Editeur : l’école des loisirs
Nombre
de pages : 125
Résumé : L’ensemble des besoins des êtres humains
peut être classé en cinq catégories. Aujourd’hui, cette théorie est le principe
d’un nouveau jeu de télé-réalité : La pyramide des besoins humains. Nous sommes
15 000 candidats, et dans cinq semaines il n’en restera plus qu’un. Et moi dans
tout ça ? Disons que je m’appelle Christopher Scott. Disons que j’ai dix-huit
ans. Que j’habite sur un morceau de carton, dans la rue, à Londres. Enfin, peu
importe mon nom, peu importe mon âge. Je suis le candidat no 12778. Je n’existe
pas encore. Mais je risque fort de devenir quelqu’un, et même quelqu’un de
célèbre. Et c’est bien ça le pire.
- Un petit extrait -
« Donc, la célébrité me tombe dessus comme la fiente d'un pigeon sur la tête. J'ai d'autant plus de mal à prendre conscience de ce qui m'arrive que personne ne connaît mon visage. Je continue à vivre comme un clochard anonyme. N'importe quel taré pourrait fracasser une bouteille sur mon crâne sans que le public en devine rien. Des spectateurs assidus regardent peut-être mon profil sur leur téléphone en marchant devant moi sans le savoir. »
- Mon avis sur le livre -
Comme beaucoup de grands lecteurs, pendant
bien des années, je n’ai juré que par les gros pavés, ces énormes briques de
plus de cinq-cents pages qui constituaient, à mes yeux, les seuls livres
suffisamment denses pour être véritablement intéressants … Mais
progressivement, mon avis sur la question change radicalement, et je me tourne
de plus en plus volontiers vers ces tous petits livres qui n’ont l’air de rien
mais qui ont énormément à nous apporter. Il est vrai que je suis souvent très
frustrée de tourner déjà la dernière page alors que je viens seulement de me
poser confortablement dans mon canapé pour lire, mais cela ne m’empêche
nullement d’énormément apprécier ces petites lectures express ! Car
certains messages n’ont pas besoin de longs discours pour être délivrer, et c’est
parfois les romans les plus courts qui sont aussi les plus percutants. Vous
vous en doutez surement déjà, mais La pyramide des besoins humains, ce minuscule petit livre au titre
particulièrement intriguant, se situe dans cette catégorie : bref, certes,
mais essentiel.
Christopher, quinze ans, a fugué de chez lui
pour échapper aux coups de son père. Depuis plusieurs mois maintenant, son seul
domicile, c’est le petit mètre-carré de trottoir qu’il partage avec son ami
Jimmy, ses seules possessions, ce sont les vêtements qu’il a le sur le dos et
le sac de couchage « généreusement offert » par une œuvre caritative,
et ses seuls repas, ce sont ces quelques misérables hot-dogs trop épicés qui
coutent une pièce. Sa vie toute entière bascule le jour où, sur un coup de
tête, il pénètre dans un cybercafé pour s’inscrire au nouveau jeu de
téléréalité « La pyramide des besoins humains », basé sur la théorie
de Maslow qui classe les besoins humains selon cinq catégories –
physiologiques, de sécurité, d’amour, de reconnaissance et de réaliser, chaque
palier inférieur devant être satisfait pour pouvoir passer au niveau supérieur.
Quelles chances a-t-il, lui le jeune SDF anonyme, de progresser dans ce jeu alors
qu’il ne possède rien d’autre que sa misère ? Aucunes. Du moins, c’est ce
qu’il imaginait …
Cent-vingt-cinq pages, cela peut sembler bien
peu … mais croyez-moi, c’est amplement suffisant. Car l’autrice nous entraine
dans un monde qui coexiste avec le nôtre, mais que nous évitons soigneusement
de regarder : celui des sans-abris, des mendiants, des éclopés de la vie.
Celui de la misère dans toute sa « splendeur » : Christopher ne
possède littéralement rien d’autre que les vêtements qu’il porte et le duvet qu’il
transporte. Quelques pièces, durement acquises ou glanées au sol, sont son seul
salaire. Et sa seule demeure, c’est ce misérable renfoncement au fond d’une rue
un peu plus tranquille que les autres. Son seul réconfort, c’est le lampion
rose que Suzie, qui se prostitue dans l’immeuble d’en face, allume chaque soir
sur le rebord de la fenêtre. Christopher n’a que quinze ans, et chaque jour,
dans les yeux des passants, c’est le dégout qu’il voit alors qu’on change
précipitamment de trottoir pour ne pas s’approcher de lui. Caroline Solé nous
plonge sans concession dans cet univers sordide de la rue, elle ne nous laisse
pas la possibilité de nous dérober. Mais sans jamais éveiller en nous une pitié
mal placée, juste une révolte sourde face à ces injustices et ces inégalités.
Mais ce livre ne s’arrête pas à nous décrire
le dur quotidien de ces habitants de la rue : il pointe surtout du doigt l’hypocrisie
de notre monde. Les yeux rivés sur l’écran de leurs téléphones, animés d’une
fascination morbide pour la vie privée des autres, des centaines de milliers d’individus
votent pour ce mystérieux candidat dont parlent tous les journaux du pays …
mais continuent de lui cracher dessus « dans la vraie vie »,
comme s’il était un sale cafard qu’il faudrait écraser d’un coup de savate et
non un adolescent dans le besoin. Tandis que les uns surconsomment, changent de
téléphone portable trois fois par ans, mangent au restaurant plusieurs fois par
mois tout en jetant à la poubelle des quantités astronomiques de nourriture, d’autres
meurent de faim et de froid dans les rues. Et le plus effarant, finalement, c’est
que les producteurs de ce jeu malsain vont se faire de l’argent sur ce pauvre
gosse sans songer une seule seconde à lui venir en aide : tant qu’eux font
de l’audience et du chiffre, tout va bien, ce gamin peut crever dans son coin
sans que cela n’émeuve personne. Je sais, dit comme ça, c’est cruel, mais ne
nous voilons pas la face, c’est ainsi que fonctionne notre monde, notre
présent.
C’est donc un roman incroyablement poignant
et révoltant que nous offre l’autrice, un roman qui vous broie le cœur et vous prend
aux tripes. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, on s’attache facilement à
Christopher, ce jeune homme bien trop désabusé et cynique pour son âge, cet
adolescent qui a tiré tous les mauvais numéros de la vie mais qui trouve encore
le moyen de se satisfaire ironiquement de sa situation. Ses mots nous malmènent,
nous interpellent. Ils mettent le doigt là où ça fait mal pour mieux mettre en
évidence les contradictions de notre monde, la superficialité de notre société
où le paraitre est plus important que l’être. « Ces jeunes qui se filment
avec leur portable : celui qui vit, c'est celui qui a sa tête sur l'écran et
que tout le monde regarde ou celui qui prend la photo ? » nous demande
Christopher, interpellé par cette dualité entre la réalité et le mirage que l’on
veut montrer aux autres, comme si c’était honteux d’être soi … A sa manière,
Christopher est bien plus lucide que nous : lui le « marginal »
a un regard bien plus objectif que ceux qui rentrent aveuglément dans le moule
de la normalité. C’est aussi douloureux que libérateur de voir notre mode de
vie ainsi décortiqué, dépouillé de sa quasi-sacralité, cela donne envie de
créer un nouveau monde plus beau, plus juste …
En bref, vous l’aurez bien compris, malgré sa
brièveté, ce roman a bien des choses à nous apprendre, bien des messages à nous
transmettre. On se laisse happer par le témoignage de cet adolescent qui, en
quelques instants, a basculé du « côté obscur » de la vie. On se rend
ainsi compte qu’une vie, finalement, tient à très peu de choses, et qu’on
devrait être reconnaissant pour ce qu’on a plutôt que de se plaindre sur ce qu’on
n’a pas. Ça peut sembler surprenant, mais j’ai énormément apprécié la rudesse
de ce récit : contrairement à certains auteurs qui tiennent à tout prix à « rendre
plus supportable » la réalité, Caroline Solé nous l’offre sans filtre,
sans enrobage artificiel. Mais sans jamais tomber dans le pathétique non plus :
elle ne veut pas que nous plaignions Christopher, de cette pitié condescendante
et bien-pensante. Tout est très bien dosé, et la narration elle-même oscille
entre des passages très durs et des moments plus doux, de la même manière que
le quotidien de Christopher est tantôt terrible, tantôt supportable. Bien que
court, c’est donc un livre à ne pas mettre en toutes les mains et à réserver
aux lecteurs les plus matures qui seront plus à même d’appréhender les messages
qui se cachent entre les lignes de ce récit.
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