Dragons contre démons
Editeur : XO
Nombre de pages : 490
Résumé : AutreMonde est en émoi : l’Impératrice a invité les démons ! Prenant pour prétexte les fiançailles de Tara, qui n’a pas l’intention d’épouser qui que ce soit, Lisbeth a proposé la main de sa nièce au magnifique Archange, roi des démons, mais aussi à Maître Chem, le grand dragon bleu. Beau combat en perspective. Sauf que tout cela n’est sans doute qu’un gigantesque complot, où de mystérieux et insaisissables assassins œuvrent dans l’ombre … Tara se prépare à affronter, seule, sans le magicgang, son destin. Au risque d’y laisser son innocence. Et sa propre vie.
« Quelques secondes plus tard, les gardes, accompagnés de Grr'ul, débarquaient dans la chambre, armes aux poings.
- Que de passe-t-il ? Que se passe-t-il ? cria Grr'ul, les senseurs ont signalé une explosion sonore de force 4 dans la pièce, tout va bien ? Vous avez été attaqués ?
- Tout va bien, Grr'ul, la rassura Tara en essayant de ne pas rire. C'était juste Fafnir qui vient de composer une ode en mon honneur.
- Une explosion sonore de force 4 ? s'exclama la naine, horriblement vexée. Ces stupides machines ne savent pas différencier un chant nain d'une explosion ?
- C'était un chant ? s'exclama Grr'ul, incrédule. »
Douze ans. Cela fait un petit peu plus de douze ans que j’ai découvert Tara Duncan … Grosso modo, la moitié de mon existence. C’est à la fois peu et beaucoup, très long et très court : parfois, j’ai le sentiment que c’était hier, d’autres fois, cela me semble être une toute autre vie. A cette époque, seuls les sept premiers tomes étaient sortis : je les ai dévorés en l’espace de deux semaines, dans le désordre le plus complet en fonction des tomes disponibles au CDI et à la bibliothèque. Puis, j’ai demandé à mes parents de me les acheter, et je les ai relus dans l’ordre. Une fois. Deux fois. Peut-être plus : je ne tenais pas de liste de mes lectures, à cette époque. Et puis, au terme de la très longue année d’attente (la première d’une longue lignée), tandis qu’approchait la sortie tant attendue du huitième tome, je me suis renfilée toute la saga, histoire d’être fin prête pour découvrir la suite. Et chaque année, ce fut le même rituel : jusqu’en terminale, je faisais ma rentrée avec le premier tome, puis j’enchainais tous les tomes sortis, me débrouillais pour acheter ou recevoir le nouveau le jour même de sa sortie (voire même avec un peu d’avance quand j’avais de la chance avec ma précommande), et je sprintais pour être la première à donner mon avis sur l’ensemble du tome sur le blog de l’autrice. Avec ce système, autant je connais désormais presque par cœur les sept premiers tomes, ceux que j’ai relus le plus souvent, autant j’ai parfois le sentiment de redécouvrir totalement les trois ou quatre derniers, ceux que j’ai beaucoup moins relus !
Tara a toujours détesté son fichu statut d’Héritière du Puissant et Noble Empire d’Omois … mais aujourd’hui plus que jamais. Depuis qu’Archange, le tout nouveau tout beau roi des Démons, et Maitre Chem, le sage mais pas si vieux Dragon, l’ont tous les deux demandée en mariage, la jeune fille est poursuivie par une horde de prétendants tout aussi « prestigieux » les uns que les autres, à croire que tout ce qu’AutreMonde compte de princes et de nobliaux est soudainement tombé fou amoureux d’elle … ou plutôt des accords commerciaux et diplomatiques qu’une telle union pourrait accorder à l’un ou l’autre petit comté du coin. Mais Tara n’a nullement l’intention d’épouser qui que ce soit, et encore moins un démon au visage d’ange ou son mentor dragon : elle n’a que dix-sept ans et demi ! Et doit à tout prix convaincre sa tante que c’est vraiment une très, très mauvaise idée que d’inviter toute une délégation de démons dans leur univers, même si ces-dits démons sont très beaux garçons et que commercer avec leurs six planètes pourrait renflouer les caisses de l’état. Mais Lisbeth et tout ce qu’AutreMonde compte de commerçants assoiffés de profits ont eu gain de cause : Archange et ses démons arriveront dans quelques jours pour signer l’accord commercial le plus mémorable de toute l’histoire … et le mariage qui va avec. Et les dragons participeront eux aussi aux négociations. Et Tara est intimement convaincue que cette affaire va mal se passer. Très mal se passer. Vraiment très mal se passer ...
Arrivé au dixième opus d’une saga, on peut raisonnablement se dire que « on ne se laissera plus mener par le bout du nez », qu’on connait désormais suffisamment l’auteur et ses habitudes narratives pour anticiper les retournements de situation et autres coups de théâtre … Mais que nenni ! Sophie Audouin-Mamikonian est une autrice insaisissable, qui sait surprendre même ses lecteurs les plus fidèles et les plus attentifs : qui aurait cru que, à quelques tomes à peine de la fin de la saga, cette dernière allait s’engouffrer tête la première dans un nouvel arc narratif de cette ampleur ? Pour tout dire, même au bout de la troisième ou quatrième relecture, je suis toujours éblouie par cette audace … et un tantinet effrayée aussi : comment Sophie va-t-elle donc réussir à faire coïncider toutes ces intrigues parallèles pour toutes les conclure convenablement ? Comme s’il n’y avait déjà pas assez de mystères à résoudre, de complots à démanteler, de triangles amoureux à désamorcer, de catastrophes à éviter ! Rationnellement, on se dit que l’autrice a eu les yeux plus gros que le ventre, qu’elle aurait mieux fait de se contenter de fermer les portes précédemment ouvertes plutôt que d’ouvrir un nouveau portail aussi volumineux … mais la raison a rarement sa place dans une lecture-passion. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, avec Tara Duncan : on ne lit pas cette saga car elle est sérieuse et « prestigieuse », mais seulement parce qu’elle fait rire et rêver, parce qu’elle nous aide à oublier tous nos soucis, parce qu’elle n’est pas prise de tête. Parce qu’elle brise les carcans de la raison pour oser un peu de folie …
En parlant de folie, il semblerait que les dirigeants d’AutreMonde aient tous perdus la tête : inviter une délégation entière de démons, certes « humanisés », dans leur univers, mais quelle Folie avec un grand F ! Ont-ils oubliés que ce peuple a tenté de les envahir, les coloniser, les anéantir, les massacrer, quelques siècles auparavant ? Quelques potentiels nouveaux accords commerciaux justifient-ils de mettre en péril des centaines de milliards de vies innocentes ? Peut-on véritablement faire confiance à un ennemi ancestral aussi belliqueux et puissant que des hordes démoniaques (aux visages d’anges, pour mieux tromper notre vigilance, de plus est) ? Mais d’un autre côté … est-il juste de ressasser, d’entretenir, siècles après siècles, les mêmes rancœurs, les mêmes animosités ? Peut-on moralement continuer à faire peser sur un peuple la responsabilité du massacre commis par leurs ainés, leurs ancêtres ? Est-il acceptable de punir ad vitam aeternam une civilisation sous prétexte qu’on en a une peur bleue ? Faut-il s’obstiner à mettre tous les démons dans le même sac … ou ne faut-il pas plutôt faire table rase du passé et accepter la main tendue, accepter de repartir sur de bonnes bases ? Ces questionnements ne cessent de hanter notre pauvre Tara, tiraillée entre sa terreur et sa méfiance instinctives (plus que quiconque, elle sait à quel point la magie démoniaque corrompt l’âme) et l’instinct politique et commercial que sa tante s’efforce de lui inculquer (elle est tout de même supposée devenir Impératrice d’Omois un jour … le plus tard possible s’il vous plait merci). Elle comprend le choix de Lisbeth, à défaut de l’approuver.
Comment pourrait-elle l’approuver, d’ailleurs, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la marier à un illustre inconnu pour sceller le plus grand accord diplomatique et économique de l’Histoire avec un grand H, alors que Cal vient de lui déclarer, une nouvelle fois, sa flamme ? Jusqu’à présent, les atermoiements amoureux de Tara m’énervaient au plus haut point (sans doute parce que Robin lui-même m’horripile, en y réfléchissant) … mais dans ce tome, on bascule sur quelque chose de bien plus profond, de bien plus délicat, qui a tendance à m’émouvoir énormément. De plus, contrairement à ce que je reprochais dans les tomes précédents, cette histoire d’amour ne vient pas écraser le reste de l’intrigue : elle s’y insère subtilement, elle la nourrit, la rend plus prenante encore. Car il faut un peu d’émotion pour contrebalancer ce nouveau déferlement de rebondissements, un peu de tendresse pour compenser cette nouvelle vague d’action … En effet, soyez prévenus, on ne peut pas s’ennuyer dans ce tome, dans lequel la tension dramatique est de plus en plus forte à chaque chapitre, atteignant le moment venu un niveau sans doute jamais atteint dans toute la saga. Sophie est décidemment passée Maitre dans l’art et la manière de jouer avec le petit cœur de ses lecteurs : tout au long du roman, nous avons le sentiment de marcher sur un fil avec une dizaine de vases en cristal sur la tête. On tangue entre l’envie d’y croire et la certitude que quelque chose va mal tourner, sans réussir à savoir quoi ni comment … On connait assez Sophie pour se douter que tout va basculer, mais sans pouvoir prédire de quelle manière.
En bref, vous l’aurez bien compris, contrairement à pas mal de lecteurs qui affirment que c’est à partir de ce tome qu’ils ont complétement décrochés de la saga … je l’ai pour ma part vraiment beaucoup aimé ! A vrai dire, j’ai parfois du mal à comprendre ce qu’ils veulent, ces lecteurs mécontents : quand Sophie se cantonne à l’univers des premiers tomes, ils râlent car l’univers n’est « pas assez étoffé », et quand elle étoffe l’univers et élargit nos horizons, ils râlent car « ce n’est plus l’univers des premiers tomes ». D’ici à affirmer qu’ils râlent par principe, il n’y a qu’un pas que j’hésite parfois à franchir, tellement cela me semble contradictoire ! En tout cas, une chose est sûre et certaine : avec un final comme celui-ci, le prochain opus promet d’être encore plus palpitant encore, et j’en viens à me demander si mon pauvre petit cœur va survivre à la fin de la saga ! J’avais vraiment oublié à quel point ces trois derniers tomes étaient riches en rebondissements, en révélations, en ébahissements, en stupéfactions ! Impossible de se reposer sur nos lauriers, de se dire qu’on a tout compris et tout deviné, car à chaque fois qu’on pense avoir saisi quelque chose, à chaque fois qu’on pense avoir anticipé la suite, Sophie vient renverser nos certitudes et nos prédictions comme un ouragan balaye un château de cartes. Et c’est justement cela qui tient le lecteur en haleine, qui lui donne le sentiment de vivre l’histoire avec les héros : parce qu’il est lui aussi trimballé au cœur du maelstrom, parce qu’il n’a aucune emprise sur le cours des choses, parce qu’il doit lâcher priser pour véritablement profiter de sa lecture. Et qu’est-ce que c’est merveilleux !
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