Entre ciel et terre
Editeur : Gallimard jeunesse
Nombre de pages : 371
Résumé : Paris, 1934. Devant Notre-Dame, une poursuite s'engage au milieu de la foule. Le jeune Vango doit fuir. Fuir la police qui l'accuse, fuir les forces mystérieuses qui le traquent. Vango ne sait pas qui il est. Son passé cache de lourds secrets. Des îles silencieuses aux brouillards de l'Écosse, tandis qu'enfle le bruit de la guerre, Vango cherche sa vérité.
« Dans sa fatigue extrême, la femme mêlait plusieurs langues qui surgissaient parfois au détour de ses mots.
-Ça c'est du grec, disait le docteur.
-Et ça veut dire quoi ?
-Ça veut dire qu'elle parle grec.
Tout le monde admira le raisonnement. »
Il m’a fallu du temps pour m’en rendre compte, et encore plus de temps pour changer mes convictions bien ancrées, mais j’ai fini par accepter l’idée qu’il faut savoir donner une seconde chance aux auteurs : ce n’est pas parce que le premier livre que nous avons lu d’un auteur ne nous a pas convaincu que toute sa bibliographie est dans la même veine. Il est vrai que malgré cette « bonne résolution » de ne jamais juger toute la production d’un auteur après une seule lecture, j’ai encore tendance à repousser continuellement cette « seconde découverte » lorsque la première n’a pas été particulièrement concluante … Aussi, je dois bien reconnaitre que même si Victoria rêve n’avait pas été une mauvaise lecture, ce petit roman m’avait laissé une telle sensation de « trop peu » que je n’étais pas particulièrement pressée de redonner sa chance à Timothée de Fombelle. Comme souvent, c’est grâce à une lecture commune que j’ai finalement fait sortir ce roman de ma pile à lire … et je me sens drôlement stupide d’avoir attendu si longtemps, car ce fut une très belle lecture !
Avril 1934, une foule immense se presse sur le parvis de Notre-Dame-de-Paris malgré la pluie battante : c’est jour d’ordination. Quarante jeunes gens s’apprêtent à devenir prêtres. Parmi eux se trouve Vango. Couché sur le pavé en attendant le grand moment, il est bien loin de se douter que dans quelques instants, sa vie va effectivement prendre un tournant décisif, mais pas celui qu’il avait choisi … Alors que le sonneur s’en donne à cœur joie, alors que le vieux cardinal sort de la cathédrale, des policiers surgissent : ils viennent arrêter Vango pour un crime qu’il ignore avoir commis. Celui-ci, mu par un instinct qui ne lui a jamais fait défaut, parvient à s’échapper en escaladant comme si de rien n’était la façade de Notre-Dame. Et comme si cela ne suffisait pas, voici qu’il est également la cible de tireurs mystérieux ! Traqué de toutes parts, le jeune séminariste est persuadé que cette fois-ci, ce ne sont pas des troubles paranoïaques, pas des délires de persécution, comme l’a indiqué le psychiatre sur son dossier il y a quelques années … Mais il ignore toujours ce qu’on lui veut. Pour le savoir, peut-être doit-il déterrer ce passé dont il ne connait absolument rien …
La quatrième de couverture est suffisamment intrigante pour attirer l’attention du lecteur, mais suffisamment brève pour qu’il ne sache absolument pas ce qui l’attend. C’est une plongée dans l’inconnu qui attend le lecteur … et quelle agréable surprise que ce roman d’aventure particulièrement original et franchement captivant ! Ça commence dès le premier chapitre : quelle audace que d’ouvrir le récit sur une cérémonie religieuse aussi frappante que celle de l’ordination ! Quelle audace que de donner le premier rôle à un séminariste, à un jeune homme bien décidé à devenir prêtre ! Entre Vango et moi, ça a donc très bien démarré dès les premières lignes : c’est tellement rare, les personnages croyants, que je ne pouvais que me sentir proche de lui ! Et voici que ce qui aurait dû être le moment le plus beau de sa vie se transforme en véritable cauchemar : le voici en fuite, poursuivi par des policiers qui le jugent coupable d’un crime odieux, et par des individus qui semblent bien vouloir sa peau … Ce n’est que le premier mystère de tout un chapelet de mystères : soyez prévenu, en ouvrant ce roman, vous allez passer un temps fabuleux à vous poser nombre de questions et à échafauder nombre de théories, suppositions et hypothèses toutes aussi farfelues les unes que les autres, dans l’espoir de démêler ce sac de nœuds !
Car voilà bien ce qui attend le lecteur : chapitre après chapitre, au gré des changements d’époques et de points de vue, c’est un entrelacs délicat et sinueux qui se noue devant nos yeux. Différentes intrigues se jouent et s’entremêlent, dans un schéma aussi complexe qu’indiscernable : à chaque fois que nous avons le sentiment de toucher du doigt la Vérité qui se cache derrière toutes ses histoires parallèles, un élément nouveau s’immisce pour complexifier encore cette affaire déjà bien obscure … Il faut s’accrocher pour ne pas être complétement perdu, c’est sûr, mais quel régal que de suivre ces différents personnages, dans leur présent et leur passé, de tenter de démêler tout cet imbroglio improbable pour reconstituer un puzzle un peu plus compréhensible ! Alors que, parfois, la surabondance de mystères me lasse, cette fois-ci, ce foisonnement d’énigmes m’a ravie : j’étais fascinée par cette histoire rocambolesque à souhait, riche en péripéties et en rebondissements, en surprises également. Tout est fait pour que le lecteur ne puisse jamais deviner en avance ce qui va arriver : il ne peut que se laisser porter par les événements et les révélations, comme un oiseau se laisse porter par le vent. Apprendre à lâcher prise, à faire confiance …
Et c’est tellement facile de se laisser aller, car l’histoire déjà palpitante en elle-même est portée par une plume vraiment extraordinaire. Il y a cette petite poésie subtile qui confère au récit une ambiance vraiment particulière, un peu onirique … C’est un peu comme vivre un rêve tout éveillé : on saute d’une scène à l’autre, ça s’emberlificote comme jamais, les personnages apparaissent et disparaissent comme par magie. Il y a cette petite mélodie, ces jeux de sonorités qui viennent rythmer le récit, qui s’accordent délicatement à ce qui est narré pour immerger encore un peu plus le lecteur. C’est un peu comme si l’histoire prenait vie au fur et à mesure que nous la lisons, comme si les mots étaient une formule magique pour nous transporter dans un autre lieu et un autre temps. Et il y a ce petit humour raffiné et inattendu, ces petites pointes qui viennent contrebalancer la tension croissante de l’histoire … C’est un peu comme une explosion de couleur au milieu de la grisaille qui enfle progressivement et qui menace de tout recouvrir sur son passage. Ça fait du bien, ces petits éclats de lumière, l’irruption d’une biche dans un château écossais, le déguisement incroyable d’un vieux moine en dératiseur, les dialogues parfois à la limite de l’absurde …
En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut vraiment une très agréable surprise et je me sens bien bête d’avoir attendu tant de temps avant de découvrir les (més)aventures de Vango et de tous ses compagnons ! J’ai vraiment adoré ce roman-choral pas comme les autres, entre roman historique et quête identitaire, entre enquête policière et épopée onirique … C’est un récit qui invite petits et grands lecteurs à rencontrer des personnages attachants et hauts en couleur, des personnages qui ne peuvent pas laisser indifférent, des personnages que l’on suivrait jusqu’au bout du monde. C’est un récit qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus, tout comme Vango n’emprunte jamais les chemins convenus. C’est un récit qui n’hésite pas à s’affranchir des barrières des genres, tout comme Hugo survole allégrement les frontières dans son zeppelin. C’est un récit qui n’hésite pas à faire comme il l’entend, tout comme Ethel ne laisse jamais personne lui dire ce qu’elle doit faire. C’est vraiment un récit fascinant, qui prouve que la magie ne se situe pas dans les pouvoirs extraordinaires dont aime se doter la littérature jeunesse, mais bien dans le maniement des mots : le vrai magicien, c’est l’auteur, qui réussit à faire vivre des épopées incroyables à son lectorat sans que celui-ci n’ait autre chose à faire que d’ouvrir un livre !