Editeur : Hurtubise
Nombre
de pages : 173
Résumé : Imaginez un instant un univers où les rôles
sont inversés. L’intégralité de la population est née avec un trouble du
spectre de l’autisme. La société est parfaitement organisée, conçue en fonction
des besoins de ses individus. Ensuite, il y a vous, tout petit vous, qui venez
au monde. Vous êtes, dans notre monde à nous, parfaitement normal. Par contre,
dans cette histoire, vous êtes handicapé. Un cas lourd, difficile à encadrer.
C’est le monde à l’envers. C’est la réalité compliquée de Guillaume, jusqu’à ce
qu’il fasse la rencontre de Grace, la seule personne en mesure de le
comprendre.
- Un petit extrait -
« Est-ce que la sélection naturelle est positive ? Ca dépend. Regardez par la fenêtre. Vous en voyez les résultats. Toute la société est excessivement performante, les services sont sans faute, tout fonctionne comme sur des roulettes. Avec le Test, on a propulsé la sélection naturelle à un tout autre niveau. On pousse ceux qui ont des talents vers la réussite, on encourage le phénomène à prendre de l’expansion. On donne tout pour aider ceux qui sont au-dessus des autres, mais que fait-on du reste ? Avez-vous un jour songé à celui qui ne survivra pas à la sélection naturelle ? Cet être sans défauts particuliers, mais qui n’a pas l’air assez important pour être protégé ? Dans notre monde, il est préprogrammé pour s’autodétruire à la naissance. Bien sûr, on va le garder, par moralité. Mais à quoi ça sert ? On le relègue dans un coin en lui laissant tout juste ce qu’il faut pour survivre. Mais est-ce qu’il en a envie ? Il voit que chaque personne autour de lui obtient exactement ce qu’elle veut, mais lui, il ne peut pas. Il n’a pas de défauts, mais il n’a pas de qualités remarquables. Et la société n’a jamais envisagé que des gens comme lui existeraient peut-être. Avec des sentiments. Une dignité. Un orgueil. Personne n’avait prévu son arrivée. Alors, il reste là ? Né pour mourir sans se reproduire. Né pour mourir sans être aimé. C’est bête comme ça. »
- Mon avis sur le livre -
Il est assez rare que je le dise aussi
catégoriquement, mais aujourd’hui mon constat est sans appel : je n’ai
pas aimé ce livre. Et j’en suis la première étonnée et déçue ... C’est le
grand problème lorsque l’on place de grands espoirs dans un ouvrage suite à la
lecture du résumé : la chute est bien plus brutale que lorsque l’on
commence un roman sans attentes particulières. C’est peut-être étrange, mais
lorsque j’ai tourné la dernière page de ce petit récit jeunesse, j’ai eu le
sentiment d’être trahie. Trahie par ce résumé riche en promesses, trahie par ce
livre qui ne les tient pas. Et aussi étonnant que cela puisse paraitre, j’étais presque ravie de voir approcher la
fin de cette histoire qui ne m’a ni convaincue, ni même intéressée …
Guillaume n’avait que quelques mois lorsque
ses parents ont compris qu’il était différent des autres enfants. Et plus le
temps passait, plus les choses empiraient : Guillaume riait trop,
babillait trop, s’agitait trop. A l’âge de trois ans, le diagnostic tombe :
Guillaume est atteint de divers troubles neurologiques et ne sera jamais un
petit garçon comme les autres. Il est condamné à vivre dans un monde qui n’est
pas adapté à sa particularité. Guillaume vit dans un monde où tout est inversé
par rapport au notre : la normalité, c’est d’être autiste, le handicap, c’est
de ne pas l’être. Guillaume ne supporte plus cette différence, cette solitude.
Il ne comprend personne, et personne ne le comprend … A part peut-être la
nouvelle élève, Grace, qui semble souffrir de la même maladie que lui …
Ce qui m’a immédiatement attiré dans ce
résumé, c’est précisément l’idée de cette inversion. J’y voyais un excellent
prétexte pour présenter les particularités de l’autisme d’une façon innovante. Le
lecteur, tout d’abord, allait s’identifier à Guillaume, qui est
vraisemblablement « comme eux » (à part si le lecteur est lui-même
autiste, mais selon la quatrième de couverture, ce roman est plutôt conçu comme
un ouvrage de sensibilisation, donc destiné à des personnes neurotypiques), pour
ensuite mieux saisir les différences qui existent entre Guillaume - et par
conséquent, lui-même - et les autres - c’est-à-dire les individus autistes. De
même, puisque le monde dans lequel vit Guillaume est adapté à la majorité des
individus qui composent la société, le lecteur allait pouvoir comprendre ce
dont une personne autiste a besoin pour vivre son quotidien sereinement et
efficacement. Bref, cela me semblait être une excellente manière de faire
connaitre l’autisme !
Malheureusement, déjà à ce niveau, il y a un
énorme problème. Loin de présenter l’autisme dans son intégralité et surtout sa
diversité, ce livre réduit l’autisme à une seule de ses formes : l’autisme
de haut-niveau. Or, tous les autistes ne sont pas capables de « calculer
la taxe exacte sur un produit en fonction de son prix », ou de
« réciter par cœur les événements importants de l’Humanité » comme ce
livre veut le faire croire ! Il existe également des formes d’autisme avec
déficience intellectuelle, et d’autres avec des capacités intellectuelles tout
à fait « ordinaires ». Et même chez les autistes « de haut
niveau », cela ne se manifeste pas toujours de façon aussi
impressionnante. Ce roman est donc un double-mensonge sur l’autisme, bourré de
stéréotypes et de caricatures … Non seulement il n’apprend rien, mais en plus
il véhicule des idées fausses déjà suffisamment répandues comme cela pour
ne pas être en plus « approuvées » par un livre censé être écrit par une
spécialiste de l’autisme !
De plus, loin d’être « une touchante
réflexion sur l’autisme et notre façon de traiter ceux qui en sont
atteints » comme le promet la quatrième de couverture, ce livre présente
le défaut majeur de faire passer les autistes … pour des monstres. A en croire
ce livre, les autistes (de haut-niveau, n’est-ce pas, les autres n’existant pas
…) seraient tellement obnubilés par leur quête effrénée de connaissance dans
leur domaine de prédilection qu’ils n’hésiteraient pas à torturer père, mère et
enfants pour parvenir à leur fin. Difficile de faire accepter les personnes
autistes par la société avec de tels arguments ! Si l’objectif de l’auteur
était de dénoncer les abus de la recherche scientifique dans le domaine
médical, il aurait fallu se contenter de dénoncer les abus de la recherche
médicale … et ne pas mettre l’accent sur le fait que « les médecins sont
autistes et donc complétement obsédés par leur intérêt spécifique qu’ils en
deviennent cruels ». Je sais très bien que cela n’était pas l’intention de
l’auteur, mais c’est malheureusement de cette manière que le jeune lecteur (c’est
un livre jeunesse !) risque fort de percevoir le message …
A tout cela s’ajoutent encore deux autres
éléments assez rédhibitoires pour moi. Le premier, ce sont les incohérences. Je
n’en citerai qu’une seule : puisque ses parents et professeurs, autistes,
ne connaissent et ne comprennent pas le second degré, comme le petit Guillaume
de trois ans a-t-il pu apprendre la formulation « être mort de froid »
pour signifier qu’il avait très froid ? Cela lui est tombé dessus par l’action
du Saint Esprit ? Le second degré n’est pas inné chez un enfant, même « normal »,
du coup je ne vois pas comment Guillaume peut connaitre quelque chose que
personne n’a pu lui apprendre et lui nommer … Le second point qui me dérange, c’est
que l’on s’éloigne trop rapidement du sujet - un jeune garçon « normal »
perdu dans une société « autiste » - pour dériver sur une amourette d’adolescents
terriblement banale et insipide, avec un peu de mélodramatique à la fin (« Tu
m’as trahis ! J’avais confiance en toi ! Vilaine autiste ! »)
pour bien faire … Le livre est trop court pour se perdre dans ce genre de
choses !
En bref, vous l’aurez compris, s’il y a bien
un livre sur l’autisme que je vous conseille de ne jamais lire ou faire lire, c’est
bien celui-ci. Si l’idée de départ était vraiment bonne et prometteuse, puisqu’elle
aurait pu permettre au jeune lecteur de mieux connaitre et comprendre l’autisme,
le roman ne présente finalement aucun intérêt. Je n’ai aucun doute quant au
fait que la jeune auteure cherchait véritablement à transmettre un message de
tolérance et de bienveillance sur l’autisme, mais elle n’a malheureusement pas
atteint son objectif, bien au contraire ! Elle aurait probablement du
garder l’idée au chaud et écrire ce roman après ses études en neuropsychologie et non pas avant, puisqu’elle admet elle-même avoir écrit ce
récit « sur la base de l’observation pure », ce qui n’est sans aucun
doute pas suffisant pour ne pas tomber dans l’erreur totale …
Ce livre
a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus
d’explications sur cet article)
Je ne connaissais pas ce livre mais j'ai généralement du mal avec les fictions qui fonctionnent sur une inversion de situations réelles, c'est rarement efficace et ça donne un message peu clair au final je trouve. En tout cas les clichés que tu relèves dans ce roman me choquent pas mal, ça a l'air assez gratiné quand même !
RépondreSupprimerPour ma part, je trouve que l'inversion de situation, si elle est bien exploitée, peut faire passer un réel message. Malheureusement, ce n'est pas du tout le cas ici ...
SupprimerJe suis moi-même assez époustoufflée de voir qu'un livre aussi remplis de clichés ait pu être édité ... et sutout soit proposé dans une bibliothèque spécialisée sur l'autisme !
Merci pour cette chronique efficace et sans détour ! Dommage qu'il en aille ainsi pour ce livre, pour une fois qu'un roman traitait de l'autisme...
RépondreSupprimerDes romans sur l'autisme, on en trouve quelques uns. Mais des romans jeunesse, trop peu encore ...
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