mercredi 18 novembre 2020

Blood Family - Anne Fine


Blood Family, Anne Fine

Editeur : l’école des loisirs
Nombre de pages : 341

Résumé : Il revient de loin, Edward. Jusqu’à l’âge de 7 ans, il a vécu enfermé dans un appartement avec sa mère, sous l’emprise d’un homme alcoolique et violent. Lorsqu’il est délivré de son bourreau, il peut enfin découvrir le monde qui l’entoure. Mais est-il libre pour de bon ? Recueilli par les services sociaux, puis ballotté de famille d’accueil en famille d’adoption, Edward se construit en tentant d’oublier son passé. Mais au fil des années, ce passé le suit pas à pas et ne cesse de se rappeler à lui. La force, le courage et la volonté lui suffiront-ils pour lui échapper ?



- Un petit extrait -
« Je m’étais mis à aimer passionnément les livres. J’avais l’impression que chacun d’eux me donnait des clefs pour devenir normal. Qu’ils n’avaient été écrits que pour moi, comme autant de cours particuliers tranquilles et sans danger, sur la façon de  vivre des autres. Mieux encore, ils faisaient renaitre en moi la certitude qu’il existait une infinité de moyens de tracer son chemin dans la vie sans éveiller les soupçons. […] Même si vos soucis sont différents, les livres vous montrent au moins que vous n’êtes pas seul à vous en faire. Vous n’avez plus besoin d’avoir peur que ce soit anormal.  »
- Mon avis sur le livre -

Il y a quelques semaines, j’évoquais avec une amie lectrice ce qui est probablement la plus grande contradiction de mon existence : je suis hypersensible – et ça me complique considérablement la vie, car c’est jugé inacceptable dans notre société de pleurer « pour un rien » à bientôt vingt-quatre ans … bonjour la tolérance – mais je n’hésite pas pour autant à me plonger dans des livres jugés « difficiles ». Bien sûr, il y a certaines limites que je ne peux pas dépasser – ce qui m’oblige parfois à refuser telle ou telle proposition de service presse, car je sens que le livre en question me perturbera beaucoup trop –, mais cela ne me fait pas particulièrement « peur » d’ouvrir un thriller, un policier ou un drame de temps en temps. Au fil des années, j’ai appris à garder suffisamment de distance avec l’histoire relatée pour la savourer sans qu’elle ne me dévore. J’en suis vraiment soulagée, car cela me permet de me plonger dans des récits qui m’intriguent et m’attirent même si ceux-ci abordent des thématiques très difficiles …

Les premières années de sa vie, Eddie les a passées recroquevillé dans un coin du salon, s’efforçant de se faire le plus petit possible tandis qu’Harris, alcoolique et tyrannique, s’acharnait sur sa mère. Son seul lien avec le monde extérieur, ce sont des cassettes vidéos sur lesquelles sont enregistrées de vieilles émissions, dans lesquelles Mr Perkins emmènent ses petits téléspectateurs à la découverte d’une caserne de pompiers, d’une ferme, d’une pizzeria, tout en leur rappelant qu’il faut toujours mettre de la crème solaire en été et qu’il faut bien se laver les dents tous les jours … Le petit garçon a sept ans lorsque la police et les services sociaux défoncent la porte, mettant fin à son interminable calvaire. D’abord placé dans une famille d’accueil aimante, puis adoptée par une famille bienveillante, le petit Eddie s’en sort étonnamment bien pour un enfant séquestré et maltraité … Jusqu’au jour où une simple sortie scolaire vient remettre en question l’équilibre précaire de sa santé mentale …

Si je devais résumer en deux mots ce roman, je n’hésiterai pas bien longtemps : simplicité et dureté. Les premières pages donnent immédiatement le ton du récit : c’est incisif, brut, tranchant. Tout commence par l’irruption fracassante d’une unité de police dans un appartement saccagé, dévasté, ravagé : ils y trouvent une femme couverte d’hématomes qui semble ne même pas se rendre compte de leur présence, et un petit garçon vêtu de haillons qui se terre dans son coin. Il y a cette urgence qui vous prend aux tripes : il faut les sortir d’ici, immédiatement, avant que l’homme responsable de cette horreur revienne. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la mère et le fils sont exfiltrés de ce logement insalubre et conduits à l’hôpital. C’est ainsi que débute la nouvelle vie d’Eddie … Mais ne nous faisons pas d’illusions : la vie n’est pas un conte de fée, et contrairement à ce qu’on aimerait espérer, un peu d’amour et de douceur ne suffiront pas à effacer ces traumatismes infantiles. Et même si, dans un premier temps, notre brave et sensible petit Edward semble bien remonter la pente, on pressent que le passé va brutalement ressurgir un jour ou l’autre. Pour le pire plus que pour le meilleur …

A travers l’histoire d’Eddie, c’est le parcours de vie de centaines d’enfants placés et adoptés que nous invite à suivre l’autrice. Car irrémédiablement, une même question finit par surgir, parfois insidieusement, parfois violemment. Est-il véritablement possible de faire table rase de son passé, de son enfance, de sa famille biologique ? Peut-on véritablement se construire sereinement quand nos racines sont branlantes ? Et c’est alors que le titre du livre prend tout son sens : les liens du sang seraient-ils plus forts que ceux du cœur ? Une implacable malédiction se cache-t-elle dans nos veines, nous condamnant à marcher dans les traces de nos géniteurs bien malgré nous ? Alors qu’il grandit, Eddie est de plus en plus hanté par la crainte de ressembler un jour à son bourreau … Mais le plus terrible, finalement, c’est que c’est pour oublier cette peur que le jeune homme va progressivement sombrer dans les mêmes travers que cet homme qu’il craint et hait tant. Et le lecteur assiste impuissant à cette descente aux enfers, le cœur serré de voir ce jeune homme innocent ployer sous le poids d’un si cruel fardeau.

Simplicité et dureté, disais-je : comme vous l’aurez remarqué, c’est une intrigue « extraordinairement banale » que nous offre ici l’autrice, sans fioriture inutile, sans péripétie superflue, toute centrée sur la difficile reconstruction de ce gamin malmené par l’existence. Rien de plus, rien de moins qu’une tranche de vie. Relatée par Eddie et par tous ceux qui gravitent autour de lui : Rob le travailleur social, Eleanor la psychologue, Linda l’assistance maternelle, Alice la sœur adoptive … Chacun leur tour, ils nous dressent un portrait saisissant de cet enfant sauvé de l’enfer. Roman polyphonique dans toute sa splendeur, Blood Family ne se contente ainsi pas d’évoquer les conséquences « à long terme » des abus psychologiques et des déterminismes génétiques, mais aborde également la question de l’adoption du point de vue des parents. Avec justesse, en remisant au placard les grands discours bien-pensants, Anne Fine nous plonge au cœur des doutes et même des regrets de ces hommes et de ses femmes qui élèvent « les enfants des autres », qui tentent de leur apporter tout l’amour et le soutien possible pour les aider à rebondir, mais qui se demandent parfois s’ils ont fait le bon choix … 

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un roman particulièrement poignant et émouvant que nous offre ici l’autrice. Sans jamais sombrer une seule fois dans le larmoyant à outrance ou l’apitoyant démesuré, Anne Fine n’épargne absolument rien au lecteur, le confrontant à la vérité dans toute sa rudesse : on ne ressort jamais indemne de ce genre d’épreuves, jamais, même avoir tout l’amour et toute la bonne volonté du monde. Il reste toujours quelque chose de ces douleurs, de ces peines, de ces peurs. On pourrait reprocher à ce récit d’être trop pessimiste … mais il faut se rendre à l’évidence et reconnaitre qu’il est tout simplement réaliste. La fin est à mes yeux particulièrement marquante de ce point de vue : elle nous laisse en plan, avec un grand point d’interrogation vu qu’on peut s’imaginer le pire comme le meilleur, la voir comme la preuve de la guérison d’Eddie ou comme les prémices d’une rechute à venir. Au lecteur de se faire sa propre opinion … En tout cas, c’est un roman certes difficile par moment, mais que j’ai énormément apprécié car il est si riche, si puissant, et si bien écrit, tout en finesse, vraiment une très belle lecture que je n’oublierai pas de sitôt !

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