Le deuxième été
Editeur : Gallimard
Résumé : Les vacances approchent. Carmen, Tibby, Bridget et Lena s'apprêtent à ressortir le jean magique, symbole de leur amitié et témoin de leurs aventures. Cette année, l'été s'annonce cependant bien différent. Carmen reste à Washington avec sa mère : crises et turbulences en perspective… Tibby part suivre un stage de cinéma en Virginie mais, même derrière la caméra, ses souvenirs vont la rattraper. Bridget, qui traverse une crise existentielle, décide de se réconcilier avec son passé en rendant une visite surprise à sa grand-mère. Lena, dont le cœur n'est jamais vraiment revenu de Grèce, va percer des secrets de famille insoupçonnés.
« Lena savait qu’elle avait passé trop de temps dans un état d’angoisse passive, à attendre que quelque chose d’affreux lui arrive. Dans une vie pareille, arrêter d’avoir peur, c’était déjà presque le bonheur. Cette angoisse qui la rongeait la laissait perplexe. D’où venait-elle ? Que craignait-elle à ce point ? Pourtant, rien de terrible ne lui était jamais arrivé … Peut-être n’avait-elle pas vécu encore assez longtemps pour comprendre. »
Relire Quatre filles et un jean, c’est comme faire un bond en arrière et redevenir cette petite fille de douze ans, plus ou moins rescapée d’une phobie scolaire, qui a fini par trouver refuge dans un minuscule collège privé au fin fond du Jura … et qui s’est mis dans le crâne de lire tous les romans que possédait le petit mais si chaleureux CDI. Par ordre alphabétique. A raison d’un par jour, tous les deux jours tout au plus. Il faut dire qu’à l’époque, je lisais absolument n’importe où : recroquevillée sur un banc dans la cour (le plus loin possible des batailles de boule de neige), durant les intercours (je grappillais alors le plus de mots possibles jusqu’à ce que les professeurs me supplient d’arrêter), à la cantine, aux toilettes, et même dans les escaliers (j’étais passée maitre dans l’art de négocier les virages sans avoir besoin de lever les yeux). J’étais devenue la petite mascotte silencieuse du CDI, et pouvoir lire autant que je le souhaitais sans subir la moindre remarque ni la moindre moquerie a très assurément contribué à la réussite de cette rescolarisation (après tout de même deux années à alterner tentatives ratées, scolarisation à domicile et hospitalisation de jour ou complète). Pour la première fois que ma vie, j’ai même été invitée à une journée d’anniversaire, et ma petite camarade avait eu l’immense gentillesse de me préparer une petite pile de livres à l’écart, au cas où j’avais besoin « de faire réserve de solitude » … C’est donc dans ce cadre (qui relevait presque du paradis, après tout ce que j’avais vécu), que j’ai fait la rencontre des quatre filles : un vrai coup de foudre littéraire, lié à jamais aux souvenirs de cette douce époque.
Tandis que le deuxième été du jean approche à grands pas, les filles se replongent dans les souvenirs, tantôt heureux tantôt malheureux, des vacances précédentes … Carmen s’est enfin faite à l’idée que son père s’est remarié, qu’il est parfaitement heureux avec sa nouvelle famille, mais qu’il ne l’oublie pas et l’aime toujours autant. Elle a même réussi à devenir amie avec son demi-frère, le taciturne Paul. Mais lorsque sa mère commence, à son tour, à se rapprocher d’un homme, l’impulsive Carmen ne peut lutter contre la colère qui la submerge : une fois encore, elle va agir sans réfléchir, et s’en mordre les doigts. Tibby, quant à elle, a soigneusement enfoui tous ses souvenirs au fin fond de sa mémoire et de son armoire : tant qu’elle garde les portes résolument verrouillées, tant qu’elle ne laisse pas son regard s’attarder sur la cage vide de son défunt cochon d’inde, tant qu’elle jette aucun coup d’œil sur les vidéos tournées avec Bailey l’an dernier, elle musèle son chagrin. Mais elle va bien être obligée de se confronter à sa douleur si elle veut aller de l’avant. Bridget n’est plus que l’ombre d’elle-même : après avoir vécu un bref instant de bonheur absolu, la jeune fille s’est peu à peu laissé sombrer dans la déprime, dans un abysse d’autodestruction qui n’a rien à envier à ceux de sa défunte mère. Lorsqu’elle découvre que son père lui a caché toutes les lettres de sa grand-mère maternelle, Bridget décide d’aller rendre une visite surprise à cette dernière. Et se retrouver, peut-être, au passage. Lena, enfin, s’efforce de donner illusion, mais son cœur est brisé par sa rupture avec Kostos … mais il semblerait que leur histoire ne soit pas totalement terminée. Une fois encore, le jean magique va avoir du pain sur la planche (à repasser) !
Hormis quelques passages plus sérieux ou douloureux, le premier tome était dans l’ensemble plutôt léger et rafraichissant : c’était l’été de tous les possibles, celui où les quatre filles se métamorphosaient en jeunes femmes, où elles prenaient conscience qu’elles avaient toute la vie devant elles et autant de bonheur à vivre. Ce second tome est autrement plus profond : l’insouciance enfantine s’en est définitivement allée, il ne reste plus que le désarroi et l’angoisse face à l’abime que représente l’avenir, face aux souffrances que détiennent les souvenirs. Nos quatre filles ont grandi, c’est indéniable, elles ont muri, également … mais dans le fond, elles ne sont encore que des enfants dans un corps d’adulte. Leurs petits cœurs ne sont pas encore assez forts pour affronter toutes les déceptions et toutes les galères qui ne manquent pas de se dresser sur leur route. Leurs ailes ne sont pas encore suffisamment grandes pour les porter bien loin du nid : il suffit d’un simple coup de vent pour qu’elles dégringolent, effrayées et égratignées. Et si elles pensaient avoir appris de leurs erreurs, si elles étaient convaincues qu’elles ne les reproduiraient plus jamais, il s’avère que les leçons les plus importantes sont aussi celles qui ne rentrent pas du premier coup. Elles s’imaginaient qu’elles étaient mieux armées, maintenant, que la souffrance ne pourrait désormais plus les atteindre, qu’elles avaient surmonté le pire et que rien ne pourrait être pire … Mais elles vont apprendre, dans les larmes, que la vie, ça ne fonctionne pas comme ça. Qu’il ne suffit pas de remplir son quota de malheurs pour ensuite en être débarrassé : qu’aussi terrible et terrifiant que cela puisse paraitre, on n’est jamais à l’abri d’une nouvelle tragédie. Et qu’on ne s’y habitue jamais.
On peut essayer de donner illusion, de se faire illusion. On peut, comme Tibby, croire qu’il suffit de ne pas remuer le passé pour que celui-ci ne vienne plus nous hanter. Qu’il suffit de faire comme si de rien ne s’était passé. Qu’il suffit d’y croire pour que ça devienne réalité. C’est ainsi que Tibby, fidèle à l’ancienne elle-même, s’est efforcée de devenir amie avec les deux rebelles du stage de cinéma … en tachant de se convaincre qu’ils étaient drôles et audacieux, provocateurs et irrévérencieux. Pour leur plaire, Tibby va fermement museler la petite voix de sa conscience, qui ressemble étrangement à celle de Bailey. Bailey qui savait voir au-delà des apparences et qui lui a appris comment faire. Mais Bailey qui est morte, et dont le souvenir est trop douloureux pour qu’elle laisse cette petite voix lui murmurer des reproches à l’oreille. D’une certaine façon, Tibby a honte de celle qu’elle est devenue … alors qu’elle est devenue quelqu’un de meilleur. Mais à quoi bon être « meilleur » dans un monde où il faut être « populaire » ? Où « avoir la classe » est mieux perçu qu’avoir grand cœur ? Tibby m’a fait beaucoup de peine, elle ne sait plus du tout où elle en est, elle se fait du mal en faisant du mal aux autres … Un peu comme Carmen, d’ailleurs. Je sais que certains lecteurs ne voient en elle qu’une gamine capricieuse et égoïste, qui veut tout avoir pour elle. Mais je pense qu’il faut creuser plus loin que les apparences, justement. Essayer de comprendre avant de juger. Au premier abord, oui, Carmen ressemble simplement à une petite peste qui brise méticuleusement le bonheur de sa mère ... Mais en creusant un peu plus, on découvre une petite fille terrifiée à l’idée de ne pas suffire au bonheur de sa mère, au bonheur de quelqu’un, une petite fille qui va jusqu’à penser que c’est sa présence qui rend sa mère malheureuse et qui la pousse à le chercher ailleurs, dans les bras d’un homme. Ce dont Carmen a besoin, viscéralement, c’est d’être rassurée … mais ce n’est pas toujours facile d’exprimer ce genre de besoin, et c’est bien souvent l’impulsivité de la jeune fille qui parle à sa place. Dévastant tout sur son passage.
Contrairement à Tibby et Carmen, Bridget n’a fait de mal qu’à elle-même. Bridget, la blonde et fine sportive, hyperactive, débordant d’assurance et d’éloquence, s’est complétement laissée aller. Autrefois solaire, elle est désormais terne et morne et silencieuse et immobile. Elle s’est effacée derrière une carapace de graisse, a teint ses cheveux en noir cendre, et a laissé derrière elle son rêve de faire carrière dans le football. Elle a laissé derrière elle ses rêves, tout simplement. Elle a laissé la mort de sa mère la rattraper. Elle a laissé la maladie de sa mère la rattraper. Cette maladie qui lui a volé son enfance. Et qui peut-être menace son futur. Après tout, n’est-elle pas « le portrait craché de sa mère » ? Peut-être est-elle condamnée, elle aussi, à terminer en hôpital psychiatrique … Alors, à quoi bon lutter contre l’inéluctable ? Heureusement pour notre pauvre Bridget, elle va découvrir que son père a intercepté toutes les lettres que sa grand-mère leur avait adressées, à son jumeau et elle : ni une ni deux, retrouvant l’impulsivité de l’ancienne Bridget, elle s’envole pour l’Alabama. Pour y découvrir qu’elle n’est peut-être pas uniquement la fille à sa mère, mais peut-être aussi et surtout la petite-fille à sa grand-mère … Parce que, étonnement, l’histoire semble parfois se répéter de génération en génération. C’est ce que va découvrir Lena, qui se remet difficilement de sa rupture avec Kostos. Mais déterrer les secrets de famille n’est pas sans danger : elle sait mieux que quiconque à quel point remuer le couteau dans la plaie peut être douloureux, et va se rendre compte que les plaies sont parfois longues à cicatriser. Voire même qu’elles ne cicatrisent jamais. Si, parfois, j’étais quelque peu agacée par le côté beaucoup trop « amourette » de l’intrigue de Lena, difficile de nier que je me suis souvent sentie très proche d’elle, l’angoissée introvertie qui ne sait pas s’adapter aux changements, qui ne sait pas faire ses adieux car elle aime trop fort …
En bref, vous l’aurez sans doute bien compris : j’ai trouvé ce second tome bien plus émouvant, bien plus poignant, que le précédent. On perd peut-être un peu de la fraicheur qui caractérisait le premier opus, mais on y gagne assurément de la profondeur : on est très loin du cliché de « la romancette niaise pour préadolescente » que ce genre de roman traine comme un boulet. Tandis que les petits et les gros drames de l’adolescence et de l’existence s’abattent sur nos quatre amies, tandis qu’elles apprennent à faire face tout en s’affrontant elles-mêmes dans ce qu’elles ont de plus détestables, le lecteur se sent tour à tour proche de l’une ou de l’autre, au gré des similitudes de caractères ou d’épreuves traversées. Il est si facile de s’attacher et de s’identifier à nos quatre filles, qui ne sont certes pas des saintes, pas des démones non plus : juste des adolescentes comme les autres avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs rêves et leurs peurs, leurs peines et leurs doutes. Il est dans ce tome beaucoup question de famille, et plus particulièrement des relations mères-filles, souvent tumultueuses à cet âge-là. Il est également beaucoup question de culpabilité, de remords, des sentiments qui hantent beaucoup d’adolescents, qui regrettent ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils n’ont pas fait, ce qu’ils auraient dû faire et ce qu’ils n’auraient pas dû faire. Il est enfin, évidemment, question d’amitié, une amitié qui se fait peut-être moins fusionnelle, moins démonstrative, mais qui n’en est pas moins forte, pas moins sincère, pas moins fidèle : avec une certaine pudeur, une certaine délicatesse, les quatre filles veillent toujours les unes sur les autres, sans s’imposer, mais sans jamais s’abandonner. Et qu’est-ce que c’est beau, qu’est-ce que c’est bon !