samedi 6 août 2022

Lou après tout, tome 3 : La bataille de la Douceur - Jérôme Leroy

Lou après tout3, Jérôme Leroy

La Bataille de la Douceur

 Editeur : Syros

Nombre de pages : 554
Résumé : Lou quitte Wim avec un goût amer. Dans le monde d’après l’effondrement, existe-t-il un seul endroit épargné par l’horreur ? Son dernier espoir, comme pour Amir, Cesaria et Maria : la Douceur. Lou ne sait pas encore à quel point la route pour l’atteindre sera longue. Au même moment, dans la Douceur qui prospère depuis quatorze années, trois musiciens jouent pour la première fois la Mélodie. Cet air semble avoir un mystérieux effet sur les Cybs, mais permettra-t-il d’éviter le pire ? Car, tandis que Lou s’approche de son ultime étape, le danger qui menace d’anéantir la Douceur s’épaissit comme une ombre…

 

- Un petit extrait -

« Je fais plutôt partie de ces Amis qui pensent que c’est sur cette Terre qu’il faut construire le paradis, ici et maintenant, puisque c’est sur cette Terre que l’humanité, avant le Grand Effondrement, a construit un enfer qui a failli tous nous emporter. »

- Mon avis sur le livre -

 «  Ce monde avait été beau, et j’en voulais aux autres, ceux du monde d’avant qui avait transformé cet écrin en poubelle, qui nous avaient amenés là où on en était ». Une fois encore, une fois de plus, Lou fuit. Elle fuit la folie furieuse du Délégué, qui ne supporte pas d’avoir vu son autorité piétinée par une gamine errante et insignifiante. Elle fuit la plus grande meute de Bougeurs jamais observée, qui déferle sans que rien ne puisse l’arrêter, dévorant littéralement tout et tous sur son passage. Lou fuit pour survivre, une journée de plus, une journée encore : elle fuit un danger après l’autre, une mort après l’autre. Et tandis qu’elle fuit, Lou ne peut s’empêcher d’être en colère contre ceux qui ont « tout pollué, massacré, détruit ». Contre ceux qui ont créé le fléau qui allait les décimer eux-mêmes. Mais Lou n’éprouve aucune compassion pour « ceux du monde d’avant » : « que méritait d’autre une humanité qui avait gâché sa chance à ce point-là, sinon de disparaitre ? ». N’ont-ils pas eu finalement tout ce qu’ils méritaient, eux qui n’ont rien fait d’autre que tout dévaster, tout consumer, tout annihiler ? N’avons-nous pas tout ce que nous méritons, nous qui avons tant et si bien exploité cette pauvre Terre qu’elle n’a désormais plus rien à nous offrir, elle qui était pourtant si généreuse, sans rien demander en échange qu’un peu de respect et d’attention ? Sommes-nous réellement en droit de nous plaindre de la chaleur, de la sécheresse, des épidémies, alors que nous sommes collectivement responsables de tout ceci, par nos actions et plus encore par nos inactions ?

Fidèle à lui-même, l’auteur pointe sans sourciller du doigt les horreurs écologiques et sociales de notre société, de notre humanité aveuglée qui se précipite allégrement vers sa propre fin, comme les rats d’Hamelin suivent le joueur de flute jusqu’au fleuve où ils se noient. Sans jamais veiller à ménager nos susceptibilités, sans jamais concéder au politiquement correct, il expose sans détour le sombre avenir qui guette notre monde à bout de souffle, notre humanité qui se veut et se croit invincible mais qui ne survivrait littéralement pas si on lui supprimait internet … Il appuie là où ça fait mal en obligeant à arracher, ne serait-ce momentanément, les œillères qui nous évitent de voir ce que nous sommes en train de faire. En nous contraignant à suivre la jeune Lou et ses compagnons d’infortunes, enfants de l’apocalypse, nos victimes, il ne nous laisse pas d’autres choix que de voir les conséquences inévitables de nos actes : voyez donc ce qui arrive, à s’obstiner dans la voie que nous avons choisi ! Voyez ce qui arrive, lorsqu’on se convainc collectivement que le nucléaire est une énergie « propre et sans danger » : voyez les centrales toujours plus grosses qui deviennent hors de contrôle et qui irradient tout à des centaines de milliers de kilomètres à la ronde. Voyez ce qui arrive, lorsqu’on nie la réalité du changement climatique : on passe d’une canicule à une période glaciaire en l’espace de quelques heures à peine. Voyez, voyez donc ce qui arrive, ce qui arrivera, ce qui nous pend au nez, ce qui menace l’avenir-même de l’espèce humaine. Voyez ce que vont subir les générations à venir, les gosses du futur : ce ne sera pas le paradis ultra-technologique que nous pensons construire, ce sera tout simplement l’enfer, la peur, la souffrance, la mort.

Mais cette fois-ci, l’auteur va plus loin que cette funeste mais clairvoyante prédiction, va plus loin que les autres ouvrages post-apocalyptiques. Il ajoute à ce sombre tableau une petite pointe de couleur, de lumière, d’espoir : la Douceur. Tout à la fois lieu, communauté et philosophie, la Douceur nous laisse espérer que l’homme, s’il est capable du pire, est aussi capable du meilleur. Qu’il est capable d’apprendre de ses erreurs pour que l’humanité renaisse de ses cendres. Qu’il est capable de tendresse, de solidarité, de justice, de paix. Qu’il est capable d’humanité, en somme. Cela semble parfois bien difficile à croire, quand on voit et entend toutes les horreurs qui ont toujours parsemé l’histoire de l’espèce humaine : les guerres sous toutes ses formes, les oppressions, les haines et les destructions. Quand on voit la bestialité vorace du Délégué, qui dans sa folie vengeresse et sa mégalomanie tyrannique n’hésite pas à trahir ceux qui ont placé leur foi et leur confiance en lui, et n’hésite pas plus à programmer l’extermination pure et simple d’une communauté pacifique et prospère pour s’accaparer les ressources et la domination, on ne peut que se demander si l’auteur n’a pas sombré dans un idéalisme naïf et absurde, dans une utopie tout ce qu’il y a de plus onirique et illusoire. Oui, il est difficile de croire en la Douceur, même (et surtout) quand on y aspire. Car la Douceur, j’en rêve. Tous les jours depuis ma plus tendre enfance. Je rêve d’un autre monde, d’un monde plus apaisé, d’un monde sans violence, d’un monde où chacun pourrait être heureux sans que cela se fasse au détriment du bonheur de l’autre. Mais c’est aussi parce que je l’espère que je sais que la Douceur est loin d’être gagnée.

Et c’est là, finalement, que le titre prend tout son sens. La Bataille de la Douceur : l’oxymore par excellence, l’antinomie parfaite. D’une justesse inouïe. Pour arriver à la Douceur, il faut changer radicalement les cœurs. Il ne suffit pas de poser les pieds dans cette communauté pour vivre de et dans la Douceur : encore faut-il accepter de la laisser se faire une petite place en soi, accepter de voir le monde à travers un autre prisme. Et tout le monde n’est pas prêt à accueillir si aisément la Douceur : cela demande de laisser derrière soi les aspirations les plus égoïstes, les désirs les plus individualistes. Dans la Douceur, on n’interdit rien, on n’oblige à rien … mais on attend de chacun qu’il en fasse de même pour tous. Il y a tant de paradoxes dans la Douceur, sans douce parce qu’elle n’obéit plus aux catégories bien obtuses de notre société, de notre façon de voir le monde et la vie. La Douceur est une radicalité : elle ne peut et ne doit être comparée à quoi que ce soit. Elle n’est pas un mouvement de réaction, de contestation. Elle part du cœur pour toucher le cœur : plus qu’un idéal de société, c’est un idéal de vie, tout simplement … Mais c’est peut-être ce qui est si difficile. Car il semblerait parfois que l’homme soit naturellement attiré par la survie plus que par la vie. L’homme est terrifié par les contingences matérielles, ce qui le pousse à empiéter sur l’espace du voisin pour garantir sa subsistance. C’est aussi par peur que nous nous jetons à corps perdus dans cette course à l’innovation, de crainte inconsciente d’être dépassé, surpassé, et donc vaincu. La Douceur, ce n’est plus seulement survivre, c’est apprendre à vivre. Pleinement. Totalement. Et seulement. Simplement. Et ça, c’est un véritable combat. Intérieur, avant tout, mais aussi, inévitablement, contre ce et ceux que la Douceur n’a pas encore touché. Ce et ceux qui résistent à la Douceur, qui représente finalement le sacrifice de l’ancienne humanité.

Car la Douceur, c’est un renouveau radical. Il ne s’agit pas de reconstruire le monde tel qu’il était avant le Grand Effondrement, il ne s’agit pas de retourner en arrière et de faire comme si rien ne s’était passé, comme le souhaite le Délégué. Non. La Douceur, c’est construire un monde absolument nouveau. Sans se couper du passé, car celui-ci a bien des leçons à nous enseigner si nous ne voulons pas retomber dans les mêmes travers, mais sans l’idéalité, sans le regretter. Le monde passé a fait son temps, il s’est effondré sur lui-même comme un château de cartes balayé par un coup de vent. Il ne sert à rien de chercher à le rebâtir à l’identique : les cartes sont toutes froissées, l’édifice s’écroulerait plus vite encore que la première fois. Non, mieux vaut réfléchir à une nouvelle manière d’utiliser ses cartes, telles qu’elles sont désormais : avec leurs froissure, leurs déchirures. Avec toutes les cicatrices visibles et invisibles des survivants qui sont venus vivre de et dans la Douceur. Avec ce qu’ils ont été, ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vécus … pour ce qu’ils vont être, ce qu’ils vont faire, ce qu’ils vont vivre. La Douceur ne s’apitoie pas sur le passé qui ne peut plus être changé, elle se consacre à l’avenir qui ne demande qu’à advenir. Sans le craindre. Ils savent bien qu’il sera tel qu’ils vont le construire, et ils savent que cette responsabilité est bien grande : ils l’assument sans s’en enorgueillir, sans s’en plaindre non plus. Car ils le font tous ensemble, chacun portant seulement le poids qu’il est capable d’assumer sur ses épaules. Et personne ne reproche à quiconque d’en faire plus ou moins que lui : la Douceur, c’est accepter véritablement les différences et en faire des forces. C’est ainsi que la Mélodie, ce petit miracle, est né, d’ailleurs, comme nous le raconte Lou dans ce qui constitue ses Mémoires, son leg pour l’avenir …

En bref, vous l’aurez bien compris, cette conclusion est tout simplement sublime. Admirable. Au premier abord, ce dernier tome peut déconcerter : l’auteur nous avait vraiment habitués à quelque chose de profondément réaliste … et de profondément sombre, pour ne pas dire pessimiste. Autant dire que la tendre et poétique perspective de la Douceur tranche considérablement avec la funeste ambiance des tomes précédents ! Mais pourtant, il ne faut pas bien longtemps pour comprendre que la noirceur n’est jamais bien loin, elle se cache dans les souvenirs d’une Lou devenue fort vieille qui ne peut pas oublier les souffrances du passé, même si elle est efforcée de ne pas les laisser interférer avec la joie et la sérénité qui est désormais la sienne. Ce récit, c’est un très délicat mélange entre ces ténèbres qui, malheureusement, ont souvent guidé l’humanité, et cette étincelante pointe d’espoir qui nous fait rêver d’une humanité renouvelée, qui a enfin appris la force de la tendresse et l’importance de la vie. L’ambivalence est subtile, profonde : elle nous rappelle ce qui risque d’advenir dans les décennies à venir si nous ne faisons rien, mais panse nos blessures en nous rassurant, en nous invitant à ne pas sombrer dans le défaitisme, en nous proposant une nouvelle voie à suivre. A nous, ensuite, de voir ce que nous en ferons. Plus qu’une simple histoire pour divertir, c’est une forme de témoignage, de lettre ouverte, que nous propose l’auteur à travers les aventures de Lou. Un testament, peut-être, d’une humanité dont la fin approche, un héritage pour celle qui va naitre de nos égarements mortifères. L’espoir dans le chaos. Une trilogie poignante et audacieuse, vibrante et instructive, que je relirais sans le moindre doute à de fort nombreuses reprises : rares sont les récits à vibrer si harmonieusement en moi … Et en vous, peut-être ?

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