samedi 30 janvier 2021

Le Pacte des Marchombres, tome 3 : Ellana, La prophétie - Pierre Bottero


Le Pacte des Marchombres3, Pierre Bottero
Ellana : La prophétie

Editeur : Rageot
Nombre de pages : 1158 pour l’intégrale

Résumé : Désormais marchombre accomplie, Ellana a rejoint Ewilan, Edwin et Salim. Alors qu’elle croit avoir enfin trouvé l’amour auprès d’Edwin, les mercenaires du Chaos menacent la guilde et l’Empire, s’appuyant sur une antique prophétie…





- Un petit extrait -
« Au moment où Sayanel était entré dans la salle, une paix prodigieuse était descendue sur elle.
Elle savait pourtant qu'il serait là, ils en avaient parlé à plusieurs reprises, mais le voir lui donnait le sentiment que le dernier élément d'un puzzle se mettait en place, qu'un cycle s'achevait.
Ce qu'elle avait vécu depuis sa naissance, ce que la voie du marchombre lui avait permis de découvrir, ses certitudes et ses choix, prenaient tout à coup un sens qui étendait ses ramifications au-delà de son être.
Elle eut soudain l'impression que Jilano se tenait près d'elle.
Qu'aux côtés de Jilano se tenait Esîl qui avait guidé ses pas.
Qu'aux côtés d'Esîl se tenait le maître marchombre qui lui avait enseigné la voie.
Qu'une chaîne ininterrompue de marchombres à la fois maîtres et élèves la liait aux origines du monde.
L'impression que, devenue elle-même maillon de cette chaîne, elle contribuait à un dessein qui, en les dépassant, leur permettait de se surpasser. »
- Mon avis sur le livre -

Comme vous l’aurez sans doute remarqué à l’ordre des articles (qui suivent mon ordre de lecture), j’ai choisi de relire les trois trilogies selon l’ordre chronologique de l’histoire : d’abord les deux premiers opus du Pacte, ensuite les deux trilogies d’Ewilan, et enfin l’ultime tome du Pacte … Je tiens tout de même à remarquer que je ne conseille absolument pas cet ordre de lecture (quelque peu chaotique : je reconnais que c’est surprenant de couper ainsi une trilogie en deux pour en intercaler d’autres au milieu) à ceux qui découvrent la saga pour la toute première fois. Dans ce cas-là, il est amplement préférable de suivre l’ordre de parution, à savoir : en premier la Quête d’Ewilan, en second les Mondes d’Ewilan, pour terminer en beauté avec le Pacte des Marchombres. En effet, il y a une réelle évolution, tant dans le fond que dans la forme, et commencer par le Pacte (la plus « aboutie » des trois trilogies) risque d’entrainer une sérieuse déconvenue au moment de se plonger dans la Quête (qui est bien plus « enfantine »). Toutefois, une fois qu’on connait bien l’univers, je trouve que c’est une expérience vraiment intéressante de remettre les événements dans le bon ordre !

A chaque fois qu’Ellana pose son regard sur le petit corps endormi de son fils, Destan, elle redécouvre pleinement le sens du mot « bonheur ». A chaque fois que ses pensées se tournent vers Edwin, son compagnon, son cœur menace d’exploser dans sa poitrine. Et à chaque fois qu’elle observe son apprenti Salim, elle est envahie de fierté. Il a suffi de quelques secondes aux Mercenaires du Chaos pour mettre fin à cette plénitude … Mortellement blessée, Ellana souffre cependant bien plus de l’enlèvement de son fils et de la mort de tous ceux qui lui sont chers que de cette plaie sanguinolente. Alors que la mort se rapproche, la jeune femme parvient à utiliser un de ces arbres-passeurs qui permettent à qui sait les utiliser de se déplacer d’un lieu à l’autre. Soignée par ses « pères adoptifs », Ellana n’a qu’une seule et unique idée en tête : retrouver son fils, et venger la mort de son compagnon et de son apprenti … Pendant ce temps, dévastés par la disparition de Destan et la mort d’Ellana, Edwin, Salim et Ewilan mettent tout en œuvre pour retrouver le petit garçon et venger sa mère …

Pourquoi s’encombrer de longues phrases quand un seul mot (éventuellement complété d’un adverbe) suffirait pour décrire ce livre ? Absolument parfait, voilà ce qui résume tout ce que j’ai à dire à propos de cet ultime volume. Et encore, même ce mot n’est pas assez fort pour exprimer la puissance de ce roman, qui éclipse à lui seul les huit autres tomes lus précédemment. Car ce livre, c’est vraiment le condensé dans sa forme la plus accomplie de tout ce que Pierre Bottero nous avait déjà offert jusqu’à présent. C’est l’aboutissement de toutes ces aventures en Gwendavalir, l’apothéose de toutes ces péripéties qui semblaient avoir pour seul et unique but de nous amener vers ce final qui m’a secouée, bouleversée, émue … Il y a une puissance vraiment inouïe dans ce récit : du début à la fin, l’émotion est pleinement au rendez-vous. C’est un déchirement vraiment atroce que de voir Ellana et Edwin, chacun de leur côté, complétement dévastés par la mort de l’autre. C’est d’autant plus terrible que le lecteur, lui, sait parfaitement bien qu’ils sont tous deux vivants, et cela ne rend leur souffrance qu’encore plus insupportable. J’ai éclaté en sanglots à de si nombreuses reprises, complétement ravagée par leur peine qui suintait à travers chaque phrase. 

Mais rassurez-vous, ce roman est loin, très loin de se limiter à cette seule douleur. Bien au contraire. Bjorn l’exprime bien : « La gloire, l’amitié, une quête impossible … il baignait dans le bonheur », tout comme le lecteur, qui assiste avec stupéfaction mais ravissement à l’improbable, pour ne pas dire l’impossible. « Ellana connaissait énormément de monde, des guerriers valeureux qui, lorsqu’ils apprendront que son fils est en danger, n’hésiteront pas à se joindre à nous, surtout si cela leur offre la possibilité de la venger » … Plus que jamais, l’amitié est la force de nos héros. C’est au nom de cette amitié, une amitié indestructible, une amitié indescriptible, que vont converger des individus de tous les horizons, des ennemies de toujours qui vont cette fois-ci avancer main dans la main vers le même objectif. Certains passages sont d’une puissance incroyable et m’ont tiré les larmes aux yeux, car quoi de plus émouvant que de voir ces milliers de personnes réunis pour sauver le petit Destan des griffes maléfiques des Mercenaires du Chaos ?  « Nous ne formons qu’un et ce un-là est invincible », voilà comme Edwin, qui « avait beau être mort, était bouleversé » s’adresse à tous ceux qui se sont déplacés pour le soutenir dans sa quête …

Beaucoup d’émotions, donc, mais également de l’action. Moins que dans les autres, assurément, mais suffisamment pour nous tenir en haleine, pour la simple et bonne raison qu’elle est bien dosée, qu’elle arrive toujours à point nommé. Ni trop, ni pas assez. Pierre Bottero était vraiment un maitre pour trouver l’équilibre en toute chose. Du moins à mes yeux. Je sais que certains lecteurs ont été décontenancés, voire même agacés, par les nombreux retours en arrière qui parsèment le récit, ces flash-backs qui permettent de faire le lien entre la fin des Mondes d’Ewilan et cet opus … Pour ma part, je n’ai absolument rien à redire : j’ai adoré cet incessant va et vient entre le passé et le présent, j’ai apprécié découvrir ce qu’il s’est passé durant ces quelques années qui séparent les deux livres. Car comment apprécier le marchombre accompli qu’est devenu Salim sans suivre son apprentissage, par exemple ? Non, vraiment, j’ai du mal à voir comment on peut avoir envie de « sauter » ces passages comme certains l’affirment, car ils font pleinement partie de l’intrigue et la rendent tellement plus riche encore ! Equilibre enfin entre la lourdeur et la légèreté : alors même que tout semble perdu, il y a toujours cette lumière d’espoir. J’ai beaucoup apprécié de revoir Oukilip et Pilipip : ils sont une vraie bouffée d’air frais dans cette noirceur ! J’ai également beaucoup aimé Doudou : chacune de ses apparitions fait tellement de bien !

En bref, vous l’aurez bien compris, cet ultime opus fait clairement parti des plus beaux livres que j’ai eu l’honneur de pouvoir lire, et je pourrais vous en parler des journées entières sans réussir à exprimer totalement la puissance de cet ouvrage. Je suis vraiment ébahie, époustouflée, ahurie, émerveillée, abasourdie, estomaquée par l’intensité de ce récit : non seulement l’histoire est vraiment magnifique, mais la plume de l’auteur l’est tout autant. Vraiment, Pierre Bottero s’est surpassé pour nous offrir ce grand final en apothéose, qui relie habilement toutes les trilogies pour mieux nous happer. Tantôt tendre et émouvant, tantôt triste et déchirant, c’est un gros roman qui se dévore sans que l’on ne s’en rende vraiment compte. On tourne chaque page comme si notre vie en dépendant, comme si la mort nous guettait si l’on s’arrêtait, car on est totalement et pleinement envahi par cette histoire. Et j’ai beau avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, je ne peux qu’affirmer une seule chose : ce livre est si beau, si beau que je n’aurai jamais pensé que c’était possible. Vraiment, pour mettre fin aux escapades du lecteur en Gwendalavir, il n’y a pas mieux : c’est une fin vraiment si jolie, si réjouissante, après toute cette souffrance, toutes ces difficultés … Un régal, tout simplement !

mercredi 27 janvier 2021

Watership Down - Richard Adams

Watership Down, Richard Adams

 Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Nombre de pages : 541

Résumé : C’est dans les fourrés de collines verdoyantes et idylliques que se terrent parfois les plus terrifiantes menaces. C’est là aussi que va se dérouler cette vibrante odyssée de courage, de loyauté et de survie. Menés par le valeureux Hazel et le surprenant Fyveer, une poignée de braves choisit de fuir l’inéluctable destruction de leur foyer. Prémonitions, malices et légendes vont guider ces héros face aux mille ennemis qui les guettent, et leur permettront peut-être de franchir les épreuves qui les séparent de leur terre promise, Watership Down. Mais l’aventure s’arrêtera-t-elle vraiment là ?

 

- Un petit extrait -

« Les bêtes, a-t-il-dit, ne se comportent pas comme les hommes. S'il faut se battre, elles se battent ; s'il faut tuer, elles tuent. Elles ne passent pas leur temps à inventer des moyens d'empoisonner l'existence des autres créatures ou de leur faire du mal. Elles sont pétries de bestialité et de dignité. »

- Mon avis sur le livre -

 A l’heure où est posté cet article (vive la prépublication programmée), je peux désormais le confesser haut et fort : j’ai commandé ce live afin de l’offrir à Noël à une amie chère … et je l’ai très subtilement détourné afin de le lire avant de lui envoyer ! A ma décharge, il me semble humainement impossible de résister à l’attrait de ces adorables petites boules de poils que sont les lapins ainsi qu’à cette magnifique édition de chez Monsieur Toussaint Louverture, et en plus il me fallait un titre commençant par W pour terminer un défi sur un challenge … Et puis, il fallait bien que je m’assure personnellement que l’histoire avait une chance de plaire à mon amie avant de l’emballer, n’est-ce pas ? Vous l’aurez bien compris, toutes les excuses étaient bonnes pour découvrir enfin ce fameux ouvrage dont je ne cessais d’entendre parler autour de moi ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que je me joins désormais à l’immense foule clamant les louanges de cet ouvrage : quel formidable roman, à faire lire aux petits comme aux plus grands !

 Hazel était plutôt heureux dans sa garenne natale. Certes, tout n’y était pas toujours rose, en particulier pour les lapins les plus frêles qui peinaient à s’intégrer dans la colonie, mais il y avait suffisamment d’herbe pour que tous les habitants puissent y farfaler tranquillement, les prédateurs et les hommes n’y étaient pas trop nombreux, et les terriers étaient pratiques et confortables … Jusqu’au jour où son jeune frère, Fyveer aux prémonitions infaillibles, prédit une catastrophe imminente qui ravagera tout sur son passage. Faisant fi de l’interdiction du Maitre de la garenne, qui refuse de prêter attentions aux prophéties d’un petit jeunot, Hazel quitte cette terre qui fut toujours son foyer. Accompagné d’un petit groupe de lapins déterminés, il part en quête d’un nouvel havre de paix pour finir paisiblement ses jours. Mais leur exode ne sera pas de tout repos, les embûches seront nombreuses à se dresser sur leur route, et nos braves lapins devront ruser et lutter pour rejoindre ces collines qui, selon Fyveer, leur fourniront sécurité et prospérité …

Ne vous laissez pas tromper par les apparences, car rappelez-vous que celles-ci sont souvent trompeuses : contrairement à ce qu’on peut imaginer, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une « histoire de lapins » que nous sommes en présence d’un ouvrage destiné à la jeunesse ! Je dirais même : bien au contraire. L’éditeur nous promet « une épopée sombre et violente, néanmoins parcourue d’espoir et de poésie », et je pense que c’est la meilleure des descriptions possibles. Car cette histoire, c’est avant tout une lutte impitoyable pour la survie : saut après saut, ces petits lapins sans défense affrontent tous les dangers du monde dans l’espoir fou de trouver la terre promise. C’est une formidable histoire de courage et de dépassement de soi : imaginez donc la bravoure et la persévérance de ces lapins qui affrontent l’inconnu sans savoir ce qui les attend au bout du chemin ! A chaque instant, ils risquent le tout pour le tout, rivalisent d’ingéniosité et de vaillance, s’entraident coute que coute, poussés par un instinct de survie qui dépasse tout ce que nous, pauvres humains, pouvons bien imaginer. Ces lapins nous offrent une leçon de dignité mais aussi d’humilité …

Nous ne sommes pas des lapins – et c’est sans doute bien dommage –, mais le temps de quelques centaines de pages, nous vivons cette terrifiante épopée comme si nous étions des lapins. Nous voyons, entendons et sentons le monde comme si nous avions désormais de longues oreilles et un petit museau frémissant. Car l’auteur a réussi l’incroyable et l’admirable pari de nous immerger complétement dans cette société lapine : au fil du récit nous sont relatées les fabuleuses légendes que racontent les hases à leurs lapereaux, au fil du récit nous apprenons à « parler le lapin » sans même nous en rendre compte, au fil du récit nous apprécions le moindre rayon de soleil ou sursautons au moindre bruit annonciateur de danger. On sent que l’auteur s’est très longuement documenté sur les us et coutumes de ces petits animaux que nous trouvons mignons sans nous y intéresser plus que cela … et il a su intégrer ce sens du réalisme et du détail au cœur de cette fiction. D’ailleurs, comment affirmer qu’il s’agit bien d’une simple fiction ? Petit à petit, nous y croyons : oui, Hazel et ses compagnons ont réellement effectué ce périple !

Dernier point que je souhaite aborder, et pas des moindres : la plume de l’auteur. Je suis tout simplement ébahie par ce style, qui correspond finalement à tout ce que je recherche inconsciemment quand j’ouvre un livre. C’est une narration à la fois atrocement sérieuse et admirablement ironique, une narration à la fois incroyablement incisive et fantastiquement poétique. Les descriptions sont d’une beauté à vous couper le souffle : on a réellement le sentiment d’être transporté dans cette garenne anglaise, de savourer la douce chaleur de la terre et de humer la subtile flagrance de l’herbe fleurie. La nature s’incarne à travers les mots pour mieux vous émerveiller … Car il y a, bien caché derrière cette formidable aventure, une véritable ode à notre terre et à tous ses habitants, y compris et surtout les plus « insignifiants », ceux qui ne peuvent que subir la folie de l’homme, ceux qui vivent en harmonie avec leur environnement et qui souffrent donc à chaque blessure que nous infligeons à la nature. Mais c’est aussi une narration pleine de vie, une narration pleine d’émotions qui vous captive tant et si bien que vous tremblez d’impatience de connaitre le fin mot de l’histoire !

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est un récit surprenant mais exceptionnel que nous offre ici l’auteur, une épopée incroyablement palpitante, follement captivante et admirablement prenante qui a su surpasser toutes les attentes (pourtant fort élevées) que je plaçais en ce roman. Derrière son apparente simplicité – « ouais, c’est une histoire de lapins, quoi », pourrait-on être tenté de dire pour le présenter –, c’est un récit d’une richesse, d’une complexité et d’une profondeur incroyable que le lecteur découvre en se plongeant dans cet ouvrage. Que tous ceux qui hésitent encore, craignant qu’il soit trop « enfantin » parce que les héros sont des animaux, balaient d’un revers de la main toutes leurs réticences et qu’ils courent immédiatement en librairie pour le découvrir ! Et que tous ceux qui aiment les animaux mais ne lisent pas d’aventure ou de fantasy osent élargir leurs horizons littéraires ! Car c’est vraiment un roman extraordinaire, audacieux et fascinant, que je conseille sans la moindre restriction et que je relirai vraisemblablement bien souvent (du moins, une fois que j’aurai repassé commande chez l’éditeur) !

samedi 23 janvier 2021

La voie des oracles, tome 1 : Thya - Estelle Faye

La voie des oracles1, Estelle Faye

Thya

Editeur : Scrineo

Nombre de pages : 337

Résumé : Cerné par les barbares, l’Empire romain, devenu chrétien depuis peu, décline lentement. Les vieilles croyances sont mises au rebut, les anciens dieux se terrent au fond des bois, les devins sont pourchassés par la nouvelle Église. Thya, fille de l’illustre général romain Gnaeus Sertor, a toujours su qu’elle était une Oracle. Il lui faut vivre loin de Rome, presque cachée, en Aquitania, perdue au milieu des forêts. Que faire alors, quand son père, son protecteur, tombe sous les coups d’assassins à la solde de son propre fils ? Il faut fuir, courir derrière la seule chance qu’elle a de le sauver…

 

- Un petit extrait -

« Pour ses dix ans, son père lui avait offert, non pas un collier ou une fibule, mais des rouleaux de lin couverts de caractères étrusques.

- Ce sont des livres de divination, qui viennent de la famille de ta mère. Tu ne dois les montrer à personne, inutile de le préciser.

Les yeux brillants, la fillette étala sur ses genoux le premier rouleau. Il était couvert de caractères étranges, qui évoquaient de loin l’alphabet grec.

- Merci père, souffla-t-elle sans lever le regard des lignes incompréhensibles.

- Y a-t-il autre chose qui te ferait plaisir ? demanda Gnaeus.

- Un précepteur pour apprendre cette langue, répondit la fillette d’un trait.

Le général sourit. »

- Mon avis sur le livre -

 Contrairement à certains lecteurs, qui semblent se lancer dans une véritable vendetta contre leur pile à lire grandissante, je ne suis ni angoissée ni agacée en prenant conscience que celle-ci compte plus de cinq cent livres … Alors bien sûr, je donnerai n’importe quoi pour avoir des journées à minimum 48 heures, afin de pouvoir découvrir toutes ces petites pépites encore inexplorées, mais mon objectif n’est clairement pas de la réduire à néant. Car il n’y a à mes yeux rien de plus extraordinaire que d’avoir une réserve presque sans fin d’histoires à découvrir pour la toute première fois : ma pile à lire, c’est mon trésor. Car autant, quand je choisis de relire un livre, je sais à quoi m’attendre, autant il y a toujours ce petit frisson d’incertitude au moment d’entamer un livre inconnu. A cet instant-là, tout est possible : je n’ai absolument aucune idée de ce que je m’apprête à vivre, dans quel univers, aux côtés de quels personnages … Et lorsque le livre a été acheté il y a plusieurs années, je ne me souviens même pas de la quatrième de couverture, et je m’interdis de la lire, histoire de plonger dans l’histoire sans le moindre a priori ni la moindre attente ! J’aime me laisser surprendre …

Gaule. Cinquième siècle après Jésus-Christ. L’Empire Roman se christianisme, doucement mais surement, et les fidèles des religions païennes se voient contraints de renier leurs divinités et leurs croyances pour ne pas subir les foudres de l’Eglise. Et tout au fond des bois, les faunes, les sylvains et les naïades se terrent, traqués, esseulés. Les présumés sorcières et devins sont brûlés sans autre forme de procès. Aussi, quand il découvre que sa fille, Thya, est oracle, le général Gnaeus Sertor n’hésite pas à quitter Rome pour la mettre en sécurité dans une villa éloignée en Aquitania, prétextant qu’elle était de frêle constitution et que l’air frais de la campagne lui ferait du bien. Année après année, la jeune fille apprend à maitriser son don, à apprivoiser ses visions … Mais voilà que son père revient de la chasse, grièvement blessé mais s’accrochant désespérément à la vie. Alors, l’adolescente n’hésite pas à s’enfuir pour rejoindre le lieu qu’elle ne cesse de voir en songes : Brog, la forteresse où son père a vaincu les Vandales. Pourchassée par son frère, avide de pouvoir et de gloire, aidée par un ancien soldat de son père et un séduisant maquilleur, Thya est loin de se douter de ce qui l’attend au bout du chemin …

Je ne savais pas à quoi m’attendre … mais clairement, je ne m’attendais pas à une telle pépite ! Il ne m’a fallu que quelques pages pour comprendre que ce livre allait être un fabuleux coup de cœur : tous les ingrédients étaient réunis pour me plaire. Une jeune héroïne à la fois très sensible et très déterminée, loin des clichés de la princesse en détresse ou de la révoltée badasse. Un univers oscillant entre réalisme historique et fantasy délicate, où les divinités antiques interviennent discrètement dans le quotidien des hommes. Une intrigue toute en finesse, où il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants, mais où la quête est avant tout initiatique. Le tout porté par une plume admirablement soignée, pleine de délicatesse, de liés et de déliés, mais pourtant parfaitement accessible : c’est beau, tout simplement. C’est un de ces romans où la simplicité n’a d’égale que la richesse : derrière une histoire en apparence fort classique se cache un récit d’une profondeur incroyable, avec tout juste ce qu’il faut d’action, d’émotion et mystère pour tenir le lecteur en haleine sans jamais lui couper le souffle. L’équilibre est trouvé sur tous les aspects, et c’est ce qui rend ce roman aussi agréable à parcourir.

Je le disais, quelques pages m’ont suffi pour être convaincue par ce livre : il faut dire que l’autrice a choisi de ne pas laisser s’éterniser la situation initiale et de lancer le plus rapidement possible l’action. Et c’est un très bon choix : nous rencontrons la jeune Thya alors qu’elle fait face à la plus grande tragédie de sa vie, voir son père entre la vie et la mort. On ne peut qu’avoir la gorge nouée pour cette pauvre enfant, qui a toujours vécu isolée du monde pour sa propre protection, qui se retrouve soudainement livrée à elle-même. Poussée par la certitude que là-bas, dans les montagnes du nord, elle retrouvera son père bien vivant. Comment pourrait-elle en douter : ses visions ne se sont-elles pas toujours réalisées jusqu’à présent ? A travers ce roman, c’est donc la question de la destinée qui s’impose : les choses sont-elles déjà prévues de longue date ou bien le futur est-il en perpétuel changement ? N’est-ce pas en tentant d’éviter l’inéluctable que nous finissons par le faire se réaliser ? Sommes-nous réellement maitre de notre existence, ou bien ne sommes-nous que les jouets impuissants d’une force qui nous dépasse ? Dans sa fuite, dans sa quête, c’est à toutes ces interrogations que Thya va être confrontée, au fil des découvertes et des révélations qui remettent en question tout ce qu’elle tenait pour acquis jusqu’alors …

Mais dans sa quête, notre douce et courageuse Thya n’est pas seule. Elle est accompagnée par un ancien légionnaire dévoué à son père, qui cache bien enfoui au fond de lui une vieille blessure, de vieux remords. Mettius est un personnage discret, mais profondément attachant : on le sent, il s’en veut terriblement, il a besoin de se racheter. De se pardonner à lui-même. Il a un sens du devoir profond, mais aussi un grand cœur. Mais il y a aussi, et surtout, Enoch. Je dois bien le reconnaitre, au début, ce bellâtre séducteur et insouciant m’énervait au plus haut point, et cela d’autant plus qu’on n’était pas certain de pouvoir lui faire confiance, et qu’on avait terriblement peur qu’il ne mette en danger notre petite héroïne innocente. Je dois bien avouer aussi que leur rapprochement m’a quelque peu fait grincer des dents dans les premiers temps : mais pourquoi diable ne peut-on pas trouver un seul roman sans amourette, c’est quand même terriblement affligeant de banalité !? Mais mon côté fleur bleue a vite ressurgi : ils sont mignons, tous les deux, finalement. Et cela d’autant plus qu’Enoch est bien moins superficiel qu’on ne peut le songer au premier abord, et on s’attache aussi grandement à ce jeune homme en quête de repère, en quête de son passé, de son identité … Car c’est aussi une thématique récurrente, ici !

En bref, vous l’aurez bien compris, je suis vraiment tombée sous le charme de cette petite merveille ! Avec ce premier tome, l’autrice explore un contexte historique généralement délaissé de la fantasy : la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Age, cette transition à la fois douce et brutale marqué par un changement profond des croyances, ce qui offre un support idéal à cette petite touche discrète de merveilleux. Avec ce premier tome, elle nous invite finalement à faire connaissance avec la jeune Thya et le jeune Enoch, qui avant de devenir les véritables héros de la saga doivent d’abord apprendre à se connaitre eux-mêmes en explorant leur passé. Avec ce premier tome enfin, elle nous fait rêver les yeux grands ouverts, elle nous fait vivre une aventure follement palpitante sans bouger de notre fauteuil. C’est un de ces livres tellement bien écrits qu’ils parviennent à nous faire oublier le monde réel et tout ce qu’il comporte de malheurs, qu’ils réussissent l’incroyable pari de nous transporter corps et âme au cœur de l’histoire jusqu’à ce qu’on ait le sentiment de vivre l’aventure au lieu de la lire. Une vraie réussite, donc, qui donne envie de se ruer sur la suite sans plus attendre !