Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)
Nombre de pages : 439
Résumé : Le premier jour, quand ils sont arrivés au bateau, la liaison entre l’île et le continent était coupée. Ordre du gouvernement. Par la suite ils ont vu des fumées, au loin, sur la côte. Le deuxième jour, ils ont enfin eu des nouvelles, et c’était plus effrayant encore. Depuis, personne ne peut plus aborder. Personne ne peut plus s’en aller. Et maintenant, prisonniers de leur île, Jo, Louna, Hugo, Blanche et les autres le savent : le danger vient de partout. Du continent. Des adultes. De leur propre communauté. D’eux-mêmes, surtout, la bande des six, les copains, le « crew », comme dit Simon, qui adore frimer en anglais.
« C'est parce que nous avons cru que nous étions dangereux les uns pour les autres que nous nous sommes défendus les uns contre les autres. Parce que nous étions devenus paranos. »
Je pense que c’est durant le premier confinement (et seul véritable) que j’ai commencé à remarquer que les gens ne réfléchissaient plus par eux-mêmes mais se contentaient de répéter mot pour mot ce que journalistes et influenceurs déclamaient, assenaient, plutôt. Et le plus terrible, finalement, c’est qu’à force de ressasser et rabâcher les mêmes banalités, les mêmes absurdités susurrées par les autres … chacun a fini par y croire, par se persuader que telle était la vérité. Puisque tout le monde affirme que c’est vraiment une terrible épreuve insurmontable et traumatisante de devoir rester chez soi pour se protéger mutuellement, c’est que ça doit être le cas, n’est-ce pas ? Si tout le monde le dit, c’est forcément qu’ils ont raison … Pour ma part, en bonne petite extraterrestre, je n’ai jamais été aussi heureuse que pendant ce confinement : pour la toute première fois, le monde tournait enfin à la même vitesse que moi. C’en était finie de cette angoissante frénésie qui agite les masses, c’en était fini de ce terrifiant et assourdissant va et vient de mouvements, bruits et émotions entremêlés. Tout était enfin serein, silencieux. Apaisé. Je me sentais revivre, ou vivre enfin, libérée de l’angoisse perpétuelle qui m’assaillait en temps « normal ». Je n’étais plus « la fille bizarre cloitrée chez elle », puisque tout le monde était cloitré chez soi. Pour la première fois de ma vie, j’étais dans la norme … enfin presque, puisque j’étais devenue « la fille bizarre qui ne se plaint pas », à croire que je suis condamnée à être l’anormale du coin. Tout cela pour dire que je n’ai pas ressenti le besoin viscéral de me « vider quotidiennement la tête » en suivant la publication « en mode feuilleton » du nouveau roman de Vincent Villeminot, même si c’est un de mes auteurs préférés : je me disais seulement que si d’aventure il sortait en version papier, je le lirai, comme n’importe quel autre roman …
Jolan, sa sœur Louna et leurs amis Simon, Hugo, Maxence et Michaël vivent sur une petite île au cœur du Pertuis d’Antioche, détroit où se dresse également le célèbre Fort Boyard. Chaque jour, c’est en bateau qu’ils rejoignent le continent pour aller au collège. Mais voici qu’un « beau » matin, ledit bateau n’est pas à quai : le préfet a ordonné que toutes les liaisons entre l’île et le continent étaient interrompues jusqu’à nouvel ordre. Sans la moindre explication. Quelques heures plus tard, d’effrayantes colonnes de fumée s’élèvent sur le continent : heures après heures, toute la côté semble touchée, de la Rochelle jusqu’au pont de l’Ile de Ré. Même Françoise, la maire de l’île, ne sait rien sur le drame qui se joue de l’autre côté de leur petit bout de mer. Elle sait juste qu’avant que les communications soient coupées, les autorités compétences lui ont ordonné de ne laisser personne quitter l’île, et encore moins la rejoindre. Qu’il lui fallait « organiser l’autonomie alimentaire et énergétique » afin de « vivre en autarcie ». Sans préciser pour combien de temps … Quelle que soit la nature des événements (guerre civile ? épidémie ? catastrophe nucléaire ? ou pire encore ?), il ne fait aucun doute que la situation sur le continent est très grave, et qu’elle risque de durer. Il faut donc mettre les ressources en commun, œuvrer main dans la main. S’occuper des plus fragiles, organiser le rationnement, planter tout ce qu’on peut. Organiser des patrouilles pour éviter toute intrusion. Toute menace. Sans savoir exactement d’où ou de qui vient le danger … De tout le monde, peut-être.
Ainsi que je le disais plus haut, Vincent Villeminot fait sans hésitation parti de mes auteurs préférés : je lui fais généralement aveuglément confiance pour me faire passer un excellent moment de lecture, à la fois palpitant et enrichissant. Mais cette fois-ci, alors même que l’histoire semblait avoir tout pour me plaire, l’alchimie n’a pas opéré comme d’habitude. Ce n’est pas un mauvais roman, seulement un roman quelconque : sympathique, mais sans plus. Un roman qui aurait pu être écrit par n’importe qui d’autre : il ne porte pas en lui la petite étincelle que Vincent Villeminot glisse d’ordinaire dans ses écrits. Il n’y a pas ce petit quelque chose, indéfinissable mais pourtant si reconnaissable, qui fait que je peux d’habitude affirmer sans la moindre hésitation « oui, c’est de lui et de personne d’autre ». Ce que j’aime chez Villeminot, d’ordinaire, c’est vraiment cette petite touche d’irrévérence, d’audace, qui fait toute la différence, cette espèce de réticence à faire comme tout le monde, ce petit plaisir d’ajouter une touche d’inattendu et d’inespéré. Et je ne l’ai pas trouvé ici : c’est très convenu, très banal. Très bien-pensant, aussi. Comme s’il avait seulement écrit ce qu’on attendait de lui, ce que la masse voulait lire, comme s’il avait soigneusement rempli un cahier des charges distribué à tous les auteurs jeunesse du moment, sans rien y mettre de lui. A part, peut-être, l’émerveillement qu’il a ressenti pour l’île d’Aix, qui l’a accueilli en résidence pour écrire ce roman, l’amour qu’il a eu pour ce petit bout de terre au beau milieu d’un petit bout de mer. C’est finalement la seule chose qui m’a fait vibrer, moi qui n’aime pourtant pas l’océan : les très, trop rares descriptions de ce petit îlot encore un peu sauvage, un peu indomptable …
Il y avait pourtant de quoi faire du « bon Villeminot », avec un cadre pareil, avec un contexte pareil. Une petite centaine d’habitants, coincés sur leur île, isolés du monde entier. Sans savoir ce qui arrive quelques kilomètres plus loin, sans savoir comment vont leurs familles, sur le continent ravagé par les flammes. D’un côté, la nécessité pour la communauté de mettre leurs ressources et leurs efforts en commun pour le bien le chacun, la nécessité de faire corps. Et de l’autre, l’inquiétude grandissante, l’inévitable défiance, les rancœurs qui remontent, la peur qui dévore. Ce délicat équilibre entre la volonté d’affronter ensemble cette menace invisible et inconnue, car c’est bien connu, l’union fait la force, et la tentation naturelle du repli sur soi et de l’égoïsme, du chacun pour sa pomme, de cet instinct de survie purement individuel. Tout ce que j’aime, en somme … et tout ce que, d’ordinaire, l’auteur traite avec une grande finesse. Ici, les ingrédients sont là … mais ils sont très grossièrement coupés, pas assez cuisinés, pas assez assaisonnés, pas assez cuits, tout justes mûrs. Vaguement arrangés dans l’assiette pour donner l’illusion, mais sans plus. Ce qui m’a manqué dans ce roman, c’est de la profondeur : où est donc passée la plume, subtile et délicate, abrupte mais adroite et pénétrante, qui fait toute la grandeur des romans de Vincent Villeminot ? Elle a ici été remplacée par un style bien trop « nerveux », qui se veut « cinématographique » sans l’être réellement : une narration qui n’happe pas, qui ne titille pas, qui ne sublime pas l’histoire. Qui la relate, comme un élève déclame sa poésie apprise par cœur sans rien y comprendre. Il m’a manqué de la consistance. Il m’a manqué de la vie pour que ces simples mots se transforment en récit vibrant et poignant. Pour que Jolan ne soit pas un simple prénom, mais un personnage dont le sort pouvait m’importer …
Car Jolan, notre narrateur, a beau nous abreuver, nous submerger, de réflexions nous indiquant que le pire reste à venir, que la tragédie ne fait que commencer et que son dénouement sera des plus dramatiques … je n’ai pas vraiment réussi à trembler pour lui, ni même à pleurer pour lui quand il perd un être cher. D’une certaine manière, à vouloir forcer le trait dans le suspense et dans la tension dramatique, l’auteur a sombré dans un surplus de mélodrame, et j’en ai fait une sorte d’overdose : tout était comme « surjoué », les ficelles trop faciles à distinguer, on voyait trop rapidement où tout cela allait nous emmener, comment tout allait se terminer. Il y a, bien évidemment, ce qui se veut comme une « Grande Révélation » avec un grand G et un grand R, mais en réalité, ça tombe tellement comme un cheveu sur la soupe et c’est tellement survolé que ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Oui, c’était évident qu’à force de craindre une hypothétique épidémie de folie meurtrière, à force de se méfier continuellement de tout le monde en se demandant s’il a été « contaminé », la peur allait dégénérer en instinct de tuer avant d’être tué. Ce n’est pas vraiment un scoop que la violence nait de la peur, et que la peur nait de la violence, qu’elles s’entretiennent mutuellement et continuellement dans un cercle vicieux, qu’elles grandissent un peu plus à chaque nouvelle méprise, à chaque nouvelle maladresse, qu’elles se nourrissent aussi des rancunes inavouées et des jalousies inavouables. Pour que la « Grande Révélation » soit frappante, il aurait finalement fallu qu’elle soit un peu moins enrobée dans le chaos de ces derniers chapitres, qui restent fort confus : trop confus pour qu’on en tire quoi que ce soit … Alors qu’il y avait de quoi donner à réfléchir.
En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : sans que cela soit une profonde déception, car j’ai tout de même trouvé que l’histoire avait du potentiel, cette lecture n’a rien eu de profondément exceptionnelle. C’est finalement un roman sympathique mais sans plus, assez quelconque, assez banal : sans doute idéal pour s’occuper l’esprit avant d’aller se faire arracher une dent chez le dentiste, mais c’est tout. Le potentiel était là, indéniablement, mais il n’a pas été exploité à sa juste valeur : tout ce que le récit avait d’intéressant et d’émouvant a été écrasé par les longueurs et par l’aspect trop « convenu » de l’ensemble. C’est un roman qui ne sort pas des sentiers battus, qui reste bien sagement dans les chemins balisés : c’est creux, plat, presque insipide, et tellement prévisible ... D’une certaine manière, j’ai le sentiment que le parallèle avec le début de la pandémie (durant lequel personne ne savait vraiment ce qui se passait et ce qu’il fallait faire) et le premier confinement a été un peu trop forcé, et que le récit en a perdu toute saveur, toute profondeur. Il est entré dans le petit moule bien étroit des stéréotypes sur les groupes d’individus obligés de cohabiter dans un moment de grande tension, dans la soif un peu malsaine du collectif de voir surgir des accès de violence et des faits divers bien sanglants … Peut-être que le choix de l’auteur et l’éditeur de garder le manuscrit au plus « proche de sa parution initiale en feuilleton » n’était pas forcément le plus judicieux, car ça a bridé tout le potentiel « hors covid » du roman. Il ne s’autosuffit pas, il est toujours ramené au contexte de sa première parution, et je pense vraiment que ça n’a pas été bénéfique au récit …
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