Editeur : Grasset
Nombre
de pages : 238
Résumé : «
Cela ressemblait moins que jamais à une jungle, ou alors une jungle
froide, de bois et de boue, avec des animaux crottés, et des monstres de métal
au loin, sous le crachin. Pas le genre qui fait rêver, avec les perroquets et
les feuilles vertes et grasses, où on transpire dans une odeur d’humus. Une
jungle du pauvre. Et aujourd’hui, c’était silencieux. Cette jungle qui avait été un
chaos où des milliers de personnes vivaient, mangeaient, parlaient, se
battaient, était devenue un désert, où ils étaient seuls, tous les six. »
Ce roman a été lu dans le
cadre de l’opération « Exploration de la rentrée littéraire 2017 »
organisée par lecteurs.com.
- Un petit extrait -
« Elle n’avait jamais vu la mer, et ne savait pas nager. Elle avait pris un bateau où ils devaient être au moins cent, et comme elle était parmi les enfants elle avait eu le droit de rester dehors, sur le pont. Heureusement, parce que en bas les relents de poisson et d’essence étaient tellement forts que certains s’étaient mis à vomir à peine partis. L’odeur de vomi était alors venue jusqu’à ses narines, et elle avait beau mettre son nez dans sa veste, l’odeur continuait de lui remplir le crâne, elle s’était mise à trembler, à transpirer, elle essayait d’éviter d’y penser mais l’odeur, la pensée de l’odeur, les gémissements des autres, lui soulevaient le ventre. Son estomac devenait autonome et il se révoltait contre ce qu’on lui faisait subir, son esprit ne lui commandait plus. Elle s’est mise à vomir, les autres autour d’elle aussi, et tous se faisaient vomir les uns les autres. Pour la première fois elle s’était résignée à puer, elle avait tellement mal qu’elle ne faisait plus attention à rester propre. »
- Mon avis sur le livre -
Ils sont six adolescents. Deux filles, quatre
garçons. Ils ne viennent pas du même pays, n’ont pas suivi le même parcours,
mais sont habités par la même volonté, le même espoir : gagner l’Angleterre.
Réunis dans cette immense et cruelle Jungle qu’est celle de Calais, ils sont
prêts à tout pour traverser ces trente-trois kilomètres de mer qui les séparent
de leur objectif. C’est pourquoi, tandis que l’évacuation puis le démantèlement
de cet immense campement s’opèrent sous leurs yeux, ils décident de se cacher
des autorités françaises, pour ne pas prendre le risque d’être emmenés loin de
cet endroit qui représente pour eux leur seule chance d’atteindre l’Angleterre.
Assaillis par le froid et la faim, confrontés aux nombreux échecs et aux
déconvenues multiples, Hawa et ses compagnons d’infortune ne sont pas arrivés
au bout de leurs peines …
Je ne vais pas y aller par quatre chemins :
j’ai adoré ce livre. Je l’ai adoré au point de ne pas vouloir le finir, de
ralentir progressivement ma lecture pour faire durer le plaisir un petit peu
plus longtemps. Ce n’était pourtant pas gagné au départ : une couverture
blanche qui a fait frissonner l’amoureuse de belles images que je suis, un
résumé trop évasif qui ne me permettait pas de savoir quel était réellement le
genre du roman (j’aime savoir où je vais lorsque je débute un livre, ne
serait-ce que pour savoir à quoi m’attendre) … Heureusement pour moi, dès la
première page, cet état d’incertitude s’est envolé, remplacé par une insatiable
curiosité. Ce qui au départ était rédhibitoire à mes yeux - ne pas savoir dans
quoi je m’embarquais - est au contraire devenu ce qui me donnait envie de
continuer ma lecture !
Le suspense ne dure finalement pas tellement
longtemps - petit roman oblige - et j’ai rapidement compris que le « elle »
mystérieux qui menait l’histoire représentait Hawa, une jeune migrante en
escale à Calais comme tant d’autres. Au fur et à mesure que les chapitres
passent, on en apprend plus sur Hawa et son passé, ainsi que sur celui de ses
compagnons d’infortune. Et clairement, j’ai plus d’une fois grimacé, frissonné,
manqué pleurer … Pas uniquement parce qu’on s’attache à ces six gamins malmenés
par la vie, mais surtout parce qu’on pense à ces milliers de gamins de chairs
et d’os qui vivent la même galère chaque jour. C’est vraiment la force de ce
roman : mêler la fiction - il y a même une émouvante histoire d’amour dans ce petit
livre ! - et la réalité ... même si on aimerait tellement que cela ne soit pas
le cas !
J’ai particulièrement aimé la plume de
Delphine Coulin, à la fois très expressive, très poétique et très simple, très
fluide. J’ai toujours aimé les narrations qui plongent véritablement le lecteur
dans l’ambiance du récit, mais qui restent naturelles. Ici, c’est vraiment ce
que nous propose l’auteur : chaque description a fait naître en moi des
sensations, des images, des sons, des odeurs, qui m’ont totalement transportée
aux côtés d’Hawa et ses amis. Et pourtant, pas de paragraphes descriptifs longs
comme l’Iliade ou complexes comme une phrase stendhalienne. Non, tout
simplement des descriptions que je qualifie d’efficaces : sobres et épurées,
elles ne sont pas exhaustives mais ont montré le chemin à mon imagination qui
n’a eu qu’à faire le reste. J’ai vraiment eu un coup de cœur pour le style
lui-même !
Ce roman, donc, est loin d’être un simple «
récit-documentaire » : il se lit comme un véritable page-turner et en possède
d’ailleurs tous les ingrédients ! Il y a une bonne dose de tension dramatique,
de l’action, de l’émotion, de l’introspection tout juste ce qu’il en faut …
L’auteur a su trouver le juste milieu entre l’exploitation d’un contexte
éminemment réaliste - et sensible - et
la mise en place d’une véritable intrigue dramatique.
En bref, Une fille dans la jungle est un roman qui a su me captiver,
m’étonner et m’émouvoir. C’est un roman au sujet ô combien difficile, mettant
en scène des personnages au passé particulièrement douloureux, mais c’est avant
tout une histoire sous le signe de l’espoir. Hawa et les autres ne se laissent
pas abattre par les embûches et les complications, bien au contraire, ils
gardent foi en l’avenir qu’ils espèrent radieux. Une vraie leçon pour nous qui,
parfois, avons tendance à nous lamenter sur notre sort alors que pas si loin de
chez nous, des enfants de huit ans traversent des galères que nous pouvons à
peine imaginer … Alors oui, ce roman a beau être particulièrement bouleversant
et douloureux, je pense vraiment qu’il véhicule plusieurs beaux messages,
certains apparents, d’autres plus enfouis. Un livre qui engage à
réfléchir.
Ce livre
a été lu dans le cadre du Challenge de l’été 2017
(plus
d’explications sur cet article)
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