Editeur : Rouergue
Nombre
de pages : 448
Résumé : Au fond des bois, vit une communauté
d’anciens membres d’un cirque. Depuis très longtemps ils ne donnent plus de
spectacle. Un jour, de grands travaux grignotent le territoire autour d’eux, et
on oblige l’enfant de la famille, La Petite, à rejoindre l’école du village.
- Un petit extrait -
« Nous sommes pareils à des comètes esseulées, toutes filant dans le même ciel, toutes promises à la même obscurité. Alors pourquoi ne pas se rassembler pour éclairer plus fort un instant ce coin de ciel désolé ? »
- Mon avis sur le livre -
Il est de ces livres qu’on aime tellement
qu’il nous est tout simplement impossible d’en continuer la lecture. Je sais,
dit comme cela, c’est étrange, mais laissez-moi vous expliquer. Ce livre, il
m’a fallu presque deux semaines pour le terminer, pour la simple et bonne
raison que j’en savourais le moindre paragraphe, que je devais me retenir pour
ne pas en recopier toutes les phrases sur mon carnet de citations, que je
voyais avec angoisse la fin se rapprocher inexorablement à chaque phrase. Ce
livre, il m’a secouée, clairement, indéniablement, au point que cela fait
presque une semaine que je retarde l’écriture de cette chronique, car je sais
que je vais avoir toutes les peines du monde à vous en parler, à trouver les
mots pour exprimer les émotions et les sensations qu’ont fait naitre en moi ces
mots mis bout à bout, ces lettres ordonnées en une histoire aussi féérique que
terrible. Une histoire dont on ne sort pas indemne, quoi qu’on fasse pour se
prémunir de ce bouleversement radical entrainé par ce conte qui fait réfléchir
sur notre monde, sur notre vie.
La Petite a toujours vécu là, au Puit des
Anges, avec Belle, le Père, Franco le lion et les autres. A vrai dire, la Petite
ne sait pas vraiment ce que cela veut dire, toujours. La Petite voit les jours
qui passent sans chercher à les compter, voit le temps qui défile sans chercher
à l’arrêter. La Petite vit entourée
d’histoires, sans savoir que les histoires sont des histoires, car pour la
Petite, la vie est une histoire, et les histoires sont la vie. La Petite sait
les choses telles qu’elles sont, sans avoir jamais eu besoin d’apprendre. Elle
sait les liens qui unissent les hommes entre eux et avec la nature, elle sait
que l’homme n’est qu’une bête privée du langage fondamental. Mais un jour, elle
ne sait plus, tout son monde s’évapore dans les rugissements d’une machine
terrible venue détruire la forêt et les arbres et les animaux. Et pour sauver
le Puit des Anges, la Petite ne voit qu’une solution : réveiller la Bête,
celle qui a volé la langue des bêtes aux hommes, celle qui a sauvé l’Enfant de
la colère du Patron. Quand les histoires se mêlent à la réalité, quand la
réalité devient une histoire comme les autres, tout bascule et tout s’écroule.
Ce roman est très probablement l’un des
récits les plus étranges qu’il m’ait été donné de lire. C’est à la fois beau et
horrible, léger et dramatique. On sort des sentiers battus pour atterrir au cœur
de l’inconnu. On se laisse surprendre par cette narration si particulière,
cette narration qui va à l’essentiel sans jamais le dire vraiment, cette
narration qui raconte sans jamais raconter. Les scènes se déroulent devant
nous, en nous. Car finalement, l’histoire que nous raconte cette histoire n’est
rien d’autre que notre histoire : quand vint le temps de quitter
définitivement l’enfance insouciante (mais emplie d’une sagesse bien plus
profonde qu’on ne le pense), notre monde s’écroule douloureusement pour se voir
remplacer par un univers aux règles incompréhensibles, nos yeux s’ouvrent à ce
qu’on préférait jusqu’à présent éviter de voir, nos oreilles comprennent ce
qu’elles s’obstinaient à reformuler différemment pour préserver notre joie.
Cette histoire, c’est ça : la Petite découvre qu’elle n’est plus la Petite
d’hier, sans pour autant savoir ce que sera la Petite de demain. Cette
histoire, c’est la douleur de cette enfant que tout oblige à grandir,
brutalement, cruellement, sans y avoir été préparée, sans l’avoir demandé.
Cette histoire raconte la mort de l’enfance.
Ce roman se fait le messager d’un regard sur
le monde, d’un regard qui remet en question bon nombre de nos attitudes, de nos
comportements. Ici, l’humanité est présentée comme « enfermée dans des
cages de bêton avec pour seule fenêtre l’écran des télévisions », esclave
volontaire de ces « paradis colorés, bruyants et artificiels ».
Prisonniers de l’inutile, dirait Manset. La Petite vit loin de tout cela, loin
de ce Village et de cette Ville qui se font ici le reflet de tous les Villages
et de toutes les Villes du monde, et à ses yeux ces individus sont des
sauvages, qui ne respectent ni la nature ni les animaux ni les hommes, qui se
sont enfermés dans leur vision du monde sans songer une seule seconde que c’est
la diversité qui fait la richesse de l’humanité. Tout le monde devrait lire ce
livre une fois dans sa vie. Car ce livre fait réfléchir. Ce livre nous
invite à nous poser cette essentielle
question : « qu’est-ce que l’essentiel ? ». L’essentiel,
est-ce l’argent, est-ce la normalité, est-ce l’essentiel présenté par les
médias ? Mais ce livre, c’est aussi une invitation à laisser tomber notre
vision purement rationnelle du monde pour se laisser emporter par les histoires
et les rêves, par les intuitions et les émotions, par tout ce qui se passe du
matériel pour exister. Ce livre nous invite à ouvrir les yeux et le cœur.
Et quand bien même on déciderait de lire ce
roman comme n’importe quel autre roman, sans chercher à se laisser entrainer
par ces réflexions sous-jacentes à l’histoire, croyez-moi, il vaut le détour.
C’est beau. Chaque mot de ce livre a trouvé sa juste place pour faire de chaque
phrase une poésie. On pourrait passer des vies entières à savourer ces phrases,
à les murmurer, à les crier, à les chanter. Les mots et les phrases et les
paragraphes sont emplis d’une fluidité rare, d’un rythme délicat, d’une
harmonie parfaite. Tout dans ce roman invite à la lecture à voix haute, au coin
du feu ou au cœur de la forêt, pour soi-même ou pour un public. Le langage
occupe dans ce récit une place primordiale, centrale, cruciale, et cela se
ressent dans la narration. Les mots ont été choisis avec soin, autant pour leur
signification que pour leur sonorité, pour leur connotation que pour leur
beauté. Je ne peux que vous encourager à lire ce roman, ne serait-ce que pour
découvrir cette plume si singulière, cette plume qui vous fait retenir votre
souffle à chaque instant, cette plume qui fait vibrer tout votre corps et votre
cœur d’émotions brutes.
Dire que ce livre est un coup de cœur serait à
la fois un euphémisme et un mensonge. Ce livre, c’est une expérience que vous
ne voulez pas manquer. Jusqu’à présent, je n’ai jamais rencontré un livre tel
que celui-là, et je doute fortement en rencontrer un autre un jour. Car ce
livre ne ressemble à aucun autre livre, autant par son fond que par sa forme.
Je peine à exprimer avec précision ce que je pense à propos de ce livre, pour
la simple et bonne raison que les mots ne suffisent pas toujours à décrire les
émotions et les sensations. Ce livre bouleverse, mais il réconforte aussi, ce
livre ébranle, mais il amuse également. Ce livre n’est ni une comédie ni une
tragédie, ni un roman ni une poésie, ce livre est tout et rien à la fois. N’hésitez
plus et laissez-vous appeler par ce livre unique en son genre, qui ne vous
décevra pas.
Ce livre
a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons
(plus
d’explications sur cet article)
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