mercredi 24 novembre 2021

Dieu me déteste - Hollis Seamon

Dieu me déteste, Hollis Seamon

 Editeur : 14-14

Nombre de pages : 235

Résumé : New York, hôpital Hilltop. Richard sait qu’il ne fêtera pas ses dix-neuf ans, mais il a une furieuse envie de vivre ! Et d’embrasser Sylvie, la jolie fille de la 302... Contre la montre, le corps médical et sa famille toquée, ce Roméo casse-cou décide donc de flamber ses derniers rêves. Jusqu’à jouer son destin au poker, dans un des plus beaux bluffs jamais montés contre le sort...

 

 

 

 

- Un petit extrait -

« Puis ma mère et celle de Sylvie tendent les mains et avancent encore d'un pas. Et elles tombent dans les bras l'une de l'autre, et se serrent de toutes leurs forces, jamais je n'ai vu ça. Et alors monte un son insupportable, le genre que vous ne voulez jamais entendre, de toute votre vie. Les deux mères se mettent à gémir. Et leur sanglot fend l'air. Il déchire notre air, dans ce couloir. C'est insoutenable. Et ça ne s'arrête pas. C'est tellement atroce que même le Big Boss doit se couvrir les oreilles de honte. »

- Mon avis sur le livre -

 Enfant, j’étais abonnée aux séjours à l’hôpital : s’il y avait la moindre petite gastro qui trainait quelque part dans l’établissement scolaire, vous pouviez être certains que j’allais la chopper, et encore plus certains que ça allait être une carabinée qui allait m’expédier en pédiatrie, sous perfusion, pendant des semaines. Sans oublier mon système digestif qui faisait des siennes et qui m’envoyait lui aussi bien souvent à l’hôpital, soit parce que plus rien ne voulait rentrer, soit parce que plus rien ne voulait sortir, et bien souvent les deux en même temps … Ajoutez à cela mes soucis psychologiques, et vous comprendrez que jusqu’à mes douze ans, je n’étais pas loin d’avoir une chambre attitrée ! C’aurait sans doute dû me dégouter des hôpitaux, mais d’une certaine manière … je m’y sentais plutôt bien. C’est sans doute parce que, contrairement à mes camarades d’école qui refusaient de me parler ou de me laisser jouer avec eux, mes camarades de services hospitaliers, eux, ne faisaient pas les difficiles : on était plusieurs enfants, on jouait ensemble, ce n’était pas plus compliqué que cela. L’hôpital, c’est un lieu à part : ce qui a court au dehors ne se reproduit pas au-dedans, on se serre les coudes face à l’adversité, quand bien même certains ne sont là « que » pour une appendicite et d’autres pour des cancers infantiles …

Les hôpitaux, Richard ne les connait que trop bien : depuis l’âge de onze ans, il passe plus de temps cloués sur un lit à roulettes que dans une salle de classe. Trimballé de services de pédiatrie en services d’oncologie, puis de services d’oncologie en services de pédiatrie, à enchainer les chimiothérapies, les radiothérapies et les opérations, voici que quelques semaines avant son dix-huitième anniversaire, le voici transféré dans le seul et unique service qu’il ne connait pas encore : celui de soins palliatifs. Temps de visite estimé : un mois. Deux s’il prend son temps. Dans son malheur, Richard doit bien reconnaitre avoir une chance inouïe : il n’est pas le seul patient de moins de quarante ans à déambuler en fauteuil roulant dans le couloir ou à appuyer frénétiquement sur le bouton d’urgence pour qu’on vienne l’aider à vomir sans s’étouffer … Il y a aussi Sylvie, quinze ans, le crâne aussi chauve que le sien. Et, cancéreux en phase terminale ou non, Richard et Sylvie n’en restent pas moins deux adolescents qui n’ont nullement l’intention de laisser Halloween passer sans mettre un peu d’animation dans ces couloirs où la Mort rode silencieusement … Mais à vouloir profiter pleinement des dernière semaines qui leur restent, ne risquent-ils pas de précipiter ce funeste rendez-vous qui plane au-dessus de leur existence en équilibre précaire ?

Vous allez sûrement vous dire « encore une histoire d’ados cancéreux » … et je ne vais pas vous mentir, c’est effectivement une histoire d’adolescents atteints de cancer. Mais. Mais. Mais. Ce serait une erreur monumentale que de vouloir passer à côté de ce roman pour l’unique raison qu’il existe d’autres romans exploitant la même thématique. Après tout, les policiers aussi, c’est toujours la même chose : un crime, une enquête … Et pourtant, personne n’y trouve rien à redire et continue à lire et relire des intrigues fort similaires sans sourciller ! Alors pourquoi diable dès qu’on associe les mots « ados » et « cancéreux » à propos d’un roman, tout le monde saute à la conclusion qu’il s’agit d’un remake de Nos étoiles contraires et refuse de lui laisser sa chance ? Et si je vous disais que Richard ne souffre pas d’un cancer mais d’un syndrome DMD (Dieu Me Déteste), cela vous semblerait-il plus intéressant ? Car c’est bien de cette manière, crue et provocatrice, que notre jeune adolescent pas-encore-et-peut-être-jamais majeur présente sa pathologie à ceux qui ne connaissent pas son dossier médical … Car Richard a un humour décapant, et contrairement aux adultes qui utilisent toujours des centaines de circonvolutions pour éviter de prononcer le gros vilain mot « mort », il n’hésite jamais à présenter les choses telles qu’elles sont, sans le moindre détour : oui, il est « l’incroyable garçon mourant » … et alors ?

Alors bien sûr, certains seront sans aucun doute gênés, voire même immensément choqués, par cette désinvolture avec laquelle Richard évoque son propre décès, imminent à en croire les médecins, par cette sorte d’insouciance, d’insolence, d’inconscience, qui le pousse à agir comme si de rien n’était, comme s’il n’était pas en soins palliatifs, dernier palier avant la morgue … Ne pourrait-il pas rester sagement dans sa chambre comme les autres patients, plutôt que de vouloir se déguiser pour Halloween ou de flirter allégrement avec cette pauvre petite gamine qui n’a plus que la peau sur les os ? Enfin bon, ne comprend-t-il donc pas que ce n’est pas un jeu, que ceux qui sont à cet étage sont là pour mourir, et si possible en paix ? Et bien figurez-vous que si, Richard le comprend. Il le comprend même très bien : derrière son air bravache, derrière ses sarcasmes, le jeune homme est très douloureusement conscient de cette sinistre réalité (et pas seulement parce qu’il a mal partout) … Richard se rend bien compte que son corps est en train de le lâcher, qu’il n’est plus capable d’avaler autre chose que du café, qu’il n’est plus capable de se laver seul, d’aller pisser seul, de sortir de son lit seul. Etre aussi dépendant, c’est déjà difficile pour une personne âgée, alors imaginez ce que peut ressentir un jeune homme de même pas dix-huit ans lorsqu’il a besoin d’une infirmière pour le changer après un « accident » …

Richard aurait amplement le droit de craquer, de se lamenter sur son sort, de pleurer … Mais ce n’est pas dans sa nature, tout comme il n’est pas dans la nature de sa mère ou de sa grand-mère de baisser les bras : dans la famille, on ne se laisse jamais abattre, et on ne laisse jamais personne nous mettre sur le tapis. Pas même le cancer. Pas même la mort en approche. Alors Richard s’accroche à la vie, coute que coute, quoi qu’il en coute. Richard ne veut pas être un patient modèle, non pas pour mener la vie dure au personnel soignant, mais peut-être bien plus car il ne veut plus être un « patient ». Il veut juste être lui, pleinement lui, Richard, bientôt dix-huit ans, dont le cœur s’emballe à chaque fois qu’il voit Sylvie. Et c’est ainsi que débute pour les deux adolescents une idylle à la fois totalement atypique et parfaitement banale, une histoire d’amour improbable et incroyable. Ils s’aiment, mais n’ont parait-il plus beaucoup de temps devant eux … Tout ce qu’ils veulent, c’est avoir le temps d’être deux amoureux comme les autres. Alors bien sûr, ils prennent des risques, des risques « inconsidérés » diront les adultes effarés de les voir ainsi batifoler alors qu’ils sont déjà au bord du précipice … Mais comment leur en vouloir, au fond, ce sont bien les adultes qui leur ont dit qu’il n’y avait de toute façon plus aucune chance pour eux : alors pourquoi ne pas prendre le risque d’être heureux, l’espace d’un instant, avant de partir ?

Permettez-moi tout de même de rassurer ceux qui s’imaginent que ce roman n’est qu’une interminable série de bêtises d’un gamin écervelé qui profite de sa maladie pour éviter tous les ennuis … Il y a des moments bien plus sérieux, bien plus profonds dans ce roman. Il y a déjà tous ces passages où Richard parle de sa mère, qui depuis une dizaine d’années se tue à la tâche pour qu’il puisse bénéficier des meilleurs soins, qui depuis une dizaine d’années dort recroquevillée dans un de ces horribles fauteuils d’hôpital, à ses côtés. Et bien sûr, il y a tous ces passages où nous faisons face au « dragon », le père de Sylvie, qui derrière sa violence et sa colère cache, on le sent, la plus grande souffrance du monde : celle de voir sa petite fille, son bébé, s’éteindre doucement, terrassée par la maladie, sans pouvoir rien faire pour l’aider, pour la protéger. Cet homme serait prêt à tout et n’importe quoi pour guérir sa petite Sylvie, il serait prêt à mourir pour elle … mais ne pouvant rien faire pour lutter contre le cancer, il s’efforce d’écarter tout autre danger qui pourrait menacer la chair de sa chair. Il fait peur, mais finalement, il fait surtout de la peine. Ce livre, enfin, met en évidence le travail des médecins, infirmiers, aides-soignants, de ces hommes et de ces femmes qui accompagnent les patients dans leur dernier voyage tout en accompagnant les familles dans le début de leur cheminement de deuil …

En bref, vous l’aurez bien compris : à l’instar de bien des récits de ce genre, c’est vraiment un électrochoc que nous offre ce roman. Alors même que le ton est résolument lumineux, alors même que Richard est une véritable bouffée d’air frais qui nous faire pleurer de rire par moment, c’est un récit dont on ne sort pas tout à fait indemne. Car même si Richard fait tout son possible pour ne pas être que « l’incroyable garçon mourant », même s’il s’efforce de se présenter à nous comme « l’incroyable garçon amoureux de l’incroyable fille amoureuse » … nous savons dès le début à quoi nous devons nous attendre pour la suite. Nous savons dès le début qu’à un moment ou à un autre, l’inévitable arrivera, que lorsque nous dirons au-revoir à Richard, ce sera en réalité un adieu. Nous savons dès le début qu’aucune vraie happy end ne nous attend au bout du chemin, qu’il y aura forcément un moment où notre petit cœur de lecteur sera brisé en mille morceaux. Car finalement, ce roman, c’est une histoire douce-amère, à la fois résolument radieuse et optimiste, et profondément triste et douloureuse. Et c’est justement parce que l’équilibre est remarquablement bien dosé que nous sourions tout en laissant couler quelques larmes, et que nous tournons la dernière page sans être totalement dévasté ni totalement apaisé non plus. C’est, vraiment, un magnifique roman, qui m’a bien plus secouée que je ne l’imaginais : sublime !

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