samedi 19 février 2022

J'étais là - Gayle Forman

J’étais là, Gayle Forman

 Editeur : Hachette

Nombre de pages : 355

Résumé : Quand j'ai appris la mort de Meg, j'ai cru qu'elle me faisait une blague. Une de celles dont elle avait le secret. Elle avait tout prévu : la méthode, le lieu, ce qu'il faudrait faire de ses biens. Et même ce fichu mail, envoyé en différé, annonçant qu'elle en finissait avec la vie. Ensuite, il a fallu affronter la pitié des habitants de Plouc-la-ville. Faire face aux questions que je lisais sur tous les visages. Oui, Meg était ma meilleure amie. Non, je n'étais pas au courant. Pourquoi ne m'avait-elle rien dit? Elle avait eu besoin de moi, et je n'avais pas été à la hauteur. Pourtant, j'étais là.

 

 

- Un petit extrait -

« — Non, objecte Richard. Tout le monde connaît ça. Tout le monde a ses mauvais jours, imagine en finir. Sais-tu pourquoi mon père qualifie le suicide de péché ? ajoute-t-il en désignant la maison du pouce.

— Parce que c’est un meurtre, je soupire. Parce que seul Dieu a le droit de décider quand ton moment est venu. Parce que voler une vie, c’est voler Dieu.

Je me contente de répéter comme un perroquet les horreurs que les gens ont sorties au sujet de Meg. Richard secoue la tête, cependant.

— Non. Parce que c’est tuer l’espoir. C’est ça, le péché. Tout ce qui tue l’espoir en est un.  »

- Mon avis sur le livre -

 Si ma pile à lire est déjà fort impressionnante (bien qu’en baisse constante, mes achats se raréfiant ces derniers temps), ma liste d’envie est tout simplement effrayante : au fil des années, au fil des innombrables livres croisés au détour d’une librairie, d’un blog, d’une discussion, d’un catalogue de parutions ou que sais-je encore, j’y ai accumulé toutes mes frustrations littéraires. Tous ces livres qui m’attiraient, qui m’intriguaient, mais que je n’ai pas eu l’occasion d’acheter, faute de moyens, faute de place, faute de temps … Tous ces livres qui, pour la plupart, ne rejoindront jamais ma bibliothèque, car ils ont depuis bien longtemps quitté la scène littéraire … Ma liste d’envie a d’ailleurs pour surnom « la liste des regrets », car elle comporte des livres qui auraient pu être de véritables coups de cœur, mais à côté desquels je suis passée lorsque l’occasion s’était présentée. Alors bien sûr, il est la plupart du temps encore possible de se les procurer, soit au moyen des grandes méchantes plateformes en ligne dévoreuses de librairies indépendantes, soit dans les bourses aux livres (mais c’est un pari fou de se reposer dessus, car rien ne dit que vous y trouverez les livres de votre liste d’envie). J’étais là fait partie des chanceux : je n’ai pas pu l’avoir lors de sa sortie en librairie, mais l’ai trouvé en occasion à une foire aux livres … et j’ai attendu des années avant de le lire (logique de grosse lectrice) !

Meg et Cody. Cody et Meg. Aux yeux des habitants de leur petite ville paumée au fin fond de nulle part, les deux adolescentes ne formaient plus qu’une seule et même entité, inséparables l’une de l’autre. Depuis leur prime enfance, elles faisaient absolument tout ensemble, au point que la maison de Meg est devenue la résidence secondaire de Cody, et que la famille de Meg est devenue la famille adoptive de Cody. A vrai dire, Cody ne pourrait imaginer sa vie sans Meg, tant celle-ci est devenue le centre de son existence, l’ancre à laquelle tout se rattache et se raccroche … Et voici comment, après le suicide de Meg, Cody est devenue « la meilleure amie de la morte » : même au-delà de la mort, c’est à travers leur relation fusionnelle que les voisins continuent à la définir. Comment leur reprocher ? Cody elle-même a le sentiment d’être amputée d’une partie d’elle-même, d’une part essentielle de son identité : elle ne sait pas qui elle est sans Meg. Mais elle doit aussi et surtout se rendre à l’évidence : elle ne sait pas non plus qui est, qui était Meg.  Car la Meg qu’elle pensait être sa meilleure amie n’aurait jamais mis fin à ses jours. Car la Meg qu’elle pensait connaitre n’aurait pas pu lui cacher un projet aussi … important. Alors Cody se lance dans une quête désespérée : elle a besoin de comprendre ce qui a bien pu lui échapper, besoin de comprendre pourquoi son amie en est arrivée à de telle extrémité, besoin de savoir si elle est ou non responsable de la mort de Meg.

C’est par mail que Cody a appris la mort de Meg … un mail envoyé par Meg elle-même. Prévoyante et méticuleuse jusqu’au bout, Meg avait minutieusement préparé son coup : elle a été jusqu’à envoyer aux policiers une note leur indiquant quel poison rarissime elle avait absorbé et comment les employés de la morgue pouvaient sans risque récupérer son cadavre dans la chambre d’hôtel où elle a pris soin de laisser un mot à la femme de ménage pour lui ordonner de ne surtout pas toucher à son corps et de prévenir les secours (le tout assorti d’un pourboire astronomique) … Forcément, le premier réflexe de Cody, c’est de croire à une blague. De fort mauvais gout, certes, mais une blague tout de même. Et puis, il a bien fallu se rendre à l’évidence : Meg était réellement morte. Meg n’était plus là. Meg les avait abandonnés à leur triste sort. Et si le désarroi et la peine occupent la première place dans le cœur et l’esprit de Cody, une certaine forme de ressentiment, teinté d’une pointe de culpabilité, s’y disputent la préséance. Comment Meg, qu’elle pensait connaitre par cœur, a-t-elle pu leur faire ça, lui faire subir ça ? Et surtout, pourquoi n’a-t-elle rien vu venir, pourquoi diable Meg ne lui avait-elle jamais confié ses souffrances, alors qu’à en croire son mail, « il y a longtemps » qu’elle a pris cette décision ? Pire encore … serait-ce de sa faute, parce qu’elle a laissé une certaine distance s’installer entre elles depuis l’entrée à l’université de la si brillante Meg ?

 Quand ils abordent des thématiques aussi difficiles que le suicide ou le deuil, certains auteurs peinent à trouver le juste équilibre : soit ils sombrent dans une surabondance de pathos à faire pleurer dans les chaumières, soit ils prennent tant de précautions et de pincettes qu'ils finissent par esquiver totalement ledit sujet. Gayle Forman, elle, a su éviter ces deux travers. Elle nous offre ici un roman certes bouleversant, mais jamais déprimant, certes délicat, mais jamais fuyant. Elle ne cache rien, elle ne surajoute rien : le ton est tellement juste qu’on pourrait facilement oublier que Cody n’existe pas, que ce n’est pas elle qui tient la plume. Le personnage de Cody sonne parfaitement juste. Tant et si bien qu’il est très facile de se laisser envahir par ses émotions. Surtout quand, comme moi, on lui ressemble un peu. Comme Cody, j’ai tendance à me laisser « absorber » par les amitiés, j’ai tendance à « m’effacer » pour n’être plus qu’une sorte de « faire valoir » de l’autre. Comme Cody, c’est comme si je « n’existais » plus en tant qu’individualité lorsque je m’accroche à quelqu’un … j’ai bien conscience que c’est une vision pour le moins absolue, et peut-être même malsaine, de l’amitié, mais ça fait partie de ma personnalité … Mais cela, Cody ne le sait pas. Pas encore. Elle n’a encore jamais eu l’occasion de s’en rendre compte, puisqu’elle n’a encore jamais eu besoin de vivre sans Meg jusqu’à présent. Mais désormais, Cody est comme seule au monde, privée de celle qui menait la danse de leur duo, de leur vie …

Et Cody ne comprend toujours pas comment cela a pu arriver. Et tant qu’elle n’aura pas compris, Cody ne pourra pas faire son deuil. Alors Cody se lance à corps perdu dans une enquête désespérée. Elle s’efforce de reconstituer tout ce qu’elle a bien pu louper, tout ce que Meg a si savamment su lui cacher. Tout ce qui a échappé à leur amitié fusionnelle, à leur échange de confidences. Elle se raccroche aux moindres petites miettes de Meg, à tout ce qu’elle ignorait jusqu’à présent. Elle a besoin de connaitre Meg toute entière … pour finalement se connaitre elle-même. Elles n’étaient qu’une. Elles doivent désormais être deux. L’une morte, l’autre vivante. Mais pour cela, Cody doit bien distinguer ce que Meg était pour savoir ce qu’elle est. Et tandis que les découvertes, plus accablantes les unes que les autres, lèvent le voile sur l’engrenage infernal qui a conduit Meg à mettre fin à ses jours, Cody se sent à son tour au bord du gouffre. Elle qui en voulait tellement à Meg se rend compte qu’il suffirait d’un petit rien pour qu’elle se laisse à son tour entrainer par l’engrenage. Un petit rien que, prise dans sa quête effrénée de vérité, elle va elle-même aller chercher. Qu’elle va provoquer, qu’elle va mettre au défi. Vas-y, essaye. Montre-moi comment tu l’as eu. Si tu l’oses. En jouant avec le feu, avec la mort, Cody va finalement se raccrocher une bonne fois pour toute à la vie. Elle va oser vivre. Vivre sans Meg. Libérée de la colère et de la culpabilité. Vivre. Enfin. Même si, parfois, c’est la chose la plus difficile qui soit.

En bref, vous l’aurez bien compris, je me suis pris une claque en pleine figure. Ou peut-être plutôt en plein cœur. Moi qui avait glissé ce roman dans ma pile à lire du mois avec une certaine réticence, pour la simple et bonne raison que je n’avais pas pris la peine de relire le résumé et m’attendait donc à une romance adolescente, j’ai été non seulement agréablement surprise mais absolument époustouflée par cette lecture. C’est un roman émouvant, bouleversant, exactement comme je les aime. Il y a cette délicatesse, cette pudeur, qui ne se transforme jamais en œillères, en détours : l’autrice ne masque aucune réalité, même parmi les plus effroyables (on ne parle pas assez, pour ne pas dire jamais, de ces terrifiants sites de « soutien » au suicide où les internautes s’encouragent et se conseillent mutuellement pour mettre fin à leurs jours … on devrait en parler, pour éviter que les personnes en souffrance se laissent entrainer à l’insu de leurs proches par ces communautés), mais elle ne les assène pas non plus comme des coups de massue. Et c’est justement ce qui rend le récit si authentique, et donc si poignant. Ni trop sombre, ni trop lumineux, ce roman nous invite à suivre Cody dans sa quête, sur cette route escarpée de la reconstruction après une épreuve, sur le chemin sinueux de la vie qui ne laisse personne indemne. Mais qui est assurément le plus beau voyage qui soit … éprouvant, mais précieux.

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