Editeur : Hachette
Collection : Black Moon
Nombre
de pages : 352
Résumé : Les plus beaux rêves engendrent
parfois les pires cauchemars. Ensemble, ils rêvaient du meilleur des mondes. Un
monde plus beau. Plus pur. Un monde parfait. Et pourtant, ce monde n’est pas
celui qu’elle espérait. Diane
est une jeune femme prête à se battre pour un monde plus écologique, un monde
dans lequel sa sœur Clara ne serait pas morte à cause d’un accident nucléaire, et Diane voit son rêve se muer peu à peu en
cauchemar.
-
Un petit extrait -
« Moi, j’en voulais à la terre entière, à tous les hommes pour ce qui était arrivé à ma mère, ce qui était arrivé à ma vie. J’ai voulu leur faire payer, me faire payer à moi-même d’être humain. Et je crois … Je crois que nous avons tous fait ce choix, celui de nous haïr parce que nous n’avions plus la force de nous aimer, de cultiver en nous ce qu’il y avait de beau … »
-
Mon avis sur le livre -
La dystopie et moi, c’est toute une histoire
d’amour : à partir du moment où j’ai découvert le genre, avec l’excellent
roman jeunesse De l’autre côté de l’ile, je n’ai cessé d’enchaîner les lectures et de chercher de nouvelles
histoires dystopiques à me mettre sous la dent. Un Monde pour Clara est passé entre les mailles du filet
pendant des années et des années, et ce n’est qu’en préparant les Imaginales
2016 que j’en ai entendu parler. Le résumé m’a immédiatement séduite :
entre le côté écologique, l’allusion à la gémellité et l’aspect très religieux de cette nouvelle
Société Verte, je pressentais un récit complexe et captivant qui allait me
faire pleurer et réfléchir. Cette intuition s’est révélée exacte et ce roman se
place d’office parmi les meilleures dystopies qu’il m’ait été donné de lire !
Je vous préviens de suite, cette chronique sera enrichie de nombreuses
citations tirées du roman, car les mots de monsieur Marcastel sont d’une
justesse et d’une poésie rares.
Tout commence par une manifestation, à
laquelle participent Clara et son meilleur ami Léo. Tous deux ont perdus un
être cher suite à une catastrophe nucléaire et s’investissent corps et âmes
dans le mouvement des Enfants de Gaïa, groupuscule militant pour un monde plus
respectueux de l’environnement et plus égalitaire. Mais la violence devient
telle que Diane, touchée par une balle antiémeute, sombre dans le coma pendant
plus de dix ans. A son réveil, le monde tel qu’elle le connaissait n’existe
plus : les Enfants de Gaïa ont pris le pouvoir et ont fait de Paris une cite
modèle, un véritable paradis terrestre en parfaite harmonie avec la Terre Nourricière.
Diane apprend de la bouche-même de Léo, devenu l’un des lieutenants du
gouvernement, qu’elle est devenue aux yeux de tous l’incarnation vivante et
martyre de Gaïa, vénérée telle une déesse et symbole de la renaissance de la
Terre Mère. Mais Diane va vite découvrir que cette société idyllique cache bien
des secrets et que ce monde n’est sûrement pas celui qu’elle rêvait pour Clara,
sa défunte jumelle.
C’est donc par une idéologie en apparence
totalement inoffensive que nait la plus terrible des dictatures : qui n’a
jamais songé qu’il fallait préserver l’environnement, et pour cela réduire
notre consommation d’énergie, réduire la pollution et limiter au maximum notre
impact écologique ? Diane, comme nombre de ses contemporains, rêvait d’un
monde meilleur, un monde plus respectueux et plus proche de la nature, un monde
où aurait pu vivre Clara, sa jumelle qui lui a été arrachée par une terrible
catastrophe nucléaire. Mais la société qu’elle va découvrir à son réveil est
bien différente de ce monde idéal : les inégalités sont plus fortes que
jamais, et seuls une poignée de privilégiés peut vivre dans la cité modèle de
Néo-Lutécia aux dépends des miséreux dont le mode de vie est proche de celui du
Moyen Age. Diane découvre aussi un monde où la religion tient plus de l’endoctrinement
et de la manipulation qu’autre chose, tandis que la corruption côtoie la
perversion des représentants d’un gouvernement assoiffé de pouvoir.
Il s’agit d’un récit qui fait froid dans le
dos et qui invite le lecteur à s’interroger non pas sur la nécessaire
protection de l’environnement (je cite Diane : « Léo
a raison, il faut protéger la nature, ne pas [la] laisser disparaitre, ni
personne l’abimer »), mais
bien sur la juste mesure à adopter pour ne pas le faire « au
détriment de l’homme [et] de ses enfants ». En voulant préserver la Terre Mère, humanisée et divinisée, les
Enfants de Gaïa en sont venus à considérer l’homme comme un parasite dont il
faut maitriser la prolifération, allant jusqu’à persuader des adolescents à
renoncer à leur fertilité pour le « bien commun » des enfants de
Gaïa, « qu’ils soient hommes, bêtes ou plantes ». Il est ici question
d’un endoctrinement que l’on retrouve dans la majorité des univers dystopiques,
mais celui-ci est particulièrement bien décrit et terriblement cruel car il s’enracine
dans une thématique actuelle et tellement innocente qu’on refuse d’y croire.
Plus généralement, ce roman pose la question
du fanatisme religieux par l’intermédiaire du personnage de Léo. Contrairement
à Diane qui a su garder un regard critique sur cette société en apparence
idéale, Léo s’est laissé aveugler par les promesses du Géophile, grand manitou
de cette immense machination, par cet espoir éperdu d’un monde parfait et par l’exaltation
de la violence. Contrairement à Diane qui a su garder un cœur empli d’amour et
de bonté, Léo s’est laissé envahir par la colère, par la haine de l’humain et
par la soif de vengeance. Il est terriblement difficile d’en vouloir à Léo, qui
a été brisé par la mort de sa mère et qui a réussi à se persuader que les
hommes dans leur globalité étaient responsables de ce décès, qui a voué une
confiance aveugle à un homme habile dans la manipulation et qui a trouvé dans
ce mouvement un exutoire parfait à sa douleur. Une des choses que j’ai vraiment
appréciée dans ce roman, c’est que malgré le fanatisme de Léo qui s’oppose à la
clairvoyance de Diane, ils ne sont pas des ennemis jurés et ne renient pas leur
amitié passée, au contraire : ils conservent dans leur cœur toute la tendresse
et l’affection qu’ils ressentent pour l’autre, et souffrent de ne pas réussir à
se convaincre mutuellement.
Il y a dans ce roman une montagne d’émotions.
Il y a tout d’abord l’amour éperdu que ressent Diane pour Clara, sa jumelle qui
vit encore dans son esprit et qui l’aide, par sa force, sa sagesse et sa
détermination, à continuer à vivre. J’ai toujours été passionnée par le lien
gémellaire et j’ai trouvé cette histoire tout simplement magique car elle met
en évidence cet amour fraternel d’une puissance incomparable, cette complicité
incompréhensible et cette douleur terrible que peut représenter la perte de ce
double parfait. Il y a ensuite une magnifique ode à l’amour maternel, cet amour
qui nait avant même la naissance de l’enfant, cet amour qui peut déplacer des
montagnes, cet amour plus fort que la mort. Et je n’ai choisi que deux
exemples, car cette histoire parle aussi de culpabilité, de douleur, de
tristesse, de sacrifice, d’amitié, de haine … Pendant ma lecture, j’ai été envahie
par toutes ces émotions, magnifiquement retranscrites par la plume délicate et poétique
de Jean-Luc Marcastel. J’ai pleuré, plus d’une fois, bien des fois, mais c’est
tellement beau que je ne regrette aucune de ces larmes.
Je pourrais vous dire encore tant de choses
sur ce merveilleux roman, je pourrais vous remplir des pages et des pages de
louanges de ce récit fantastique, mais je vais tout simplement vous recommander
chaudement de le lire. Par une narration très fluide, très gracieuse et très
juste, l’auteur fait voyager le lecteur dans les méandres d’un monde rêvé par
tant de personnages mais transformé en cauchemar par une poignée d’individus
avides de pouvoir. Par un récit très émouvant, très captivant et très profond,
l’auteur fait découvrir au lecteur les dangers d’une idéologie poussée au
fanatisme et les dérives potentiellement totalitaires de toute société. Un coup
de cœur mémorable qui fait réfléchir.
Ce livre a été
lu dans le cadre du Challenge de l’été 2016
(plus
d’explications sur cet article)
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