Editeur : Bayard Jeunesse
Collection : Millezime
Nombre
de pages : 454
Résumé : Depuis sa naissance, Moon vit avec son père
dans la forêt de l'Alabama ; il sait chasser sa propre nourriture, se repérer
grâce aux étoiles, faire du feu sous la pluie ... Aussi, quand il se retrouve
orphelin, il se promet de continuer à vivre en-dehors du système, comme Pap et
lui l'ont toujours fait. Pourtant, malgré sa farouche détermination, le garçon
est obligé d'affronter le monde extérieur. Et s'il sait tout de la vie sauvage,
Moon a beaucoup à apprendre de l'humanité ...
- Un petit extrait -
« - Je vais vous dire … Quelque chose me chiffonne depuis le début, dans cette affaire. Je n’ai pas réussi à comprendre ce que c’était avant d’avoir réglé la question du shérif. Vous comprenez, voilà un garçon élevé dans les bois qui ne connait du monde que ce qu’il a vu à deux ou trois kilomètres de sa cabane. Un jour, il sort du bois. Il a dix ans, il marche sur la route. Et nous, nous pensons tout de suite qu’il faut l’intégrer au système. Le mettre dans un foyer. En faire un pupille de l’état. Pourquoi ne peut-on pas simplement faire dormir le gosse chez quelqu’un, sur un canapé, et l’aider un peu, hein ? Bon sang, même si on l’avait fait dormir par terre, ça aurait été mieux. Il aurait été très bien dans une ferme. Un gosse comme ça, on le tue en le mettant dans une institution. »
- Mon avis sur le livre -
Il y a de cela quelques semaines, je me suis
réinscrite à la bibliothèque de la vallée avec l’espoir un peu naïf de freiner
cet accroissement exponentiel de ma pile à lire. Autant vous prévenir :
cela ne marchera pas, j’ai toujours autant envie d’acheter des livres. Mais
cela ne m’empêche pas de dévaliser avec joie les étagères de la bibliothèque !
Je n’ai ainsi pas hésité longtemps avant d’emprunter Alabama
Moon, que j’avais lu il y a
quelques années et dont je gardais un excellent souvenir bien que j’étais
incapable de me remémorer l’histoire avec précision. Cette lecture fut donc
pour moi une authentique redécouverte et je suis ravie de constater que ma
mémoire ne m’a pas joué des tours : ce livre est vraiment un très joli
roman plein de douceur et de poésie, mais aussi de réflexion et de richesse.
Moon est un petit garçon de dix ans qui a
toujours vécu avec son père dans un petit abri souterrain au cœur de la forêt.
Depuis sa plus jeune enfance, il a ainsi appris à composer avec la nature, que
ce soit pour se nourrir ou pour fabriquer ses vêtements, pour se chauffer ou
pour s’amuser. A ses yeux, il n’y a rien de plus naturel au monde que de passer
ses journées avec son père, à s’entrainer au tir à la carabine et à se cacher
dès qu’un garde-chasse ou un randonneur passe à proximité de leur cabane. Mais
tout bascule le jour où son père décède des suites d’une infection, pour avoir
interdit à son fils d’aller chercher un vrai médecin. Moon découvre alors la
solitude, la vraie, celle qui fait pleurer et qui serre la gorge. Alors il
décide de suivre au plus vite la promesse qu’il a faite à son père :
rejoindre l’Alaska pour y retrouver ceux qui, comme eux, vivent en dehors des
sentiers battus, loin des législations et des réglementations des
gouvernements. Mais si Moon est parfaitement capable de survivre au grand air,
il est totalement ignorant des réalités de la vie en société, et ses beaux
projets vont rapidement être réduits à néant par l’acharnement d’un shérif très
remonté contre les « sauvages » qui gangrènent les parcs nationaux. Moon
va ainsi découvrir la confiance, l’amitié, mais aussi le mensonge et la cruauté
…
La quatrième de couverture promet « un
texte fort et poétique sur l’apprentissage de la vie en société », et je pense
effectivement que ces quelques mots résument bien la teneur de ce roman, qui
aborde un thème trop peu souvent évoqué dans les récits destinés à la jeunesse :
le refus de se conformer à des normes édictées par d’autres. Plus globalement,
une grande question se pose au cours de cette histoire : de quel droit
pouvons-nous affirmer que notre mode de vie est le modèle à suivre, de quel
droit pouvons-nous imposer notre vision du monde à autrui ? Moon et son
père vivent en dehors du système, c’est un fait, mais ils ne sont pas
malheureux pour autant. Bien au contraire. Mais voilà qu’un shérif, un avocat,
un commerçant, décrètent qu’il n’est pas bon pour Moon de continuer de vivre
comme il l’a toujours fait, et le placent dans un foyer pour pupilles de l’état,
bien décidé à l’intégrer au système, persuadés que c’est le mieux pour lui, sans
songer une seule seconde que ce déracinement pouvait entrainer une grande
souffrance à ce petit garçon. A vouloir le faire rentrer dans le moule, dans
cette normalité qui est la leur, ils en oublient que cet enfant est avant tout
cela : un enfant, certes différent mais fragile.
Bien évidemment, tout l’intérêt du récit
repose sur l’évolution de Moon et de sa perception de ce monde qui lui est si étranger
et si hostile. Si au départ il rejette en bloc cette société, que son père lui
a décrit avec tant de haine et de crainte, il va progressivement se rendre
compte que tout n’y est pas mauvais, qu’il y a aussi du bon à vivre avec les
autres. Moon va ainsi découvrir l’Amitié avec un grand A, celle qui pousse à
faire des sacrifices et à briser des promesses, celle qui donne le sens des
responsabilités et qui efface la tristesse. Moon va également apprendre à faire
confiance aux bonnes personnes, au fil des erreurs et des rencontres. Bien plus
ouvert d’esprit que les adultes, ce petit garçon aussi courageux qu’insouciant
va donner une belle leçon d’humanité à ces derniers : contrairement à eux
qui se replient sur leur petit monde, persuadés d’avoir raison, Moon va au
contraire s’ouvrir à leur façon de vivre, désireux de se faire sa propre
opinion. Ce roman aborde également des thèmes aussi variés que la guerre, la
maladie, la solitude, la haine …
Vous l’aurez compris, l’histoire en elle-même
est déjà terriblement riche, profonde et émouvante : on s’attache très
rapidement à ce petit garçon plus perdu que dangereux, qui découvre avec
ahurissement notre monde, où règnent l’hypocrisie et la hiérarchie de la
richesse, où ceux qui pensent et vivent différemment sont automatiquement
rejetés et marginalisés. On s’attache également à ses deux amis, Kit, aussi
fragile que déterminé, et Hal, qui cache un grand cœur sous sa brutalité. Et
surtout, on s’attache à leur amitié, si pure, si puissante, si simple. Mais ce
qui rend le récit si bouleversant, c’est aussi sa narration : c’est Moon
lui-même qui nous raconte son histoire, avec son regard innocent et égaré, avec
ses doutes et ses incompréhensions, ses espoirs et ses déceptions. Moon nous
dit tout, sans omission ou exagération, il exprime les choses telles qu’il les
vit, et c’est tout simplement saisissant. Plus d’une fois, j’ai eu les larmes
aux yeux d’émotion ou les poings serrés de colère face au comportement des
adultes, ces adultes qui se croient tout puissants et qui s’autorisent à
dépasser les bornes sans ressentir la moindre honte. Moon force l’admiration,
car il ne baisse jamais les bras, même dans les situations les plus difficiles.
Mais au final, toutes ces douleurs et toutes ces difficultés laissent place à l’espoir,
à un bonheur encore timide mais qui promet de grandir jusqu’à éclipser tous les
mauvais souvenirs.
Une chronique un peu brouillon, je le sens
bien, mais qui je l’espère aura réussi à vous faire passer l’essentiel : Alabama
Moon est un roman jeunesse très
riche et très profond, qui pose les bases d’une véritable réflexion sur la
société et la normalité, sur l’amitié et l’ouverture d’esprit. Pas moralisateur
pour deux sous, ce livre se contente de nous livrer le point de vue d’un petit
garçon qui doit faire face à cette société si hostile à la différence, d’un
enfant fragilisé par la disparition subite de son seul pilier qui doit
cependant se battre pour rester lui-même envers et contre tout. Il n’y a pas
beaucoup de livres comme celui-ci, car il ne tombe ni dans les clichés ni dans
l’idéalisation, et parce qu’il est vraiment accessible aux jeunes lecteurs. Un
livre que je conseille donc à tous ceux qui ont envie de prendre du recul par
rapport à la société mais qui souhaite tout de même reprendre espoir en l’humanité.
Un livre émouvant mais terriblement éclatant.
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