Editeur : Delcourt
Collection : Mirages
Nombre
de pages : 179
Résumé : Marguerite se sent décalée et lutte chaque
jour pour préserver les apparences. Ses gestes sont immuables, proches de la
manie. Son environnement doit être un cocon. Elle se sent agressée par le bruit
et les bavardages incessants de ses collègues. Lassée de cet état, elle va
partir à la rencontre d’elle-même et découvrir qu’elle est autiste Asperger. Sa
vie va s’en trouver profondément modifiée.
- Un petit extrait -
- Mon avis sur l’ouvrage -
« Une
chronique de bande-dessinée chez Aryia, mais où va donc le monde ? », êtes-vous probablement en train de vous demander
en vérifiant que vous êtes bien chez Les mots étaient livres. Il est vrai que je ne lis que très peu de
BD, et que je ne chronique habituellement pas ces lectures. Pour tout avouer,
j’ai longuement tergiversé avant de commencer la rédaction de cet article, et
j’ai hésité encore plus longtemps avant de décider si je devais oui ou non le
publier. Pourquoi cette hésitation ? Pour plusieurs raisons, la plus
évidente à expliquer étant que, n’étant pas bédéphile, je ne sais absolument
pas comment chroniquer ce type d’ouvrage. Cet article sera donc nettement moins
structuré que ce que je vous présente d’ordinaire, il n’a finalement pour seul
objectif que de vous présenter cet ouvrage qui devrait, à mes yeux, être lu par
tout le monde.
Rares sont les témoignages à prendre la
forme d’une bande-dessinée, mais c’est bien cela que vous proposent l’auteure
et l’illustratrice : Julie Dachez est atteinte du syndrome d’Asperger,
dont il est question ici par l’intermédiaire du personnage de Marguerite.
Marguerite a 27 ans, deux chats, un chien, un petit copain et un boulot. En
apparence, rien d’extraordinaire. Mais si je vous dis que Marguerite est
capable de vous parler des heures entières du spécisme, qu’elle ne comprend ni
les sous-entendus, ni l’humour, ni les codes sociaux, qu’elle est incapable de
passer un week-end dans un environnement inconnu ou de prendre part à une
conversation considérée « banale et normale », vous comprenez
facilement que Marguerite n’est pas si ordinaire que cela.
La question serait de savoir ce que vous
pensez de Marguerite. Nombre de ses « amis », connaissances et
collègues la trouvent bien gentille mais complétement barrée, certains
s’imaginent au contraire qu’elle se moque d’eux lorsqu’elle interprète de
travers une phrase ou quand elle exprime son amour pour la solitude et le
calme. Rares sont ceux qui devinent que, sous le masque de normalité qu’elle s’efforce
de mettre en place jour après jour, se cache une profonde souffrance. Car
Marguerite le sent bien, elle n’est pas « comme les autres », et
c’est un véritable calvaire pour elle que de devoir donner ainsi le change,
avec une réussite plus ou moins grande en dépit de tous ses efforts.
De nos jours, les exigences sociales sont
énormes, mais surtout, la tolérance de la différence est proche du néant, en
particulier lorsque cette différence n’est pas visible - si elle était en fauteuil
roulant, étrangement, les choses seraient sans doute plus faciles pour elle,
car c’est quelque chose qui est mieux « accepté » (qui en voudra à
une personne en fauteuil roulant de ne pas venir danser ? Personne. Mais
si c’est une personne « valide » qui refuse de prendre part à une
soirée, là, ça passe mal …). De plus, un
handicap physique se remarque facilement. Plus facilement que le syndrome
d’Asperger, forme méconnue de l’autisme, lui-même fort peu connu - non, les
préjugés qui existent par milliers sur cette maladie ne constituent pas à mes
yeux une forme de connaissance, bien au contraire. Cet ouvrage le montre bien :
même certains « professionnels de la santé » n’y connaissent rien à
cette maladie ! Et c’est bien là le drame !
Cette bande-dessinée a deux intérêts :
le premier est de mettre en lumière toutes ces maladies « invisibles »,
souvent psychiques, que notre société actuelle a souvent tendance à oublier,
voire dénigrer. J’ai ainsi récemment entendu une personne critiquer violemment
une autre, qui ne venait plus au travail depuis des mois … alors que cette
personne absente était en arrêt maladie pour dépression ! Ce n’est pas une
maladie physique, alors c’est considéré comme de la fainéantise, ou pire, de l’affabulation.
Cette bande-dessinée essaye de faire comprendre que ce n’est pas parce que la personne
en face de vous semble « aller bien » qu’elle va effectivement bien :
c’est peut-être pour elle un effort colossal que de se tenir là, en face de
vous, au milieu d’un environnement qui vous semble banal mais qui est pour elle
source d’un stress immense que vous n’imaginez même pas.
Mais cette bande-dessinée ne s’arrête pas
là, et met l’accent sur les différences entrainées par le syndrome d’Asperger,
dont souffre sans le savoir Marguerite. En nous présentant son quotidien, fait
de rituels immuables et de routines rassurantes, cette bande-dessinée montre
très justement et très délicatement à quel point cela coute à Marguerite que de
sortir de chez elle, dans ce monde où l’imprévu règne en maitre et où elle ne
se sent pas à sa place. Trop de bruits, de mouvements, trop de sollicitations,
de jugements, trop de tout … mais pas assez d’ouverture pour qu’elle ose
montrer à quel point tout cela la dépasse, l’angoisse, la ronge. Alors elle s’efforce
de faire bonne figure, elle essaye de se fondre dans la masse, parce qu’elle
sent bien que personne autour d’elle n’est prêt à accueillir ces confidences
sur son incompréhension profonde vis-à-vis de ce monde effrayant.
Accompagné d’un dossier documentaire, cet
ouvrage a donc pour objectif de briser les préjugés et autre aprioris véhiculés
au sujet de cette maladie, mais aussi de dénoncer le véritable retard de la France
en ce qui concerne ce syndrome. Sans que nul ne s’en rende vraiment compte, la
société est infiniment cruelle envers ces personnes qui sont déjà en grande
souffrance, qui ont besoin de mains tendues et non pas de phrases haineuses ou,
pire, de grands sourires hypocrites qui ne cachent qu’une profonde indifférence
teintée de mépris. Lorsqu’une personne a le pied dans le plâtre, allez-vous lui
dire : « Allez, voyons, fais un petit effort, prend les escaliers, on
ne va tout de même pas utiliser l’ascenseur pour une petite égratignure de rien
du tout ? ». Je pense que non. Alors pourquoi, lorsqu’une personne
Asperger demande des aménagements - à l’école, au travail … -, cette requête se
heurte-t-elle à une réponse condescendante au possible du type « C’est à
vous de vous adapter » ? Si quelqu’un a une réponse satisfaisante, je
suis toute ouïe !
En bref, je conseille très fortement la
lecture de cette bande-dessinée ! Aux neurotypiques (c’est-à-dire ceux qui
ne sont pas atteints par les troubles du spectre autistique), elle apprendra à
accueillir avec tolérance et respect la différence. Aux neuro-atypiques (c’est-à-dire
les personnes dont les comportements s’écartent des normes sociales en
vigueur), elle apprendra à accepter leur singularité, à l’apprivoiser, à ne
plus en avoir peur. Oui, la société veut enfermer tout le monde dans le même
moule, mais - et je reprends les mots de Bernard Werber - « ce n'est pas
parce qu'ils sont nombreux à avoir tort qu'ils ont raison » : et si être
Asperger n’était pas un problème, mais bien plus la solution, le remède, à
cette normalisation absolue ?
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