Editeur : Lynks
Collection : ReLynks
Nombre
de pages : 426
Résumé : Pour Sibel qui se consacre entièrement à la
danse, le quotidien est un perpétuel ballet. Pourtant, tout bascule le jour où
son lien à l’Art est coupé : on l’isole de ses soeurs, on lui refuse
l’existence qu’elle aime tant dans cette communauté composée exclusivement de
femmes. En tâtonnant pour retrouver tout ce qu’elle a perdu, elle entend des
rumeurs, découvre des secrets propres à bouleverser sa conception du monde. Mais
alors, si la vie n’est qu’un immense théâtre, pour qui Sibel danse-t-elle ? Et
surtout, que se trame-t-il en coulisse ?
Un grand merci aux éditions
Lynks pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu
ce partenariat possible.
- Un petit extrait -
« Je me serre un peu plus contre le tronc, pose mes lèvres contre l'écorce, et son énergie se déverse en moi. L'espace d'un instant, j'oublie mes soucis dans l'euphorie de la liberté. Il ne m'a pas désertée ! J'éclate de rire, sensible à la vie qui fourmille tout autour de moi, aux insectes se frayant un chemin dans les rainures du bois, à la coccinelle posée sur une feuille verte. Le parfum âcre de la terre s'infiltre dans mes poumons, m'apporte le salut des moucherons qui volètent frénétiquement près de l'étang. »
- Mon avis sur le livre -
Cela fait maintenant une bonne quinzaine d’années
que j’ai arrêté la danse, que mon petit justaucorps et mes chaussons de
demi-pointes sont entreposés dans un carton « souvenirs » au côté de
ma barbichette de Dormeur, vestige de mon premier spectacle de théâtre. Quinze
ans que je rumine ma déception : je n’ai rien d’une bonne danseuse, je
suis une sorte de pantin de bois sans aucune grâce qui s’efforce de ne pas
confondre sa droite et sa gauche pour tenter de faire les bons mouvements au
bon moment. Quinze ans que je rêve secrètement de reprendre la danse malgré cette
douloureuse désillusion, malgré le divorce entre mon corps et mon esprit, malgré
mon manque profond de coordination et de rythme … Autant vous dire que la
première phrase du résumé m’a immédiatement donné envie de découvrir ce livre :
j’avais envie, par l’intermédiaire de Sibel qui semble vivre pour et par la
danse, de ressentir le temps d’un roman l’harmonie que je n’ai jamais réussi à
atteindre et qui m’attire tant …
D’un côté les hommes, de l’autre les femmes.
D’un côté la Science, de l’autre les Arts. Séparés depuis des générations, tant
et si bien que chacun a oublié l’existence même de l’autre. Sibel est une
Danseuse d’exception, amie du vent qui la soutient dans ses chorégraphies, amie
de la nature qui lui offre son énergie et sa sérénité. Sibel est heureuse.
Jusqu’au jour où la loi des Mères est bafouée : une de ses camarades la
frôle, la touche, la souille et la brise. Isolée de ses Sœurs, Sibel tente désespérément
de retrouver le lien qui l’unissait à son Art. Mais dans le jardin, c’est tout
autre chose qu’elle trouve : une fille étrange et disgracieuse, inhabitée
par l’Art, qui se définit comme un « homme » ... A cet instant
précis, l’univers tout entier se disloque pour Sibel : se pourrait-il
qu’il y ait quelque chose, de l’autre côté du mur ? se pourrait-il que les
Mères ne connaissent pas tout, ou pire encore, qu’elles leur aient menti depuis
toujours ? Gagnée par une inexplicable soif de liberté et de connaissance,
Sibel se jette à corps perdu dans cette nouvelle danse vers l’inconnu et la
révolte …
Des dystopies, j’en ai lu pas mal, ces
dernières années …. Mais j’ai rarement été aussi conquise qu’avec De l’autre
côté du mur. Agnès Marot
nous offre un récit d’une beauté inouïe malgré la noirceur du futur qu’elle
nous dépeint. Un futur qui s’appuie, malheureusement, sur la tendance actuelle
à séparer les arts et les sciences : si un enfant à des prédispositions
pour les mathématiques, on voudra en faire un champion d’échec (hors de
question qu’un scientifique dans l’âme aille faire de la peinture sur soie !),
et si au contraire il a des aptitudes pour le patinage artistique, on attendra
de lui qu’il fasse un bac L (parce que c’est bien connu, les artistes sont nuls
en science). Les stéréotypes ont la vie dure, et l’autrice a fait le pari de
les exploiter à l’extrême pour créer ce monde dystopique, où hommes et femmes,
science et art, sont séparés, chacun ignorant même l’existence de l’autre. Les Filles
suivent aveuglément les lois des Mères, convaincues que celles-ci œuvrent pour
leur bonheur – après tout, c’est ce qu’on leur apprend depuis le plus jeune âge
– et les Fils font de même avec les lois des Pères de leur côté du bâtiment, de
leur côté du monde.
On s’en doute bien, les choses ne vont pas en
rester là : il n’y aurait pas d’histoire sans élément perturbateur pour
venir remettre en question et en cause l’ordre établi. Sibel subit cet élément
perturbateur : elle est loin d’être aussi curieuse et rebelle que son amie
Aylin, dont les extravagances et questionnements l’effrayent. Elle n’aspire qu’à
s’unir toujours plus à son Art, à parfaire toujours plus ses pas de Danse, à
avancer toujours plus vers la perfection. Elle est heureuse, ou du moins se
croit heureuse. C’est la question sous-jacente de toute cette histoire :
peut-on réellement être heureux quand on vit dans l’ignorance complète ?
peut-on vraiment être heureux quand on vit sans liberté ? sans même savoir
ce qu’est la liberté, ce qu’est la vérité ? Sibel va découvrir avec
horreur et stupéfaction ce qui se cache dans les « coulisses » de son
monde qui s’avère n’être qu’un gigantesque théâtre où tout est factice, où tout
est mensonge. Cruelle désillusion pour cette adolescente bien formatée, qui n’était
pas prête à affronter cette vérité. Mais est-on un jour prêt à découvrir qu’on
nous a menti, manipulé, trahi ?
Le choc est rude pour notre jeune héroïne, et
le lecteur partage sa peine. Et sa stupeur, au fur et à mesure des révélations.
Comment a-t-on pu en arriver là ? La question semble sans réponse … jusqu’à
ce qu’on se plonge dans la préquelle, intitulée Notes pour un monde meilleur. Le décalage entre le titre – reflétant la
volonté d’Isaac, « héros » de cette préquelle – et la réalité
racontée dans De l’autre côté du mur a de quoi faire rire ou pleurer. Comme beaucoup de scientifiques,
Isaac a toujours été persuadé d’agir pour construire ce monde meilleur dont il
rêvait. C’était devenu son obsession, l’attrait du progrès technologique, tant
et si bien qu’il s’est laissé dépasser par la Science … et tout est parti en
vrille. Car tout le monde n’est pas aussi altruiste qu’Isaac – que j’affectionne
beaucoup malgré ses erreurs dramatiques – et il y a toujours quelqu’un pour
transformer cet idéal fort honorable en quête de pouvoir et de gloire. Et il y
a aussi la question de la paix, de la sécurité : pour atteindre ces deux
objectifs, que peut-on et doit-on sacrifier ? Peut-on abolir les libertés
et l’amour au nom de la prospérité ? Ce livre a l’avantage de nous
présenter à la fois la genèse et l’écroulement de ce système, et c’est vraiment
très intéressant, d’autant plus que le jeu de miroir est vraiment bien mené !
En bref, vous l’aurez bien compris, je suis à
la fois sous le charme et sous le choc ! C’est un livre aussi doux que
cruel, aussi beau qu’effrayant. Il y a la rudesse de ce monde, de ce futur,
placé sous le signe du respect des règles et des interdits pour le bien de tous
– c’est du moins ainsi qu’il est présenté, et aussi ce que pense Sibel et ses
camarades –, et la tendresse de cette rencontre inattendue, de cet amour
naissant, de l’éclosion du papillon de la liberté. Sibel et Aslan sont
tellement attachants, on a envie de les soutenir dans leur quête de savoir et
de bonheur réel, on a envie de les voir sortir de cette prison qui s’ignore. On
rêve avec eux et pour eux, on tremble avec eux et pour eux, on rit avec eux et
pour eux. En clair, on se laisse complétement embarquer par cette histoire, où
les opposés s’attirent, où les paradoxes s’entremêlent. La plume d’Agnès Marot
est juste magnifique, c’est un vrai régal, on se délecte ! Si vous n’avez
pas encore eu l’occasion de découvrir cette merveilleuse histoire, allez-y les
yeux fermés. Qu’est-ce que j’ai aimé, mais qu’est-ce que j’ai aimé !
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