mercredi 28 avril 2021

Vango, tome 1 : Entre ciel et terre - Timothée de Fombelle

Vango1, Timothée de Fombelle

Entre ciel et terre

 Editeur : Gallimard jeunesse

Nombre de pages : 371

Résumé : Paris, 1934. Devant Notre-Dame, une poursuite s'engage au milieu de la foule. Le jeune Vango doit fuir. Fuir la police qui l'accuse, fuir les forces mystérieuses qui le traquent. Vango ne sait pas qui il est. Son passé cache de lourds secrets. Des îles silencieuses aux brouillards de l'Écosse, tandis qu'enfle le bruit de la guerre, Vango cherche sa vérité.

 

 

- Un petit extrait -

« Dans sa fatigue extrême, la femme mêlait plusieurs langues qui surgissaient parfois au détour de ses mots.

-Ça c'est du grec, disait le docteur.

-Et ça veut dire quoi ?

-Ça veut dire qu'elle parle grec.

Tout le monde admira le raisonnement. »

- Mon avis sur le livre -

 Il m’a fallu du temps pour m’en rendre compte, et encore plus de temps pour changer mes convictions bien ancrées, mais j’ai fini par accepter l’idée qu’il faut savoir donner une seconde chance aux auteurs : ce n’est pas parce que le premier livre que nous avons lu d’un auteur ne nous a pas convaincu que toute sa bibliographie est dans la même veine. Il est vrai que malgré cette « bonne résolution » de ne jamais juger toute la production d’un auteur après une seule lecture, j’ai encore tendance à repousser continuellement cette « seconde découverte » lorsque la première n’a pas été particulièrement concluante … Aussi, je dois bien reconnaitre que même si Victoria rêve n’avait pas été une mauvaise lecture, ce petit roman m’avait laissé une telle sensation de « trop peu » que je n’étais pas particulièrement pressée de redonner sa chance à Timothée de Fombelle. Comme souvent, c’est grâce à une lecture commune que j’ai finalement fait sortir ce roman de ma pile à lire … et je me sens drôlement stupide d’avoir attendu si longtemps, car ce fut une très belle lecture !

Avril 1934, une foule immense se presse sur le parvis de Notre-Dame-de-Paris malgré la pluie battante : c’est jour d’ordination. Quarante jeunes gens s’apprêtent à devenir prêtres. Parmi eux se trouve Vango. Couché sur le pavé en attendant le grand moment, il est bien loin de se douter que dans quelques instants, sa vie va effectivement prendre un tournant décisif, mais pas celui qu’il avait choisi … Alors que le sonneur s’en donne à cœur joie, alors que le vieux cardinal sort de la cathédrale, des policiers surgissent : ils viennent arrêter Vango pour un crime qu’il ignore avoir commis. Celui-ci, mu par un instinct qui ne lui a jamais fait défaut, parvient à s’échapper en escaladant comme si de rien n’était la façade de Notre-Dame. Et comme si cela ne suffisait pas, voici qu’il est également la cible de tireurs mystérieux ! Traqué de toutes parts, le jeune séminariste est persuadé que cette fois-ci, ce ne sont pas des troubles paranoïaques, pas des délires de persécution, comme l’a indiqué le psychiatre sur son dossier il y a quelques années … Mais il ignore toujours ce qu’on lui veut. Pour le savoir, peut-être doit-il déterrer ce passé dont il ne connait absolument rien …

La quatrième de couverture est suffisamment intrigante pour attirer l’attention du lecteur, mais suffisamment brève pour qu’il ne sache absolument pas ce qui l’attend. C’est une plongée dans l’inconnu qui attend le lecteur … et quelle agréable surprise que ce roman d’aventure particulièrement original et franchement captivant ! Ça commence dès le premier chapitre : quelle audace que d’ouvrir le récit sur une cérémonie religieuse aussi frappante que celle de l’ordination ! Quelle audace que de donner le premier rôle à un séminariste, à un jeune homme bien décidé à devenir prêtre ! Entre Vango et moi, ça a donc très bien démarré dès les premières lignes : c’est tellement rare, les personnages croyants, que je ne pouvais que me sentir proche de lui ! Et voici que ce qui aurait dû être le moment le plus beau de sa vie se transforme en véritable cauchemar : le voici en fuite, poursuivi par des policiers qui le jugent coupable d’un crime odieux, et par des individus qui semblent bien vouloir sa peau … Ce n’est que le premier mystère de tout un chapelet de mystères : soyez prévenu, en ouvrant ce roman, vous allez passer un temps fabuleux à vous poser nombre de questions et à échafauder nombre de théories, suppositions et hypothèses toutes aussi farfelues les unes que les autres, dans l’espoir de démêler ce sac de nœuds !

Car voilà bien ce qui attend le lecteur : chapitre après chapitre, au gré des changements d’époques et de points de vue, c’est  un entrelacs délicat et sinueux qui se noue devant nos yeux. Différentes intrigues se jouent et s’entremêlent, dans un schéma aussi complexe qu’indiscernable : à chaque fois que nous avons le sentiment de toucher du doigt la Vérité qui se cache derrière toutes ses histoires parallèles, un élément nouveau s’immisce pour complexifier encore cette affaire déjà bien obscure … Il faut s’accrocher pour ne pas être complétement perdu, c’est sûr, mais quel régal que de suivre ces différents personnages, dans leur présent et leur passé, de tenter de démêler tout cet imbroglio improbable pour reconstituer un puzzle un peu plus compréhensible ! Alors que, parfois, la surabondance de mystères me lasse, cette fois-ci, ce foisonnement d’énigmes m’a ravie : j’étais fascinée par cette histoire rocambolesque à souhait, riche en péripéties et en rebondissements, en surprises également. Tout est fait pour que le lecteur ne puisse jamais deviner en avance ce qui va arriver : il ne peut que se laisser porter par les événements et les révélations, comme un oiseau se laisse porter par le vent. Apprendre à lâcher prise, à faire confiance …

Et c’est tellement facile de se laisser aller, car l’histoire déjà palpitante en elle-même est portée par une plume vraiment extraordinaire. Il y a cette petite poésie subtile qui confère au récit une ambiance vraiment particulière, un peu onirique … C’est un peu comme vivre un rêve tout éveillé : on saute d’une scène à l’autre, ça s’emberlificote comme jamais, les personnages apparaissent et disparaissent comme par magie. Il y a cette petite mélodie, ces jeux de sonorités qui viennent rythmer le récit, qui s’accordent délicatement à ce qui est narré pour immerger encore un peu plus le lecteur. C’est un peu comme si l’histoire prenait vie au fur et à mesure que nous la lisons, comme si les mots étaient une formule magique pour nous transporter dans un autre lieu et un autre temps. Et il y a ce petit humour raffiné et inattendu, ces petites pointes qui viennent contrebalancer la tension croissante de l’histoire … C’est un peu comme une explosion de couleur au milieu de la grisaille qui enfle progressivement et qui menace de tout recouvrir sur son passage. Ça fait du bien, ces petits éclats de lumière, l’irruption d’une biche dans un château écossais, le déguisement incroyable d’un vieux moine en dératiseur, les dialogues parfois à la limite de l’absurde …

En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut vraiment une très agréable surprise et je me sens bien bête d’avoir attendu tant de temps avant de découvrir les (més)aventures de Vango et de tous ses compagnons ! J’ai vraiment adoré ce roman-choral pas comme les autres, entre roman historique et quête identitaire, entre enquête policière et épopée onirique … C’est un récit qui invite petits et grands lecteurs à rencontrer des personnages attachants et hauts en couleur, des personnages qui ne peuvent pas laisser indifférent, des personnages que l’on suivrait jusqu’au bout du monde. C’est un récit qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus, tout comme Vango n’emprunte jamais les chemins convenus. C’est un récit qui n’hésite pas à s’affranchir des barrières des genres, tout comme Hugo survole allégrement les frontières dans son zeppelin. C’est un récit qui n’hésite pas à faire comme il l’entend, tout comme Ethel ne laisse jamais personne lui dire ce qu’elle doit faire. C’est vraiment un récit fascinant, qui prouve que la magie ne se situe pas dans les pouvoirs extraordinaires dont aime se doter la littérature jeunesse, mais bien dans le maniement des mots : le vrai magicien, c’est l’auteur, qui réussit à faire vivre des épopées incroyables à son lectorat sans que celui-ci n’ait autre chose à faire que d’ouvrir un livre !

samedi 24 avril 2021

La morsure originelle - Sophie Zimmermann

La morsure originelle, Sophie Zimmermann

 Editeur : Publishroom

Nombre de pages : 335

Résumé : Anna, étudiante en anthropologie à l'université de Coven Hill, est convoquée dans le bureau du professeur Baker le jour du dernier examen avant la trêve d'hiver. Quand il lui annonce qu'avant de disparaître, il va lui transmettre "la Morsure", une marque qui relie celui ou celle qui la porte à des dons mystérieux, elle n'y croit pas une seule seconde. Et si cet épisode allait bel et bien changer le cours de sa vie ? Et si ses croyances rationnelles étaient remises en cause ? Saura-t-elle ouvrir son esprit et voir au-delà du réel ?

 

 Un grand merci à Sophie Zimmermann pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« – Je sais que tu n’es pas prête, Anna, mais il est temps, conclut le professeur Baker d’une voix rauque, le corps consumé, méconnaissable. Demain, une marque, la Morsure, apparaitra sur votre bras et vous débuterez votre destinée.  »

- Mon avis sur le livre -

 On a beau essayer de ne pas se laisser influencer, positivement comme négativement, par les « effets de mode » qui font et défont le monde littéraire, ce n’est pas toujours facile de rester complétement indifférent à ces « tendances » … Et c’est ainsi que, à ma grande honte, j’ai failli refuser ce livre lorsque l’autrice me l’a gentiment proposé, pour la simple et bonne raison que mon cerveau a immédiatement fait l’association « morsure = vampire » et que je n’avais pas particulièrement envie de lire une histoire de vampires comme il y en a eu tellement ces dernières années … Heureusement, ayant beaucoup aimé le premier livre de Sophie Zimmermann, je me suis dit que je pouvais lui faire confiance pour ne pas sombrer dans les clichés et j’ai donc décidé de donner sa chance à ce roman. Et j’ai drôlement bien fait, car ce fut une excellente surprise : pas un seul suceur de sang à déplorer, et une histoire tout simplement trépidante et follement originale que j’ai croqué à pleines dents !

Brillante étudiante en anthropologie, Anna a toujours mis un point d’honneur à ne croire et ne se fier qu’à ce que la rationalité et la science peuvent formellement démontrer. Mais toutes ses certitudes volent en éclat le jour où le professeur Baker, avant de disparaitre, lui transmet, ainsi qu’à un autre élève de sa promotion, Jason, ce qu’il nomme « la Morsure » et les dons qui lui sont associés. Persuadée que tout ceci n’était au mieux qu’un mauvais rêve, au pire qu’une mauvaise farce, refusant catégoriquement de croire en l’existence des phénomènes paranormaux (encore moins dans sa vie), la jeune femme constate avec effroi l’apparition d’une Marque sur son bras … Tandis que l’assistant du professeur, Alexis, qui a été choisi pour devenir son protecteur, tente de l’apaiser et de l’aider à accepter et maitriser ses nouveaux dons, la jeune femme doit faire face à une nouvelle tempête : Jason, son « camarade de morsure », est introuvable, sa colocataire est sauvagement agressée et des lettres de menaces à son intention ne cessent de lui être adressé … Si elle veut survivre, Anna va rapidement devoir accepter la Morsure et contrôler les dons qui lui ont été transmis, et pour cela, elle doit avant tout remettre en question toutes ses croyances.

C’est une histoire qui débute de manière plutôt classique, pour ne pas trop dépayser le lecteur : une jeune femme tout ce qu’il y a de plus banal, qui se retrouve du jour au lendemain affublée d’un don qu’elle n’a pas demandé et qui remet en cause tout ce qu’elle a toujours tenu pour acquis. Cérébrale, cartésienne, façonnée par notre monde où seule compte la rationalité pure et dure, Anna réfute en bloc cette irruption du surnaturel, de l’inexplicable dans toute sa splendeur, dans son existence. C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié : trop souvent, dans les récits de ce type, les héros acceptent sans sourciller ces phénomènes qui n’ont pourtant rien d’ordinaires, cela fait donc du bien de voir enfin une héroïne réagir « normalement ». Anna doute, Anna panique, Anna se révolte. C’est ce qui la rend plus proche de nous autre lecteurs, et donc particulièrement attachante … Même si je dois reconnaitre avoir eu plus d’une fois envie de la baffer, car on peut tout de même lui reprocher d’être particulièrement égoïste, de ne penser qu’à elle, alors qu’elle est loin d’être la seule impliquée dans cette affaire. Son comportement envers Alexis, son protecteur, qui fait tout son possible pour l’aider et qui semble porter un lourd fardeau, m’a particulièrement révoltée ...

Et cela d’autant plus que nous pressentons, au plus profond de notre être, que ce titre de protecteur est loin d’être honorifique et que, plus qu’aucun autre porteur de la Marque jusqu’à présent, Anna et Jason vont avoir grand besoin de secours d’Alexis et Laurine. Petit à petit, la tension grimpe : le danger se fait toujours plus présent, plus pressant, toujours invisible mais de plus en plus palpable. Il se rapproche inexorablement, d’autant plus angoissant qu’il n’a pas de visage bien déterminé … Mais ni Anna ni le lecteur n’ont le temps de réfléchir plus posément sur cette question : les voici tous deux entrainés dans un tourbillon infernal, dans une course-poursuite follement trépidante, dans une course contre la montre infiniment haletante. Anna et Jason doivent à tout prix trouver leur amulette et assimiler tous leurs dons avant que cette menace ne se dévoile. Car alors, il sera trop tard … Impossible de s’ennuyer une seule seconde, impossible également de reprendre un seul instant son souffle : il n’y a aucun temps mort, aucun répit. Tout est fait pour que le lecteur ait le cœur qui s’emballe, le souffle qui se coupe, pour qu’il se sente pleinement et totalement happé par cette histoire captivante et surprenante !

C’est en effet difficile d’aborder ce point sans trop en dire, mais soyez sûr d’une chose : chaque rebondissement, chaque révélation est plus incroyable que la précédente. Même dans nos hypothèses les plus folles, rien ne nous préparait à l’ampleur des découvertes que va faire Anna dans le dernier quart du récit. L’autrice a vraiment été douée, très douée, car elle a su nous embobiner aussi sûrement qu’Anna s’est elle-même laissée berner … Que de surprises vous attendent dans l’ombre de ces pages, que d’ahurissement et d’effarement, c’est vraiment incroyable car quand on y réfléchit, tout est parfaitement prévisible. Mais on est bien souvent aveugle aux évidences … Peut-être parce que, comme Anna, nous préférons « croire et faire confiance à la part de bonté qui existe en chacun de nous », parce que nous avons au fond de nous cette fois irrésistible en l’humanité. Car voilà enfin la finalité de toute cette histoire : un grand questionnement sur l’homme, sur le bien et le mal, sur la liberté … Deux visions de la vie s’affrontent au terme de ce récit, deux visions qui nous rappellent qu’il n’existe pas une vérité absolue mais aussi que la fin ne justifie pas les moyens. Un ultime bon point pour ce récit, car vous le savez, j’aime les récits qui ouvrent à la réflexion !

En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut vraiment une très bonne surprise et je suis vraiment très heureuse d’avoir laissé sa chance à ce roman malgré ce titre qui m’induisait en erreur ! J’ai vraiment passé un formidable moment aux côtés d’Anna, j’ai vraiment eu le sentiment de vivre toute cette folle aventure avec elle : j’ai eu peur avec elle, j’ai eu mal avec elle, j’ai eu envie de l’aider, j’ai eu envie de la secouer … L’autrice nous offre une nouvelle fois un récit vraiment palpitant, qui happe le lecteur du début à la fin et qui le surprend un peu plus à chaque retournement de situation : avec Sophie Zimmermann, il ne faut jamais rien tenir pour acquis, il ne faut jamais baisser la garde … Car c’est lorsque nous nous y attendons le moins que l’incroyable surgit, que l’impensable survint : c’est vraiment du grand art que de mener ainsi le lecteur par le bout du nez pour mieux le prendre au dépourvu ! J’ai également beaucoup apprécié l’originalité du récit, qui s’appuie sur les codes du genre pour mieux les sublimer : le lecteur se sent à la fois en terrain connu et en terre inconnue, c’est un équilibre délicat à trouver mais que l’autrice maitrise à la perfection ! Enfin, ultime argument pour vous convaincre de vous procurer ce livre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire : c’est un one-shot, vous n’aurez donc pas à attendre de longues années afin de connaitre le fin mot de l’histoire !

mercredi 21 avril 2021

La guerre des clans, cycle 4, tome 2 : Un écho lointain - Erin Hunter

La Guerre des clans, Erin Hunter

Cycle 4, tome 2 : Un écho lointain

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 358

Résumé : Nuage de Colombe a enfin accepté son destin. Grâce à ses sens surdéveloppés, elle espère aider ses camarades à défendre leur territoire, menacé par le Clan de l’Ombre. Mais au coeur de la Forêt Sombre, un danger plus grand encore pèse sur eux. Étoile du Tigre et ses acolytes ont pénétré les songes de plusieurs apprentis et leur dispensent un entraînement spécial. Ces chats du lac se laisseront-ils manipuler au point de semer autour d’eux la haine et la mort ?

 

- Un petit extrait -

« — Elle fait partie de la prophétie, répondit Œil de Geai en se remettant en route. Nous ne l'avons pas choisie. Elle doit être forte !" Sa voix s'adoucit. "Je ne veux pas qu'elle souffre. Malgré tout, elle est l'une des Trois et elle doit jouer son rôle."

Elle est l’une des Trois. Pelage de Lion repensa à Feuille de Houx. Pourquoi est-ce que ça n'avait pas été elle, la troisième ? Le cœur serré, il se rappela sa sagesse et son intelligence. Elle n'était peut-être pas concernée par la prophétie, mais elle était sa sœur et, parfois, cela comptait plus que tout. »

- Mon avis sur le livre -

 Planifier ou ne pas planifier ? Comme bien d’autres lecteurs, mon cœur a bien longtemps hésité … Il faut dire que les deux « méthodes » ont leurs propres avantages et inconvénients. Si j’apprécie la spontanéité de la non-planification, du fait de choisir au jour le jour quel sera notre prochain compagnon livresque, je dois bien reconnaitre que plus le temps passe, plus j’aime planifier à plus ou moins long terme mes lectures. Cela me permet tout à la fois d’équilibrer lectures personnelles et services presse (tout en tenant les délais pour ces derniers), d’avancer parallèlement dans mes (fort nombreux) challenges, de diversifier mes lectures en sortant enfin de la pile à lire des romans dont je ne cessais de remettre la lecture au lendemain mais aussi d’éviter de terminer un livre le samedi soir, vu que je ne suis jamais disponible les dimanches pour écrire la chronique. Et enfin, dans la situation présente, planifier me permet de lire coute que coute mes deux tomes de La guerre des clans par mois : cette année, nul imprévu ne m’empêchera plus de reprendre enfin la lecture de ma saga préférée !

Grâce aux pouvoirs de la toute jeune Nuage de Colombe et au courage de ses compagnons d’aventure, l’eau est revenue dans le lac : les quatre Clans sont enfin à l’abri de la sécheresse et de la famine. Mais la petite apprentie est loin de se réjouir de cette victoire : nuit après nuit, les cauchemars la hantent, et jour après jour, la prophétie pèse durement sur ses épaules. Elle donnerait n’importe quoi pour être normale, ou du moins pour pouvoir parler de la prophétie avec sa sœur Nuage de Lis. Car leur complicité d’antan s’effiloche un peu plus chaque jour … En effet, Nuage de Lis ne peut s’empêcher d’être jalouse de sa sœur : non seulement elle a été envoyée en mission sans elle, mais voilà que même le chef du Clan semble lui demander régulièrement conseil alors qu’elle n’est qu’une apprentie ! Si seulement elle pouvait être spéciale, elle aussi, si seulement elle pouvait se démarquer d’une façon ou d’une autre pour surpasser sa sœur, au moins une fois ! C’est pourquoi, lorsqu’un mystérieux chat vient la visiter dans ses rêves pour lui proposer un entrainement spécial, la petite chatte n’hésite pas une seule seconde … Pendant ce temps, Œil de Geai pressent l’arrivée, ou plutôt le retour, d’une menace auquel même le Clan des Etoiles n’est pas certain de pouvoir faire face …

Il faut bien reconnaitre que ce quatrième cycle est très différent des précédents. Mais tandis que certains lecteurs hurlent au blasphème en s’écriant que « c’est le début de la fin » et en critiquant sévèrement tous les choix des autrices … je suis pour ma part pleinement convaincue par le tournant que prend la saga. Ce tome en est l’expression parfaite : l’intrigue devient progressivement plus subtile, plus profonde. Jusqu’à présent, nos différents héros – Cœur de Feu, Griffe de Ronce, Pelage de Lion – étaient emplis d’un courage « d’action » : ils se jetaient sans hésiter dans une bataille quitte à perdre la vie pour leurs camarades, ils quittaient tout du jour au lendemain pour partir en expédition dans des territoires inconnus … Pour Nuage de Colombe et sa sœur Nuage de Lis, c’est bien différent : la première se révolte contre sa destinée, contre ces pouvoirs qui la rendent si différente des autres alors qu’elle n’aspire qu’à la normalité, tandis que la deuxième se laisse petit à petit envahir par la jalousie et l’ambition face au traitement « de faveur » dont elle pense qu’on entoure sa sœur. Leur lutte est intérieure, bien moins spectaculaire que les actes de bravoure de Cœur de Feu ou la quête de Griffe de Ronce, mais autrement plus poignante pour le lecteur qui s’attache doucement à ces petites chattes.

Et cela d’autant plus que, nous autres lecteurs, qui avons connaissance des découvertes d’Œil de Geai, nous savons que quelque chose de bien plus grand et de bien plus terrifiant approche. Et nous savons bien que la pauvre Nuage de Lis se fait habilement manipuler, nous avons envie de la prévenir, de l’exhorter et de la supplier de ne surtout pas faire confiance à ces chats qui s’insinuent dans ses songes … Mais Nuage de Lis est aveuglée, aveuglée par la jalousie qui la ronge, aveuglée par l’ambition qui la dévore, aveuglée par ce sentiment d’injustice qui enfle, attisée par les propos mielleux de son entraineur nocturne. Mais elle est aussi aveuglée par l’envie de protéger son Clan, par la certitude d’être la seule à pouvoir sauver les siens. Elle se sent investie d’une mission cruciale, et en plus de la fierté qui l’envahit à cette idée, il y a aussi la volonté d’être digne de cette tâche … Pauvre petite Nuage de Lis, embrigadée sans le savoir dans une machination meurtrière, alors qu’elle est pétrie de bonne volonté ! Une fois encore, les autrices n’ont rien inventé … elles n’ont malheureusement fait que transposer chez les chats une terrible réalité humaine, car bien des jeunes de notre monde sont comme Nuage de Lis manipulés par une organisation qui se sert d’eux en jouant sur leur fragilité pour mieux les entrainer et les envoyer se faire exploser à leur place …

Et le plus terrible pour le lecteur, finalement, c’est de savoir ce que les protagonistes ignorent. C’est de voir le Clan du Tonnerre vivre dans l’insouciance la plus totale en sachant qu’un terrible danger les menace. C’est de voir les chatons faire les idiots dans la pouponnière, d’entendre les anciens se plaindre de leurs rhumatismes, de voir deux jeunes guerriers se tourner autour sans oser s’avouer leur amour, d’entendre les vantardises et défis qui jaillissent de l’antre des apprentis. C’est de voir tout ce qui risque d’être brisé si les guerriers de la Forêt Sombre parviennent à leurs fins. Car ce sont toujours les plus innocents qui payent le prix fort. Et le lecteur, qui chemine depuis si longtemps aux côtés du Clan du Tonnerre, qui finit par se sentir comme chez lui dans le camp, qui retrouve tome après tome des visages devenus familiers, se retrouve totalement impuissant … Alors il n’a d’autre choix que de continuer à tourner les pages, tantôt anxieusement, tantôt avidement, partagé entre la crainte de voir la tempête éclater et la certitude que l’orage doit se déchainer un jour ou l’autre. Et que plus il tardera, plus il sera dévastateur. Ce qui est incroyable, dans ce tome, et dans la saga toute entière, c’est que la tension enfle si progressivement que le lecteur s’en rend à peine compte. Mais au fil des pages, son cœur s’emballe, sa gorge se noue, et parfois des larmes naissent, tant on est happé par l’histoire !

En bref, vous l’aurez bien compris, je ne me lasse toujours pas de cette saga, bien au contraire, et j’ai le sentiment que chaque tome est plus captivant que le précédent ! En effet, même si le premier cycle garde et gardera toujours une place toute particulière dans mon cœur, j’aime vraiment beaucoup la tournure que prend la saga depuis quelques tomes. Car finalement, tous les acquis de chaque cycle, toutes les intrigues de chaque cycle, se rejoignent pour former un ensemble vraiment palpitant, tandis que s’entremêlent les destins personnels et collectifs de chaque chat des quatre Clans. Et comme toujours, je suis époustouflée par la capacité des Erin à mener de front toutes ces sous-intrigues qui s’imbriquent parfaitement l’une dans l’autre, par la facilité avec laquelle elles entrainent le lecteur dans leur univers et dans leur histoire, avec simplicité mais efficacité. Tome après tome, le lecteur finit par faire partie intégrante du Clan du Tonnerre, il se réjouit de chaque naissance, se désole de chaque mort, se régale de chaque baptême d’apprentis ou de guerriers, s’effraye de chaque malheur qui s’abat. Et ça, je trouve ça vraiment incroyable, car rares sont les livres à me donner à ce point l’impression d’être chez moi, pleinement à ma place …