Editeur : Folio (SF)
Nombre de pages : 236
Résumé : 451 degrés Fahrenheit représentent la température à laquelle un livre s'enflamme et se consume. Dans cette société future où la lecture, source de questionnement et de réflexion, est considérée comme un acte antisocial, un corps spécial de pompiers est chargé de brûler tous les livres, dont la détention est interdite pour le bien collectif. Montag, le pompier pyromane, se met pourtant à rêver d'un monde différent, qui ne bannirait pas la littérature et l'imaginaire au profit d'un bonheur immédiatement consommable. Il devient dès lors un dangereux criminel, impitoyablement poursuivi par une société qui désavoue son passé.
« Si vous ne voulez pas qu'un homme se rende malheureux avec la politique, n'allez pas lui casser la tête en lui proposant deux points de vue sur une question ; proposez-lui en un seul. Mieux encore, ne lui en proposez aucun. […] Proposez des concours ou l'on gagne en se souvenant des paroles de quelque chanson populaire, du nom de la capitale de tel ou tel Etat ou de la quantité de maïs récolté dans l'Iowa l'année précédente. Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de "faits" qu'ils se sentent gavés, mais absolument "brillants" côté informations. Ils auront l'impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur place. »
Bien que cela ne soit nullement prévu ni même intentionnel, il semblerait que l’année 2021 soit celle où je me suis enfin décidée à lire les « plus grands classiques » de la science-fiction, et même plus précisément de la dystopie, ceux qu’il faut « absolument lire une fois dans sa vie » à en croire tous les critiques littéraires, les libraires, les bibliothécaires, ou tout simplement la foule innombrable de lecteurs « transcendés ». Après La servante écarlate il y a quelques mois, c’est au tour de « l’incomparable » Fahrenheit 451 de sortir de la pile à lire … Et contrairement à La servante écarlate pour lequel j’éprouvais une sorte de défiance instinctive – qui s’est avérée justifiée, je n’ai effectivement pas apprécié cet « incontournable » de l’anticipation –, c’est avec confiance et enthousiasme que je me suis plongée dans Fahrenheit 451 : de ce que j’en lisais, de ce qu’on m’en disait, c’était un roman qui avait absolument tout pour me plaire, que ça soit du point de vue des thématiques abordées ou de celui du style littéraire, j’étais donc persuadée que j’allais apprécier et savourer ma lecture … Mais il semblerait que ces fameux « grands classiques » unanimement encensés ne soient pas pour moi : c’est une nouvelle fois une profonde déception, plus amère encore que je ne l’ai pas du tout vu venir.
Ce soir-là, comme tous les autres soirs depuis dix ans, Montag rentre de la caserne, puant le pétrole et la fumée, un sourire implacablement plaqué au visage : encore une maison consumée par les flammes, encore des livres, ces objets impies, réduits en cendres d’une seule chiquenaude de sa part. Comme tous les pompiers, Montag a l’immense honneur et la grande fierté de débarrasser la société de ces dangereuses reliques du temps passé, reliques auxquelles s’accrochent comme des cloportes insatiables des esprits récalcitrants. Mais ce soir-là, tandis qu’il s’en retournait chez lui après une satisfaisante opération rondement menée, Montag fait une rencontre qui va remettre en question tout ce qu’il tenait pour fermement acquis. En lui rappelant qu’il y a de la rosée sur l’herbe le matin, en l’invitant à distinguer le visage du bonhomme de la lune, Clarisse lui ouvre les yeux sur un monde qu’il habite sans le voir, englué dans son quotidien où on n’a jamais une seule seconde pour penser. Commence alors une infernale dégringolade qui va le conduire à bafouer tous les interdits, tandis que son esprit trop longtemps éteint par le vacarme incessant de la vie se réveille dans un sursaut de révolte. Qu’y-a-t-il donc dans les livres pour que tant d’individus soient prêts à risquer leur vie pour en posséder ne serait-ce qu’un ?
Par où commencer ? Peut-être en précisant qu’il m’a fallu presque une heure pour écrire ce misérable résumé d’une quinzaine de lignes, tant je peinais à trouver de la matière : j’ai beau tourner et retourner la chose dans tous les sens, je ne vois aucune intrigue à résumer, aucune histoire à synthétiser. Nous avons un personnage, disons même plutôt une esquisse de personnage puisqu’il n’a absolument aucune « consistance », qui va dans un sursaut soudain sortie vaguement de son apathie et rompre un interdit. Poursuivi par ses anciens collègues, il parvient à fuir, rencontre d’autres parias et voir sa ville se faire réduire en poussière par une bombe. Fin de la pièce, vous pouvez baisser le rideau. Et alors s’élève dans la salle une vague de protestation : quoi, tout ça pour cela ? Des heures et des heures de palabres sans queue ni tête, des pages et des pages d’entremêla de mots sans début ni fin, juste pour voir un gars rejoindre un groupe de vagabonds ? Car c’est vraiment ce que j’ai ressenti : une frustration et une perplexité croissantes, une irritation et une lassitude grandissante, tandis que ce simulacre d’histoire trainait en longueur, s’éternisait inlassablement pour ne rien dire. Deux-cent trente pages, cela peut sembler court, mais croyez-moi, lorsque vous avez le sentiment de tourner en rond, cela devient vraiment très, très long.
Alors je ne nie pas l’existence d’une certaine forme de « réflexion » sur ce que pourrait devenir notre société, déjà de plus en plus marquée par un conformisme mondialisé où ne subsiste plus qu’une seule et même vague d’opinion, celle des « bienpensants », où ceux qui résistent à ce flux se font systématiquement incendiés (par des mots ou des coups, pas encore des flammes … quoi que) et épinglés par la vindicte populaire. Nous ne sommes en réalité pas si éloignés de cette Mildred, qui passe toute son existence entourée de trois écrans géants qui l’abrutissent, qui lui donnent l’illusion de s’informer, de penser par elle-même, alors qu’elle ne fait plus que répéter comme un gentil petit perroquet bien dressé ce qu’elle entend continuellement. Sans même se rendre compte que ses mots ne sont pas les siens. Nos murs ne sont pas encore des écrans, mais nous vivons le nez penchés sur nos smartphones, à dégainer plus vite que notre ombre dès que nous avons la moindre question, à accepter sans sourciller la réponse qui nous est donnée. Je vous invite à faire un petit jeu : pendant deux semaines, essayer d’écouter plusieurs journaux télévisés différents. C’est « amusant » de constater que 99% des journalistes utilisent rigoureusement, absolument rigoureusement, le même vocabulaire (avec des mots « à la mode ») et les mêmes tournures de phrase. Pensée unique, vous dis-je, même si on refuse de l’admettre.
Donc oui, je reconnais que ce roman d’anticipation n’est pas entièrement tombé à côté de la plaque, je reconnais qu’il y a quelques éléments à en retirer … Mais le tout est tellement noyé dans cette creusitude faussement philosophique, dans cette platitude qui s’imagine métaphysique, que seul l’ennui subsiste. Montag, le « personnage principal », est une coquille tellement vide – une sorte de pantin désarticulé qui regarde avec ahurissement sa main « qui fait des choses sans sa permission » et que le narrateur trimbale d’un endroit à un autre – que je n’ai pas une seule seconde réussi à m’attacher, ou même à m’intéresser à lui. Qu’il lui arrive ceci ou cela m’était parfaitement égal : il est juste six petites lettres adossées les unes derrière les autres pour former un prénom, mais cela ne suffit pas à en faire un protagoniste de roman. Quant à ce qu’on voudrait pouvoir appeler « l’histoire », ce n’est en réalité qu’un simulacre de récit : nous avons bien une sorte de situation initiale, une sorte de milieu et une sorte de conclusion, mais cela ne suffit pas non plus à faire une réelle intrigue. Je n’ai pas réussi à ressentir le moindre « enjeu », la moindre « tension » : d’un bout à l’autre, l’électrocardiogramme reste plat. De temps à autre, un personnage se met soudainement à sortir des pages et des pages entières d’un discours « survolté » qui n’a absolument aucun sens, aucun intérêt. Et le reste du temps, le narrateur tourne en rond, exactement comme le lecteur qui ne sait plus comment s’échapper de cette cage …
En bref, vous l’aurez bien compris, malgré un genre littéraire que j’apprécie et malgré des thématiques qui auraient pu m’intéresser … ce roman n’a clairement pas su me convaincre, et je me sens à nouveau comme le vilain petit canard qui n’est pas comme les autres. J’ai beau chercher, je n’arrive pas à voir ce que tant de lecteurs trouvent de si exceptionnel dans ce récit : les personnages sont très loin d’être intéressants, l’intrigue est bien loin d’être passionnante, et la plume est tantôt quelconque tantôt faussement poético-contemplative. Je suis totalement passée à côté de ce que la foule présente comme un ouvrage unique et percutant, et j’en suis la première surprise et désolée … Peut-être que mes attentes étaient trop élevées, sans doute me suis-je laissée entrainer par cette effervescence globale en me disant que, si tout le monde l’aimait, c’était assurément parce qu’il en valait la peine. Intéressant, d’ailleurs, de constater que lorsque l’on n’apprécie pas un ouvrage mondialement reconnue, on a cette fâcheuse tendance à se mettre en cause, à considérer que c’est notre faute, à tenter d’atténuer notre ressenti négatif en parlant d’attentes trop élevées, comme si, au fond de nous-mêmes, on répugnait vraiment à ne pas suivre cette opinion unique érigée en norme … Et en cela, effectivement, la thématique de fond de ce roman est intéressante, même si la façon dont elle a été exploitée ne m’a pas convaincue.
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