samedi 8 septembre 2018

Derniers mois en enfance - Philippe Mangion


Derniers mois en enfance, Philippe Mangion

Editeur : Autoédition
Nombre de pages : 175
Résumé : Il est un âge, au sortir de l’enfance, où les sentiments, les sensations, les pulsions nous envahissent, où l’on ne possède pas assez d’expérience pour les analyser et les garder à distance. Il est un âge où l’on ressent les problèmes des adultes qui, eux, nous pensant innocents, ne nous épargnent rien. Il est un âge à partir duquel, plus tard, on peut dérouler le fil de son histoire. La mienne débute à neuf ans au bord d’une pelouse interdite…

Un grand merci à Philippe Mangion pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

- Un petit extrait -

« Mais les jours où il n’était pas au rendez-vous de la pelouse, qu’il soit parti en week-end ou en vacances avec sa famille, je pouvais alors me détendre. Je retrouvais les jeux et les rêveries, je creusais des routes dans la terre pour mes voitures Majorette, ou bien je tournais en vélo autour de la pelouse, inlassablement. Je n’avais pas d’autre ami et ça ne me manquait pas, je pouvais rester seul de longues heures sans jamais m’ennuyer. En revanche, je n’osais pas aller dans les souterrains ni dans les endroits interdits. Le royaume de la cité m’était hostile et l’explorer n’avait de sens qu’en courant derrière Jean, en me surpassant pour l’épater. Quand nous étions ensemble, je me sentais fort, toute action était un défi. Il ne me serait jamais venu l’idée d’en refuser, de me cabrer devant l’obstacle. Je le suivais sans être contraint, je lui obéissais non par enthousiasme mais parce que c’était dans l’ordre des choses. »

- Mon avis sur le livre -

Généralement, je traite les services presse par ordre de réception : premier arrivé dans la boite aux lettres, premier chroniqué ! Mais, je l’avoue, cette fois-ci, j’ai fait une exception : j’avais terriblement envie de découvrir le nouveau roman de Philippe Mangion, et son devancier était un énorme pavé de fantasy au résumé aguicheur mais qui va probablement m’occuper une bonne semaine … Aussi, ni vue ni connue, j’ai subtilement interchangé leur place dans la pile (et, d’ailleurs, j’ai totalement remanié le planning du publication du blog car je tenais à vous partager mon enthousiasme au plus vite) ! Après tout, l’essentiel, c’est de se faire plaisir, du moment qu’on est dans les temps, non ?! C’est donc avec grande joie que je me suis plongée dans cet ouvrage, dont j’adore la couverture et dont la quatrième de couverture en dévoile suffisamment pour donner envie de lire mais suffisamment peu pour qu’on se demande ce qui se cache dans ce très court roman …

L’histoire commence un jour d’été, lorsque le narrateur, alors âgé de neuf ans, fait la rencontre de Jean et Sophie … Lui est le fils du directeur de la résidence universitaire, eux sont les enfants de l’intendant. Au sein de cette immense cité où logent des milliers d’étudiants et quelques adultes, ils sont les trois seuls enfants : leur amitié leur semblait donc évidente. Chaque jour, les mêmes rituels, inlassablement répétés : le rendez-vous au bord de la pelouse interdite, l’exploration des mondes interdits – escaliers de secours, toits en terrasse, balustrade du quatrième étage du bâtiment B … galeries souterraines du vide sanitaire –, l’espionnage des conversations les plus banales, le gouter … Dans la vie de l’écolier, la routine est plus rassurante que pesante : le cours de piano a beau être d’un ennui mortel, il rythme la semaine au même titre que la séance de catéchisme du dimanche matin ou que l’entrainement au karaté … Mais voilà que, progressivement, cette bulle d’insouciance se fissure : l’enfance ne dure qu’un temps, et il semblerait que chez lui, elle touche doucement à sa fin.

Ce livre, c’est avant tout le portrait d’une enfance, à la fois terriblement banale et affreusement atypique. C’est l’histoire d’une amitié ni n’a rien de fusionnelle ni même de belle : elle s’est nouée par défaut, elle se délitera sans un pleur, sans un heurt. Parce qu’ils sont les seuls enfants de la cité, parce que leurs pères sont collègues, ils étaient voués à se côtoyer et à se fréquenter quotidiennement … Parce que Jean avait besoin d’être suivi, et le narrateur d’être guidé, ils trouvaient l’un et l’autre leur compte dans cette drôle de camaraderie faite d’habitudes et de rituels immuables. C’est l’histoire d’un quotidien bien rodé où chaque semaine ressemble à la précédente et à la suivante, où les longues journées d’école laissent ensuite place aux après-midi passées à déambuler dans la cité, immense terrain de jeux privatif pour ces enfants en quête d’aventure. Bravant tous les interdits, méprisant le danger, les deux garçons ainsi que la jeune Sophie s’inventent un monde à leur image, un monde d’enfants. Vous n’imaginez même pas à quel point j’étais émue en lisant ce roman : cela a fait ressurgir en ma mémoire tous les souvenirs des après-midis passées en compagnie des autres enfants du village, à marauder dans le quartier de l’école, à grimper sur les toits des hangars communaux, à pénétrer dans les jardins pour remplir une course d’obstacle connue de nous seuls … Nous étions insouciants, inconscients mêmes, parfois, mais nous étions heureux, libres et majestueux.

Mais le titre l’annonce bien : nous assistons ici aux dernières heures de l’enfance du narrateur, ces quelques semaines, quelques mois, où cette enfance s’éloigne progressivement mais irrémédiablement pour laisser place à l’adolescence, où l’insouciance s’efface brusquement au profit d’une douloureuse lucidité. C’est l’heure terrible de la désillusion, où ce sentiment de plénitude se fissure pour n’être plus que souffrance : nos certitudes s’effondrent, remplacées par le doute et la révolte face à la trahison et au mensonge. Alors que sa famille est brisée par un drame familial dont il ne saisit pas encore tous les tenants et aboutissants, tandis que les secrets et les tabous s’accumulent et se nouent, son innocence meurt à petit feu. Il se rend compte que ses parents ne sont pas infaillibles, que son ami n’est pas le héros qu’il s’imaginait, que lui-même n’est pas aussi courageux qu’il ne l’espérait. L’un des passages les plus émouvants à mes yeux est assurément celui où il dort quelques temps chez sa sœur ainée, loin des disputes parentales et de la dépression maternelle : alors même qu’il est « dans la maison du bonheur », lui n’aspire qu’à retrouver son univers, sa chambre, son quotidien. Son être tout entier refuse de grandir, car grandir c’est souffrir : il ne veut pas s’inquiéter pour ses parents, car ils peuvent surmonter tous les obstacles de la vie, contrairement à lui qui est encore si petit, et qui veut continuer à l’être.

Ce livre, c’est un véritablement concentré d’émotions : peines, peurs, douleurs, mais aussi joies, curiosité, surprises. Immergé dans les pensées de notre petit narrateur finalement devenu adulte, qui porte sur son « moi du passé » un regard bienveillant et indulgent, le lecteur se laisse entrainer dans cette histoire pleine de nostalgie et de douceur. Comment ne pas être ému par ce petit garçon si sensible, si fragile, si peu préparé à faire face à la terrible réalité ? Face à son désarroi, face à son incompréhension, face à son déni, on a envie de le prendre dans nos bras pour le consoler, pour le protéger de ce monde qui transforme tous les enfants insouciants en adultes désabusés ? On s’attache très vite à cet enfant en proie à un bouleversement interne auquel il n’était pas préparé … Très vite, également, on se laisse happer par la narration, très fluide, très sobre mais très poétique. Au bout de quelques pages à peine, l’ambiance est posée, le don est donné, et le lecteur n’a plus d’autre choix que de se laisser entrainer par les mots qui content sans raconter … Il suffit de fermer les yeux pour visualiser les lieux, les personnages, les scènes : l’immersion est incroyablement facile, ici, car on y croit. On y croit tellement que, du début à la fin, on se questionne : fiction ou non ? Notre petit narrateur n’a pas de prénom : le doute n’en est que plus grand …

En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut vraiment une très bonne lecture ! Quel plaisir que de suivre ce petit garçon au cours de ses derniers mois en enfance … et quelle tristesse que de devoir le quitter à la fin du livre ! L’expression « c’est une page qui se tourne » prend tout son sens ici : alors que notre narrateur s’apprête à vivre un nouveau chapitre de l’histoire de sa vie, le lecteur doit le laisser prendre son envol. Nous avons fait un bout de chemin littéraire ensemble, mais il est maintenant temps de reposer le livre dans son étagère, jusqu’à une éventuelle relecture. Parce que c’est un livre que je relirai volontiers un jour ! C’est un très beau livre sur l’enfance, sur les joies et les peines de cet âge où tout semble à la fois si simple et si compliqué, sur les bouleversements de l’adolescence. C’est l’heure du grand changement avec le passage au collège : alors qu’on était « les grands » à l’école primaire, on redevient soudainement « les petits », alors même qu’on attend de nous que l’on quitte définitivement l’enfance … Je conseille fort volontiers ce petit livre émouvant à souhait, cette tranche de vie vibrante de réalisme, cette belle histoire fort joliment racontée … Une pépite littéraire !

Ce livre a été lu dans le cadre du Challenge de l’été 2018
(plus d’explications sur cet article)

Ce livre a été lu dans le cadre du Tournoi des 3 Sorciers
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1 commentaire:

  1. Merci, Marie, pour cette magnifique chronique. Vous rendez avec une grande exactitude les sentiments et les ressentis que je voulais faire passer à travers ce texte.
    La littérature est magique, seule capable de créer une forme d'intimité entre auteur et lecteur, le temps d'un roman. L'écriture est une expérience à la fois solitaire et universelle. Vous le montrez avec talent dans votre article, en vous réappropriant le personnage avec justesse. Vous le rendez encore plus vivant, même à mes yeux. Encore merci.

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