Editeur : Larousse
Collection : Petits classiques
Nombre
de pages : 413
Résumé : Fin du XIXe siècle, les grands magasins
parisiens révolutionnent le commerce. Denise Baudu, venue de sa province, en
découvre l’univers turbulent. Vendeuse, elle monte en grade sous les ordres du
directeur d’un de ces établissements, Octave Mouret. Relation singulière,
puisque la jeune femme convertira finalement le cynique séducteur aux valeurs
de l’amour….
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Un petit extrait -
« Il était toujours en haut de l'escalier, sur le grand palier central, dominant la galerie. Mais il avait oublié l'inventaire, il ne voyait pas son empire, ces magasins crevant de richesses. Tout avait disparu, les victoires bruyantes d'hier, la fortune colossale de demain. D'un regard désespéré, il suivait Denise, et quand elle eut passé la porte, il n'y eut plus rien, la maison devint noire. »
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Mon avis sur le livre -
Bien souvent, au lycée, lorsque les
professeurs nous invitaient à lire du Zola, la plupart de mes camarades
plissaient les sourcils et grimaçaient tout en pestant contre la « sale
manie » de Zola de rédiger des phrases et des descriptions à rallonge, et
également contre sa propension à ne proposer que des fins terriblement
déprimantes. Je me suis toujours sentie gênée au cours de ces conversations
car, personnellement, j’adore Zola et sa plume. J’apprécie de pouvoir en
apprendre plus sur l’Histoire tout en lisant une histoire. J’apprécie de
pouvoir me représenter sans difficulté le cadre et l’ambiance dans lesquels s’inscrit
l’intrigue. Certes, ce n’est pas toujours très réjouissant, mais c’est réaliste
et cela ne me choque pas.
C’est donc dans le cadre d’un petit challenge
personnel (lire l’intégralité du cycle « Les Rougon-Macquart ») que je
me suis lancée dans la lecture d’Au Bonheur des Dames. Nous faisons la rencontre de Denise, une
jeune femme modeste et spontanée, qui débarque en plein cœur de Paris avec ses
deux petits frères dont elle a la charge. Afin de subvenir aux besoins de sa
petite famille, Denise cherche à trouver un emploi dans la petite boutique de
tissus de son oncle. Mais ce dernier ne peut se permettre de l’embaucher :
les affaires sont dures pour les petits commerçants tels que lui depuis l’ouverture
du Bonheur des Dames, un magasin gigantesque qui affiche des prix imbattables.
Son directeur, Octave Mouret, est un jeune homme ambitieux qui croit en une
conception nouvelle du commerce et qui voit dans son magasin un excellent moyen
de tenir la femme à sa merci, de la faire se sentir reine pour l’inciter à
dépenser toujours plus.
Malgré la désapprobation de son oncle, qui
refuse d’admettre l’inéluctable déclin de son commerce, Denise va se faire
embaucher comme vendeuse au Bonheur des Dames. Raillée par ses collègues,
dénigrée par les clientes, Denise va voir sa sensibilité mise à rude épreuve, d’autant
plus qu’elle ne comprend pas ce qu’elle a pu faire de mal pour s’attirer ainsi
la haine des autres femmes. Renvoyée par un supérieur auquel elle s’est
refusée, Denise va finalement être réengagée après avoir attiré l’attention de
Mouret, qui l’attire autant qu’il la terrifie. Mouret, de son côté, va être
touchée par cette orpheline, pleine de candeur et d’honnêteté, qui de plus est
la seule à ne pas céder immédiatement à ses avances. Progressivement, son
regard va changer et une fièvre passionnée va prendre le pas sur la froideur qu’il
s’appliquait jusqu’alors à manifester dans ses relations.
Vous l’aurez compris, ce roman est avant tout
une histoire d’amour entre deux êtres que tout oppose, deux individus qui
refusent d’admettre cette attirance réciproque. Denise n’arrive pas à concevoir
comment un homme tel que Mouret, riche et talentueux, pourrait s’intéresser à
une petite vendeuse telle qu’elle. Mouret, lui, ne comprend pourquoi Denise
occupe tant de place dans ses pensées et son cœur, lui qui jusqu’alors ne
voyait les femmes que comme des clientes enfiévrée, des acheteuses frénétiques
qui font tourner son commerce mais qu’il dirige à sa guise. De plus, il ne
parvient pas à saisir les raisons qui conduisent Denise à repousser sans cesse
ses avances, à refuser ses propositions les plus alléchantes. Il y a dans cette
relation un véritable jeu du chat et de la souris, un « suis-moi je te
fuis, fuis-moi je te suis » que je ne m’attendais absolument pas à
retrouver dans un livre classique ! Comme je suis une grande romantique, j’avoue
que ce côté-là du roman m’a énormément plu !
Mais ce n’est pas le seul point positif de ce
livre ! Fidèle à son objectif, qui est de peindre un tableau général du
Paris du second Empire, Zola nous offre dans ce récit un véritable « instantané »
de la société de l’époque. Ainsi, nous assistons à la naissance des grands
magasins, au début du capitalisme moderne et à la montée en puissance de la
consommation de masse. Mouret ne se contente pas de vendre un type de
marchandises : il aspire à devenir l’unique ressource de ses clientes, l’ultime
commerçant qui leur permettra de n’avoir plus qu’un seul magasin à visiter pour
faire ses emplettes. Mouret cherche également à susciter l’envie d’acheter, à
créer des besoins. Pour cela, il va multiplier les rayonnages, les promotions « exceptionnelles »,
il va appâter l’acheteuse potentielle en lui faisant traverser l’intégralité du
magasin pour parvenir au rayon qu’elle souhaitait d’abord visiter … lui offrant
ainsi une multitude de tentations auxquelles elle finira bien par succomber.
Des techniques encore bien utilisées de nos jours …
Un autre bouleversement majeur se trouve dans
la gestion du personnel : oubliées les vendeurs « ad vitam aeternam »
qui faisait presque partis de la famille chez les petits commerçants, le
capital humain du Bonheur des Dames fluctue lui aussi en fonction de l’affluence.
La rentabilité est le maitre-mot et les employés trop maladroits, trop lents ou
trop peu productifs sont aussitôt remerciés. La direction a également mis en
place des primes pour les meilleurs vendeurs, tout une armée d’inspecteurs pour
veiller au grain … Le magasin est une machine cruelle qui n’a aucune
considération pour ses rouages, qui sont considérés comme interchangeables et
facilement remplaçables. La chasse au profit devient plus importante que l’humanité
et la solidarité … Zola le déplorait déjà à l’époque.
Au fur et à mesure que le Bonheur des Dames
se développe, les petits commerçants alentours se meurent, rongés par le manque
de clients et hantés par la faillite imminente. La plupart refusent de s’adapter
aux nouvelles normes en vigueur dans le commerce et assistent avec impuissance
au déclin de leur activité. Zola illustre cette déchéance par la famille Baudu :
au fur et à mesure que les ventes se raréfient, que la boutique se voit mangée
par la concurrence, les membres de cette maison dépérissent à vue d’œil.
Dépassés par la modernité, les Baudu tirent leur révérence, lutant jusqu’à leur
dernier souffle contre l’inexorable victoire des grands magasins sur le petit
commerce traditionnel. Toute la noirceur du roman se retrouve concentrée dans
cette personnification de la mort des petites boutiques.
Je pourrais encore continuer longtemps :
il y a tant de choses à dire sur ce livre ! Je conclue donc en réitérant
mon exclamation première : que j’aime Zola ! Ses longues descriptions
m’enchantent, son style de narration me fascine et son côté « historien poète »
me captive. Ses personnages sont très intéressants, j’ai particulièrement bien
aimé Mouret qui est un être complexe, lunatique et assez étrangement très
attachant. Si vous souhaitez lire du Zola mais que vous ne savez pas avec quel
livre débuter, je vous invite fortement à choisir Au Bonheur
des Dames, qui est
sûrement le récit le plus léger que j’ai pu lire de lui jusqu’à présent.
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