mercredi 7 juin 2017

La fille qui avait deux ombres - Sigrid Baffert



La fille qui avait deux ombres, Sigrid Baffert

Editeur : L’école des loisirs
Collection : Médium
Nombre de pages : 267
Résumé : Chaque matin au réveil, Elisa s'attend à retrouver la maison sens dessus dessous. Nul doute pour Elisa que sa grand-mère est responsable de ce grand bazar. Il est vrai que Rose fait des trucs bizarres depuis quelques temps, comme ce rendez-vous pris chez un chirurgien esthétique pour changer de tête. Elisa est tellement obnubilée par cette idée qu'elle commence à faire de drôles de rêves, à ressentir des sensations bizarres comme celle d'être hantée par une ombre. Une ombre de trop. C'est à se demander qui de Rose ou d'Elisa est la plus perturbée dans cette histoire …

- Un petit extrait -
« Chaque femme, chaque homme porte en lui tous ses âges, dit mon grand-père. Il répète aussi que la vie fait de nous des poupées russes. Aussi, je me demande : Avec le temps, est-ce que la plus petite des poupées vit toujours ou est-ce que les autres finissent par l'étouffer ? »
- Mon avis sur le livre -

Lorsque j’étais petite, sur les bons conseils de ma maitresse qui avait remarqué mon insatiable soif de lecture, mes parents m’avaient abonnés à Animax puis Maximax de L’école des Max : chaque mois, je recevais un roman ou un album de la maison d’édition L’école des loisirs. C’était ainsi Noël tous les mois, et chaque soir en rentrant de l’école, ma première question était de savoir si mon livre était arrivé ou non. Puis, lorsqu’on a déménagé, cette habitude a cessé, il y avait tellement d’autres choses à faire qu’on avait tous oublié L’école des Max ! Puis voilà que cette année, en rangeant mes livres d’enfance, je me suis souvenu de ces abonnements et j’ai donc demandé à mes parents, pour mon anniversaire, de m’abonner à Medium max, qui s’adresse aux jeunes. J’ai donc reçu un roman chaque mois, mais j’ai préféré attendre la fin de mon année universitaire avant de les lire, histoire de véritablement les savourer sans avoir l’esprit ailleurs … Et je m’en félicite, car La fille qui avait deux ombres (rien que ce titre est magnifique) est clairement un roman dans lequel il faut pouvoir se plonger tout entier, sans interférence aucune.

Tout a commencé par une heure de retenue, donnée par sa professeure d’italien car elle n’avait pas son livre, une retenue qu’Elisa n’a pas eu le plaisir d’effectuer puisque Rose, sa grand-mère, ne lui en a pas donné la possibilité, allant s’installer dans le fond de la classe pour recopier en vitesse les cent lignes exigées par la professeure après avoir expliqué que puisque c’était par sa faute qu’Elisa n’avait pas son livre, c’était à elle d’être collée. A partir de ce jour-là, la guerre était latente entre les générations. Et les choses ne s’arrangent pas lorsque Rose déclare avoir pris rendez-vous chez un chirurgien esthétique. Pour Elisa, c’est le drame : pourquoi sa grand-mère désire-t-elle devenir une parfaite étrangère en changeant de tête ? Cette décision incompréhensible, combinée aux étrangetés qui s’accumulent dans la maison, lui font craindre le pire pour la raison de son aïeule. Mais voilà qu’Elisa se met à déambuler en pleine nuit, à faire des cauchemars, à être suivie par une ombre venue de nulle part et à entendre sans cesse la même mélodie inconnue. Elisa en est persuadée, Rose leur cache quelque chose. Sur son passé, mais aussi son présent. Pour retrouver la sérénité, Elisa va tout tenter pour découvrir le secret de sa grand-mère …

Par l’intermédiaire d’une narration bourrée d’humour et légère comme une plume, l’auteur évoque l’épineux sujet des secrets familiaux, aborde la thématique douloureuse du poids des non-dits et des mensonges. Le lecteur, comme Elisa, est sans cesse tiraillé entre cette joie insouciante et cette souffrance venue de nulle part. Cette souffrance qui prend la forme de crises de somnambulisme soudaines, mais surtout d’une ombre rattachée à aucun corps, qui semble guider Elisa dans sa quête de la vérité. Car on le comprend rapidement : contrairement à ce que nous laissait penser le résumé, ce n’est pas la folie - de la grand-mère ou de la petite-fille - qui représente le cœur de l’intrigue, mais bel et bien ce mystère que représente le passé de Rose, cette femme exubérante et insupportable qui s’avère être bien plus sensible et vulnérable qu’on ne le pense. Rien ne préparait Elisa aux découvertes qu’elle va faire, après avoir entrainé sa famille en Sicile dans le village natal de sa grand-mère qui peine à supporter cette plongée dans son passé. Rien ne préparait le lecteur, non plus : la vérité nous tombe dessus comme une chape de plomb, sans prévenir, sans même s’annoncer quelques pages à l’avance.

La fille qui avait deux ombres est donc un roman face auquel on ne peut rester indifférent : des personnages tous plus attachants les uns que les autres en dépit de leur caractère parfois invivables - une carapace qui s’effiloche progressivement -, des mystères et des secrets qui ne demandent qu’à être dévoilés pour permettre aux protagonistes d’avancer enfin, de se construire ou se reconstruire, une plume qui transforme en mots les émotions pour mieux les communiquer … Chaque chapitre propose au lecteur une tranche de cette histoire aussi bouleversante que captivante, aussi légère que grave, aussi étrange que familière. La fille qui avait deux ombres est autant un récit initiatique qu’une rétrospective, un retour sur le passé qui permet à l’avenir d’advenir. C’est une belle histoire familiale qui montre avec force l’importance de la confiance et de la confidence au sein d’une famille, car les secrets et les non-dits pèsent autant sur ceux qui les gardent énergiquement que ceux qui les pressentent mystérieusement, et ils divisent aussi efficacement qu’une dispute. Ce roman, il vous prend aux tripes, il vous bouleverse, il vous assomme, il vous captive.

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