La Fourchette, la Sorcière et le Dragon
Editeur : Bayard Jeunesse
Nombre de pages : 300Résumé : Un an s’est écoulé depuis qu’Eragon a quitté l’Alagaësia en quête du foyer parfait pour entraîner une nouvelle génération de Dragonniers. Aujourd’hui, il lutte contre un océan infini de tâches : construire un large refuge pour les dragons, négocier avec les fournisseurs, protéger les œufs des dragons, et s’occuper des Urgals belliqueux et des Elfes hautains. Mais une vision créée par les Eldunarí, des visiteuses inattendues, et une captivante légende urgal vont lui procurer une distraction nécessaire et lui offrir une autre perspective.
« Une cicatrice signifie que tu as survécu. Que tu es forte et difficile à tuer. Que tu as choisi la vie. Une cicatrice mérite l'admiration. »
Je suis toujours assez admirative des auteurs qui osent. Qui osent sortir de leur zone de confort, qui osent sortir des sentiers battus. Qui osent, finalement, prendre à contrepieds les attentes des lecteurs. Car c’est prendre un gros risque : celui de contrarier ces-dits lecteurs et de s’attirer leurs foudres – et dans notre monde où il n’y a plus aucun filtre, c’est donner le bâton pour se faire matraquer à gros coups de commentaires haineux et irrespectueux. Trop nombreux sont les lecteurs à oublier que l’auteur … est le seul et unique maitre de son ouvrage, que c’est à lui et à lui seul de choisir la destinée qu’il souhaite donner à ses protagonistes. Bien sûr, le lecteur peut avoir des envies, des désirs, c’est parfaitement naturel, mais selon moi, ça ne lui donne en aucun cas le droit d’insulter l’auteur lorsque celui-ci ne fait pas ce que le lecteur aurait souhaité voir. Donc oui, j’admire les auteurs qui savent encore s’affirmer face à ces masses de lecteurs qui oublient surtout que l’auteur est avant tout un être humain, avec une sensibilité, qui peut donc être profondément blessé par cette déferlante de haine qui est l’apanage des réseaux sociaux. Et donc, j’admire Christopher Paolini, qui n’a pas eu peur de frustrer un peu ses lecteurs en ne leur offrant pas rigoureusement ce qu’ils demandaient à corps et à cris …
Un an. C’est à la fois tellement court et terriblement long. Tantôt Eragon a le sentiment que sa victoire sur Galbatorix remonte à la veille, tantôt il a l’impression d’être coincé depuis une éternité au mont Arngor, là où Saphira et lui ont décidé d’implanter la nouvelle demeure des Dragonniers. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, le jeune homme doit faire face aux mêmes tracas, sans cesse renouvelés : il lui faut négocier vivement avec les fournisseurs, qui n’honorent pas toujours leurs engagements, s’inquiéter de la comptabilité et de la logistique de cette interminable entreprise que représente la construction d’une demeure adaptée aux dragons, sans oublier les inévitables conflits entre les humains, les elfes, les nains et les urgals placés sous sa responsabilité. Embourbés dans ce quotidien de plus en plus monotone et morose, Eragon s’ennuie de sa famille et de ses amis … et il s’ennuie également de l’aventure, de l’adrénaline, de l’action. Heureusement pour lui, il y a toujours quelqu’un de bien intentionné pour le distraire de ses responsabilités et de son agacement : les esprits des vieux dragons, une certaine Angela en visite surprise, ou même un habile conteur Urgal se relayent pour lui narrer quelques histoires qui pourraient bien lui apprendre bien des choses …
Contrairement à ce que nous attendions et espérions, ce n’est donc pas un roman que nous offre Christopher Paolini, ni même tout à fait une suite aux aventures de notre brave Dragonnier, mais bien une sorte d’interlude en forme de recueil de nouvelles. Si nous avons le plaisir de retrouver Eragon et Saphira, et d’avoir un petit aperçu de leur « nouveau » quotidien après la défaite du grand méchant tyran, là n’est pas l’histoire que l’auteur souhaite nous raconter dans cet ouvrage (magnifique au demeurant, Bayard a fait un travail éditorial absolument extraordinaire). Beaucoup ont pesté lorsqu’ils se sont rendu compte que non, nous n’allions pas vivre de nouvelles aventures à dos de dragon, que non, ce n’était pas encore l’heure de rencontrer la nouvelle génération de dragons et de Dragonniers … mais pour ma part, j’ai énormément apprécié cet intermède inattendu. En premier lieu parce que j’ai trouvé ça particulièrement juste, réaliste, même, cette sorte de déprime post-victoire, cette impression de vide qui envahit progressivement le cœur et l’âme de notre héros habitué aux émotions fortes, habitué également à être au cœur de tous les événements du monde. Habitué, finalement, à ne pas avoir à se poser de questions existentielles : jusqu’à présent, un avait un but bien défini, celui de libérer l’Alagaësia du joug de l’oppresseur. Maintenant, Eragon se sent désœuvré, tout en étant absolument submergé par les tracasseries purement administratives de son nouveau « rôle » …
C’est rare, les auteurs qui évoquent cet « Après », celui où le héros redevient finalement un homme pratiquement comme les autres, celui où le temps semble se déliter interminablement par comparaison au rythme trépidant de la quête. J’ai trouvé ça particulièrement intéressant, et ça m’a rendu Eragon autrement plus sympathique qu’il ne pouvait l’être dans la saga « principale » : il a certes perdu un peu de cette aura « mystique » qui entoure inévitablement les Elus, mais il y a gagné une certaine forme d’humanité, de proximité avec le lecteur. Pour la première fois peut-être, j’ai ressenti de la peine pour lui, parce que cette fois-ci, ses peines, ses doutes, ses peurs, sont finalement bien plus proches des préoccupations du lecteur : on peut s’identifier à lui, car même si nous nous débattons plutôt avec nos dissertations ou nos dossiers administratifs et non pas avec l’édification d’une école de Dragonniers, ses tâches sont finalement fort similaires aux nôtres ! C’est donc avec le même plaisir que nous laissons de côtés nos petits et gros tracas pour nous plonger dans les différents récits qui viennent égayer ce quotidien épuisant et angoissant … Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces trois récits sont fichtrement passionnants, même s’ils sont horriblement brefs et qu’on en redemande !
Le premier est assurément celui qui m’a le plus plu, car on y retrouve un personnage que nous n’espérions plus revoir. C’est d’ailleurs bien trouvé, car on ne devine pas immédiatement à qui nous avons affaire, ce sont divers petits indices qui nous permettent de le démasquer une ou deux pages à peine avant que son identité ne soit révélée. Et son évolution fait chaud au cœur, on le sent bien plus apaisé, presque prêt à rompre son exil volontaire, et on espère d’ailleurs que cela se fera car il a bien des choses à apporter à l’histoire, on le sent … Si du moins il trouve réponse à ses questions, solutions aux nouveaux mystères qui se dressent sur sa route. Quant au deuxième récit … c’est clairement le plus surprenant. Mais cela parait parfaitement normal quand on sait qu’il tourne autour de la si énigmatique Angela. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé le fait que ça soit la « vraie » Angela, la sœur de Christopher Paolini, qui prenne la plume au nom de son homonyme ! C’est à la fois fort intéressant et fort frustrant, car on ressort de cette nouvelle avec plus de questions que de réponses concernant cette sorcière pas comme les autres. Et ici aussi, on a une petite ouverture concernant la suite de l’histoire, avec le retour de la petite Elva et de ses dons … Le troisième récit, enfin, nous invite à découvrir un peu plus ce peuple méconnu et mécompris qu’est celui des Urgals, un peuple où l’honneur et la détermination sont au cœur des cœurs. Le récit est peut-être un peu long par rapport aux autres, mais il est passionnant !
En bref, vous l’aurez bien compris, même si on ne peut que ressentir un petit pincement au cœur lorsqu’on se rend compte que ce livre n’est qu’une sorte d’amuse-gueule destiné à nous faire patienter sagement, c’est tout de même un vrai bonheur que de retrouver l’Alagaësia et quelques-uns de ces personnages qui nous ont accompagnés pendant plus de trois-mille pages. C’est vraiment comme revenir chez soi et retrouver de bons vieux amis, pour se mettre autour du feu et écouter les histoires des uns et des autres : c’est une sorte de parenthèse où rien de palpitant ne se passe hormis la joie des retrouvailles et des nouvelles partagées. Mais ce livre, c’est aussi et surtout une promesse : l’auteur s’ennuie au moins autant que nous de cet univers, de ces personnages, de cette histoire, et on sent qu’il meurt d’envie de s’y replonger ! C’est une promesse, car la toute fin laisse vraiment présager ce que nous attendons depuis la fin du quatrième opus : une suite, une vraie suite ! Ce livre ne fait donc peut-être pas avancer de façon « substantielle » l’intrigue, mais il ravive en nous cette petite flamme, celle qui nous animait tout au long de la saga, celle de l’aventure. Alors même si ce n’était pas ce que nous espérions, c’est vraiment un livre que j’ai beaucoup apprécié, et que j’invite à accueillir sans rancœur ni rancune : je vous assure que derrière ce côté un peu atypique, il a des choses à raconter !
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