samedi 16 avril 2022

Coeur d'encre, tome 1 - Cornelia Funke

Cœur d’encre1, Cornelia Funke

 Editeur : Folio Junior

Nombre de pages : 653

Résumé : Meggie, douze ans, vit seule avec son père, Mo. Comme lui, elle a une passion pour les livres. Mais pourquoi Mo ne lit-il plus d'histoires à voix haute? Ses livres auraient-ils un secert? Les mots auraient-ils un pouvoir? Un soir, un étrange personnage frappe à leur porte. Alors commence pour Meggie et Mo une extraordinaire aventure, encore plus folle que celles que racontent les livres. Et leur vie va changer pour toujours...

 

 

- Un petit extrait -

« Quand tu emportes un livre en voyage, il se passe quelque chose d'étrange : le livre se met à rassembler tes souvenirs et, plus tard, il suffit que tu l'ouvres pour te retrouver à l'endroit même où tu l'avais lu. Dès les premiers mots, tout revient : les images, les odeurs, la glace que tu mangeais alors... Crois-moi, les livres sont comme le papier dont on se sert pour attraper les mouches. Les souvenirs n'adhèrent nulle part aussi bien que sur des feuilles de papier imprimé. »

- Mon avis sur le livre -

 Pour reprendre une expression chère à mon arrière-grand-mère, lorsque j’étais enfant, je lisais « sans sentiment » : je lisais absolument tous les livres qui me passaient sous la main, sans même les choisir, sans vraiment les apprécier. Une vraie boulimie livresque : tout ce qui m’importait, c’était de me repaître de lettres, d’emplir mon esprit de mots, de me gaver de phrases, pour ne pas entendre les mots moqueurs, les phrases mesquines de mes camarades de classe. Les livres n’étaient alors pour moi que des boucliers pour repousser le monde extérieur, mais je ne leur avais pas encore ouvert les portes de mon jardin intérieur : j’avais encore trop peur pour laisser quoi que ce soit se frayer un chemin dans mon petit cœur, pas même un personnage de roman. J’ai donc très peu de souvenirs de mes toutes premières lectures : elles forment un immense agglomérat d’histoires sans queue ni tête, sans consistance. Seuls quelques-uns émergent de cet amas informe, car ils ont su ébrécher la barrière pour venir faire vibrer mon petit cœur (je pense à Comme un coquelicot, à Mon drôle de petit frère ou encore à L’enfant qui caressait les cheveux) … ou bien parce que, pour une raison ou une autre, je n’ai même pas pris la peine d’aller au bout. Et je pense ici à Cœur d’encre : notre première rencontre s’est finie par un abandon sans état d’âme. Ennui ou agacement, je ne saurais le dire. Toujours est-il que j’ai longuement hésité avant de lui redonner une chance : d’un côté, il semblait avoir tout pour me plaire, mais de l’autre, l’ombre de cet abandon enfantin me bloquait. Finalement, j’ai décidé de tenter le coup … et j’ai bien fait !

Meggie a été élevée dans le plus profond respect des livres, ce qui est fort logique, puisque son père, Mo, est relieur et restaurateur de livres – même si elle a toujours trouvé plus juste de le qualifier de « docteur des livres », lui qui soigne si amoureusement tous les ouvrages, souvent rares, vieux et précieux, que lui apportent ses clients, qu’ils soient antiquaires, collectionneurs ou bibliothécaires. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours été entourée de livres de toutes tailles, de toutes couleurs, de tous genres : leur petite maison est envahie de livres, empilés au petit bonheur la chance dans toutes les pièces, comme autant de portails vers des mondes tantôt merveilleux, tantôt haletants, tantôt émouvants. C’est donc très naturellement que Meggie est devenue une grande lectrice passionnée, comme son père : où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse, elle a toujours un livre avec elle, et il ne lui faut que quelques minutes pour se laisser entrainer par les aventures et mésaventures qui se cachent au creux des pages. Mais voilà que c’est par la faute d’un livre, un livre très mystérieux dont elle ne connaissait même pas l’existence, et dont elle ne connait même pas le titre, que tout bascule soudainement : à la seconde même où un homme fait irruption dans leur cour pour prévenir son père qu’un certain « Capricorne » veut à tout prix récupérer ce fameux livre, Meggie est plongée dans une aventure – ou plutôt une mésaventure – qui n’a absolument rien de merveilleux ni de palpitant. C’est surtout effrayant, très effrayant … et ce n’est encore que le début.

Qui n’a jamais rêvé de voir sortir un personnage de son roman préféré, voire même eu envie de l’extirper soi-même de sa prison de papier ? Qui n’a jamais rêvé de vivre une aventure extraordinaire à l’instar de son héros favori, n’a jamais eu envie de devenir soi-même le héros d’une histoire ? Qui n’a jamais rêvé de quitter notre monde, sombre et monotone, et eu envie d’explorer l’univers, exotique et fabuleux, de son roman préféré ? Meggie est une lectrice comme tous les autres lecteurs : tous ces rêves, toutes ces envies, elle les partage avec tous les autres lecteurs, et sans doute plus encore avec celui-là même qui est présentement en train de lire ses aventures en se disant « ça serait merveilleux de rencontrer Meggie, de vivre ses aventures, d’explorer son monde » … Il y a une mise en abime un tantinet vertigineux qui se tisse lorsqu’on se plonge dans ce roman : Meggie est à la fois héroïne et lectrice, et l’on en vient à se demander si, nous aussi, on ne serait pas en même temps lecteur et héros d’une autre histoire. Après tout, comment pourrions-nous le savoir ? Meggie elle-même semble bien inconsciente du fait que ses terribles mésaventures ne sont en réalité que les péripéties d’un simple roman ! Tout ce qu’elle sait, c’est que sa vie s’est soudainement transformée en véritable aventure de roman, et que c’est loin, très loin d’être aussi incroyable qu’elle ne l’imaginait. Désormais, elle est en convaincue : les aventures, c’est bon pour les personnages de romans, pas pour les vraies personnes … Tout ce qu’elle veut, c’est retrouver sa petite vie d’avant, sa petite vie parfaitement normale !

Mais les choses sont loin d’être aussi simples : elle découvre que son père a la faculté de faire sortir les personnages des romans simplement en lisant à voix haute … Déracinement insoutenable pour certains, qui ne supportent pas leur nouveau monde et donnerait n’importe quoi pour retourner chez eux, mais jouissance pour certains qui profitent pleinement de ce nouveau terrain de jeu. On s’en doute bien, le grand méchant de cette histoire – et donc aussi de l’histoire dans l’histoire – fait partie de cette seconde catégorie. Capricorne a vraiment tout du « grand méchant » tel qu’on en trouve dans les livres pour enfants : son seul rôle, c’est d’être méchant. Il aime distiller la peur autour de lui, il aime la richesse et la puissance, il aime faire mal aux gens, il aime donner des ordres, il aime le mal. Un méchant pareil ne devrait exister que dans les livres … car quand on se retrouve face à eux pour de vrais, on aimerait qu’ils soient un petit peu moins méchants. Un peu moins effrayants. Quand un personnage de roman nous fait trop peur, il suffit au lecteur de fermer le livre et d’en ouvrir un autre pour … mais Meggie ne peut pas refermer le livre, elle est dans le livre ! Bien obligée de faire face à ce méchant tout droit sorti d’un autre livre. Et le lecteur est tiraillé entre l’excitation – comme toujours quand une petite héroïne se retrouve face à un terrible méchant assoiffé de cris et de larmes – et l’effroi : plus que jamais, on se dit « et si j’étais à la place de Meggie, comment réagirai-je, comment m’en sortirai-je ? ». Plus que jamais, on se dit que la frontière entre le récit et la réalité se tient plus qu’à un fil …

Et c’est bien là toute la magie d’un bon roman, finalement : Cœur d’encre n’est pas seulement une épopée palpitante, pas même seulement une mise en abime époustouflante, c’est bien plus une véritable ode à la littérature. Une formidable lettre d’amour aux livres … et à leurs écrivains, sans qui rien ne serait. Il y a certes quelque chose de magique dans le fait de se « plonger » dans un livre, de laisser de simples mots faire naitre en nous des images, des sons, des sensations, mais aussi des émotions …. mais il y a assurément quelque chose de plus magique encore dans le fait d’écrire des livres, dans le fait de glisser dans de simples mots des images, des sons, des sensations, des émotions. Oui, les auteurs sont de véritables magiciens ! Et c’est assurément ce qui m’a le plus profondément touchée dans ce roman, cet hommage aux livres et à leurs créateurs, à ce qu’ils nous apportent. Trop souvent, on oublie que derrière chaque roman se cache un auteur, on oublie tout ce qu’on leur doit … et on ne les remercie donc pas assez. Et c’est un tort. Alors faites-moi plaisir : allez remercier un auteur, aujourd’hui. Envoyez-lui un petit mot pour lui dire que son travail est génial, pour lui prouver qu’il n’écrit pas dans le vide, qu’on lit ses histoires, qu’on les aime, et donc qu’on l’aime à travers elles. Nourrissons nos auteurs de remerciements et d’encouragements, sinon nous n’aurons plus rien à nous mettre sous la dent, plus de nouveaux récits pour nous faire rêver et trembler, plus de nouveaux personnages à souhaiter rencontrer, plus de nouveaux univers à vouloir explorer !

En bref, vous l’aurez bien compris, je suis fort heureuse d’avoir finalement accepté de laisser une seconde chance à ce roman. Et cela d’autant plus que je ne parviens décidemment pas à comprendre pourquoi je l’ai abandonné la première fois, et pourquoi il m’avait laissé ce si désagréable souvenir. Car même si ce n’est pas le roman du siècle, même si on reste dans quelque chose de relativement enfantin, classique, pour ne pas dire banal sur le plan de l’intrigue en elle-même – il n’y a pas de réel suspense, on se doute bien que d’une façon ou d’une autre, ce sont les gentils qui gagneront à la fin, et que ça se finira même très bien –, c’est un roman qui mérite amplement le détour ! C’est en quelque sorte un roman qui s’adresse à l’enfant que nous étions, l’enfant que nous sommes encore un petit peu quel que soit notre âge, l’enfant qui se laisse bercer par une histoire sans se poser de question, qui se laisse aspirer par cette histoire sans opposer la moindre résistance. C’est un roman qui nous ramène à ce qui fait l’essence même de la relation (très intime) entre un livre et son lecteur : cette envie de se laisser pleinement, totalement, complétement happer par l’histoire au point d’avoir le sentiment de la vivre en même temps que les personnages, un peu comme si nous étions ces personnages. Lire, c’est sortir un petit peu de soi-même pour entrer un petit peu dans le livre. Et c’est oser se laisser surprendre par un livre que l’on n’avait pas forcément envie de lire au premier abord, parce qu’être lecteur, c’est savoir que les livres sont vraiment magiques et donc toujours surprenants !

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