samedi 28 décembre 2019

De bonnes raisons de mourir - Morgan Audic


De bonnes raisons de mourir, Morgan Audic

Editeur : Albin Michel
Nombre de pages : 490

Résumé : Un cadavre atrocement mutilé suspendu à la façade d'un bâtiment. Une ancienne ville soviétique envoûtante et terrifiante. Deux enquêteurs, aux motivations divergentes, face à un tueur fou qui signe ses crimes d'une hirondelle empaillée. Et l'ombre d'un double meurtre perpétré en 1986, la nuit où la centrale de Tchernobyl a explosé...

Un grand merci aux éditions Albin Michel pour l’envoi de ce volume et à la plateforme Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.


- Un petit extrait -

« Avec amertume il se dit que le monde se souvenait de dictateurs, de joueurs de foot brésilien et d’artiste peignant des carrés blancs sur fond blanc, mais que personne ne pouvait donner le nom d’un seul de ces hommes qui avaient sauvé l’Europe d’un cataclysme nucléaire sans précédent. Qui connaissait Alexei Ananeko, Valeri Bespalov et Boris Baranov ? Qui savait qu’ils s’étaient portés volontaires pour plonger dans le bassin inondé sous le réacteur 4, pour activer les pompes et le vider de son eau avant que le cœur en fusion ne l’atteigne ? Qui savait que si le magma d’uranium et de graphite s’était déversé dans le bassin, il se serait produit une explosion de plusieurs mégatonnes qui aurait rendu inhabitable une bonne partie de l’Europe ? »

- Mon avis sur le livre -

Pour garder une lectrice compulsive de fantasy et de science-fiction en bonne santé, je recommande un bon thriller par mois ! Plus sérieusement, je me rends progressivement compte que ce genre, que j’ai longuement boudé, me réussit drôlement bien : c’est toujours un plaisir d’entrecouper mes « marathons de l’imaginaire » par un thriller ! Changement brutal d’ambiance, bouleversement total de rythme … J’aime de plus en plus ces petites pauses « polars » ! Aussi, quand Babelio m’a proposé de recevoir ce « thriller époustouflant dans une Ukraine disloquée où se mêlent conflits armés, effrontément économique et revendications écologiques » dans le cadre d’une opération privilégiée, je me suis ruée sur la page d’inscription, en croisant les doigts pour que le « bug des opérations privilégiées » ne frappe pas à nouveau en ne prenant pas en compte ma participation ! Quelques heures plus tard, bonne nouvelle dans la boite mail : j’allais prochainement recevoir ce roman qui promettait d’être fort dépaysant !

Le dépaysement … c’est justement ce que cherchent certains touristes en s’offrant une petite virée à Pripiat, ancienne ville soviétique au cœur de la zone d’exclusion de Tchernobyl. C’est au cours d’une de ces « visites guidées radioactives » qu’un touriste aperçoit un cadavre, atrocement mutilé, suspendu à la façade d’un bâtiment. C’est le capitaine Joseph Melnyk qui est chargé de l’enquête, tandis que le père de la victime dépêche le policier russe Alexandre Rybalko pour retrouver l’assassin de son fils … Le premier est motivé par un sens aigu de la justice, tandis que le second, atteint d’un cancer incurable, est prêt à tout pour racheter ses fautes et payer l’opération de sa fille. Chacun de leur côté, les deux policiers font le lien avec un double-meurtre perpétré en 1986, le jour de l’explosion de la centrale de Tchernobyl. Tandis que le présent s’entremêle au passé dans cette ville désertée, la terrible vérité s’apprête à refaire surface, telles les particules radioactives qui jonchent le sol jusqu’à ce qu’un coup de vent les disperse …

La catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Elle constitue à elle-seule un personnage à part entière de ce récit. Non seulement parce que la majeure partie de l’intrigue se déroule au cœur de la zone d’exclusion, mais aussi et surtout parce que tout tourne autour de cette explosion. Alexandre Rybalko est né et a grandi à Pripiat : lui qui s’était juré de ne pas remettre les pieds en Ukraine se retrouve à fouler les rues de son enfance pour cette enquête qui pourrait bien être la dernière : atteint d’un cancer incurable dû aux radiations, il sait qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a brisé sa promesse : Vektor Sokolov, père de la victime, lui a promis une petite fortune s’il trouve et abat l’assassin de son fils. Et Alexandre a besoin de cet argent : il n’a jamais été un bon père pour sa fille, malentendante de naissance, et compte bien lui offrir l’opération dont elle a besoin pour mener une vie normale. 

A travers lui, ce thriller pose ainsi la question suivante : jusqu’où serait-on prêt à se salir les mains, à souiller sa conscience, pour ceux qu’on aime ? Mais chez Alexandre, n’y a-t-il pas plutôt une volonté de racheter ses fautes, donc de se donner bonne conscience avant de quitter ce monde, d’être convaincu d’avoir fait au moins une chose de bien dans sa vie ? N’essaye-t-il pas, finalement, de se faire passer pour un héros aux yeux de sa fille et de son ex-femme ? Où se situe donc la frontière entre l’altruisme et l’égoïsme dans ce genre de décision ? Point de réponse, mais un questionnement en suspens. Plus généralement, ce thriller brise totalement le mythe du détective animé par la pure soif de justice : ici, Alexandre et Joseph Melnyk sont des « monsieur tout le monde », avec leurs qualités, certes, mais aussi leurs défauts, leurs faiblesses, leurs regrets. On a d’autant plus envie de les voir trouver le fin mot de l’histoire qu’ils sont profondément humains : ils ne sont pas seulement des « moyens » pour l’auteur de mener l’enquête (il faut bien des détectives, voyons !), mais ils sont vraiment les moteurs de cette histoire, et leur parcours personnel est tout aussi important que l’enquête.

Mais quelle enquête ! Depuis quelques années, je lis de plus en plus de thrillers et polars, mais je pense pouvoir affirmer sans la moindre hésitation que De bonnes raisons de mourir est le plus palpitant qu’il m’ait été donné de lire. Que de mystères et de surprises, que de révélations et de rebondissements, vraiment, je n’ai pas vu la fin venir ! C’était un vrai régal que de suivre ces deux enquêtes parallèles, qui se complétaient et se répondaient sans le savoir : au lecteur de mettre bout à bout les différentes pièces du puzzle que nous apportent Alexandre et Joseph, dans l’espoir de démasquer le tueur et de comprendre ses motivations. Car on a vraiment envie de savoir : pourquoi de telles mises en scène macabres ? Certaines descriptions sont franchement répugnantes, et je vous exhorte à ne pas lire ce roman pendant ou après les repas : certains passages donnent franchement la nausée … Et je ne vous parle même pas des découvertes que vous ferez sur la Zone de Tchernobyl et ses petits trafics : certaines choses font franchement froid dans le dos (saviez-vous que, potentiellement, le bois de votre bibliothèque Billy est issu de cette zone radioactive ? non ? désolée, vous le savez maintenant). Entre les autopsies « sauvages » et les mornes paysages désolées de la zone, l’ambiance de ce roman est vraiment particulière, presque malsaine, mais elle sert à merveille ce récit aussi prenant que surprenant !

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un vrai coup de cœur. Avec ce livre, j’ai appris énormément de choses sur une catastrophe que tout le monde connait de nom mais dont nous ne savons finalement que peu de choses, alors qu’elle a encore bien des conséquences pour l’Ukraine comme pour le reste du monde. Avec ce livre, j’ai suivi une double-enquête particulièrement palpitante et intrigante, qui explore des pistes rarement explorées pour le plus grand plaisir du lecteur : quelle excellente idée que d’intégrer la taxidermie, activité aussi méconnue que dérangeante, comme fil conducteur de ce thriller riche en surprises ! Avec ce livre, enfin, j’ai eu la chance de découvrir la plume d’un auteur français qui signe aussi son deuxième roman, et que je compte suivre avec intérêt : j’ai vraiment beaucoup aimé sa façon de raconter cette histoire, de plonger le lecteur dans son histoire, de le happer pour mieux l’entrainer à la suite de ses personnages, dans cette Zone désertique et fantomatique qu’il n’aura logiquement jamais l’occasion de visiter autrement que par un roman …. A lire absolument !

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
(plus d’explications sur cet article)

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