samedi 26 février 2022

Les Terres interdites - Véronique Delamarre et Pascale Perrier

Les terres interdites, Véronique Delamarre et Pascale Perrier

 Editeur : Acte Sud Junior

Nombre de pages : 251

Résumé : Argan, Brune, Garance et Roc ont grandi à Eldorado. Une bulle écologique, construite par leurs ancêtres 150 ans plus tôt, après qu’un désastre climatique et sanitaire a rendu la planète inhabitable. Ils n’en sont jamais sortis. Un jour, le grésillement d’une voix, premier signe de vie extérieure, se fait entendre. Et s’ils n’étaient pas les derniers survivants ? L’appel de l’aventure attire alors irrésistiblement les jeunes gens. Hors de leurs limites. Extra-muros. Dans les terres interdites. Dans le monde du collapse. Hors de la bulle qui les a vus naître, qui les a protégés et qui leur a peut-être aussi... menti.

 Un grand merci aux éditions Acte Sud Junior pour l’envoi de ce volume et à Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.

 

- Un petit extrait -

« A vous de trouver vos réponses en vous-mêmes, vous en êtes capables. Posez-vous la question de ce qu’un départ vous apporterait. Demandez-vous aussi ce qu’Eldorado y gagnerait. Et sachez que chaque pas en dehors de la bulle est un pas vers l’inconnu, le changement, la liberté ou la mort. Vous pourriez ne jamais revenir. Quoi qu’il en soit, décidez-vous rapidement.  »

- Mon avis sur le livre -

 En littérature jeunesse comme partout ailleurs, les tendances vont et viennent, s’en vont et reviennent. Il y a eu la période où ne sortaient quasiment que des histoires de vampires et de loups-garous, puis est venue l’époque des dystopies dopées aux triangles amoureux, suivies par les histoires de familles dysfonctionnelles, puis s’est amorcé le retour du fantastique et de la fantasy imprégnés de féminisme … Heureusement, certains auteurs n’hésitent pas à piétiner allégrement ces effets de mode et à écrire ce que bon leur semble, sans chercher à s’insérer coute que coute dans la mouvance actuelle : cela évite aux lecteurs éclectiques de s’ennuyer face à la déferlante discontinue d’ouvrages presque identiques … Parce que même si j’aime énormément la fantasy, je n’ai tout de même pas envie de ne lire que cela pendant quelques années, en attendant que le vent tourne et que la mode soit aux thrillers sanguinolents que je ne lirais de toute façon pas ! Donc oui, heureusement qu’il y a des auteurs suffisamment audacieux pour sortir des sentiers battus, pour nous proposer des romans qui détonnent dans le paysage littéraire, véritable bouffée d’air frais pour ceux qui n’en peuvent plus de voir un seul genre représenté sur les étalages des nouveautés ! Et plus encore, heureusement qu’il y a des auteurs suffisamment audacieux pour ne pas « simplement » continuer à écrire des romans « du genre d’avant », mais pour innover !

Argan, Brune, Garance et Roc font partie de la sixième génération d’Eldorado : il y a cent-cinquante ans de cela, leurs arrière-arrière-arrière-grands-parents ont créé cette bulle isolée du reste du monde, dans l’espoir de survivre aux catastrophes naturelles et aux épidémies dévastatrices nées du dérèglement climatique. Comme tous ceux de leur génération, les quatre adolescents sont intimement convaincus que les habitants de l’Eldorado sont les derniers survivants de l’humanité : les rares explorateurs à s’être risqués dehors sont unanimes, la survie, et encore moins la vie, est impossible à l’extérieur. Pourtant, Argan, Brune, Garance et Roc ne peuvent s’empêcher de rêver au jour où la Terre sera à nouveau habitable : ils aimeraient tant découvrir ces terres interdites ! Et voici qu’Argan, au cours d’une intervention technique, fait une découverte qui remet en question tout ce qu’ils tenaient pour acquis : des voix inconnues grésillent dans la radio … Se pourrait-il qu’ils ne soient finalement pas les seuls à avoir survécus à la fin du monde ? Se pourrait-il, pire encore, que les Anciens soient parfaitement au courant mais aient gardé ce savoir pour eux tous seuls ? Poussés par le besoin viscéral d’en avoir le cœur net, Argan, Brune et Garance se lancent dans la plus insensée des entreprises : sortir, et partir à la recherche de ces voix. De ces hommes et de ces femmes. De leurs frères et sœurs humains. Et ce en dépit de tous les dangers …

Cela commence donc comme une douce utopie : imaginez une petite communauté, protégée dans un écrin de verdure, isolée de la folie du monde, où règnent la joie et la cohésion. A Eldorado, chacun vit en parfaite harmonie avec les autres et avec la nature : chacun contribue au bon fonctionnement de la vie quotidienne, selon ses aptitudes, chacun reçoit ce qu’il a besoin pour vivre, et pour vivre heureux. Pas de pauvreté, pas de misère, pas d’inégalité : les ressources sont partagées entre tous, selon les besoins de chacun, et nul ne convoite jamais les biens de son voisin. La vie est douce à Eldorado … Si douce qu’on a envie d’y croire. Qu’on a besoin d’y croire. Qu’on aimerait pouvoir se dire que oui, l’humanité en est capable. Malheureusement, on devine rapidement, bien que confusément, qu’il y a une fausse note au milieu de cette joyeuse harmonie, qu’il y a une légère ombre au tableau. Il y a, tout d’abord, la révolte de ces deux ados contestataires, Sylv et Briac : s’ils apparaissent au premier abord comme deux gosses perturbateurs, on ne peut pas nier qu’ils n’ont pas totalement tort, finalement, même s’ils y vont un peu fort … Les jeunes ne savent que ce qu’on veut bien leur apprendre, ils n’ont absolument aucun moyen de savoir si les enseignements de leurs ainés sont justes ou non : ils doivent faire aveuglément confiance au Conseil des Sages, aux écrits des derniers explorateurs qui affirment catégoriquement qu’il n’y a personne dehors et qu’il est impossible d’y survivre …

Mais le papier se laisse écrire, disait mon arrière-grand-mère … Lorsqu’Argan, émerveillé par sa découverte, euphorique à l’idée qu’ils ne soient finalement pas les derniers survivants, et surtout que l’extérieur soit visiblement habitable, s’empresse d’aller annoncer la bonne nouvelle au Conseil des Sages, nous comprenons rapidement que quelque chose ne tourne pas rond. Au lieu de se réjouir, les Anciens se crispent : quand bien même cela serait vrai (c’est d’ailleurs louche qu’ils remettent ainsi en question la parole de ce jeune, alors que l’honnêteté fait partis des valeurs fondamentales de la communauté : pourquoi immédiatement songer au mensonge ?), il est absolument hors de question de « prendre le risque » d’entrer en contact avec ces individus, qui pourraient « avoir un mode de vie différent, être porteurs de maladies, être violents, dangereux, affamés, déviants » … et voilà qu’ils lui ordonnent de garder le silence, alors que la règle de la communauté veut que cette dernière ait droit à la vérité pour pouvoir choisir librement, en toute connaissance de cause, ce qu’elle désire collectivement faire. Et même si nous pouvons comprendre la réaction instinctive, primale, de ces Sages qui ne pensent qu’à la sécurité de leurs ouailles, on ne peut s’empêcher de se révolter avec Argan et ses meilleurs amis : au nom du bien commun, de la survie collective, peut-on véritablement mentir à toute une communauté qui fait aveuglément confiance à ceux qui les guident et les conseillent ? Où commence la tyrannie, finalement ?

Nous basculons donc sur une dystopie, mais une dystopie qui ne ressemble en rien au fameux Hunger Games ou à Divergente : on est, ici aussi, dans quelque chose de sobre. Il n’y a pas de mouvement généralisé de révolution : malgré leur déception, nos jeunes héros ne s’empressent pas de monter la population contre leurs dirigeants. Car ils sont suffisamment intelligents pour comprendre qu’il n’y a malgré tout pas que du faux dans leurs propos : ça ne sert à rien de mettre toute la communauté en danger, sans savoir ce qu’il y a réellement à l’extérieur. Ils ne sortent pas seulement par soif de liberté, mais bien plus par soif de vérité : ils doivent savoir. Et ensuite, lorsqu’ils auront véritablement toutes les données en main, ils agiront. Dans notre monde où les mensonges, les complots, les fake news, les propagandes, pullulent, c’est important de montrer que, s’il ne faut pas croire et suivre aveuglément tout ce qu’on nous raconte, il ne faut pas non plus sombrer dans l’excès inverse et se jeter aveuglément dans la contestation systématique. Il faut juste prendre le temps de se renseigner, pour comprendre les enjeux, et ensuite seulement se faire sa propre opinion : agir sous le coup de l’émotion n’est jamais bon, car rien n’est totalement blanc ni totalement noir, totalement bien ni totalement mal, il faut prendre du recul pour avoir une vision d’ensemble et quitter le manichéisme si cher à notre société …

Et c’est vraiment ce qui est au cœur de cet ouvrage, finalement : il y a bien sûr ce côté « récit d’aventure », avec ces trois ados qui quittent tout ce qu’ils connaissent pour s’enfoncer dans l’inconnu, dans cette nature autrement plus sauvage que celle avec qui ils vivent en harmonie depuis leur enfance, et cet aspect du récit est particulièrement passionnant … mais on est bien plus dans le récit initiatique : à travers cette épopée, cette plongée dans l’inconnue, ces trois jeunes apprennent à mieux se connaitre en apprenant à mieux connaitre le monde qui les entoure. C’est en découvrant d’autres modes de vie, d’autres modes de pensées, d’autres façons de voir le monde, qu’ils vont progressivement construire leur propre manière d’envisager la vie. Ce que les Sages voyaient comme un danger, Argan et ses amies vont le vivre comme une chance … Car d’ailleurs, parfois, loin de nous détourner de ce qu’on nous  a inculqués, nos expériences ne font que nous y conforter ! C’est d’ailleurs l’un des points que j’ai trouvé le plus intéressant : trop souvent, dans les dystopies, les protagonistes rejettent tout en bloc, presque par principe, sans admettre qu’il y avait peut-être un peu de bon dans ce système qu’ils piétinent. L’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs … et c’est parfois bien de le montrer, aussi. Sobriété, je vous disais, et non pas coup d’éclat.

En bref, vous l’aurez bien compris, il a beau être particulièrement court, ce roman à quatre mains n’en reste pas moins particulièrement riche, profond, puissant. Très simple, il ne s’embarrasse pas de myriades de sous-intrigues aux enchevêtrements parfois trop rocambolesques : non, il nous invite tout simplement à suivre ces jeunes gens, à les accompagner dans cette épopée qui pourrait changer totalement leur monde, leur vie … C’est un roman qui n’en fait jamais trop, juste assez pour inviter le lecteur à se poser les bonnes questions, sans sombrer dans l’appel systémique à la révolte. Et ça fait du bien, parfois, un peu de simplicité, de sobriété : on nous a tellement habitué à des intrigues haletantes et trépidantes, avec des tas de bagarres et de relations amoureuses compliquées, qu’on ne sait parfois plus apprécier les intrigues plus discrètes … Alors que ces dernières ont tellement de choses à nous apporter : on voudrait vivre toujours plus vite, toujours plus fort, et on se perd dans une crouse effrénée aux émotions fortes, mais certains récits sont là pour nous rappeler que l’essentiel est peut-être ailleurs. Que parfois, tout ce qu’on a besoin pour être comblé, c’est peut-être de passer un peu de temps seul avec soi-même, avec ses pensées non parasitées par des centaines de sollicitations qui nous empêchent de réfléchir, et donc d’être véritablement libres … Oui, on a besoin de ces livres qui, derrière leur apparente simplicité, nous aident à ralentir un peu, pour vivre, et non pas seulement courir après la vie. A lire, donc, de toute urgence !

mercredi 23 février 2022

Tara Duncan, tome 6 : Dans le piège de Magister - Sophie Audouin-Mamikonian

Tara Duncan6, Sophie Audouin-Mamikonian

Dans le piège de Magister

 Editeur : XO

Nombre de pages : 479

Résumé : Dans le splendide palais d’Omois, la jeune Tara fulmine. Car le démoniaque Magister s’est une fois de plus attaqué à elle. Plus exactement, à sa mère, ce qui est pire. Il a tenté de l’enlever, au nez et à la barbe de tous ses gardes, au beau milieu des jardins du palais impérial. Cette fois, Tara en a assez. Elle ne veut plus vivre comme une proie, dans l’attente de la prochaine manœuvre de son ennemi insaisissable. Elle a quinze ans, elle est l’héritière d’un Empire, sa magie est peut-être la plus puissante jamais détenue par un humain, elle est entourée de fidèles amis… Elle va se battre. Débusquer Magister. Le détruire.

 

- Un petit extrait -

« Silencieux, unis dans la peine, ils entourèrent leur ami.

Cal pleura, sanglota, hurla, et ils restèrent.

Cal se releva et vacilla, puis se mis à vomir, et ils restèrent.

Cal parla de mourir, et ils restèrent.

Cal devint à moitié fou, et ils restèrent.

Cal, épuisé, finit par s'écrouler, et ils restèrent.

(...) Toute sa vie, Cal se souvint de ce que ses amis firent pour lui, cette nuit-là. Les liens entre les adolescents, forgés au feu de la douleur, s'endurcir, devinrent bien plus fort. »

- Mon avis sur le livre -

 Comme beaucoup de lecteurs passionnés par un univers, j’ai cette tendance à vouloir absolument collectionner tout ce qui est possible et inimaginable sur l’univers en question … Le problème, c’est que dans le cas de Tara Duncan, pour l’instant, nous n’avons pas grand-chose à nous mettre sous la dent (ou alors, il aurait fallu pouvoir se rendre à toutes les dédicaces pour chiner l’un ou l’autre petit goodies exclusifs distribués à ces occasions, mais … ça n’était pas possible). Je me contente donc de ma collection de romans, de quelques posters, d’un misérable carnet et de menus petites choses que quelques Taraddicts attentionnés m’ont envoyées pour me consoler d’être cloitrée chez moi tandis qu’ils s’amusaient comme des fous à Montreuil (effrayant probablement tout le monde aux alentours par leurs chants de guerre joie) … Mais une bonne nouvelle me laisse espérer que je vais peut-être enfin pouvoir me procurer quelques produits dérivés : une nouvelle série d’animation est sortie, et il est fort probable que quelques figurines ou autres petits gadgets de cet acabit vont faire leur apparition ! Et clairement, ma chambre et ma vie manquent d’objets Tara Duncan pour m’égayer lorsque le monde extérieur est grisâtre et déprimant. Car même si, comme je vais le dire, la saga prend doucement mais sûrement un tournant un peu plus « sombre », elle n’en reste pas moins hilarante et rafraichissante !

Une journée tranquille. Sans tentative de meurtre ou d’enlèvement. Sans planète qui menace d’exploser éminemment sous peu. Sans catastrophe ni mauvaise nouvelle. Une seule journée tranquille : à l’heure actuelle, après avoir sauvé le monde et sa vie plusieurs dizaines de fois, c’est la seule chose et unique chose dont Tara rêve. Une journée tranquille. Mais la jeune Héritière d’Omois doit se rendre à l’évidence : depuis qu’elle a mis les pieds sur AutreMonde, elle ne peut même plus boire un simple verre d’eau sans se demander ce qui va lui tomber sur la tête dans les deux secondes à venir. Ne supportant plus de subir passivement et inlassablement les plans tordus des uns et des autres, et surtout de mettre sans cesse en danger les êtres qui lui sont le plus cher, Tara décide qu’il est grand temps pour elle de prendre les choses en main. Plus question de fuir : désormais, c’est à elle d’attaquer en premier. Dans l’ombre, sous le couvert de missions officielles – pour une fois que son fichu titre d’Héritière peut lui servir à quelque chose, autant en profiter –, la jeune fille réunit progressivement tout ce dont elle a besoin pour mettre à exécution son plan … Malheureusement, cela ne l’empêche pas de se retrouver une fois de plus impliquée dans des situations aussi improbables que dangereuses : elle a visiblement bien plus d’ennemis qu’elle l’imaginait, et certains semblent plus proches et déterminés qu’elle ne le croyait. Et même si ses fidèles amis n’hésitent jamais une seule seconde à venir lui prêter main forte, Tara n’est clairement pas certaine de s’en sortir, cette fois-ci …

Tara est la première à s’en rendre compte et à s’en attrister : ces quelques années passées sur AutreMonde l’ont transformée. Elle n’est plus cette petite fille insouciante et émerveillée qui croyait naïvement qu’il suffirait de trouver le grand méchant pour ramener la paix et retrouver le bonheur. Désormais, Tara sait que la paix est une illusion, et le bonheur une utopie … Tout ce qu’elle espère, désormais, c’est limiter les dégâts et profiter de chaque petit instant de joie. Tandis que sa tante l’initie aux méandres plus ou moins obscures de l’exercice du pouvoir, l’adolescente perd doucement mais surement les dernières bribes d’innocence qui s’accrochaient encore à son petit cœur comme une huitre à son rocher. Si elle veut survivre, elle doit s’endurcir. Elle doit cesser de se laisser mener par le bout du nez. Elle doit apprendre à s’imposer, et à se faire respecter. Et, aussi difficile que cela soit, apprendre à se débrouiller seule. Sans ses amis à ses côtés. Déjà parce qu’ils ne seront pas toujours là pour elle, parce qu’ils ont leurs propres problèmes à affronter, leur propre vie à mener. Et aussi parce qu’elle ne peut pas s’empêcher de penser qu’elle est un danger pour eux, qu’ils seront bien plus en sécurité si elle ne les entraine pas dans toutes ses combines. Car désormais, ses adversaires ne sont plus les seuls à avoir des plans, des machinations, des complots … Puisqu’il le faut, Tara n’hésite plus, à son tour, à manœuvrer dans l’ombre, à dissimuler ses véritables intentions, à induire volontairement les autres en erreur … à frapper dans le dos, aussi, si elle ne peut pas faire autrement.

Et Tara est loin, très loin d’être la seule à changer. Ses amis, eux aussi, quittent définitivement l’enfance. Voire même l’adolescence, vu comment les épreuves les ont fait murir prématurément. Ce tome, c’est vraiment celui où le groupe commence indiscutablement, non pas à se déliter totalement, mais du moins à se distendre … justement parce qu’ils ne sont plus seulement « le groupe ». Petit à petit, la personnalité de chacun s’affine et s’affirme : ils ne sont plus des enfants qui partagent les mêmes visions et rêves de gosses. Chacun commence à faire face à l’adulte qu’ils sont en passe de devenir. Chacun commence à vivre ses propres expériences, la plupart du temps douloureuses. Ce tome comporte ainsi une des scènes les plus déchirantes de toute la saga, je pense : même au bout de presque treize ans et presque autant de relectures, je pleure à chaque fois toutes les larmes de mon corps, car c’est si triste et si beau à la fois. C’est peut-être d’ailleurs un des premiers tomes à véritablement me faire pleurer : jusqu’à présent, j’étais peut-être émue par moment, mais pas au point de devoir éloigner le livre de crainte de l’arroser copieusement de mes larmes ! Et plus encore, ce tome comporte un revirement pas si surprenant que cela, quand on essaye d’y réfléchir rationnellement, mais tout bonnement insupportable : on aurait tant aimé que ça se passe autrement, que ça se règle autrement, mais la dure vérité, la dure réalité, elle est que c’était malheureusement prévisible, que ça ne pouvait pas se terminer autrement …

De l’émotion, donc, et pas qu’un peu … mais aussi de l’action, et pas qu’un peu ! Ni les héros ni les lecteurs n’ont la possibilité de s’ennuyer, car on va de rebondissement en rebondissement, de péripétie en péripétie, de révélation en révélation. De la forêt des trolls au sinistre pays des Vampyrs, de la fantasque capitale du Lancovit à l’ostentatoire palais impérial d’Omois, des mers agitées d’AutreMonde à ses déserts voraces, en allant jusqu’à la lointaine planète des Dragons en proie à un événement historique, Tara et ses compagnons sont sur tous les fronts … et toujours sous tension ! Et le plus incroyable, c’est qu’aucune sous-intrigue n’est bâclée ou délaissée : à partir du moment où Sophie ouvre une porte, vous pouvez être sûr et certain qu’un jour ou l’autre, quelque chose finira par en sortir. Ci et là, des petites graines sont semées, ne demandant plus qu’à germer au fil des tomes à venir … au lecteur de bien garder à l’esprit les moindres petits détails, les moindres petites informations, car elles ne sont jamais données au hasard. Elles finiront bien par prendre tout leur sens, à un moment ou à un autre, d’une façon plus ou moins inattendue. Et bien sûr, la responsabilité de régler le problème et de refermer une bonne fois pour toutes ces portes reviendra à notre brave et pauvre Tara, toujours si vaillante alors que beaucoup aurait déjà jeté l’éponge, loin, très loin … On se demande quand elle finira par exploser, la pauvre, ou du moins par déclarer un ulcère à l’estomac, avec tous ces tracas incessants !

En bref, vous l’aurez bien compris : ce tome est peut-être l’un de mes préférés ! Peut-être parce qu’il n’est pas seulement palpitant (tous les tomes de la saga le sont, Sophie est vraiment très douée pour maintenir le lecteur en haleine), mais qu’il est aussi poignant : il n’est plus seulement divertissant, il est plutôt saisissant. On ne se contente plus de vivre des aventures follement trépidantes en compagnie d’un petit groupe d’amis qui viennent à bout de tous les dangers … on suit bien plus le cheminement existentiel d’adolescents qui perdent une bonne fois pour toutes leur innocence et leur insouciance d’enfants pour faire véritablement face aux dures leçons de l’existence. Au fil des tomes, nous nous sommes attachés à eux, nous nous sommes même parfois identifiés à eux, suffisamment pour nous sentir pleinement concernés par leur sort, suffisamment pour compatir à leurs souffrances, pour partager leurs peines, leurs doutes,  leurs peurs. Suffisamment pour avoir envie de les aider, sans pouvoir le faire, car ils ne sont constitués que d’encre sur du papier … La saga emprunte définitivement un nouveau tournant, et même si on peut regretter l’ambiance colorée des premiers tomes, il ne faut pas se mentir : c’est nettement plus intéressant désormais, surtout que Sophie n’oublie jamais de glisser par-ci par-là quelques pointes d’humour bien placées, pour dédramatiser tout de même un petit peu, parce que Tara Duncan reste Tara Duncan : c’est une saga qui fait du bien au moral !

samedi 19 février 2022

J'étais là - Gayle Forman

J’étais là, Gayle Forman

 Editeur : Hachette

Nombre de pages : 355

Résumé : Quand j'ai appris la mort de Meg, j'ai cru qu'elle me faisait une blague. Une de celles dont elle avait le secret. Elle avait tout prévu : la méthode, le lieu, ce qu'il faudrait faire de ses biens. Et même ce fichu mail, envoyé en différé, annonçant qu'elle en finissait avec la vie. Ensuite, il a fallu affronter la pitié des habitants de Plouc-la-ville. Faire face aux questions que je lisais sur tous les visages. Oui, Meg était ma meilleure amie. Non, je n'étais pas au courant. Pourquoi ne m'avait-elle rien dit? Elle avait eu besoin de moi, et je n'avais pas été à la hauteur. Pourtant, j'étais là.

 

 

- Un petit extrait -

« — Non, objecte Richard. Tout le monde connaît ça. Tout le monde a ses mauvais jours, imagine en finir. Sais-tu pourquoi mon père qualifie le suicide de péché ? ajoute-t-il en désignant la maison du pouce.

— Parce que c’est un meurtre, je soupire. Parce que seul Dieu a le droit de décider quand ton moment est venu. Parce que voler une vie, c’est voler Dieu.

Je me contente de répéter comme un perroquet les horreurs que les gens ont sorties au sujet de Meg. Richard secoue la tête, cependant.

— Non. Parce que c’est tuer l’espoir. C’est ça, le péché. Tout ce qui tue l’espoir en est un.  »

- Mon avis sur le livre -

 Si ma pile à lire est déjà fort impressionnante (bien qu’en baisse constante, mes achats se raréfiant ces derniers temps), ma liste d’envie est tout simplement effrayante : au fil des années, au fil des innombrables livres croisés au détour d’une librairie, d’un blog, d’une discussion, d’un catalogue de parutions ou que sais-je encore, j’y ai accumulé toutes mes frustrations littéraires. Tous ces livres qui m’attiraient, qui m’intriguaient, mais que je n’ai pas eu l’occasion d’acheter, faute de moyens, faute de place, faute de temps … Tous ces livres qui, pour la plupart, ne rejoindront jamais ma bibliothèque, car ils ont depuis bien longtemps quitté la scène littéraire … Ma liste d’envie a d’ailleurs pour surnom « la liste des regrets », car elle comporte des livres qui auraient pu être de véritables coups de cœur, mais à côté desquels je suis passée lorsque l’occasion s’était présentée. Alors bien sûr, il est la plupart du temps encore possible de se les procurer, soit au moyen des grandes méchantes plateformes en ligne dévoreuses de librairies indépendantes, soit dans les bourses aux livres (mais c’est un pari fou de se reposer dessus, car rien ne dit que vous y trouverez les livres de votre liste d’envie). J’étais là fait partie des chanceux : je n’ai pas pu l’avoir lors de sa sortie en librairie, mais l’ai trouvé en occasion à une foire aux livres … et j’ai attendu des années avant de le lire (logique de grosse lectrice) !

Meg et Cody. Cody et Meg. Aux yeux des habitants de leur petite ville paumée au fin fond de nulle part, les deux adolescentes ne formaient plus qu’une seule et même entité, inséparables l’une de l’autre. Depuis leur prime enfance, elles faisaient absolument tout ensemble, au point que la maison de Meg est devenue la résidence secondaire de Cody, et que la famille de Meg est devenue la famille adoptive de Cody. A vrai dire, Cody ne pourrait imaginer sa vie sans Meg, tant celle-ci est devenue le centre de son existence, l’ancre à laquelle tout se rattache et se raccroche … Et voici comment, après le suicide de Meg, Cody est devenue « la meilleure amie de la morte » : même au-delà de la mort, c’est à travers leur relation fusionnelle que les voisins continuent à la définir. Comment leur reprocher ? Cody elle-même a le sentiment d’être amputée d’une partie d’elle-même, d’une part essentielle de son identité : elle ne sait pas qui elle est sans Meg. Mais elle doit aussi et surtout se rendre à l’évidence : elle ne sait pas non plus qui est, qui était Meg.  Car la Meg qu’elle pensait être sa meilleure amie n’aurait jamais mis fin à ses jours. Car la Meg qu’elle pensait connaitre n’aurait pas pu lui cacher un projet aussi … important. Alors Cody se lance dans une quête désespérée : elle a besoin de comprendre ce qui a bien pu lui échapper, besoin de comprendre pourquoi son amie en est arrivée à de telle extrémité, besoin de savoir si elle est ou non responsable de la mort de Meg.

C’est par mail que Cody a appris la mort de Meg … un mail envoyé par Meg elle-même. Prévoyante et méticuleuse jusqu’au bout, Meg avait minutieusement préparé son coup : elle a été jusqu’à envoyer aux policiers une note leur indiquant quel poison rarissime elle avait absorbé et comment les employés de la morgue pouvaient sans risque récupérer son cadavre dans la chambre d’hôtel où elle a pris soin de laisser un mot à la femme de ménage pour lui ordonner de ne surtout pas toucher à son corps et de prévenir les secours (le tout assorti d’un pourboire astronomique) … Forcément, le premier réflexe de Cody, c’est de croire à une blague. De fort mauvais gout, certes, mais une blague tout de même. Et puis, il a bien fallu se rendre à l’évidence : Meg était réellement morte. Meg n’était plus là. Meg les avait abandonnés à leur triste sort. Et si le désarroi et la peine occupent la première place dans le cœur et l’esprit de Cody, une certaine forme de ressentiment, teinté d’une pointe de culpabilité, s’y disputent la préséance. Comment Meg, qu’elle pensait connaitre par cœur, a-t-elle pu leur faire ça, lui faire subir ça ? Et surtout, pourquoi n’a-t-elle rien vu venir, pourquoi diable Meg ne lui avait-elle jamais confié ses souffrances, alors qu’à en croire son mail, « il y a longtemps » qu’elle a pris cette décision ? Pire encore … serait-ce de sa faute, parce qu’elle a laissé une certaine distance s’installer entre elles depuis l’entrée à l’université de la si brillante Meg ?

 Quand ils abordent des thématiques aussi difficiles que le suicide ou le deuil, certains auteurs peinent à trouver le juste équilibre : soit ils sombrent dans une surabondance de pathos à faire pleurer dans les chaumières, soit ils prennent tant de précautions et de pincettes qu'ils finissent par esquiver totalement ledit sujet. Gayle Forman, elle, a su éviter ces deux travers. Elle nous offre ici un roman certes bouleversant, mais jamais déprimant, certes délicat, mais jamais fuyant. Elle ne cache rien, elle ne surajoute rien : le ton est tellement juste qu’on pourrait facilement oublier que Cody n’existe pas, que ce n’est pas elle qui tient la plume. Le personnage de Cody sonne parfaitement juste. Tant et si bien qu’il est très facile de se laisser envahir par ses émotions. Surtout quand, comme moi, on lui ressemble un peu. Comme Cody, j’ai tendance à me laisser « absorber » par les amitiés, j’ai tendance à « m’effacer » pour n’être plus qu’une sorte de « faire valoir » de l’autre. Comme Cody, c’est comme si je « n’existais » plus en tant qu’individualité lorsque je m’accroche à quelqu’un … j’ai bien conscience que c’est une vision pour le moins absolue, et peut-être même malsaine, de l’amitié, mais ça fait partie de ma personnalité … Mais cela, Cody ne le sait pas. Pas encore. Elle n’a encore jamais eu l’occasion de s’en rendre compte, puisqu’elle n’a encore jamais eu besoin de vivre sans Meg jusqu’à présent. Mais désormais, Cody est comme seule au monde, privée de celle qui menait la danse de leur duo, de leur vie …

Et Cody ne comprend toujours pas comment cela a pu arriver. Et tant qu’elle n’aura pas compris, Cody ne pourra pas faire son deuil. Alors Cody se lance à corps perdu dans une enquête désespérée. Elle s’efforce de reconstituer tout ce qu’elle a bien pu louper, tout ce que Meg a si savamment su lui cacher. Tout ce qui a échappé à leur amitié fusionnelle, à leur échange de confidences. Elle se raccroche aux moindres petites miettes de Meg, à tout ce qu’elle ignorait jusqu’à présent. Elle a besoin de connaitre Meg toute entière … pour finalement se connaitre elle-même. Elles n’étaient qu’une. Elles doivent désormais être deux. L’une morte, l’autre vivante. Mais pour cela, Cody doit bien distinguer ce que Meg était pour savoir ce qu’elle est. Et tandis que les découvertes, plus accablantes les unes que les autres, lèvent le voile sur l’engrenage infernal qui a conduit Meg à mettre fin à ses jours, Cody se sent à son tour au bord du gouffre. Elle qui en voulait tellement à Meg se rend compte qu’il suffirait d’un petit rien pour qu’elle se laisse à son tour entrainer par l’engrenage. Un petit rien que, prise dans sa quête effrénée de vérité, elle va elle-même aller chercher. Qu’elle va provoquer, qu’elle va mettre au défi. Vas-y, essaye. Montre-moi comment tu l’as eu. Si tu l’oses. En jouant avec le feu, avec la mort, Cody va finalement se raccrocher une bonne fois pour toute à la vie. Elle va oser vivre. Vivre sans Meg. Libérée de la colère et de la culpabilité. Vivre. Enfin. Même si, parfois, c’est la chose la plus difficile qui soit.

En bref, vous l’aurez bien compris, je me suis pris une claque en pleine figure. Ou peut-être plutôt en plein cœur. Moi qui avait glissé ce roman dans ma pile à lire du mois avec une certaine réticence, pour la simple et bonne raison que je n’avais pas pris la peine de relire le résumé et m’attendait donc à une romance adolescente, j’ai été non seulement agréablement surprise mais absolument époustouflée par cette lecture. C’est un roman émouvant, bouleversant, exactement comme je les aime. Il y a cette délicatesse, cette pudeur, qui ne se transforme jamais en œillères, en détours : l’autrice ne masque aucune réalité, même parmi les plus effroyables (on ne parle pas assez, pour ne pas dire jamais, de ces terrifiants sites de « soutien » au suicide où les internautes s’encouragent et se conseillent mutuellement pour mettre fin à leurs jours … on devrait en parler, pour éviter que les personnes en souffrance se laissent entrainer à l’insu de leurs proches par ces communautés), mais elle ne les assène pas non plus comme des coups de massue. Et c’est justement ce qui rend le récit si authentique, et donc si poignant. Ni trop sombre, ni trop lumineux, ce roman nous invite à suivre Cody dans sa quête, sur cette route escarpée de la reconstruction après une épreuve, sur le chemin sinueux de la vie qui ne laisse personne indemne. Mais qui est assurément le plus beau voyage qui soit … éprouvant, mais précieux.