samedi 11 novembre 2017

Aussi loin que possible - Eric Pessan



Aussi loin que possible, Eric Pessan

Editeur : L’école des loisirs
Collection : Medium
Nombre de pages : 138
Résumé : Antoine et Tony n’ont rien prémédité. Ce matin-là, ils ont fait la course sur le chemin du collège. Comme ça, pour savoir qui des deux courait le plus vite. Mais au bout du parking, ils n’ont pas rebroussé chemin, ils ont continué, sans se concerter. La cité s’est éloignée et ils ont envoyé balader leurs soucis. Pour Tony, la hantise de se faire expulser vers l’Ukraine. Pour Antoine, la peur de prendre une nouvelle dérouillée parce que son père a envie de passer ses nerfs sur lui. Depuis ce matin, ils courent côte à côte. Ils se sentent capables de courir pendant des jours, tant qu’il leur restera une once de force.

- Un petit extrait -

« Je ne savais pas que l'on pouvait trancher sa vie d'une manière aussi radicale. Je savais que l'on pouvait tomber malade, que l'on pouvait avoir un accident. Je savais qu'une chose terrible pouvait vous mettre à terre. Je savais que l'on pouvait devenir immensément riche en quelques secondes grâce au loto, mes parents y jouent chaque semaine même s'ils ne gagnent rien. Finalement, je ne savais pas qu'il était aussi simple de tout envoyer bouler d'un seul coup. »

- Mon avis sur le livre -

C’est en sortant ce roman du carton qui lui sert d’étagère (manque de place chronique) que je me suis rendu compte que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu de livres « courts » : avec 138 pages au compteur, cet ouvrage est bien différent des pavés que j’engloutis habituellement. Autant dire qu’il n’a pas fait long feu : en moins d’une heure, la dernière page était tournée ! Moi qui comptais sur lui pour m’occuper tout le temps que durerait le rendez-vous de mes parents, j’ai dû trouver une autre occupation pour la seconde partie de l’attente (j’en ai ainsi profitée pour préparer le brouillon de cette chronique).

Ce matin-là, en déposant leurs sacs de cours au pied d’un buisson et en s’accroupissant tandis que l’un d’eux entamait le décompte, Antoine et Tony n’avaient à l’esprit qu’une simple petite course amicale afin de déterminer lequel des deux était le plus rapide. Eux-mêmes étaient bien loin de se douter qu’ils allaient poursuivre cette course par-delà les limites du quartier, de la ville, du fleuve, qu’ils allaient courir côté à côte durant des jours, laissant derrière eux leurs soucis, leurs problèmes, leur quotidien. Ils étaient loin d’imaginer que leur existence toute entière allait basculer ce matin-là, lorsque sans se concerter ils ont continué de courir … aussi loin que possible.

Pour être parfaitement honnête, lorsque j’ai reçu ce roman par l’intermédiaire de mon abonnement Ecole des Max, j’étais assez sceptique : que pouvait-il y avoir de bien palpitant dans l’histoire de deux garçons qui ne font que courir ? Moi qui déteste la course à pieds et me demande régulièrement ce qui pousse tant de gens à se torturer quotidiennement en s’obligeant à courir après le temps qui passe, j’ai bien failli ne jamais donner sa chance à ce livre … Fort heureusement pour lui comme pour moi, j’avais besoin d’un roman pas trop gros à trimballer pour m’occuper dans une salle d’attente et je me suis souvenue de son existence. En effet, contrairement à ce que je craignais, il n’est pas si mal que cela, ce roman qui court !

Pour les médias, Antoine et Tony ont couru pour soutenir une cause. Mais en réalité, Antoine et Tony ont couru pour fuir la peur. Dans le cas de Tony, il s’agissait de fuir la crainte de se faire expulser vers l’Ukraine, ou pire, d’être séparé de ses parents et de ses frères et sœurs pour être placé en famille d’accueil. Antoine fuyait la violence et l’impulsivité de son père colérique. On s’attache facilement à ces deux adolescents malmenés par la vie, mais que la vie n’est pas parvenue à briser : on a envie de les voir réaliser leurs rêves, de les voir libérer de cette angoisse quotidienne, de ces chaines qui les entravent et les empêchent de vivre pleinement. Ce ne sont pas des rebelles, des voyous : si au cours de leur « fugue » (qui n’en est pas vraiment une), ils ont été amenés à voler ou à entrer par effraction dans des résidences secondaires pour trouver de quoi manger et dormir, ils ne le font jamais « de bon cœur ». Sans cette peur qui les poussait à aller toujours plus loin, jamais ils n’auraient fait cela, et j’ai beaucoup aimé les petites remarques d’Antoine à ce sujet : il se demandait parfois s’ils ne devaient pas mettre un petit mot pour s’excuser d’avoir brisé la vitre, de s’être servi dans les conserves … Ce livre montre bien que tous les jeunes des cités ne sont pas des criminels en puissance ! J’aime beaucoup ces deux garçons, qui ne cherchent finalement qu’une seule chose à travers ce marathon sauvage et improvisé : se vider l’esprit de tout ce qui, dans leur vie, est trop sombre pour être supportable … 

On ne va pas se mentir, l’action est quelque peu monotone : ils courent, se procurent de quoi manger, cherchent un abri pour la nuit, puis repartent en courant. Excepté quelques conversations épisodiques, ils n’échangent pas un mot, chacun plongé dans ses propres pensées. L’esprit d’Antoine, notre narrateur, vagabonde autant que son corps, et ce sont justement ces réflexions, ces égarements, qui rendent le récit si intéressant. Antoine ne se contente pas, fort heureusement, de nous raconter leur cheminement, de nous relater mésaventures et moments de joie, il nous parle également de ses états d’âme, de ces questionnements … Il nous partage sa vision du monde qui l’entoure : une société où chacun vit les yeux rivés sur sa propre personne sans jamais les poser sur les autres, où la routine devient une prison aussi surement que la nature se voit grignotée par des villes toujours plus étendues et déprimantes. Tout comme Antoine et Tony, on peut parfois être tentés de tourner le dos à cette sombre réalité … mais tout comme Tony et Antoine ont été rattrapés par elle, nous n’avons aucun moyen de l’éviter. Alors, peut-être, faudrait-il essayer de la changer pour qu’elle soit plus humaine, moins froide ?

En bref, un petit récit très court mais très percutant, qui a su me surprendre et me faire oublier mes appréhensions premières. Une ode à la liberté et à l’amitié qui invite à profiter du moment présent et à se vider l’esprit de tout ce qui l’encombre inutilement … mais aussi à se questionner sur le bien-fondé de certains comportements de notre société. S’il risque d’ennuyer les lecteurs amoureux des intrigues pleines de rebondissements et d’actions, il fera la joie de ceux qui apprécient les réflexions sur la vie, le monde … Je le conseille tout particulièrement aux plus jeunes lecteurs de par sa petite taille : peut-être cet ouvrage leur donnera-t-il envie de faire bouger les choses, pour que notre société n’oublie pas l’importance du partage et de l’échange, pour que chacun se préoccupe des autres et non plus uniquement de lui-même …

Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus d’explications sur cet article)

2 commentaires:

  1. J'ai découvert Eric Pessan avec "Dans la forêt de Hokkaido" et je poursuivrais bien avec celui-là. Oui, chez Pessan, le rythme est lent mais l'histoire est percutante. Et le côté plait aux jeunes.
    Merci d'en avoir parlé.

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    1. Je vais lire "Dans la forêt de Hokkaido" durant le mois de décembre, je verrai bien ce que j'en pense :)

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