Editeur : Lucca
Nombre de pages : 278
Résumé : Depuis quelques mois à New York, un étrange mal sévit et s’empare des familles cossues de la métropole. Maux de tête, fatigue, fièvre, état de stupeur… la fièvre typhoïde se répand sans répondre à aucun schéma distinctif et met en alerte les autorités. Deux ingénieurs du département de l’Hygiène et de la Santé, Prudence Galewski et George Soper, enquêtent sans relâche pour retrouver la trace du patient zéro de cette épidémie, celui qui serait responsable d’avoir contaminé tant de victimes…
Un grand merci aux éditions Lucca pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.
« Une fille peut-elle trouver un travail dans lequel elle combat la mort ? Cela me fait tout drôle de l’écrire, mais c’est la question qui me vient toujours, même dans mes rêves. J’ai vu tellement de morts. Je trouve qu’il est mieux de ne pas en parler, de repousser ces images. Mais là, avec l’alchimie du papier et du stylo, il se produit quelque chose, et ces pensées terribles émergent. Ici, je peux admettre que je vois la maladie comme une mauvaise herbe invasive qui s’épanouit partout, dans les poubelles qui laissent échapper des nuages de cendre, dans les flaques qui suintent dans la rue, dans l’haleine alcoolisée des femmes qui s’attardent sur les trottoirs, dans les chats morts, dans les souris affamées qui grignotent les murs, dans les bandes de chiens errants que je vois lorsque je me promène dans le parc et qui souillent la ville.
Je vois la mort quand je passe devant un cheval bai.
Quelles sont ces entités qui nous affaiblissent et nous font mourir ? Comment se fait-il que la mort soit présente sur terre ? Comment s’introduit-elle dans le corps des gens et les rend-elle malades, les tue-t-elle ?
Si nous avions su comment combattre la mort, aurions-nous pu sauver Benny ? »
De l’eau a coulé sous les ponts depuis, mais je n’arrive pas à oublier ce fameux jour où, à la fin de mon année de seconde, j’ai fait pleurer mon prof de physique-chimie. Je n’avais pourtant rien fait d’extraordinaire : je lui avais juste appris que j’avais choisi d’aller en section Economique et Social et non pas en section Scientifique comme il le pensait et l’espérait … En y repensant, je suis partagée entre l’embarras – je n’aime pas faire pleurer les gens – et l’agacement, car c’était déjà suffisamment difficile pour moi de tracer une croix sur des disciplines que j’aimais énormément, je n’avais pas besoin qu’il me fasse culpabiliser en plus ! Car contrairement à ce qu’on pourrait penser au vue de mon amour de la lecture, je suis avant tout une scientifique : d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours désiré comprendre le monde qui m’entoure. Pour tout dire, ma première « lecture » a été le Larousse Médical : je n’ai bien évidemment pas été au bout et je n’ai bien évidemment pas compris grand-chose, mais de là est né mon intérêt pour le fonctionnement du corps humain et pour la médecine … Autant vous dire que quand j’ai découvert l’existence des éditions Lucca, qui cherchent à « vulgariser les sciences et les cultures par le biais de la fiction », j’étais complétement conquise !
Du haut de ses seize ans, Prudence aspire à bien plus que ce qui lui propose l’horrible Miss Ruben, sa professeure : elle ne veut pas de cette vie oisive de parfaite petite maitresse de maison, à coudre, peindre et minauder, elle ne veut pas passer toute son existence à donner naissance à des petites têtes blondes qui seront emportées par une maladie ou une autre. Car voilà bien ce qui anime la jeune fille : la volonté farouche de vaincre la mort, de combattre tous les maux qui accablent l’humanité. Si seulement elle n’était pas une fille, si seulement elle pouvait entrer à l’école de médecine ! En attendant, elle aide sa mère, sage-femme, à donner naissance à des dizaines de bébés, tout en s’efforçant de trouver un travail à mi-temps. Lorsqu’elle parvient à obtenir un poste d’assistante chez un illustre ingénieur du département de la Santé et de l’Hygiène, Prudence n’ose croire en sa chance : en tenant les notes de Monsieur Soper, elle va aider celui-ci à enquêter sur les causes des épidémies, afin d’enrayer ces dernières avant qu’elles ne fassent trop de victimes. Les voici sur les traces d’une vague de fièvre typhoïde, qui semble poursuivre une cuisinière, Mary Mallon, pourtant en parfaite santé ….
Depuis le début de la terrible pandémie qui sévit actuellement, les médecins n’ont cessé de nous alerter : ce n’est pas parce que nous n’avons aucun symptôme que nous ne sommes pas porteurs de la maladie et ne pouvons donc pas contaminer notre entourage. C’est ce que le monde médical appelle les « porteurs sains ». C’est aujourd’hui un phénomène connu et reconnu, mais ça n’a pas toujours été le cas : c’est justement l’objet de ce roman, qui mêle habilement réalité historique et fiction pour nous raconter comment l’existence de ces porteurs sains a été découverte. Nous sommes en 1906 aux Etats-Unis, et c’est à travers le journal de la jeune Prudence que nous suivons cette course folle contre la maladie. Prudence vit seule avec sa mère depuis le décès de son frère ainé et la disparition de son père. Curieuse et ambitieuse, la jeune femme s’ennuie ferme dans l’école pour filles où elle est inscrite : contrairement à ses camarades, elle ne rêve pas d’une vie d’oisiveté, elle veut donner un sens à son existence. Elle veut étudier les maladies afin de les éradiquer, afin de sauver des vies. C’est cela qui la pousse à arrêter ses « études » pour devenir la secrétaire de Monsieur Soper, cet homme qui traque les épidémies pour mieux les prévenir et les contenir …
Autant vous dire qu’on s’attache très vite à cette jeune fille, profondément humaine, dont le cœur est empli de cette volonté farouche de faire de grandes choses pour l’humanité, et qui ne compte pas enterrer ses rêves et ses ambitions pour la seule raison qu’elle n’est pas un garçon. Prudence est une jeune fille déterminée et obstinée, et il ne fait aucun doute que son émancipation ravira nombre de lecteurs, mais ce que j’ai surtout apprécié chez elle, c’est qu’elle est pleine de douceur et de sensibilité, mais aussi de doutes et de naïveté. On a envie de la protéger, de la consoler. Car contrairement à ce qu’elle imaginait, avec toute son insouciance et son innocence, ce n’est pas toujours facile de mettre fin à une épidémie … Surtout qu’il semblerait que celle qui véhicule la maladie dans toutes les maisons où elle travaille comme cuisinière est en parfaite santé ! Comment cela est-ce possible ? Et surtout, comment le prouver, puisque cette femme refuse catégoriquement de se faire dépister, accueillant Prudence et son chef avec des couteaux de cuisine et des attaques verbales qui heurtent la pudeur de l’adolescence ? Comment vont-ils enrayer la maladie si cette femme refuse de s’isoler et de se faire dépister ? Faut-il user de la force lorsque l’amabilité ne marche pas ? Faut-il sombrer dans l’illégalité pour le bien commun ?
Car ce livre pose aussi cette grande question d'éthique, de morale : pour éviter à des centaines de personnes de succomber, est-il juste de priver un unique individu de sa liberté de mouvement, ou doit-on respecter sa liberté individuelle et laisser ce porteur sain vagabonder et transmettre la maladie autour de lui ? Car peut-on réellement compter sur la responsabilité individuelle ? L’histoire de Mary Mallon nous prouve que non : malgré le serment qu’elle a fait devant la justice pour être libérée de sa quarantaine forcée, elle ne cessa pas de se faire embaucher comme cuisinière. Pire, elle prit une fausse identité pour pouvoir travailler dans un hôpital, alors même qu’on lui avait prouvé par A+B qu’elle transmettait la maladie sans avoir de symptômes ! Triste réalité, triste constat, mais il semblerait que la nature humaine ne soit pas vraiment altruiste … Et cette terrible vérité fait beaucoup de mal à Prudence, et donc au lecteur qui s’est tant attachée à cette jeune fille au cœur bien plus grand qu’elle. Au cœur peut-être un peu trop prompt à s’emballer, d’ailleurs : mon seul regret, qui explique pourquoi ce livre n’est pas un coup de cœur, c’est cette touche de « romance » fort malvenue. Pourquoi diable un roman qui se veut féministe tombe-t-il dans cet horrible travers de faire tomber la gamine folle amoureuse de son patron, nom d’un bécher ?!
En bref, vous l’aurez bien compris, j’ai vraiment beaucoup apprécié de roman dans lequel l’histoire des sciences et la fiction s’entremêlent délicatement. C’est un vrai bonheur que de suivre Prudence durant ces quelques mois où elle passe de l’adolescence à l’âge adulte, où elle prend en main son avenir en dépit des difficultés qui se dressent devant elle. C’est une sorte de roman initiatique, finalement, durant lequel cette jeune fille va enfin faire le deuil de son frère et de son père pour avancer dans la vie, durant lequel elle va apprendre à écouter les désirs qui se nichent au fond d’elle et qui lui disent qu’elle peut donner un sens à son existence. Et c’est aussi un vrai bonheur que d’apprendre comment l’existence des porteurs sains a été découverte, de suivre les recherches qui ont menées à cette découverte capitale pour la science, la médecine, l’épidémiologie. Car que serions-nous, aujourd’hui, si nous ne savions pas qu’une personne asymptomatique pouvait porter et surtout transmettre une maladie ? C’est un livre qui nous rappelle que derrière ces savoirs essentiels se cachent des hommes et des femmes qui se sont dévoués corps et âmes à leurs recherches, nuits et jours, pour sauver des vies. Des exemples à suivre …
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