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samedi 5 février 2022

Face au dragon - Isabelle Bauthian

Face au dragon, Isabelle Bauthian

 Editeur : Le livre de poche jeunesse

Nombre de pages : 523

Résumé : Polyxène est une jeune fille qui arrive très vite aux bonnes conclusions. Pourtant, confrontée à une île qui défie la science, entourée d'aventuriers qui prétendent appartenir à des époques différentes, il lui faudra toute la capacité d'abstraction dont elle est capable. Surtout quand le seul moyen de quitter sa prison est de tuer un dragon et que sa seule arme est son intelligence…

 

 

 

- Un petit extrait -

« Le chevalier ne cherchait pas à se faire apprécier ce qui, réalisa soudain Poly, devait demander une bonne dose de confiance en soi. Même elle, qui aimait le calme et ne courait pas après la vie sociale, aurait été incapable de se détacher à ce point du jugement des autres. Elle était fière d’aller à contre-courant des modes, des conventions et des mouvements de groupe. Mais c’était toujours dépendre du sens du courant.  »

- Mon avis sur le livre -

 A chaque fois qu’une amie m’offre un livre, je me fais inévitablement la même promesse : celle de le lire le plus rapidement possible. En apparence, une résolution qui semble plutôt simple à réaliser. Mais bien sûr, inévitablement, il y a toujours quelque chose pour m’empêcher de tenir cette promesse : un service presse impromptue, une lecture commune oubliée, une crise de migraine, l’arrivée inopinée du cousin ou encore un devoir urgent à rendre … Et c’est horriblement frustrant, d’avoir atrocement envie de découvrir un livre, et de devoir sans cesse en repousser la lecture ! Et c’est d’autant plus frustrant quand le résumé est fort prometteur, et que vous pressentez au fond de vous-même que ledit livre va être un coup de cœur : alors même que la raison ne cesse de vous rappeler qu’il y a plusieurs auteurs et éditeurs qui comptent sur votre retour pour un service presse, qu’il y a des copinautes qui vous attendent pour débuter une lecture commune, que l’échéance de votre plus gros devoir de l’année approche à grands pas, vous ne pouvez pas vous empêcher de lorgner ce livre qui semble vous faire signe dans la bibliothèque. Alors, à force de l’imaginer sautiller en secouant ses petits bras de papier pour attirer votre attention, vous finissez par craquer : après tout, décaler une autre lecture de quelques petits jours, ce n’est pas bien grave, n’est-ce pas ?

Poly ne serait sans doute pas d’accord avec moi : Poly est une jeune fille très raisonnable, très rationnelle, très mature pour son âge, qui « arrive toujours aux bonnes conclusions » (selon sa mère) et ne laisse jamais, ô grand jamais, ses émotions prendre le dessus. Du moins, pas en temps normal. Car après des années et des années à subir passivement le harcèlement de cette bimpèche de Marion, face à une remarque plus méchante et blessante que toutes les autres réunies, Poly a craqué : elle lui a mis une baffe. Sans réfléchir. Mais surtout, et cela la choque plus encore qu’avoir agi sans réfléchir, sans le moindre remord. Tandis qu’elle quitte précipitamment les lieux, sous les regards éberlués et quelque peu apeurés du petit troupeau d’adolescents, Poly n’a en réalité qu’un seul regret : celui de ne pas avoir réagi plus tôt, celui d’avoir toléré toutes ces années ces insultes sans mot dire, celui de s’être écrasée face à cette horrible gamine adulée de tous. Laissant derrière elle son premier acte de bravoure – et de violence, ne cesse de lui répéter la petite voix désapprobatrice dans sa tête –, Poly va se réfugier en forêt, aux alentours des ruines du vieux château. Ce n’est que lorsqu’une bête qui ne ressemble absolument à rien de ce qu’elle connait lui saute dessus que Poly se rend compte … qu’elle n’est absolument pas là où elle aurait dû être. Pour percer les mystères de cet endroit énigmatique et hostile, et surtout pour comprendre comment en sortir, Poly ne peut compter que sur sa plus grande fierté : cette fameuse faculté à « arriver si vite aux bonnes conclusions ». Mais cela suffira-t-il ?

Un roman qui commence de façon relativement classique : nous faisons la connaissance d’une adolescente un peu différente (trop grande, trop intelligente, trop empotée ... trop noire) qui subit, qui encaisse, quotidiennement les moqueries et les insultes des autres jeunes, sans jamais se révolter, sans jamais contre-attaquer … Jusqu’au jour où sa rivale de toujours prononce la phrase de trop, cette horrible goutte qui fait déborder le vase. Tout comme Poly (en qui je me reconnais beaucoup, même si j’espère être un tantinet plus débrouillarde qu’elle), je ne suis pas violente de nature, mais il faut bien reconnaitre que je n’ai pas pu m’empêcher de songer que Marion n’a eu que ce qu’elle méritait … Dans le sens où les mots font parfois et souvent tout aussi mal, si ce n’est plus, que les coups, et que nul ne peut être attaqué constamment sans finir par se rebiffer un jour où l’autre. C’est une réaction purement instinctive, viscérale, lorsque notre inconscient se rappelle que l’être humain est un prédateur et non pas une proie, et qu’il a de quoi se défendre plutôt que de sans cesse fuir se terrer loin du danger. C’est un peu comme si notre corps prenait soudainement le contrôle pour éliminer la menace, avant même que l’esprit ait eu le temps d’analyser posément la situation et de décider comment il faut réagir … Pour Poly, c’est le choc : elle qui ne fait jamais rien sans peser le pour, le contre, sans anticiper les conséquences, elle qui est si fière d’être plus mature que les autres et de ne jamais répliquer, voilà qu’elle vient d’agir comme une véritable écervelée …

Alors Poly s’enfuit. Elle s’en défend, bien sûr, elle a besoin de croire qu’elle est plus forte que cela. Mais Poly s’enfuit. Elle ne fuit pas Marion et ses suiveurs, Marion et ses mots savamment choisis pour faire le plus mal possible. Non, Poly fuit sa propre réaction, elle fuit la marque rouge sur la joue de Marion, la preuve qu’elle a baissé la garde et s’est abaissé à gifler une autre fille comme n’importe qu’elle chiffonnière. Et plus encore, elle fuit le plaisir qu’elle a pris à le faire, la fierté qu’elle a ressenti en se rebellant, pour la première fois de sa vie. Poly est à la fois fière et honteuse de son comportement, fière de découvrir qu’elle a la force de faire face à ses adversaire, honteuse d’avoir cédé à la violence. A vrai dire, Poly ne sait plus vraiment où elle en est … et elle ne sait plus non plus où elle est. Sa seule certitude, lorsqu’elle relève enfin les yeux après cette fuite, c’est qu’elle n’est clairement pas là où elle s’attendait à être. Se pourrait-il qu’après s’être égarée à la violence, elle se soit également perdue dans une forêt qu’elle explore depuis sa plus tendre enfance ? Que lui arrive-t-il donc ? « Heureusement » pour elle, il s’avère finalement que non, elle n’y est pour rien … mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Car Poly doit faire face à l’impensable, à l’inconcevable pour une jeune fille rationnelle comme elle : la voici prisonnière d’une île jalousement gardée par un dragon, en compagnie de quatre autres jeunes ... dont un chevalier du Moyen-Age, une paysanne du seizième siècle, un maquisard et un explorateur dandy du dix-neuvième siècle.

Une fois encore, Poly ne réagit pas exactement comment elle l’aurait espéré : elle s’était toujours dit que s’il lui arrivait quelque chose d’anormal, elle saurait garder la tête sur les épaules et analyser la situation avec rigueur et sang-froid. Mais Poly est tout simplement incapable d’accepter ce que lui affirment ces compagnons d’infortune : ce n’est tout simplement pas possible, c’est un mauvais rêve, ou bien une mauvaise blague. Elle ne peut pas réellement être coincée sur une île surgie de nulle part, aux côtés d’un chevalier (certes séduisant et sympathique) persuadé qu’il va tuer le dragon à l’aide d’une Bible et d’une potion ! C’est impossible. Et pourtant … Si l’obstination de la jeune fille à nier l’évidence peut agacer, elle n’en reste pas moins terriblement humaine : on a beau s’en défendre, on réagirait très assurément comme elle. Et c’est bien là ce que j’ai le plus apprécié dans ce récit : il est juste. Poly n’est pas une héroïne, c’est une adolescente de notre époque comme toutes les autres, quand bien même elle a toujours affiché ouvertement, peut-être pour se rassurer, qu’elle est différente. Elle avait besoin de croire qu’elle valait mieux que les autres, besoin de s’en convaincre, car elle manque en réalité cruellement en confiance en elle. Elle se dévalorise encore plus que les autres ne la dévalorise. Et alors même qu’elle déteste qu’on lui fasse remarquer sa maladresse … elle est la première à se cacher derrière sa dyspraxie pour justifier qu’elle est inutile, incapable.

Et que ça nous plaise ou non, on est parfois comme elle : on s’offusque quand on pointe du doigt une de nos particularités, mais quand celle-ci peut nous apporter des « avantages » (ne serait-ce que pour se faire plaindre), on n’hésite pas à la brandir haut et fort … Et bien sûr, on condamne l’hypocrisie chez les autres, ce qui est quelque peu le comble de l’hypocrisie, sur le coup ! Ce qui fait le plus peur à Poly sur cette île, finalement, ce n’est donc pas le dragon qui ne vient que de temps en temps, ce n’est même pas les singes à grandes dents ou les sables mouvants … C’est qu’elle est bien obligée de se confronter à elle-même. Elle ne peut plus faire l’autruche et continuer à croire qu’elle est irréprochable. Elle est bien obligée d’admettre qu’elle est certes la première à clamer haut et fort que la discrimination, c’est mal … mais qu’elle est aussi la première à juger les autres, à les prendre de haut quand ils ne correspondent pas aux « critères » selon laquelle une personne est digne de respect selon elle … Poly est bien forcée de reconnaitre ses propres défauts … mais aussi ses propres forces, ce qui est peut-être plus difficile encore. Pour survivre et sortir de cette prison, nos cinq compagnons d’infortune ne doivent donc pas seulement apprendre à s’entendre (voire même à s’apprécier), ils doivent également accepter de tout remettre en question, en particulier eux-mêmes, pour se faire enfin confiance à eux-mêmes et en leurs capacités. Car pour devenir soi-même, il ne faut pas seulement prendre conscience de nos limites, de nos faiblesses, des mensonges qu’on se fait à soi-même, il faut aussi être prêt à reconnaitre qu’on est capable de faire bien plus que ce qu’on imaginait.

Ma chronique étant déjà outrageusement longue, même si je n’ai pas dit la moitié de ce que je souhaitais dire, je pense que je vais m’arrêter là car, vous l’aurez bien compris, c’est un roman incroyablement profond, puissant, pour lequel j’ai inévitablement eu un énorme coup de cœur ! On est vraiment dans un récit fort atypique malgré les apparences, pour la simple et bonne raison que c’est un récit à la limite du contemplatif : il y a beau avoir quelques passages de grande tension avec de l’action et du suspense, on est avant tout dans une quête existentielle et initiatique. L’accent est mis sur les relations entre les différents personnages, mais aussi et surtout sur les blessures et les rêves de chacun, sur ce qu’ils voulaient être,  sur ce qu’ils regrettent d’avoir été, sur ce qu’ils sont réellement. C’est un récit qui appelle, certes, à la tolérance envers les différences d’autrui, mais qui invite aussi et surtout à l’acceptation de soi, pour le meilleur et pour le pire … Alors bien sûr, certains regretteront assurément qu’on n’en sache pas plus sur le pourquoi du comment de l’île et du dragon, certains regretteront surement les quelques longueurs ou la précipitation du dénouement … mais ce ne sont que des détails pour les lecteurs qui ne cherchent qu’à pinailler, qu’à chipoter. Car ce n’est finalement pas le plus important. Le plus important, c’est que c’est un récit particulièrement saisissant, poignant, bouleversant même, qui aborde avec douceur et justesse des réalités très dures, qui transmet de beaux messages sans jamais être moralisateur ou condescendant. C’est beau, c’est fort, que demander de plus ?

samedi 2 octobre 2021

Legend, tome 3 : Champion - Marie Lu

Legend3, Marie Lu

Champion

 Editeur : Le livre de poche Jeunesse

Nombre de pages : 436

Résumé : June et Day se sont dévoués corps et âme à la République. Leur pays est à l'aube d'une renaissance... jusqu'au jour où un nouveau virus, plus dangereux que tous les précédents, déclenche une vague de panique à la frontière ennemie. La guerre menace d'éclater. June est la seule à détenir la clé pour défendre sa patrie. Mais sauver la vie de milliers de personnes suppose un sacrifice terrible, pour elle comme pour celui qu'elle aime.

 

 

- Un petit extrait -

« Les images de mon cauchemar me tourmentent toujours. Malgré tous mes efforts, elles refusent de s'en aller. Le temps guérit toutes les blessures, mais pas celle-ci. Pas encore. »

- Mon avis sur le livre -

 Je pense qu’il est devenu indispensable de rappeler aux auteurs et éditeurs le concept d’une trilogie : une saga en trois tomes. Trois tomes. Pas quatre. Trois. D’ailleurs, c’est bien ce qui est noté sur la couverture de ce troisième tome : il constitue « la conclusion de la trilogie ». La conclusion, ça veut dire que c’est terminé, achevé, bouclé … Cela veut dire qu’il n’y a plus rien à ajouter, que l’histoire est complète. Que le lecteur n’a plus à prévoir une place vide dans l’étagère pour le ou les prochains tomes : la saga est finie. Ça, c’est la théorie. Car dans la pratique, les choses sont bien différentes : vous n’imaginez même pas le nombre de trilogies qui comptent désormais … quatre tomes. Je ne sais jamais si je dois rire ou pleurer face à cette absurdité : une trilogie en quatre opus. Et surtout, je ne sais jamais si je dois m’en réjouir ou non : ce tome surnuméraire et impromptu présente-t-il un véritable intérêt ou bien n’est-il qu’un appât bourré de vide pour faire dépenser inutilement de l’argent à des lecteurs un peu trop naïf ? Pour Legend, j’ai toutefois décidé de ne pas me casser inutilement la tête : pour l’instant, aucun éditeur français n’a eu la bêtise de traduire le « quatrième tome de la trilogie », j’ai donc classé cette saga dans les sagas terminées, ainsi que l’affirme la première de couverture !

Après avoir œuvré main dans la main pour convaincre les habitants de la République de rester unis et de faire confiance à leur nouvel Primo Elector Anden, Day et June ont dû se résoudre à partir chacun de leur côté. Malgré son désintérêt profond pour les rouages hypocrites de la politique, la jeune femme a accepté la proposition du jeune chef d’état de devenir l’un de ses plus proches conseillers. Et Anden a bien besoin de soutien : la paix entre la République et les Colonies ne tient qu’à un fil, et il suffirait d’une minuscule étincelle pour rallumer le feu aux poudres … Day, quant à lui, veille farouchement sur son petit frère, qui se remet doucement des expérimentations dont il a fait l’objet, alors même que son propre état de santé ne cesse de se dégrader et que les médecins sont de moins en moins optimistes … Mais une nouvelle épidémie se déclenche au sein des Colonies, qui rejettent la faute sur la République : la guerre semble inévitable, et la République se sait impuissante face aux nouveaux alliés des Colonies. Pour étouffer le conflit dans l’œuf, une seule option : trouver un remède contre ce mystérieux virus. June se voit donc obligée de demander à Day le seul sacrifice qu’il n’est pas prêt à faire …

Alors que j’étais particulièrement mitigée vis-à-vis des deux premiers tomes, dans lesquels le meilleur côtoyait le pire, je n’ai absolument rien à rapprocher à ce dernier opus ! Il n’a en réalité suffit que d’une toute petite chose pour résoudre le problème qui ne cessait de me mettre en rogne : séparer June et Day. Ensembles, ils étaient imbuvables. Séparés, ils deviennent attachants. Huit mois ont passé depuis leur rupture à la fois du deuxième tome – rupture qui était sur le moment absolument ridicule, mais qui a au moins eu le mérite d’ouvrir la porte à une intrigue bien plus profonde. Dans cet opus, pour la première fois, les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre s’insèrent harmonieusement dans l’intrigue globale et la servent au lieu de la parasiter comme c’était le cas auparavant. Leur relation ne prend plus le dessus sur le reste, elle fait partie du tout, et ça, c’est quelque chose que j’apprécie ! Day aime June, c’est un fait irréfutable, tout comme il aime son petit frère Eden, tout comme il aime sa protégée Tess : on retrouve enfin le Day profondément dévoué aux siens, ce Day qui me plaisait tant dans le premier tome avant qu’il ne soit obnubilé que par les beaux yeux de la jeune femme. Et June aime Day, c’est irréfutable également, mais cela ne l’empêche pas de garder l’esprit clair quand il le faut, de savoir réfléchir avant d’agir comme c’était le cas quand nous l’avons rencontrée …

Et comme ils sont redevenus pleinement eux-mêmes, l’intrigue peut reprendre de plus belle. Nous aurions naïvement pu penser que, maintenant que la République avait retrouvé son unité, maintenant qu’elle n’est plus dirigée par un tyran implacable mais par un dirigeant plus équilibré, maintenant qu’un traité de paix était en négociation avec les Colonies voisines, tout allait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour nos jeunes héros. Mais nous sentions confusément que les choses ne pouvaient bien évidemment pas être aussi simples, et que rien n’était réellement résolu. Et bien sûr, nous nous doutions bien que, quoi qu’il arrive, June et Day allaient être au cœur du chaos, qu’ils allaient à nouveau devoir prendre des décisions difficiles, qu’ils allaient à nouveau devoir sauver tout le monde … Mais la grande différence avec les premiers tomes, c’est que désormais, ils ont l’un et l’autre quelque chose à perdre, ils ont l’un et l’autre quelque chose, ou plutôt quelqu’un, qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier pour le bien commun. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de leur propre vie, mais de celle de quelqu’un qui leur est cher … et ça change absolument tout. Cette fois-ci, j’ai éprouvé une réelle compassion pour ces deux jeunes gens, livrés à eux-mêmes face à des choix si cornéliens. Seuls face à ce fardeau : doivent-ils protéger égoïstement une personne aimée, quitte à condamner des milliers d’innocents ?

Car plus que jamais, nous ressentons une véritable urgence : le temps leur est compté, le compte à rebours est enclenché. A chaque heure qui passe, leur indécision coute la vie à des centaines de personnes qui n’ont absolument aucun moyen de se défendre par eux-mêmes. A chaque heure qui passe, les troupes des Colonies et de leurs alliées se rapprochent un peu plus des villes de la République : il n’y a plus de temps à perdre, il faut agir. Se met alors en place un plan tordu comme je les aime, un plan totalement désespéré, le plan de la dernière chance. J’ai trouvé ça franchement poignant de voir Day et Anden, le rebelle contre toute forme d’autorité et le chef d’état tout puissant, travailler de concert pour sauver ce qui peut encore l’être. Ça m’a pris aux tripes, cette collaboration improbable mais nécessaire : quelle belle leçon d’intelligence et d’humilité, de les voir l’un et l’autre laisser leur fierté et leurs différents de côté pour le bien de tous ! Et à partir de ce moment-là, mon cœur n’a plus cessé de s’emballer : on va de rebondissements en rebondissements, de retournements de situation en retournements de situation. A chaque fois que les choses semblent s’arranger, quelque chose vient tout remettre en question, tout fragiliser à nouveau. Et on retient notre souffle, on tremble d’effroi et d’inquiétude, on souffle de soulagement parfois … Et quand arrive la fin, on pleure toutes les larmes de notre corps, c’est audacieux, déchirant mais excellent, et l’épilogue est vraiment sublime !

En bref, vous l’aurez bien compris, ce troisième tome remonte à lui seul le niveau de toute la trilogie et nous offre un final en apothéose comme seule la littérature jeunesse sait le faire ! C’est vraiment un roman qui a su me faire passer par absolument toutes les gammes d’émotions, un roman qui a su trouver le juste équilibre entre l’action pure et un côté plus psychologique … La tension dramatique monte crescendo, pour mieux happer le lecteur qui ne se rend même plus compte qu’il est en train de tourner compulsivement les pages, de retenir son souffle à chaque fois que tout semble définitivement perdu. Alors bien sûr, certains reprocheront sans doute à cette saga de se terminer sur ce qu’ils considéreront être une happy-end à la Disney, mais les choses sont en réalité bien plus nuancées que cela … en réalité, même si les toutes dernières lignes du roman sont effectivement fort « optimistes », je trouve qu’on reste tout de même sur une fin douce-amère, où l’on se rend compte qu’il y a toujours un prix à payer pour une victoire, qu’il faut toujours être prêt à tout perdre quand on veut tout gagner … En tout cas, deux choses sont sûres et certaines : je ne peux que vous encourager à lire cette trilogie même si les deux premiers tomes ont quelques défauts, et surtout, il n’y a absolument pas besoin d’un quatrième tome, c’est tellement plus beau de laisser le lecteur s’imaginer lui-même la suite, sa suite !

mercredi 29 septembre 2021

Legend, tome 2 : Prodigy - Marie Lu

Legend2, Marie Lu

Prodigy

 Editeur : Le livre de poche Jeunesse

Nombre de pages : 439

Résumé : June et Day ont échappé à leurs poursuivants. Réfugiés à Vegas, ils rencontrent un groupe de rebelles, les Patriotes, qui consentent à les aider à s´enfuir. Mais il y a une condition. Prêts à tout, les deux adolescents acceptent. Pourtant, June doute : et s´ils s'apprêtaient à plonger le pays dans la guerre civile ? Déchirée entre son sens du devoir, ses intuitions et ses sentiments, elle devra prendre la décision la plus difficile de son existence. Et Day aura-t-il suffisamment confiance en sa nouvelle complice pour remettre sa vie et celle des siens entre ses mains ?

 

- Un petit extrait -

« - Tu sais, dit-il enfin. Je me demande parfois ce qui se serait passé si nous nous étions rencontrés... dans un contexte normal. Comme tout le monde. Si je t'avais croisée dans une rue par un matin ensoleillé. Si je t'avais trouvée jolie au point de m'arrêter, de faire demi-tour et de te prendre la main en disant : « Salut, je m'appelle Daniel. »

Je ferme les yeux en imaginant cette scène qui me réchauffe le cœur. Tout aurait été si facile, si tranquille.

- Si seulement, murmuré-je. »

- Mon avis sur le livre -

 Il faut être pris pour être appris, dit-on … Une chose est sûre et certaine : je ne réitérerai plus les erreurs de cette année 2021. C’est-à-dire que je ne m’inscrirai plus à des dizaines de lectures communes portant sur des tomes de sagas et que je ne céderai plus aveuglément à toutes les propositions de services presse que me font les auteurs, afin d’avoir un peu plus de latitude pour faire face aux imprévus. En effet, cette année, pour réussir à honorer tous ces engagements dans les temps, il m’a fallu établir mon programme de lecture avec trois voire quatre mois d’avance, au jour prêt … Un vrai casse-tête pour réussir à faire coïncider le tout, et cela d’autant plus que je n’avais pas toutes les cartes en main : j’avais beau savoir que mes partiels auraient lieu à la fin du mois de juin, je n’avais pas les dates exactes, et bien sûr, le moment venu, cela s’est avéré totalement incompatible avec ce beau planning littéraire savamment ajusté … Au stress des épreuves s’est donc ajouté celui de ne pas réussir à lire à temps tel ou tel roman, celui de ne pas pouvoir chroniquer à temps tel ou tel service presse. Et quand je stresse, je ne profite plus de mes lectures … Ce deuxième opus n’a pas eu de chance, il s’est retrouvé pris au beau milieu des tourmentes universitaires !

En sauvant Day de l’exécution, June, l’enfant prodige, est devenue à son tour l’une des personnes les plus recherchées de la République. Embarqués clandestinement dans un train de marchandise, les deux jeunes gens n’ont désormais plus qu’une seule chance de s’en sortir : rejoindre les Patriotes, ces rebelles qui sont prêts à tout pour faire tomber le gouvernement et faire renaitre les anciens Etats Unis d’Amérique … Tiraillée entre son envie d’aider le jeune homme à retrouver ceux qui lui sont chers – la petite Tess qu’il a recueillie dans la rue et son jeune frère Eden tombé entre les mains de la République –, sa méfiance viscérale envers le leader du mouvement rebelle et les reliquats de sa loyauté envers le système qui l’a vu grandir, June ne sait plus ce qu’elle est supposée faire … Day, lui aussi, ne sait plus où donner de la tête : à qui doit-il, à qui peut-il accorder sa confiance ? A Tess, sa plus fidèle amie et alliée, qu’il connait depuis des années et qui a toujours été de bons conseils, ou bien à June, cette jeune fille qu’il ne connait que depuis quelques semaines, qui est à l’origine de son arrestation et de la mort de sa mère et de son ainé, mais qu’il ne peut s’empêcher d’aimer et de croire ?

A vrai dire, je suis tout aussi mitigée vis-à-vis de ce deuxième tome que vis-à-vis du premier. Sur certains points, il est bon, et même clairement meilleur que le premier : il y a bien plus d’actions, bien plus de rebondissements, bien plus de révélations, on sent que l’autrice a tenté d’ajouter de la profondeur à ses personnages …. Mais de l’autre, on retrouve le même gros travers du premier tome, en plus insupportable encore : cette romance atrocement dégoulinante, plus pénible encore à cause du double triangle amoureux qui se met fort peu subtilement en place. Et c’est encore pire qu’avant, car à cause de cette intrigue pseudo-romantique, le caractère de nos héros se voit totalement mutilé … Envolé, le Day chevaleresque et indocile, taquin et indépendant, envolée, la June rationnelle et décidée, audacieuse et indépendante : ils ne sont plus que deux pantins contrôlés par leurs hormones, deux coquilles vides tout juste bonnes à hésiter entre deux attirances. Je ne parle même pas de Tess, que je trouvais géniale dans le premier tome, par sa douceur, son attention, son dévouement, et qui ressemble désormais à une tigresse jalouse qui veut se taper son frère adoptif. Ce n’est pas dans mes habitudes d’utiliser ce genre de vocabulaire, mais c’est pour bien mettre en valeur à quel point c’est … épouvantable, de dénaturer ainsi la personnalité des personnages pour servir une romance malsaine et inutile.

Malgré tout, comme pour le premier tome, lorsque j’arrivais à prendre du recul et à ne pas me laisser submergée par l’agacement de plus en plus profond que ces atermoiements « amoureux » faisaient naitre en moi, je ne peux clairement pas nier qu’il y a du bon dans cette dystopie. Jusqu’à présent, nous ne savions pas grand-chose des fondements de la République, des causes du conflit avec les Colonies, ni même des revendications des Patriotes : la première était présentée comme la seule garante de la sécurité, les deux autres comme de terribles ennemis désirant plonger le pays dans le chaos. Mais maintenant que Day et June se sont « définitivement » arrachés à l’influence de la République, maintenant qu’ils sont passés « de l’autre côté du miroir », nous en apprenons un peu plus. Nous découvrons comment la montée des eaux due au réchauffement climatique, l’afflux des réfugiés et l’amaigrissement des ressources naturelles ont plongé les anciens Etats Unis d’Amérique dans le chaos le plus total, comment un jeune officier de l’armée a décidé de « pacifier » le pays en fermant les frontières et en donnant les pleins pouvoirs à l’armée, comment ceux de « l’extérieur » se sont associés pour créer les Colonies et tenter de reconquérir ces territoires … On reste dans un schéma post-apocalyptique plutôt classique, simple, mais efficace car parfaitement crédible.

De même, toutes les autres révélations qui parsèment le récit, si elles peuvent parfois sembler fort clichées et prévisibles, n’en restent pas moins parfaitement cohérentes, parfaitement réalistes. L’exemple le plus marquant, celui que je trouve personnellement le plus intéressant dans ce récit, c’est bien celui des Colonies. Pour Day, les Colonies sont synonymes de liberté, de justice, d’égalité … de tout ce qui n’existe pas au sein de la République. Mais il va rapidement comprendre que la vérité est loin d’être aussi reluisante, aussi lumineuse, aussi belle que ce qu’il imaginait au plus profond de sa misère : aucun système n’est parfait, aucune utopie n’est réelle. Et on en vient à se demander si le meilleur ne vaut pas le pire : d’un côté, la tyrannie militaire, de l’autre, la tyrannie économique, ou si vous n’avez pas réglé votre dû au poste de police du quartier, personne ne viendra vous secourir si un malfrat s’en prend à vous … Deux oppressions différentes au premier abord, mais elles sont l’une comme l’autre pétries d’injustices, de cruauté, d’inhumanité. Comme toute bonne dystopie qui se respecte, celle-ci aime donc jouer avec l’ambiguïté entre le bien et le mal, sur l’équilibre fort instable entre la recherche du bien commun et la mise en place d’une dictature. Comme dans toute bonne dystopie qui se respecte, les héros et le lecteur ne savent plus à qui se fier, car on ne peut jamais savoir qui est digne de confiance …

En bref, vous l’aurez bien compris, je reste plutôt mitigée vis-à-vis de ce tome. D’un côté, c’est une très bonne dystopie, qui respecte scrupuleusement les codes du genre, et même si cela rend certaines « révélations » et certains retournements de situations fort prévisibles, on ne peut que se laisser embarquer par cette histoire pleine d’action, où rien ni personne n’est jamais ce qu’il semble être … Mais de l’autre, il y a toujours cette fameuse romance, celle qui vient parasiter toute l’intrigue, la phagocyter tant et si bien qu’on n’a plus qu’une seule envie au bout d’une petite centaine de pages, c’est baffer June, Day et même Tess dans l’espoir qu’ils redeviennent eux-mêmes et qu’on puisse reprendre le cours de l’intrigue principale, celle qu’on venait chercher en ouvrant une dystopie. C’est d’autant plus dommage que l’histoire, justement, prend au fil du temps un tournant parfaitement inattendu, assez rare sur le coup en dystopie, que j’ai donc vraiment très envie de savoir comment tout ceci va bien pouvoir évoluer … mais que j’ai terriblement peur que tout soit gâché par ce double triangle amoureux totalement ridicule. Je vais donc croiser les doigts pour que cet atroce travers soit corrigé dans le troisième tome, pour finir en beauté cette trilogie (qui a parait-il gagné un quatrième tome en anglais, ce qui reste assez étrange pour une trilogie) !