samedi 15 octobre 2022

Quatre filles et un jean, tome 3 : Le troisième été - Ann Brashares

Quatre fille et un jean3, Ann Brashares

Le troisième été

 Editeur : Gallimard

Nombre de pages : 359

Résumé : C'est l'ultime été avant la grande séparation. Rien ne sera plus comme avant : à la fin des vacances, les quatre filles partiront chacune dans une université différente. Plus que jamais, elles se raccrochent au symbole de leur amitié : le jean magique, témoin de leurs vies, témoin de ce troisième été qui s’annonce décisif….

 

 

 

- Un petit extrait -

« C’était un miracle, tout ce qu’on pouvait lire dans le moindre petit geste, si l’on se donnait la peine de bien regarder, de vraiment chercher l’information. Il y avait tant d’émotions, une foule étourdissante de choses que les mots, tout du moins les mots de Lena, ne pouvaient exprimer. Des milliers d’images, de souvenirs et d’idées qui se déployaient si on les laissait venir. Pour qui savait regarder, l’histoire entière de l’humanité était contenue dans le moindre trait. C’était de la poésie pure. Elle n’avait jamais trouvé la poésie poétique, pour être honnête. Mais elle imaginait ce que pouvait être la poésie pour ceux qui l’aimaient et la comprenaient. »

- Mon avis sur le livre -

 C’est en relisant le même livre à quelques années d’intervalle qu’on se rend compte à quel point on a changé entre temps, quand bien même on n’en avait pas conscience jusqu’alors, quand bien même on tentait coute que coute de l’ignorer … De mes lectures précédentes de la saga, je ne conservais qu’une impression de pure légèreté, je ne retenais que les moments les plus joyeux. Dans mes souvenirs, les quatre filles n’étaient que quatre adolescentes, pleines de vie et de rêves, soudées par une amitié que rien ne pouvait ébranler. Aujourd’hui, je ne vois plus du tout les choses de la même manière, au point que je me demande comment j’ai bien pu passer à côté de la grande profondeur du récit auparavant. Comment ai-je donc fait pour n’y voir qu’un simple divertissement pour pré-adolescentes romantiques ? Car tout ce que je vois désormais, ce sont quatre jeunes filles qui deviennent doucement mais sûrement des jeunes femmes, assaillies par les doutes, les peurs, les peines, les remords, les hésitations. J’y vois des moments de grande détresse, des instants de pur désarroi : on est bien loin de la joie et de l’insouciance que j’avais à l’esprit et que je m’attendais à retrouver ! Et puisque le livre, lui, est toujours le même, la seule conclusion possible, c’est que ça soit moi qui ai changé. Suffisamment subtilement pour avoir l’impression d’être toujours exactement la même. Mais pourtant assez pour ne plus me reconnaitre en la lectrice que j’étais il y a quelques années seulement : indiscutablement, je ne suis plus totalement la même. Et je ne sais pas vraiment quoi en penser …

Tibby, elle, voit d’un très mauvais œil tous les changements qui se profilent à l’horizon : elle a toujours haït très viscéralement les bouleversements et donnerait absolument n’importe quoi pour que les choses restent immuables. Mais même en essayant très fort, elle ne peut cette fois-ci pas faire sembler d’ignorer la terrible réalité : désormais, rien ne sera jamais plus comme avant. A la rentrée, les quatre filles s’éparpilleront aux quatre coins des Etats-Unis, chacune dans une université, loin de la ville où elles sont nées, loin du berceau de leur amitié. Tandis que l’échéance se rapproche, inexorablement, Tibby ne peut s’empêcher de douter : a-t-elle pris la bonne décision ? Elle n’est pas la seule à nager en pleine indécision. Lorsqu’elle découvre par hasard (par hasard !) que sa mère est enceinte de son tout nouveau mari, Carmen se voit submergée par la jalousie : elle n’a même pas commencé à emballer ses affaires que sa chambre est déjà vouée à se transformer en nurserie, qu’un bébé n’attend que son départ pour prendre sa place dans la maison et sûrement dans le cœur de sa mère ! Alors, une idée un peu mesquine nait dans son esprit : et si elle allait à l’université juste à côté, pour ne pas avoir à déménager ? Lena, elle, n’a pas de doute : elle veut absolument intégrer son école d’art. Mais c’est son père qui n’est pas du tout de cet avis et refuse catégoriquement de lui payer ses études … Pour la première fois de son existence, la douce et docile Lena refuse de se voir dicter sa conduite et son avenir. Elle ira. Un point c’est tout. Elle sera aussi obstinée que Bridget. Cette dernière, quant à elle, est une fois de plus en colonie, mais cette fois-ci en tant que monitrice. Et voici qu’elle retrouve celui qui, il y a deux ans, a fait battre son cœur et l’a brisé en même temps …

« Dernière étape avant le grand saut vers l’inconnu ». C’est le grand terminus pour le train de l’enfance : à la fin de l’été, les quatre filles rentreront à l’université. D’un côté, elles ont hâte de s’élancer à la poursuite de leurs rêves … mais de l’autre, elles sont terrifiées à l’idée de quitter le nid pour sauter du haut de la falaise. Leurs ailes sont-elles assez fortes pour les porter, ou vont-elles s’écraser lamentablement contre un rocher ? Le ciel est-il vraiment aussi exaltant qu’il en a l’air, ou bien vont-elles être déçues par ce qui les attend ? A la fin de l’été précédent, nos quatre amies semblaient avoir trouvé un certain équilibre, mais elles doivent se rendre à l’évidence : ce n’était qu’une illusion de plus. Contrairement à ce qu’elles s’imaginaient, elles sont encore très loin d’être en paix avec elles-mêmes. Prenons Carmen, par exemple : elle croyait fermement que plus rien ne pourrait la faire douter de l’amour que ses parents lui vouent. Son père est heureux avec sa Lydia, sa mère est heureuse avec son David, et elle est heureuse de les voir heureux … Mais quand elle apprend que sa mère est enceinte, tout vole en éclat : impossible de se réjouir, ni même de faire semblant. Elle qui pensait être définitivement guérie de l’égoïsme et de la jalousie se rend compte qu’elle n’a pas vraiment changé : elle est toujours Carmen-la-vilaine, le nombril du monde. Sa rencontre avec Win, un jeune homme tout ce qu’il y a de plus gentil et généreux, qui ne cesse de la croiser alors qu’elle donne l’illusion d’être Carmen-la-gentille, va peut-être l’aider à se réconcilier avec elle-même. A apprendre à voir ce qu’il y a de bon en elle …

Tibby, elle aussi, va faire l’âpre expérience du remords et de la culpabilité lorsqu’un tragique accident l’oblige à voir les choses en face : elle aura beau tenter de se claquemurer derrière sa carapace d’indifférence, elle ne pourra jamais se préserver de la souffrance. Elle avait envie et besoin de croire qu’il lui suffisait finalement de ne jamais s’investir émotionnellement pour être protégée : si l’on ne tente rien, aucun risque de tomber et de se faire mal. Mais elle est bien contrainte de se rendre compte que la vie ne marche pas comme ça. Elle pensait qu’elle serait en sécurité, bien cloitrée dans son petit cocon hermétique. Mais pour vivre, il faut bien prendre le risque d’attraper une maladie en ouvrant la fenêtre pour laisser entrer un peu d’air. Par crainte de tomber et de souffrir, Tibby a toujours refusé de tendre la main pour attraper le bonheur sur la branche. Mais si sa petite sœur de trois ans a eu le courage de tendre la main, pourquoi n’y arriverait-elle pas ? Ceux qui me connaissent s’en doute probablement : c’est indiscutablement l’histoire de Tibby qui m’a le plus touchée, car elle résonne pas mal avec mes propres angoisses. Comme elle, j’ai cet instinct de rester bien en sécurité dans mon cocon, préférant ne rien tenter de nouveau par crainte de me tromper, de mal faire, de me faire mal. Je comprends donc parfaitement ses peurs. « Sortir de sa zone de confort » est une expression à la mode … mais je la déteste viscéralement. Car elle sous-entend que c’est confortable, et que ceux qui n’en sortent pas ne sont que des fainéants qui ne font aucun effort. En réalité, c’est tout sauf confortable d’être et de se savoir enfermé par ses propres peurs : pas besoin de surajouter de la culpabilisation supplémentaire, merci ! Car parfois, tous les efforts du monde ne suffisent pas, et les jugements n’aident en rien … Heureusement pour elle, Tibby va trouver sur son chemin des personnes et des situations qui vont doucement l’aider à oser, à s’exposer. A se libérer.

Pour Lena aussi, cet été va être celui de la libération. Jusqu’à présent, la jeune fille était plutôt passive : elle prenait ce qu’on lui donnait, souffrait en silence quand on lui arrachait quelque chose. C’était les autres qui, d’une certaine manière, guidaient sa vie. Mais lorsque son père brise en mille morceaux ses projets et ses rêves, voulant l’enfermer dans sa façon à lui de voir sa vie, Lena décide que cela suffit. Elle veut aller dans cette école d’art, et elle ira. Si son père refuse de lui payer ses études, elle obtiendra une bourse. Portrait après portrait, fusain à la main, la jeune fille va affronter yeux dans les yeux ses proches … et découvrir ce qui se cache derrière les apparences. Et par la même occasion peut-être, oser affronter son propre reflet, oser s’affronter elle-même. Faire face à ce qu’elle est au plus profond d’elle-même. Et s’affirmer, enfin. Pour Bridget, c’est en quelque sorte l’inverse : il est temps pour elle d’apprendre à agir sans exubérance, sans impulsivité. D’apprendre à se protéger d’elle-même avant tout. A ne plus prendre ses désirs pour des réalités, à faire attention à ce qu’elle désire, car parfois, les rêves deviennent réalité et se transforment en cauchemar. Et aussi surprenant que cela puisse paraitre quand on les connait, il semblerait que ça soit Bridget qui, des quatre filles, ait le mieux appris des leçons du passé, pour éviter de refaire une seconde fois les mêmes erreurs. Son parcours estival est sans doute moins « poignant » que celui des trois autres, mais il apporte cette dose de légèreté dont le lecteur a besoin … et ne nous mentons pas, c’est particulièrement émouvant, sans le sens le plus romantique du terme !

En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : ce troisième opus est bien meilleur que les deux précédents ! Plus que jamais, j’ai été profondément touchée par les aventures et mésaventures de nos quatre amies. D’une certaine façon, on a comme le sentiment de cheminer avec elles, tandis qu’elles apprivoisent doucement les adultes qu’elles sont appelées à devenir, tandis qu’elles apprennent à connaitre qui elles sont pour mieux décider qui elles veulent être. Entre impatience et prudence, entre excitation et hésitation, les voici qui s’apprêtent à passer le dernier été de leur adolescence. Le jean, si important à leurs yeux et dans leur cœur les deux étés précédents, commence doucement à se mettre en retrait : petit à petit, elles n’ont plus vraiment besoin de lui pour cheminer séparément, pour savourer chaque instant. Il a été leur compagnon de route dans les premiers temps, mais elles sont désormais assez fortes (même si elles en doutent) pour affronter ce qui les attend au détour du sentier sans dépendre de lui, sans dépendre des autres. Plus jeune, j’étais un peu triste de les voir « s’éloigner » les unes des autres, j’avais le sentiment que leur amitié était comme « brouillée » … Mais désormais, je dirai plutôt que leur amitié est parvenue à son achèvement logique et sain : elles ne sont plus des petites filles, elles ne pouvaient pas rester enfermées dans cette amitié fusionnelle de petites filles, mais cela ne veut pas dire que leur amitié s’est amoindrie. Au contraire. Je pense que dans les épreuves partagées, même de loin, elle s’est cimentée plus encore. Autrement. Et même si, Tibby vous le dira, le changement fait parfois et souvent peur, les quatre filles vous le diront, il n’est pas toujours mauvais. Il peut même, parfois et souvent, être bénéfique …

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