samedi 3 février 2018

Dépourvu - Victoria Grondin



Dépourvu, Victoria Grondin

Editeur : Hurtubise
Nombre de pages : 173

Résumé : Imaginez un instant un univers où les rôles sont inversés. L’intégralité de la population est née avec un trouble du spectre de l’autisme. La société est parfaitement organisée, conçue en fonction des besoins de ses individus. Ensuite, il y a vous, tout petit vous, qui venez au monde. Vous êtes, dans notre monde à nous, parfaitement normal. Par contre, dans cette histoire, vous êtes handicapé. Un cas lourd, difficile à encadrer. C’est le monde à l’envers. C’est la réalité compliquée de Guillaume, jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre de Grace, la seule personne en mesure de le comprendre.


- Un petit extrait -

« Est-ce que la sélection naturelle est positive ? Ca dépend. Regardez par la fenêtre. Vous en voyez les résultats. Toute la société est excessivement performante, les services sont sans faute, tout fonctionne comme sur des roulettes. Avec le Test, on a propulsé la sélection naturelle à un tout autre niveau. On pousse ceux qui ont des talents vers la réussite, on encourage le phénomène à prendre de l’expansion. On donne tout pour aider ceux qui sont au-dessus des autres, mais que fait-on du reste ? Avez-vous un jour songé à celui qui ne survivra pas à la sélection naturelle ? Cet être sans défauts particuliers, mais qui n’a pas l’air assez important pour être protégé ? Dans notre monde, il est préprogrammé pour s’autodétruire à la naissance. Bien sûr, on va le garder, par moralité. Mais à quoi ça sert ? On le relègue dans un coin en lui laissant tout juste ce qu’il faut pour survivre. Mais est-ce qu’il en a envie ? Il voit que chaque personne autour de lui obtient exactement ce qu’elle veut, mais lui, il ne peut pas. Il n’a pas de défauts, mais il n’a pas de qualités remarquables. Et la société n’a jamais envisagé que des gens comme lui existeraient peut-être. Avec des sentiments. Une dignité. Un orgueil. Personne n’avait prévu son arrivée. Alors, il reste là ? Né pour mourir sans se reproduire. Né pour mourir sans être aimé. C’est bête comme ça.   »

- Mon avis sur le livre -

Il est assez rare que je le dise aussi catégoriquement, mais aujourd’hui mon constat est sans appel : je n’ai pas aimé ce livre. Et j’en suis la première étonnée et déçue ... C’est le grand problème lorsque l’on place de grands espoirs dans un ouvrage suite à la lecture du résumé : la chute est bien plus brutale que lorsque l’on commence un roman sans attentes particulières. C’est peut-être étrange, mais lorsque j’ai tourné la dernière page de ce petit récit jeunesse, j’ai eu le sentiment d’être trahie. Trahie par ce résumé riche en promesses, trahie par ce livre qui ne les tient pas. Et aussi étonnant que cela puisse paraitre,  j’étais presque ravie de voir approcher la fin de cette histoire qui ne m’a ni convaincue, ni même intéressée …

Guillaume n’avait que quelques mois lorsque ses parents ont compris qu’il était différent des autres enfants. Et plus le temps passait, plus les choses empiraient : Guillaume riait trop, babillait trop, s’agitait trop. A l’âge de trois ans, le diagnostic tombe : Guillaume est atteint de divers troubles neurologiques et ne sera jamais un petit garçon comme les autres. Il est condamné à vivre dans un monde qui n’est pas adapté à sa particularité. Guillaume vit dans un monde où tout est inversé par rapport au notre : la normalité, c’est d’être autiste, le handicap, c’est de ne pas l’être. Guillaume ne supporte plus cette différence, cette solitude. Il ne comprend personne, et personne ne le comprend … A part peut-être la nouvelle élève, Grace, qui semble souffrir de la même maladie que lui …

Ce qui m’a immédiatement attiré dans ce résumé, c’est précisément l’idée de cette inversion. J’y voyais un excellent prétexte pour présenter les particularités de l’autisme d’une façon innovante. Le lecteur, tout d’abord, allait s’identifier à Guillaume, qui est vraisemblablement « comme eux » (à part si le lecteur est lui-même autiste, mais selon la quatrième de couverture, ce roman est plutôt conçu comme un ouvrage de sensibilisation, donc destiné à des personnes neurotypiques), pour ensuite mieux saisir les différences qui existent entre Guillaume - et par conséquent, lui-même - et les autres - c’est-à-dire les individus autistes. De même, puisque le monde dans lequel vit Guillaume est adapté à la majorité des individus qui composent la société, le lecteur allait pouvoir comprendre ce dont une personne autiste a besoin pour vivre son quotidien sereinement et efficacement. Bref, cela me semblait être une excellente manière de faire connaitre l’autisme !

Malheureusement, déjà à ce niveau, il y a un énorme problème. Loin de présenter l’autisme dans son intégralité et surtout sa diversité, ce livre réduit l’autisme à une seule de ses formes : l’autisme de haut-niveau. Or, tous les autistes ne sont pas capables de « calculer la taxe exacte sur un produit en fonction de son prix », ou de « réciter par cœur les événements importants de l’Humanité » comme ce livre veut le faire croire ! Il existe également des formes d’autisme avec déficience intellectuelle, et d’autres avec des capacités intellectuelles tout à fait « ordinaires ». Et même chez les autistes « de haut niveau », cela ne se manifeste pas toujours de façon aussi impressionnante. Ce roman est donc un double-mensonge sur l’autisme, bourré de stéréotypes et de caricatures … Non seulement il n’apprend rien, mais en plus il véhicule des idées fausses déjà suffisamment répandues comme cela pour ne pas être en plus « approuvées » par un livre censé être écrit par une spécialiste de l’autisme !

De plus, loin d’être « une touchante réflexion sur l’autisme et notre façon de traiter ceux qui en sont atteints » comme le promet la quatrième de couverture, ce livre présente le défaut majeur de faire passer les autistes … pour des monstres. A en croire ce livre, les autistes (de haut-niveau, n’est-ce pas, les autres n’existant pas …) seraient tellement obnubilés par leur quête effrénée de connaissance dans leur domaine de prédilection qu’ils n’hésiteraient pas à torturer père, mère et enfants pour parvenir à leur fin. Difficile de faire accepter les personnes autistes par la société avec de tels arguments ! Si l’objectif de l’auteur était de dénoncer les abus de la recherche scientifique dans le domaine médical, il aurait fallu se contenter de dénoncer les abus de la recherche médicale … et ne pas mettre l’accent sur le fait que « les médecins sont autistes et donc complétement obsédés par leur intérêt spécifique qu’ils en deviennent cruels ». Je sais très bien que cela n’était pas l’intention de l’auteur, mais c’est malheureusement de cette manière que le jeune lecteur (c’est un livre jeunesse !) risque fort de percevoir le message …

A tout cela s’ajoutent encore deux autres éléments assez rédhibitoires pour moi. Le premier, ce sont les incohérences. Je n’en citerai qu’une seule : puisque ses parents et professeurs, autistes, ne connaissent et ne comprennent pas le second degré, comme le petit Guillaume de trois ans a-t-il pu apprendre la formulation « être mort de froid » pour signifier qu’il avait très froid ? Cela lui est tombé dessus par l’action du Saint Esprit ? Le second degré n’est pas inné chez un enfant, même « normal », du coup je ne vois pas comment Guillaume peut connaitre quelque chose que personne n’a pu lui apprendre et lui nommer … Le second point qui me dérange, c’est que l’on s’éloigne trop rapidement du sujet - un jeune garçon « normal » perdu dans une société « autiste » - pour dériver sur une amourette d’adolescents terriblement banale et insipide, avec un peu de mélodramatique à la fin (« Tu m’as trahis ! J’avais confiance en toi ! Vilaine autiste ! ») pour bien faire … Le livre est trop court pour se perdre dans ce genre de choses !

En bref, vous l’aurez compris, s’il y a bien un livre sur l’autisme que je vous conseille de ne jamais lire ou faire lire, c’est bien celui-ci. Si l’idée de départ était vraiment bonne et prometteuse, puisqu’elle aurait pu permettre au jeune lecteur de mieux connaitre et comprendre l’autisme, le roman ne présente finalement aucun intérêt. Je n’ai aucun doute quant au fait que la jeune auteure cherchait véritablement à transmettre un message de tolérance et de bienveillance sur l’autisme, mais elle n’a malheureusement pas atteint son objectif, bien au contraire ! Elle aurait probablement du garder l’idée au chaud et écrire ce roman après ses études en neuropsychologie et non pas avant, puisqu’elle admet elle-même avoir écrit ce récit « sur la base de l’observation pure », ce qui n’est sans aucun doute pas suffisant pour ne pas tomber dans l’erreur totale …

Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus d’explications sur cet article)

4 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas ce livre mais j'ai généralement du mal avec les fictions qui fonctionnent sur une inversion de situations réelles, c'est rarement efficace et ça donne un message peu clair au final je trouve. En tout cas les clichés que tu relèves dans ce roman me choquent pas mal, ça a l'air assez gratiné quand même !

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    1. Pour ma part, je trouve que l'inversion de situation, si elle est bien exploitée, peut faire passer un réel message. Malheureusement, ce n'est pas du tout le cas ici ...
      Je suis moi-même assez époustoufflée de voir qu'un livre aussi remplis de clichés ait pu être édité ... et sutout soit proposé dans une bibliothèque spécialisée sur l'autisme !

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  2. Merci pour cette chronique efficace et sans détour ! Dommage qu'il en aille ainsi pour ce livre, pour une fois qu'un roman traitait de l'autisme...

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    1. Des romans sur l'autisme, on en trouve quelques uns. Mais des romans jeunesse, trop peu encore ...

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