samedi 2 février 2019

Tortues à l'infini - John Green


Tortues à l’infini, John Green

Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 338

Résumé : Prise dans la spirale vertigineuse de ses pensées obsessionnelles, Aza, seize ans, n'avait pas l'intention d'enquêter sur la disparition du milliardaire Russell Pickett. Mais c'était compter sans Daisy, sa meilleure amie, et une récompense de cent mille dollars. Aza renoue alors avec le fils Pickett, Davis. L'improbable trio trouvera en chemin d'autres mystères et d'autres vérités, celles de la résilience, de l'amour et de l'amitié indéfectible.





- Un petit extrait -

« Je n'ai rien contre les gens inquiets. S'inquiéter est la bonne façon de voir le monde. La vie est inquiétante.  »

- Mon avis sur le livre -

Généralement, lorsqu’un nouveau roman de John Green passe le seuil de la porte, il ne passe même pas par la case « PAL » et finit immédiatement sur le bureau à la place destinée à ma lecture en cours … Mais celui-ci a patienté deux longues années sur les étagères avant que je n’ai le courage de le commencer … et je pense honnêtement que sans le challenge « Livra'deux pour pal'Addict », il y serait resté encore un certain temps. Non par peur d’être déçue : John Green ne m’a jamais déçue, je savais donc que je n’allais pas l’être. Mais je savais également qu’après cette lecture, il ne me sera plus possible de faire l’autruche : les « jolies » étiquettes métaphoriquement collées sur mon front par divers psychiatres et autres thérapeutes n’ont pas atterri là par hasard … Mon intuition me soufflait que la rencontre avec Aza allait réduire à néant les œillères que je m’efforçais de maintenir en place, et je n’étais pas certaine d’être prête à cela. Finalement, je suis heureuse d’avoir franchi le cap : oui, ce fut dur, douloureux même, mais je pense que cette prise de conscience ne peut que m’aider par la suite, alors c’est plutôt positif.

Lorsque Daisy, sa Meilleure et Plus Intrépide Amie, entend parler de la disparition du richissime Russell Pickett et de la récompense de cent mille dollars promise à qui participerait à sa localisation, le petit quotidien bien rodé et pourtant incroyablement angoissant d’Aza bascule. Engluée dans la spirale infernale de ses pensées invasives, incapable de résister aux injections obsessionnelles de son cerveau que tout effraye, la jeune fille se retrouve embarquée bien malgré elle dans cette folle enquête qui va la conduire à renouer avec Davis Pickett, ami d’enfance – si tant est qu’on puisse parler d’amitié dans le fait d’avoir passé deux étés dans la même colonie de vacances pour enfants ayant perdu un parent … Mais est-ce bien Russell Pickett qu’Aza cherche ? Ne serait-ce pas, plutôt, le sens de la vie et sa propre place dans le monde ?

Comme toujours chez John Green, la grande force de ce roman, ce sont ses personnages. L’enquête autour de la disparition de Russell Pickett n’est qu’un prétexte pour nous présenter Aza, Daisy et Davis, trois adolescents incroyablement attachants à la personnalité riche et profonde. Aza est notre narratrice, et le lecteur n’a d’autre choix que de la suivre dans ses terribles spirales de pensées engendrées par son trouble anxieux généralisé et par ses troubles obsessionnels compulsifs. Aza a littéralement peur de tout : « la vie est inquiétante », nous dit-elle. Je ne peux pas la contredire, la phrase que je répète au moins une fois par jour étant « la vie est effrayante ». Mais la plus grande crainte d’Aza, c’est de mourir d’une infection par la bactérie clostridium difficile. Et sa plus grande question, c’est de savoir si la notion de « moi » existe sachant que la moitié des cellules composant notre corps viennent de l’extérieur ? Il suffit d’un rien pour faire basculer ses pensées « du mauvais côté », et à partir de cet instant, plus rien n’existe en dehors de ces pensées, qui tournent et retournent sans lui laisser le moindre répit, sans jamais se tarir, devenant toujours plus obsédantes et toujours plus affolantes au fur et à mesure que la spirale se resserre autour d’elle …

Et cela, John Green l’a merveilleusement bien écrit, au point que j’envisage de forcer mon père à lire ce roman pour qu’il cesse de me hurler « mais cesse donc d’être anxieuse ! », s’imaginant sans doute que je contrôle tout cela et que je choisis volontairement de me lever à quatre heures du matin pour vérifier compulsivement qu’aucun insecte bibliophage ne se cache dans mes bibliothèques remplies à ras bord … Et ce qui est extraordinaire avec John Green, c’est qu’il ne se contente pas de décrire avec brio l’interminable tsunami de pensées qui assaille Aza, mais également l’incroyable souffrance qui accompagne tout trouble psychique. La douleur d’être un fardeau, une inquiétude perpétuelle pour son entourage. La douleur d’être incompris par le monde entier, y compris par les soi-disant « spécialistes » qui ne font que sortir des expressions toutes faites du style « ce n’est pas rare ». La douleur de ne pas être aux commandes de son propre corps, de son propre cerveau, et d’en avoir conscience. Et puis, il y a le regard d’autrui, de l’inconnu et de l’ami, regard tantôt compréhensif et bienveillant, tantôt agacé et méprisant. Il y a les envies et les rêves qui finissent tôt ou tard par être rattrapés par la réalité de la maladie, par les peurs et les angoisses. Il y a les moments de désespoir, les instants de détresse que l’on cache à tout le monde, même à soi-même parfois.

Mais John Green ne s’arrête pas à cette souffrance, il ne veut pas faire pleurer dans les chaumières. Aza est bien plus qu’une jeune fille atteinte de troubles psychiques : elle est elle, avant tout. Et c’est justement ce qu’elle va découvrir au cours de cette improbable enquête qui se transforme en véritable quête d’identité. Et cette révélation, elle va naitre d’une rencontre avec un tuatara héritier d’une incommensurable richesse, de la visite d’une exposition sous-terraine, de l’observation des étoiles cachées derrière les nuages … Elle va naitre d’une magnifique histoire d’amour et d’une formidable histoire d’amitié. Ce livre n’est pas déprimant, bien au contraire, il est incroyablement drôle. John Green a un humour bien à lui, qu’il distille dans la narration comme dans les dialogues et qui marche à tous les coups avec moi : je ressors toujours de ses romans avec un grand sourire et les joues endolories d’avoir tant ri ! Il a un don pour transformer une histoire finalement atrocement banale, simple tranche de vie de personnages tout aussi banals, en quelque chose d’incroyablement captivant et palpitant. Il métamorphose la vie en quelque chose d’incroyable, et il nous adresse alors un formidable message d’espoir et de joie.

En bref, vous l’aurez bien compris, avec ce livre, John Green m’a émue aux larmes et m’a fait éclater de rire. Il évoque avec justesse, tendresse et délicatesse la thématique fort difficile des maladies psychiques, invisibles mais parfois si handicapantes, en nous plongeant au cœur même de l’esprit torturé d’une adolescente contrôlée par ses peurs irrationnelles. Mais il aborde également avec brio la question du sens de la vie, de la quête de « moi », du deuil et des responsabilités. Et tout cela sans jamais sombrer dans le pathétique ou le cliché : c’est émouvant, oui, mais c’est drôle aussi. On ne s’apitoie pas sur le sort d’Aza, mais on se réjouit avec elle des petites victoires et des petits bonheurs du quotidien. Avec humour et poésie, comme il le fait si bien, John Green nous raconte une histoire sans prétention, une histoire si simple mais si profonde, à la fois bouleversante et réjouissante. Il nous livre une petite partie de lui-même, et cela rend ce livre d’autant plus poignant … A lire absolument !

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
(plus d’explications sur cet article)

4 commentaires:

  1. Je l'ai lu il y a peu et malheureusement, je n'ai pas trop accroché… Mais je suis heureuse de voir qu'il plaît à d'autres personnes, je me rappelle avoir souhaité ça à la fin de ma chronique ^^

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    1. J'ai effectivement remarqué qu'avec ce livre, ça passe ou ça casse ... comme souvent avec John Green visiblement ! Personnellement, je suis vraiment sensible à sa plume, et il a le chic pour évoquer des thématiques qui me touche d'une façon ou d'une autre, donc ça passe très bien, mais je peux comprendre que ça ne plaise pas à tout le monde :)

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  2. Toujours pas lu John Green, mais ta chro m'a donné le goût de le découvrir pour Glace et fudge avec ce titre. J'essaierai de le caser d'ici la fin de l'année :)

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  3. Yes ! Enfin une chronique qui réussit à me donner envie de lire ce roman ! Parce que ça fait un moment qu'il doit s'ennuyer dans ma PAL mais je n'ai jamais osé le lire. J'ai peur qu'il ne me plaise pas et je ne sais pas du tout à quoi m'attendre... :/

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