samedi 7 mars 2020

J'ai tué un homme - Charlotte Erlih


J’ai tué un homme, Charlotte Erlih

Editeur : Actes sud junior
Nombre de pages : 124
Résumé : Surmenage scolaire, pic de stress, ou trouble plus grave ? Arthur est hospitalisé pour cause d’épisode délirant. Le collégien passionné d’histoire se prend depuis peu pour Germaine Berton, une militante anarchiste, meurtrière d’un leader de l’Action française en 1923... Qu’arrive-t-il à Arthur, qui ne reconnaît plus les siens ni le monde qui l’entoure ? Parents, professeurs, camarades de classe, médecins, tous s’interrogent. Avec leur sensibilité, et aussi leurs peurs.

Un grand merci à lecteurs.com pour l’envoi de ce volume dans le cadre des Explorateurs Young-Adult.

- Un petit extrait -

« Quand j'ai décidé de devenir psychiatre, je savais qu'un jour ça arriverait. Je devrais me retrouver seule face à un patient, et face à sa famille. Mais les études de médecine sont si longues, le chemin paraît interminable... Je me disais j'ai le temps de me préparer. Quand ça arrivera, c'est que ce sera le bon moment. Je serai prête. Je ne sais pas si on est jamais prêt à annoncer à un parent que son enfant a une maladie grave.   »

- Mon avis sur le livre -

Quand on regarde les étagères de mes bibliothèques, le doute n’est pas permis : ce que j’aime, ce sont les gros pavés. Plus un livre est gros, plus il m’attire … On se demande donc pourquoi et comment J’ai tué un homme a pu atterrir chez moi ! Tout simplement parce qu’au moment de répondre à la proposition d’Aline de chez lecteurs.com, je me suis concentrée sur les résumés sans même regarder le nombre de pages. Et, clairement, le résumé de ce tout petit livre avait de quoi m’intriguer, moi qui suis très sensible à la question des maladies psychiques. Et à vrai dire, au vu de cette thématique, je ne m’attendais clairement pas à recevoir un roman aussi court ! J’étais donc un peu perplexe au moment de débuter ma lecture : comment l’autrice allait-elle réussir à répondre à la question de la quatrième de couverture (« Qu’arrive-t-il à Arthur ? ») en si peu de pages ?

Arthur, quatorze ans, a toujours été très secret, très solitaire : son truc à lui, ce n’est pas le foot ou même les sorties avec les copains, mais bien plus les études … et en particulier l’histoire. Arthur est passionné par cette matière, et s’intéresse tout particulièrement au mouvement anarchiste et libertaire des années 1920. Rien de bien inquiétant … jusqu’au jour où Arthur plonge en plein épisode délirant : persuadé qu’il est Germaine Berton, meurtrière d’un leader de l’Action française en 1923, le jeune homme est hospitalisé dans un service psychiatrique. Et tout comme le battement d’aile d’un papillon est réputé pour être à l’origine d’une tempête à l’autre bout du globe, la crise d’Arthur influe sur la vie de ceux qui l’entourent : parents, médecins, professeurs, infirmiers, camarades de classe … 

A mes yeux, le point éminemment positif de ce court roman, c’est bien sa forme. Roman-choral dans toute sa splendeur, J’ai tué un homme nous promène de points de vue en points de vue. Tantôt c’est Arthur lui-même, perdu dans les méandres de son délire, qui a la parole. Tantôt c’est sa mère, son père, sa professeure d’histoire, ses camarades de classe, mais aussi l’infirmier psychiatrique ou l’interne chargée d’annoncer le diagnostic aux parents … Toutes ces personnes qui, d’une façon ou d’une autre, sont impactées par la maladie d’Arthur. Pour sa mère, c’est tous ses rêves d’avenir pour son fils unique qui s’effondrent. Pour son père, c’est la peur qui domine, une terreur née de toutes ses croyances quant à cette maladie fort méconnue et utilisée à torts et à travers par les journalistes, cinéastes et mêmes auteurs. Pour sa prof d’histoire, c’est la culpabilité qui grandit : peut-être que si elle ne lui avait pas conseillé de lire l’autobiographie de Germaine Berton, son élève n’aurait pas sombré …  L’un après l’autre, ils s’expriment. 

Car voilà bien la grande originalité de ce petit récit : point de narration, point de description, uniquement des paroles, des dialogues, des confessions. Chapitre après chapitre, l’un après l’autre, chacun de leur côté. Comme autant de pièces d’un même puzzle : celui de la maladie. Au début, c’est Arthur qui mène la danse : il avoue avoir commis un crime, un meurtre. C’est un flux de paroles ininterrompu, un aveu empli d’excitation et de passion. Il s’emballe, il s’emporte, il s’enflamme. Il brouille les pistes pour le lecteur qui se demande le rapport avec la quatrième de couverture : que vient donc faire une Germaine Berton, morte depuis presque 80 ans, ici ? Au gré des divagations d’Arthur, le lecteur fait un bond dans le passé – et découvre ou redécouvre une facette de l’histoire assez peu connue – tout en prenant conscience de l’ampleur de la catastrophe. Car dans l’esprit d’Arthur, c’est le chaos le plus total : il est persuadé d’être une femme, meurtrière d’un leader de l’Action française en 1923 … Il est persuadé que les infirmières sont de mèche avec  l’Action française, que sa professeure d’histoire est une nomme avec laquelle il serait ami(e) … 

Certains le comprendront avant même que le diagnostic soit officiellement posé et dévoilé : Arthur souffre de schizophrénie. Et contrairement à nombre de romanciers qui utilisent cette maladie à tort et à travers, ne faisant qu’accentuer les préjugés et fausses croyances qui courent à son propos, Charlotte Erlih a fait pas mal de recherches … et cela se ressent. C’est criant de réalisme. Dans les symptômes, en premier lieu : exit le « dédoublement de personnalité » qui est un trouble distinct de la schizophrénie – car Arthur n’a pas deux personnalités, il délire « juste » –, l’autrice met en scène avec beaucoup de finesse le sentiment de persécution, les idées délirantes, les hallucinations auditives mais aussi l’émoussement de l’émotivité qui sont le lot commun des malades. Sans oublier, bien sûr, les conséquences « invisibles » : le rejet de la société qui leur colle l’étiquette de « psychopathes sur pattes », les troubles de l’attention et de la mémorisation qui deviennent un frein aux études et donc à l’insertion sociale … Tout cela, Charlotte Erlih le dépeint avec brio.

En bref, vous l’aurez compris, c’est un petit roman fort intéressant que nous propose l’autrice. J’ai énormément apprécié la forme de ce récit pas comme les autres : c’est comme si elle avait posé des micros à divers endroits, dans la chambre d’Arthur, dans le bureau du psychologue de Pia, dans celui du psychiatre qui reçoit les parents, dans la maison de la professeure qui se confie à son mari, pour recueillir des témoignages qui forment un tableau criant de réalisme de la maladie et de ses conséquences. Ce serait un véritable régal d’en faire une lecture publique, avec divers lecteurs éparpillés aux quatre coins d’une pièce, avec un jeu de noirs et de lumières au gré des prises de paroles … Pour cela et pour l’aspect « pédagogique », je le recommande vivement. Malgré tout, je reste un peu sur ma faim : c’est court, beaucoup trop court, et j’ai comme le sentiment que l’auteur est resté en surface des choses au lieu de les approfondir pour encore mieux sensibiliser … On croise les personnages si furtivement qu’on a pas le temps de ressentir de l’empathie pour eux, et c’est dommage. Une bonne lecture, donc, mais pas un coup de cœur.

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