mercredi 23 mars 2022

Sainte Marguerite-Marie et moi - Clémentine Beauvais

Sainte Marguerite-Marie et moi, Clémentine Beauvais

 Editeur : Quasar

Nombre de pages : 236

Résumé : Rien ne prédisposait Clémentine, agnostique non baptisée, féministe 2.0, écolo végétarienne, à enquêter sur sainte Marguerite-Marie Alacoque, mystique du XVIIe siècle, apôtre du Sacré Cœur. Mais voilà : selon la légende familiale, la religieuse serait une aïeule. Et Clémentine est enceinte, sa grand-mère bien-aimée perd la mémoire… il est temps de partir à la recherche de ses racines.

 Un grand merci aux éditions Quasar pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« Mais en réalité je n'ai aucune raison ni aucune envie d'être malveillante. Ma loyauté envers ma grand-mère suffirait à m'interdire toute médisance sur son ancêtre, mais surtout ma curiosité pour la sainte n'est pas feinte ni teintée de sarcasme. Je ne sais pas encore de quoi elle est faite exactement ; par contre, il est très clair dans mon esprit que ce texte doit être lié à moi, faire partie d'un projet autofictionnel : une forme littéraire extrêmement intime, qui m'est jusqu'à maintenant parfaitement étrangère. »

- Mon avis sur le livre -

 Il arrive parfois que les expériences d’écriture et de lecture se répondent, étrangement, étonnamment. Que d’un côté du texte comme de l’autre, les situations de l’auteur et du lecteur entrent en résonnance. Ainsi, rien ne laissait penser à Clémentine Beauvais, agnostique féministe végétarienne anticléricale, qu’elle se laisserait un jour tenter par l’écriture d’une biographie (ou plutôt d’une hagiographie) de sa fort lointaine aïeule « vraiment très catholique car carrément sainte ». Et rien, absolument rien, ne me laissait penser que moi, « très catholique », très pratiquante et très fière de l’être, allait un jour céder à la tentation de lire une hagiographie de la mystique Marguerite-Marie Alacoque, messagère du Sacré-Cœur de Jésus, écrite par une agnostique féministe végétarienne anticléricale ! Pour être vraiment totalement honnête, je nourrissais de très sérieuses et profondes inquiétudes vis-à-vis de ce livre : certes, une amie à moi, ancienne étudiante de la-dite autrice agnostique féministe végétarienne anticléricale, ne cessait de m’affirmer que Clémentine Beauvais était la gentillesse incarnée, et certes, d’autres amies à moi ne cessaient de me chanter les louanges de ses romans jeunesse et de sa plume. Mais tout de même … une autrice agnostique féministe végétarienne anticléricale, écrire sur sainte Marguerite-Marie ! Il fallait oser, de son côté … mais aussi du miens.  

De son ancêtre – qu’elle ne se risquerait pas à qualifier « d’illustre », car dans son milieu, il serait bien préférable de descendre d’une résistante, d’une communarde, d’une révolutionnaire … que d’une obscure mystique du dix-septième siècle –, Clémentine Beauvais ne savait en réalité pas grand-chose. Elle était sainte. Elle a mangé du vomi pour Jésus. Elle a fondé le culte du Sacré-Cœur, quoi que ça puisse être. Bien longtemps, elle s’est contentée de ces connaissances fort lacunaires : elle n’avait absolument aucune raison de s’intéresser plus longuement à cette arrière-arrière-arrière-…-arrière-grande-tante avec laquelle elle ne partage absolument rien. Mais voilà : il s’est avéré que l’homme dont elle portait alors l’enfant est un homme « très catholique », qui sait très bien qui est cette drôle de sainte au nom ô combien « conte-de-féérique ». Et, plus encore, que par son intermédiaire, Clémentine est devenue amie avec une autre « très catholique », qui connait encore mieux sainte Marguerite-Marie Alacoque : elle est éditrice de la communauté de l’Emmanuel, communauté en charge du sanctuaire de Paray-le-Monial, là-même où la fameuse sainte est devenue religieuse et a reçu ces innombrables apparitions du Christ. Et voici que cette éditrice lui propose, sur le ton de la plaisanterie, de rédiger une biographie « happy, fun et décalée » de cette mystique qui, au premier abord, ne semble pas forcément très « happy, fun et décalée » … Et voici que, sans trop réfléchir aux conséquences, Clémentine Beauvais accepte.

Et voici que, un accouchement, un confinement et quelques années plus tard, la fameuse « biographie happy, fun et décalée » se retrouve sur les tables de chevet des lecteurs. Il ne fait aucun doute que le profil de ces lecteurs est très divers : il y a, assurément, ceux qui apprécient les autres romans de l’autrice, qui partagent sans nulle doute sa distance respectueuse (mais surtout de sécurité) avec tout ce qui se rapproche de près ou de loin à la religion (parce que dans leur milieu, « on n’a pas de problème avec les cathos, du moment qu’ils ne font pas des trucs de catho, genre s’opposer à ceci ou cela, tout le monde sait bien de quoi on parle ») … et il y a, sûrement, quelques catholiques un peu plus courageux que les autres, qui ne se sont pas laissé trop effrayer par le fait que l’autrice, quant à elle, défend farouchement tout ce qui nous met mal à l’aise. Il y a un gouffre immense qui sépare les lecteurs de ce roman. Mais il y a un pont : ce lien familial qui unit cette autrice « bien de son temps » et cette sainte très importante pour tous les catholiques se dévouant au Sacré-Cœur de Jésus. Certains arriveront à ce livre par la première, d’autres par la seconde. Et la grande richesse de cet ouvrage … c’est que tous y trouveront leur compte, à condition de faire preuve de la même ouverture d’esprit que Clémentine Beauvais. A la condition d’enterrer bien profondément les préjugés et les a prioris, les jugements et les réticences. Oui, chers lecteurs agnostiques, ce livre parle d’une sainte mystique. Et oui, chers lecteurs catholiques, l’autrice est agnostique et adepte d’un humour débordant … mais tout ira très bien, promis.

Car derrière cet humour mordant se cache un double récit des plus touchants. D'un côté, les confidences de cette jeune autrice qui regrette parfois profondément de s'être plongée dans cet audacieux projet littéraire : comment diable va-t-elle faire pour répondre aux exigences de « ton résolument bienveillant » de son éditrice très catho, et surtout pour ne pas se faire lapider par les activistes féministes qu'elle côtoie chaque jour ? De l'autre, le cheminement spirituel, teinté d'une certaine forme d'exaltation qui frôle la folie douce (ou plutôt furieuse) de la grande sainte qui parvint à imposer la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, tout en se contraignant à des restrictions et pénitences des plus effroyables. Dont Clémentine Beauvais ne cache absolument rien, comparé aux hagiographes catholiques qui, la plupart du temps, éclipsent tout ce qui pourrait heurter la sensibilité des catholiques d’aujourd’hui. Affirmer que sainte Marguerite-Marie a été missionnée par le Christ lui-même pour établir une dévotion particulière envers son Sacré-Cœur, ça, c’est porteur, édifiant, on en fait des vitraux, des exhortations flamboyantes … Mais raconter que la même sainte, tout au long de sa vie, s’est infligée des souffrances aussi horribles que se couper un bout de gencive, se coucher sur une croix couverte d’épines, manger le vomi d’une de ses sœurs malades, et j’en passe (et pas forcément des meilleures), ça fait un peu « tâche ». Mais, s’insurge sa lointaine descendante (pas si détachée que cela, donc), éclipser tout ceci, c’est éclipser tout ce qui faisait de Marguerite-Marie une messagère aussi … remarquable. Aussi efficace, donc.

Et c’est, finalement, ce qui m’a vraiment beaucoup émue dans ce récit : de voir cette jeune femme, agnostique, pas croyante pour deux sous, défendre avec plus de ferveur que grand nombre de croyants eux-mêmes cette sainte à la personnalité controversée. Et surtout, de la voir essayer de comprendre cette jeune femme si différente d’elle au premier abord … et de la voir se rendre compte que, d’une certaine manière, elles se ressemblent tout de même bien plus qu’elle ne pouvait et ne voulait bien l’imaginer. Ce livre, c’est aussi cela : ce cheminement. N’allons pas jusqu’à dire spirituel, car Clémentine Beauvais ne s’est pas brusquement convertie dans une extase digne de sa lointaine ancêtre (dommage, ça aurait eu un grand potentiel dramatique). Mais tout de même : on sent bien qu’entre la première et la dernière page, entre le moment où Clémentine s’est embarquée dans cette épopée littéraire et le moment où elle pose le point final, quelque chose s’est passé. Quelque chose a changé. Quelque chose a été chamboulé, ébranlé. Car même si l’autrice s’efforce de le masquer en surenchérissant de réflexions ironiques, même si elle s’efforce de se le masquer en se réfugiant derrière cet humour à toute épreuve qui l’évite de s’y confronter en face … ça ne fait aucun doute que Clémentine Beauvais n’est plus si insensible, si distante, si indifférente, face à cette lointaine aïeule auréolée de sainteté. Si le lecteur est si touché, c’est peut-être parce que l’autrice aussi a été touchée. Pas par la grâce. Mais peut-être par une certaine forme de communion … de compréhension nouvelle.

En bref, je pense qu’il vaut mieux que je m’arrête là, sinon je vais tourner en rond, mais vous l’aurez bien compris : moi qui nourrissais quelques inquiétudes au moment de commencer ce récit (et qui n’aurai peut-être même pas pris le risque de le lire sans le petit coup de pouce de la Masse critique de Babelio), j’ai été non seulement très agréablement surprise, mais surtout très profondément touchée. En tant que catholique, j’ai bien évidemment apprécié d’en apprendre un peu plus sur la vie de sainte Marguerite-Marie Alacoque, sur son enfance, mais aussi sur sa personnalité (pour le moins unique, pour ne pas dire totalement extravagante). Et en tant que lectrice, j’ai également apprécié en apprendre un peu plus sur Clémentine Beauvais, dont mes amies ne cessaient de me parler, et dont j’ai désormais plus envie que jamais de découvrir les romans jeunesse. Avec ce petit livre indéfinissable (ni complétement une hagiographie, ni totalement une autofiction), l’autrice réussit l’incroyable pari de réunir deux mondes, deux milieux, qui semblaient totalement inconciliables … mais clairement, je pense que ce livre peut énormément plaire à tous les lecteurs, ceux de Clémentine Beauvais et ceux des éditions de l’Emmanuel. Ceux qui « parlent au futur inclusif » et ceux qui vont à la messe entre midi et deux. Différents, oui, mais pas irréconciliables. Il suffit peut-être d’une bonne petite pincée d’humour, et d’une délicate pointe de tendresse, pour concocter un ouvrage rafraichissant, émouvant, et vraiment très intéressant. Un vrai petit bijou !

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