mercredi 20 octobre 2021

Room - Emma Donoghue

Room, Emma Donoghue

 Editeur : France loisirs

Nombre de pages : 441

Résumé : Sur le point de fêter ses cinq ans, Jack a les préoccupations des petits garçons de son âge. Ou presque. Il ne pense qu’à jouer et à essayer de comprendre le monde qui l’entoure, comptant sur sa mère pour répondre à toutes ses questions. Cette mère occupe dans sa vie une place immense, d’autant plus qu’il habite seul avec elle dans une pièce unique, depuis sa naissance. Il y a bien les visites du Grand Méchant Nick, mais Ma fait tout pour éviter à Jack le moindre contact avec ce personnage. Jusqu’au jour où elle réalise que l’enfant grandit, et qu’elle ne va pouvoir continuer longtemps à entretenir l’illusion d’une vie ordinaire. Elle va alors tout risquer pour permettre à Jack de s’enfuir ...

 

- Un petit extrait -

« Pourquoi c’est le Dehors qui a tout pour lui ? Maintenant, à chaque fois que je pense à un truc, comme des skis, des feux d’artifice ou des îles, des ascenseurs ou encore des yo-yo, je dois me rappeler que c’est pour de vrai, qu’ils se rencontrent tous ensemble dans le monde du Dehors. Ça me fatigue la tête. Il y a des gens aussi : pompiers –maîtresses d’école- cambrioleurs –bébés –saints – footballeurs et plein d‘autres sortes, ils existent tous en vrai dans le monde de Dehors. Mais pas moi ; moi et Maman on est les seuls qui y sont pas. On existe quand même pour de vrai ?  »

- Mon avis sur le livre -

 Comme chaque été, le challenge des Fouilles Littéraires (cette année intégré à mon challenge annuel Lire main dans la main) m’a aidé à sortir quelques reliques de ma pile à lire tout en sortant de ma zone de confort : les ouvrages que je chine à cinquante centimes en bourses aux livres (me disant que, vu le prix, je peux me permettre de prendre quelques risques en achetant des livres que je n’aurai sans doute pas pris au prix fort, de peur d’être déçue et d’avoir jeté de l’argent par la fenêtre) ont cette fâcheuse tendance à rester indéfiniment sur les étagères des « non-lus », et cette petite impulsion challengesque estivale m’incite à leur donner enfin leur chance … A vrai dire, cette fois-ci, je n’avais pas beaucoup de doutes : ayant déjà vu l’adaptation cinématographique, je savais que ce roman allait me plaire, mais connaissant justement l’histoire et sachant que les romans sont souvent bien plus puissants que les films, j’avais peur d’être un peu trop secouée, bouleversée, chamboulée par le récit. Mais la mise en place d’une lecture commune dans le cadre d’un autre challenge a achevé de me convaincre : cette année, c’était son tour ! J’ai donc pris mes précautions et ai sorti une boite de mouchoirs, prête à dégainer au premier passage émouvant : autant vous dire que j’ai eu le nez fin !

Aujourd’hui, Jack fête ses cinq ans. C’est une journée à la fois exceptionnelle, parce qu’il est grand maintenant (et qu’il va y avoir un gâteau d’anniversaire, mais sans les bougies car Maman n’a pas pensé à en demander au Grand Méchant Nick pour le Cadeau du Dimanche), et parfaitement ordinaire. Car dans la Chambre, le quotidien est immuable : Jack commence toujours par prendre son Doudou-Lait, puis ses 100 céréales en jouant à « Fredonne moi une chanson » avec sa maman, il fait ensuite la vaisselle et se lave les dents, puis vient l’heure de donner de l’eau à Madame Plante et de prendre les vitamines avant d’aller regarder Dora dans la télévision, sans oublier le bain-lessive, l’activité sportive et l’heure de la lecture. Chaque jour, Jack et sa Maman répètent les mêmes routines, les mêmes rituels. Et chaque nuit, Jack dort dans Petit Dressing pour pas que le Grand Méchant Nick le voit. Jack ne sait pas vraiment ce que devient le Grand Méchant Nick quand il va derrière Madame Porte : sans doute va-t-il dans une des planètes de Madame Télé … Mais voici que Maman lui révèle une chose incroyable, impensable, inimaginable : tout ce qu’il y a dans Madame Télé existe pour de vrai. Dehors. Il y a quelque chose en dehors de la Chambre. Et Maman veut à tous prix que Jack et elle aillent dehors. Quoi qu’il en coute ...

Avec toute sa candeur enfantine, Jack, notre petit narrateur, relate son quotidien. Un quotidien qui, au tout premier abord, semble relativement normal … mais au premier abord uniquement. Car au bout d’une ou deux pages seulement, on comprend bien que quelque chose ne tourne absolument pas rond, même si rien ne semble surprendre ou perturber ce petit garçon intelligent et pétillant. On se rend compte qu’à ses yeux, il n’y a rien de plus normal que de vivre depuis toujours dans une petite pièce de dix mètres carrés à peine avec sa Maman. Il faut dire que Jack n’a jamais connu rien d’autre : Jack est né dans cette petite pièce insonorisée, fermée par une porte à code qui ne s’ouvre que tard le soir, quand le petit garçon est bien caché dans Petit Dressing car Maman ne veut pas que le Grand Méchant Nick le voit … Le lecteur ne met pas bien longtemps à comprendre la terrible réalité que Jack ignore complétement, ne met pas bien longtemps à saisir que ce petit garçon est le fruit d’une séquestration et de viols répétés. Et ce qui rend cette situation encore plus horrifiante, c’est justement qu’elle est comme « occultée » par l’apparente douceur et la sérénité qui règnent dans ce huis-clos : toute la violence et la cruauté de cette situation ne transparait jamais directement, puisque la Maman s’est efforcée de préserver l’innocence et la joie de Jack en tissant autour de lui un cocon de rêves et d’amour.

Car voilà la seconde chose que l’on découvre rapidement : pour éviter à son enfant de souffrir de cet enfermement, de cet isolement, la Maman a fait le choix de ne pas lui parler du monde extérieur, de lui laisser croire que tout ce qu’il voit à la télévision n’existe pas réellement, que seule la Chambre et eux deux sont vrais. C’est un choix qui peut surprendre, qui peut même choquer et indigner (et d’ailleurs, lorsqu’ils finiront par être délivrés, ils seront bien nombreux, les « gens bienpensants » à la juger et la critiquer) … mais en s’efforçant d’être ouvert et bienveillant, on ne peut que louer la volonté de cette toute seule femme de protéger ce tout petit garçon insouciant. A quoi bon le faire souffrir en lui agitant devant le nez tout ce qu’il ne pourra jamais voir, toucher, avoir ? Elle s’efforce au contraire de le rendre heureux, de lui offrir la vie la plus joyeuse et épanouissante possible malgré la frugalité de leur existence, tout comme elle veille le plus farouchement possible sur sa santé : vitamines tous les matins, brossage de dents, activités physiques, alimentation équilibrée … Comment ne pas être admiratif face au courage et à la débrouillardise de cette jeune femme qui n’a jamais pu compter sur les conseils de pédiatre ou de sa propre mère pour savoir comment s’occuper d’un enfant et qui n’a jamais baissé les bras ?

Arrive cependant un jour où ce drôle d’équilibre semble brisé : Jack grandit, il se pose de plus en plus de questions auxquelles elle ne sait plus comment répondre et qui font renaitre en elle la soif de liberté (où va le Grand Méchant Nick ? où est-ce qu’il trouve les tomates et les médicaments ? et comment ça se fait que les vitamines qui existent soient aussi dans Madame Télé ?). Et voici que, du jour au lendemain, elle déconstruit tout ce qu’elle a construit, elle s’efforce de faire comprendre et croire à Jack qu’il existe autre chose que la Chambre, qu’il y a un Dehors, avec tout ce qu’il voit dans Madame Télé. De plus en plus fébrile, elle le convainc qu’ils doivent, absolument, aller Dehors, et qu’il doit être courageux pour les sauver tous les deux. Pauvre petit Jack, complétement perdu, mais qui continue à faire aveuglément confiance à sa maman, même s’il ne comprend pas tout, même s’il ne comprend en réalité plus rien, même si sa Maman adorée l’oblige à faire des choses nouvelles, difficiles, étranges, angoissantes … Commence alors le moment le plus palpitant et effrayant de tout le roman : j’étais tellement effrayée pour ce pauvre petit Jack, lui-même terrifié par l’inconnu et par cette mission dont il ne saisit pas encore parfaitement les enjeux, et également pour la Maman, restée seule dans la Chambre à la merci de leur ravisseur … Je grelottais d’effroi alors qu’il faisait atrocement chaud dehors !  

Mais le « pire » reste finalement à venir … Car aussi surprenant que cela puisse paraitre, cette libération est loin d’être facile à vivre. Jack est absolument terrifié par le Dehors : tout est trop bruyant, trop mouvementé, trop lumineux, trop nouveau. Il ne souhaite plus qu’une seule chose : retrouver la Chambre, avec Madame Couette (toute râpée mais apaisante) et Petit Dressing (tout petit mais rassurant). Retrouver ses routines, ses rituels, ses vêtements, sa cuillère … et surtout sa Maman. Sa Maman rien qu’à lui, qu’il n’a pas besoin de partager avec les médecins et les journalistes et « mamie », sa Maman qui s’occupe tout le temps de lui, qui prend soin de lui, qui joue avec lui, qui dort avec lui … J’ai eu énormément de peine pour ce pauvre petit Jack, que tout le monde voit comme un petit miraculé, pour qui tout le monde se réjouit, mais qui se languit plus que tout de sa vie d’avant. Mais j’ai également eu de la peine pour sa Maman : certes, si on s’arrête au regard de Jack, on a envie de la secouer, pour lui ordonner de continuer à prendre soin de ce petit garçon qui compte sur elle, qui a besoin d’elle … mais on discerne son profond mal-être, alors on a finalement envie de la prendre dans nos bras pour la consoler, lui dire que tout ira bien, la rassurer, lui dire de ne pas prêter attention aux jugements et critiques qui l’assaillent (j’ai eu envie de baffer la Mamie qui s’offusque car elle allaite encore Jack à cinq ans, comme si c’était le truc le plus important). Difficile de reprendre le cours de sa vie après une parenthèse aussi traumatisante …

En bref, je vais m’arrêter là car cette chronique est déjà outrageusement longue, mais vous l’aurez bien compris : c’est un roman tout simplement poignant, bouleversant, déchirant, saisissant, qui m'a vraiment secouée et émue aux larmes. C’est une histoire douce-amère, tantôt pleine de tendresse, de poésie, tantôt pleine de dureté, de rudesse. A travers le regard innocent d’un petit garçon qui ne connait rien du monde, nous découvrons justement toute l’absurdité et la cruauté de notre monde, où tout « coûte toujours des sous », même les tickets de loterie qu’on jette immédiatement à la poubelle, où les gens sont « presque toujours stressés et n’ont pas le temps », où les parents « disent à leurs enfants qu’ils sont superbes et très mignons mais n’ont pas vraiment envie de jouer avec eux » … Où chacun se croit libre mais est en réalité enfermé dans une infinité de normes parfois ridicules et de pressions sociales qui empêche d’être pleinement soi-même. Où personne n’est jamais content de ce qu’il a, même quand il a absolument tout. Vraiment, l’autrice a réussi un coup de maitre : s’appuyer sur le regard pur d’un petit garçon pour nous conter une histoire absolument frappante qui ne peut pas laisser indifférent, tout en nous invitant justement à changer, peut-être, de regard sur notre monde et notre vie. C’est un roman qui m’a beaucoup fait pleuré, mais bon sang ce qu’il est beau, d’une justesse et d’une puissance incroyables !

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