n’est insignifiant. Ils ont le sentiment qu’à force de faire de chaque fait divers un simple divertissement anodin, on a banalisé la douleur de ceux qui restent. De ceux qui vivent avec les souvenirs, avec les remords : auraient-ils pu éviter le drame ? Y avait-il des indices, des signes avant-coureurs qu’ils n’ont pas décelés avant qu’il ne soit trop tard ? Elliott avait-il des raisons d’abattre sa mère et son compagnon ? Liam avait-il des raisons de fuir la maison ? Tant de questions. Et aucune réponse. Ou du moins, aucune réponse satisfaisante. Et c’est pourquoi Kennedy et Nolan s’obstinent. Ils ne baisseront pas les bas. Ils ne peuvent pas baisser les bras. Sinon, il n’y aura plus rien : cette ultime étincelle d’espoir, celui d’innocenter son frère, celui de retrouver son frère, c’est tout ce qui leur reste. Ils ne peuvent pas se résoudre à classer l’affaire, comme s’il suffisait d’un tampon clôturant un dossier pour reprendre une vie normale, comme si de rien ne s’était passé. Ils ont viscéralement besoin de savoir, de comprendre …

Et voici qu’un mystérieux signal les rapproche l’un de l’autre, après que ce funeste et mélodramatique décor ait été longuement posé. L’autrice s’efforce de jouer sur l’incertitude du lecteur : élément fantastique ou non ? simple désir inconscient de deux ados paumés ou véritable signe du destin ? D’une certaine manière, cela ne me semble pas important : cette ambiguïté permettra à tous les lecteurs d’y trouver leur compte, même si ne pas savoir risque d’en frustrer quelques-uns. Ce qui est crucial, c’est que leur rencontre va donner un nouveau souffle à leurs quêtes, à leurs enquêtes respectives. Ils se reconnaissent chacun dans la douleur de l’autre, et ressentent tous deux cette envie de soulager la souffrance de l’autre. A vrai dire, l’espace d’un moment, je me suis même dit que ce n’était pas grave, au fond, s’ils ne trouvaient rien : ils s’étaient trouvés, et cela suffisait. Ils étaient tous les deux tellement isolés dans leur peine, dans leur rage : ils y étaient enfermés comme dans des cages. Ils avaient l’un et l’autre besoin de quelqu’un qui les écoute, qui les comprenne, qui les soutienne. Qui leur donne du courage : ils ont été l’un pour l’autre l’impulsion qui manquait pour venir à bout du mystère. Pas seulement celui de ces drôles de signaux. Mais bien plus de ces tragédies. Leur rencontre, improbable, était l’élément manquant des deux enquêtes : c’est bien sûr un peu « gros », mais ne nous mentons pas, ça marche à tous les coups ! Et c’est peut-être d’ailleurs ce qui m’a empêchée d’être vraiment happée par l’intrigue : ça manquait un peu de suspense, c’était assez prévisible qu’ils allaient mettre le doigt sur quelque chose qui avait échappé à tous jusqu’à présent. Et que « tout serait bien qui finirait bien », ou du moins relativement bien …

En bref, je ne sais pas trop quoi dire de ce roman : dans l’absolu, je le trouve ni mauvais ni excellent. Je dirais que l’histoire manque un peu d’originalité, mais que les personnages valent vraiment le détour. Je n’ai pas vraiment ressenti cet aspect « palpitant, trépidant, haletant » que certains lecteurs décrivent dans leur commentaire : j’ai même trouvé qu’il y avait pas mal de longueurs, de lenteurs, qu’on tournait parfois un peu trop en rond, qu’on tournait autour du pot pour mieux faire éclater « les révélations finales ». Mais par contre, j’ai vraiment été très touchée par Kennedy et Nolan : l’autrice a vraiment su leur donner une vraie personnalité, très fouillée, très complexe, très nuancée, très juste. Ils ne sombrent jamais dans les stéréotypes, dans les clichés, et cette humanité les rend vraiment très attachants : on a terriblement envie de les voir aller mieux, et c’est seulement pour ça que l’on s’intéresse à cette double enquête. Et même si je n’ai pas pu m’empêcher de lever les yeux au ciel quand il est apparu évident que l’autrice ne nous épargnerait pas la petite romancette visiblement constitutionnelle des histoires pour adolescents, je n’ai pas non plus pu m’empêcher de trouver qu’ils étaient tout de même drôlement mignons ensembles ! Pour faire court, donc je dirai que je n’ai pas été transcendée par ce récit, sans doute parce que j’en ai déjà lu beaucoup trop du même acabit, mais que je reconnais qu’il peut constituer une très bonne lecture pour un lecteur au bagage littéraire un peu moins chargé ! C’est un petit thriller sans forcément trop d’ambition, mais qui joue finalement bien son rôle : nous distraire, le temps de quelques centaines de pages. En somme, une bonne lecture pour la période estivale !