Editeur : Bayard
Nombre
de pages : 249
Résumé : La fille qui se trouvait en face de moi
n’avait plus de visage.
Mon père m’avait prévenu :
si tu rencontres les patients d’ici, tu ne fais pas de commentaires, tu réagis
le plus poliment possible. Tu risques d’être surpris, mais surtout tu es
diplomate, tu ne montres rien à ces pauvres gens. Ils ont déjà tellement
souffert. Tu vas en croiser pas mal, ici, des abîmés, des malheureux et il y a
même un secteur pour les enfants et les grands ados.
— Hé, cache ta joie, Machin.
C’est super romantique comme rencontre. Manque plus que les violons, non ?
Un grand merci aux éditions Bayard
pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat
possible.
- Un petit extrait -
« J'ai pris ses mains dans les miennes. Puis je l'ai serré dans mes bras. Pas fort. Ne pas l'étouffer, penser qu'il était fragile. Son corps contre le mien ne pesait pas grand-chose. Et son odeur était un mélange de désinfectant, de médicament, et de chewing-gum à la fraise. J'ai oublié qu'il était tordu. J'ai oublié qu'il était laid. J'ai oublié son visage et sa maladie. »
- Mon avis sur le livre -
Le mois de novembre était censé être placé
sous le signe de la fantasy … mais quand j’ai croisé ce titre dans la sélection
Masse critique, j’ai allégrement balourdé (au sens figuré uniquement) mes gros
pavés remplis de dragons, d’elfes et de batailles sanguinolentes pour me ruer
sur ce court roman qui promettait d’être riche en émotions et en poésie. Pour
lui, j’ai été jusqu’à interrompre ma lecture d’une saga – ce que je ne fais
généralement qu’à contrecœur car j’aime lire tous les tomes d’une saga d’une
seule traite ! Il y a quelque chose sur cette couverture, quelque chose
dans ce titre, quelque chose dans ce résumé, qui m’a donné cette envie de tout
laisser tomber pour me plonger aussi vite que possible dans cette lecture. Je
le sentais, je n’allais pas en sortir tout à fait indemne, et la raison aurait
voulu que j’attende d’être un peu moins déprimée pour m’y mettre … mais « le
cœur a ses raisons que la raison ignore », semblerait-il.
Rémi, quatorze ans, presque quinze, a
déménagé dix-neuf fois pour suivre son père, médecin remplaçant qui semble s’être
donné pour objectif de visiter tous les hôpitaux, cliniques et maisons de
retraite de la France. Solitaire et introverti, le jeune homme ne prend même
plus la peine d’essayer de s’intégrer dans les différents établissements
scolaires qu’il fréquente quelques mois chacun. Il préfère se réfugier dans la
musique, trimbalant où qu’il aille le vieux Walkman de sa mère pour écouter les
cassettes que cette dernière a enregistré lorsqu’elle avait son âge. Dans ce
cocon acoustique des années 80, Rémi tente de se convaincre que le monde ne
peut pas l’atteindre … Jusqu’au jour où son père et lui débarquent dans un
centre de repos pour les chirurgies réparatrices et qu’il croise Sara. Sara et
son visage défiguré, monstrueux, repoussant. Sara et ses yeux magnifiques,
envoutants, méprisants. Car malgré les avertissements de son père, Rémi n’a pas
pu s’empêcher d’écarquiller les yeux, effaré par ce qu’il voyait. A partir de
cet instant, le jeune garçon doit se rendre à l’évidence : il ne veut plus
être seul. Et peut-être que ces jeunes écorchés pourraient bien être les seuls
à l’accepter …
Un, deux,
trois … Les chuchotis de sa mère
au début de chaque cassette rythme le quotidien de Rémi, notre héros et
narrateur. Rengaine familière et rassurante qui berce le jeune homme jour après
jour, tandis que grandit en lui le ras-le-bol d’être trimballé d’hôpitaux en
hôpitaux, de collèges en collèges. On s’attache rapidement à Rémi, adolescent
solitaire qui vit avec la crainte – mêlée à un incompréhensible espoir – d’avoir
hérité de la folie de sa mère. Mère dont son père et lui ne parle jamais, et
que Rémi ne connait finalement qu’à travers ses gouts musicaux enregistrés sur
dix cassettes qu’il écoute en boucle. On a de la peine pour lui, mais cela ne
nous empêche pas d’approuver Sara lorsque celle-ci le traite de blaireau après
leur rencontre … Mais on ne peut cependant pas lui en vouloir complétement :
il y a fort à parier qu’on aurait réagi exactement de la même manière en se
retrouvant face à Sara et aux autres jeunes de ce centre de repos pour les
patients qui viennent de subir une opération de chirurgie réparatrice. Face à
une petite fille qui n’a pas de nez, face à une ado qui n’a plus de visage.
Même en sachant que c’est mal, on n’aurait probablement pas pu empêcher notre
cerveau de faire un arrêt sur image, nos yeux de fixer ces aberrations
physiques, notre corps même d’avoir un petit mouvement de recul.
A travers le personnage de Rémi, qui est loin
d’être parfait, qui est juste éminemment humain, qui est juste exactement comme
nous, l’autrice nous place finalement face à notre propre comportement. Elle
nous oblige à nous rendre compte de notre « cruauté ordinaire ». Car
malgré tous les beaux discours de tolérance, il ne faut pas se voiler la face :
la différence fait peur, surtout quand cette différence est « moche ».
Face à de telles difformités, on ne peut pas s’empêcher de détourner le regard – regard par ailleurs empli de pitié –, sans
songer une seule seconde à la souffrance que cela fait naitre chez l’autre.
Comme si cet autre, qui ressemble si peu à un humain, n’était plus tout à fait
humain. Comme si sa malformation impliquait nécessairement qu’il ne pouvait pas
comprendre et ressentir les choses. Rémi a toujours cru qu’il était « bienveillant »,
qu’il savait accepter la différence sans souci, mais cette rencontre lui fait
douloureusement prendre conscience qu’il a encore bien du chemin à faire.
Heureusement, malgré le fiasco de leur première rencontre, les sept jeunes de
la « cabane thérapeutique » vont
l’accepter parmi eux. Et lui apprendre à voir la beauté de l’âme et du cœur. La
plus importante. Celle que rien ne peut altérer, pas même un dramatique
accident de voiture ou l’explosion d’une bombonne de gaz. Pour reprendre l’expression
de Saint Exupéry, une beauté qu’on ne voit pas avec les yeux mais avec le cœur.
Et croyez-moi, le cœur de Rémi va apprendre à battre avec une ardeur nouvelle ….
Ce livre, c’est un véritable ouragan
littéraire. Au début, c’est le silence, le calme avant la tempête. Le temps
semble suspendu, il y a comme une bulle de coton qui nous entoure. Il y a Rémi
et sa musique, jour après jour. Il y a les descentes quotidiennes au réfectoire
pour chercher un plateau repas. Il y a l’ennui et la solitude. Et soudain, le
cataclysme se déclenche, et vous ne pouvez absolument rien faire pour lutter :
la tornade vous entraine dans un tourbillon d’émotions et vous ne pouvez pas
vous en sortir. Vous espérez, vous riez, vous pleurez, vous hurlez. Avec Rémi.
Avec Sara et Adonis. Avec Clothilde et Maxime.
Avec Pascal, Zoé et Milie. Avec ces huit jeunes. Sept gueules cassées et
une âme brisé, qui se rencontrent et s’apprivoisent. Qui font face aux plus
terribles épreuves. Qui se déchirent, aussi, quand Rémi n’a pas le courage
suffisant pour assumer leur amitié au grand jour. Quand il se comporte comme un
blaireau. Qui se réunissent à nouveau quand vient le moment de soutenir un d’entre
eux. Car pour ces sept jeunes écorchés, le combat n’est jamais terminé :
opérations après opérations, ils espèrent retrouver un visage qui n’attirera
plus les regards. Un visage pour ne plus être à l’écart … C’est un livre
déchirant, mais étonnamment profondément réjouissant en même temps. Ils sont
beaux, ces sept jeunes, oui, ils sont si beaux.
En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un
véritable coup de cœur pour ce bref récit coup de poing, qui ne laissera aucun
lecteur indifférent. Comment rester de marbre face à cette magnifique histoire
d’amour et d’amitié ? Comment ne pas s’attacher à Rémi et ses nouveaux
amis, malmenés d’une façon ou d’une autre par la vie ? Comment ne pas
avoir envie de les serrer dans nos bras, non pas pour exprimer notre pitié,
mais bien pour les remercier d’exister, même uniquement sur le papier ?
Ils nous donnent une formidable leçon de vie, par leur courage et leur
générosité, mais aussi par leurs faiblesses et leurs erreurs. Si je pouvais
vous donner un conseil, c’est vraiment de lire chaque chapitre en écoutant la
chanson qui va avec. La musique des années 80 constitue ici un personnage à
part entière, tant elle a d’importance dans la vie de Rémi, et ça permet
vraiment de se plonger dans l’ambiance de ce récit vraiment émouvant et
captivant que je conseille chaleureusement. Oui, c’est un roman déchirant, on
en sort avec le cœur en miettes, mais on en sort aussi avec du baume au cœur,
car c’est un roman d’une beauté rare, et d’une poésie inouïe. Une formidable
découverte !
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