Le cycle de
Dune1, Frank Herbert
Dune
Editeur : Robert Laffont
Collection : Ailleurs & Demain
Nombre
de pages : 591
Résumé : Voici l’épopée de Paul
Atréides, seigneur d’Arrakis, connu comme prophète sous le nom de Muad’Dib,
empereur, messie de Dune. Cette fresque se
déploie dans un avenir éloigné dans le temps et proche par les
passions, où les hommes naviguent entre les étoiles et peuplent un milliard de
mondes. Entre ces mondes, Dune, planète désertique où l’eau est plus précieuse
que l’or, et pour laquelle se battent les deux grandes familles des Atréides et
des Harkonnen. Car Dune produit l’Épice, drogue miracle, source de longévité et
de prescience.
Un grand merci aux éditions Robert
Laffont pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat
possible.
- Un petit extrait -
« Je ne connais pas la peur,
car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à
l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur
moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil
intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien.
Rien que moi. »
- Mon avis sur le livre -
Je fais partie de ceux qui estiment qu’une
bonne adaptation cinématographique ne peut ni ne doit s’autosuffire : ce
faisant, elle éclipserait totalement et trahirait donc profondément l’œuvre
littéraire dont elle est tirée, à qui elle doit finalement son existence. Bien
au contraire, une bonne adaptation cinématographique se doit selon moi d’être
une porte d’entrée vers cette œuvre littéraire : si vous n’avez pas envie
de vous jeter sur le livre à peine le film terminé, c’est que ce n’est pas une
bonne adaptation, soit parce qu’elle éblouit tant et si bien que l’on se dit
que « le livre n’aura rien de plus à apporter, pas la peine de perdre son
temps à le lire », soit parce qu’elle dénature tellement le récit que « le
livre sera nul, pas la peine de perdre son temps à le lire ». Autant vous
dire que le Dune de David
Lynch se situe à mes yeux dans la seconde catégorie : je pense pouvoir
affirmer n’avoir jamais vu un film aussi … horrible que celui-ci. Je n’ai pour
ainsi dire même pas réussi à le terminer, et j’étais absolument convaincue que
le livre allait être du même acabit et ne valait donc pas la peine que je m’y
intéresse un tant soit peu. La bande annonce du Dune de Villeneuve ainsi que la réédition avec
les sublimes illustrations d’Aurélie Police, sans oublier l’envie de comprendre
pourquoi mon père biologique aimait tant ce roman, m’a finalement convaincue de
lui donner une chance … et j’ai drôlement bien fait !
Sur ordre de l’Empereur Padishah, le Duc Leto
Atréides et sa famille quittent Caladan au profit de la si inhospitalière
Arrakis, planète convoitée entre toutes pour son incomparable Epice, cette
drogue miraculeuse pour laquelle les Grandes Maisons sont prêtes à toutes les
machinations et les trahisons. Arrakis, Dune, la planète des sables … Sans y
avoir jamais posé les pieds, le jeune Paul Atréides, fils unique et héritier du
Duc, a néanmoins le sentiment de bien la connaitre : nuit après nuit, ses
rêves prémonitoires tissent leur toile et dessinent en son esprit l’Avenir,
aussi vivace que fugace, immuable et changeant tout à la fois. Mais nul besoin d’être
doté du don de prescience pour sentir que ce n’est pas pour récompenser le Duc
de ses bons et loyaux services qu’il a été envoyé sur Arrakis : chacun le
sent au plus profond de son être, un complot plane au-dessus de leur tête. Tandis
que le Duc fait ce que nul administrateur n’a osé jusqu’à présent, tisser des
liens avec les Fremens, la population autochtone que ses prédécesseurs
opprimaient sans le moindre remord, tandis que les conspirateurs se délectent d’avance
de leur victoire sur le Duc et de leur grandeur à venir, au plus profond du
désert, là où bat le cœur de la planète Arrakis, la légende du Muad’Dib, ce
Messie tant attendu des Fremens, est sur le point de naitre …
Que dire qui n’ait encore jamais été dit sur
ce roman ? A défaut d’innover, je vais donc me contenter d’affirmer que c’est
brillant, très brillant. D’un seul revers nonchalant de la plume, d’un seul
premier chapitre absolument somptueux, l’auteur a balayé toutes mes inquiétudes,
toutes mes réticences : j’allais aimer ce livre, c’était une certitude. Un
peu comme s’il avait été écrit pour moi, même si cela peut sembler surprenant. Sans
la moindre introduction, sans la moindre explication, l’auteur lâche le lecteur
dans l’arène : l’histoire commence brusquement, brutalement. Le jeune
Paul, qui semble à la fois si frêle et si empli d’une prestance presque divine,
subit une épreuve à laquelle bien peu d’enfants mâles ont été soumis … et qu’encore
moins ont surmonté. Qui est donc ce jeune garçon, plus tout à fait un enfant
mais pas encore un homme, en qui tous semblent prêts à reconnaitre celui que
chacun attendait depuis des millénaires ? Serait-il l’aboutissement inattendu,
imprévu, inespéré, du programme de sélection génétique des Bene Gesserit ?
Serait-il le Messie, le Sauveur, que le peuple Fremen opprimé attend et espère
depuis tant et tant de générations ? Bien loin de la figure traditionnelle
de l’Elu, si chère aux grandes épopées de toujours, Paul n’en est pas moins le
représentant le plus … abouti, d’une certaine manière. A la fois acteur et
spectateur de sa propre destinée, Paul aime et hait tout en même temps ce qu’il
est, ce qu’il est amené à devenir.
Car dans son monde comme dans le nôtre, il
suffit d’une petite étincelle pour tout embraser … Dans son monde comme dans le
nôtre, les puissants se battent comme des vautours assoiffés de sang pour cette
ressource inestimable, source de toutes les convoitises : cette épice
miraculeuse, source de longue vie et de prescience. Immortalité et clairvoyance :
deux attributs des dieux que les hommes rêvent de posséder depuis le début des
temps. Nul besoin d’avoir fait de longues études en géopolitique pour deviner
que celui qui a la main mise sur cette ressource détient un pouvoir presque
sans limite sur tous les autres : voilà pourquoi, alors qu’Arrakis est la
planète la plus inhospitalière qui soit, tout le monde s’entredéchire pour elle.
Avec une seule et unique ligne de conduite : produire toujours plus. Et
pour cela, pas de quartier : s’il faut opprimer, voire exterminer, un
peuple tout entier pour pouvoir exploiter toujours plus cette planète déjà à
bout de souffle, nul ne s’en préoccupe. Seul compte le rendement, et la soif de
produire toujours plus, comme si la croissance économique seule importait …
Mais il n’y a pas plus dangereux qu’un peuple acculé, qu’un peuple qui n’a plus
que la foi pour survivre. Et surtout, il n’y a pas plus dangereux qu’un peuple
fanatique persuadé d’avoir enfin trouvé son Messie, son Prophète, son Sauveur.
Et Paul aura beau se démener comme il veut et peut, ses visions lui confirment
qu’il ne pourra empêcher le Jihah, la croisade sacrée, de se déchainer sur l’univers
tout entier …
Contrairement aux apparences, Dune est donc très loin d’être un « simple
roman de science-fiction ». Dans cette histoire qui ne ressemble à aucune
autre, une ribambelle d’intrigues se mêlent et s’entremêlent, formant un entremêlas
inextricable de nœuds : ici, un complot politique, lui-même pris dans un
contre-complot économique, le tout intriqué dans une conjuration familiale ;
là, les agissements millénaires d’une secte au projet eugéno-mystique, qui font
étrangement écho aux prophéties ancestrales d’un peuple dont nul ne connait
véritablement les coutumes … Je ne m’attendais assurément pas à une telle
complexité, et j’en suis vraiment agréable surprise, même si je dois bien
reconnaitre que bien des éléments, bien des points, m’ont échappés lors de
cette première lecture. Il faudra sans doute des années, et plusieurs
relectures, pour réussir à saisir ne serait-ce qu’une infime partie de tout ce
que contient ce roman : les enjeux dépassent amplement la seule destinée
de Paul, ce jeune homme à la croisée des destins. On le sent confusément, sans
être forcément capable de distinguer précisément à quel point ils le dépassent,
à quel point ils sont proches des enjeux de notre propre monde, de notre propre
époque. Une chose est sûre et certaine : c’est bien parce qu’on sent qu’il
ne s’agit pas seulement de l’histoire de Paul que nous sommes si captivés par
cette histoire. Il y a un sentiment inexplicable d’urgence qui nait en nous,
nous poussant à lire, toujours plus, car tout pourrait s’effondrer d’un moment
à l’autre …
En bref, vous l’aurez bien compris : j’étais
plutôt inquiète de ce qui pouvait bien m’attendre au creux de ces pages, et
finalement, ce fut une lecture tout simplement mémorable. Exigeante, certes, et
donc parfois laborieuse, mais fascinante, impossible de le nier. Certains
trouveront sans doute qu’il n’était pas nécessaire d’écrire un aussi long pavé
pour en raconter « si peu », certains reprocheront assurément à l’auteur
d’avoir comblé son récit de beaucoup de « vide », mais pour ma part,
c’est justement cette sorte de lenteur, de langueur inextricable, qui plonge
littéralement le lecteur dans l’ambiance de Dune. D’un côté, il y a l’attente, l’aspiration à un bouleversement, mais
de l’autre, il y a la crainte de voir les choses changer. Pour comprendre l’épopée
de Paul Maud’Dib, il faut s’imprégner d’Arrakis : il faut réussir à voir au-delà
des apparences, voir la richesse et la beauté qui se cachent derrière ce désert
monotone et cruel. Tout comme Arrakis, Paul est tout en nuances, il est
profondément insaisissable, comme peut l’être le temps et l’avenir également. Si
vous cherchez un roman de divertissement, j’ai bien peur que Dune ne
soit pas fait pour vous : c’est un roman qui demande beaucoup à ses
lecteurs, un roman qui fait peur, et à raison. Non pas car il est mauvais, non
pas parce qu’il est incompréhensible, mais parce qu’il oblige le lecteur à
cheminer, à s’interroger, et non pas seulement à « profiter », à « consommer »
l’histoire comme on avale sans réfléchir, sans effort, tous les pop-corn devant
un film …